Résumé des épisodes précédents : Nos héros, Vassili le Bansidh medium, Abigail la Nocker informaticienne, et Fergus le Pooka pique-assiette, sont en plein milieu d'une enquête impliquant plusieurs meurtres, dont deux fantômes, mais qui piétine lamentablement. En parallèle, ils s'occupent de Silvana, une jeune Satyre qui vient de découvrir qu'elle est une fée. Ils ont promis de lui faire visiter la cour féérique...


Où l'on visite la Cour Féérique


L'autocar les déposa au centre du village, et ils durent marcher pour arriver jusqu'à l'endroit où était caché le lieu féérique. Abigail et Vassili guidaient Fergus et Silvana. Ils arrivèrent jusqu'à un tableau enchanteur, avec un petit lac, bordé d'arbres aux feuilles jaune vif. La lumière sèche du soleil devenait plus douce en passant à travers les branches. Le vent y était plus doux aussi, et déjà, l'impression intemporelle d'être dans un lieu du Songe se faisait ressentir.

Il y avait une petite maison de pierre, vieille mais qui semblait solide, couverte de plantes grimpantes et de mousse. Un écriteau "Défense d'entrée. Propriété privée" se balançait à une chaîne. Ils rentrèrent dans la maison, poussèrent la porte de bois. On pouvait voir derrière une toute petite entrée, bouchée par un mur de béton sur trois côtés. Mais dans ce mur s'ouvrait une magnifique porte large en bois sculpté. Le seul meuble dans la petite antichambre était une vieille commode sur laquelle se trouvait une boîte étiquetée "plans".

"N'y touchez pas." dit Abigail. "C'est pour les humains."

Silvana, qui après le magnifique paysage, avait été un peu déçue par l'entrée en béton, se reconcentra sur la porte, qui semblait lui plaire plus. Abigail frappa.

"Je vous attendais." dit un jeune homme de petite taille, leur ouvrant immédiatement la porte. Il avait les cheveux châtain, avec deux paires de longs sourcils. Un grand sourire éclairait son visage. "Ca va?"

"Bonjour, Liew." dit Abigail. Elle présenta ses amis "Voilà Fergus et Silvana, qui viennent présenter leurs hommages à la comtesse et au comte. Silvana vient aussi découvrir son identité féérique." En entandant cela, la jeune Satyre trépignait d'impatience. "Fergus, Silvana, Je vous présente Liew, majordome, intendant, et homme à tout faire du comte." Ce dernier s'inclina une fois de plus. Il dit à Silvana "Je suis très heureux qu'ils vous aient trouvée." puis à tous "Venez maintenant. La comtesse Alexandrine et le comte Amaury vous attendent. Nous parlerons plus tard." Il leur tint la porte.

Ils entrèrent dans un long couloir. On pouvait même se demander comme il pouvait tenir dans une maison de taille moyenne. Il y avait de grandes colonnes rouges et or de chaque côté de l'allée. De loin en loin, on voyait un humain faire le ménage. Les humains en question étaient habillés de costumes très variés, du costume cravate aux vêtements déchirés, en passant par des vêtements de sport.

Il semblait ne pas y avoir de murs, dans ce couloir. Après les colonnes, l'ombre se faisait et les limites demeuraient floues, indistinctes, avec un petit quelque chose d'effrayant qui empêchait de vouloir aller en déterminer les contours.

"C'est encore loin, grand Schtroumpf?" se plaignit Fergus. En effet, en y réfléchissant, il leur semblait marcher depuis longtemps, mais ils ne ressentaient aucune fatigue. Personne ne lui répondit. Surtout pas Silvana, ses yeux tendus vers le bout du couloir, qui paraissait infiniment éloigné. Pas même Liew, qui leur avait pourtant promis une conversation.

Ils y parvinrent cependant. Il n'y avait pas non plus de murs ni de porte, mais une grande tenture, toujours rouge et or, que Liew écarta, leur permettant d'entrevoir voir l'intérieur de la salle du trône. Il annonça "Les diplomates Abigail et Vassili. Les nouveaux venus Fergus, et une jeune Satyre dont nous ignorons le nom."

Alors ils entrèrent. La salle, comme le couloir, semblait n'avoir pas de limites distinctes autre que la tache de lumière qui partait du trône, et éclairait un grand cercle autour de lui. Il y avait aussi quelques rideaux, mais tous donnaient l'impression de cacher quelque chose derrière eux. Ils ne limitaient pas la pièce.

La comtesse et le comte - Alexandrine et Amaury, tels qu'on les avait présentés - étaient assis chacun sur un trône. Celui de la comtesse était plus petit, mais aussi plus finement ouvragé. Mais ce qui frappait les yeux en premier lieu était le couple lui-même. La comtesse, une jeune fille qui ne paraissait pas plus de dix-sept ans, était fine et blanche. Ses cheveux blonds frisés étaient tellement épais qu'ils semblaient mousser sur se épaules, donnant envie de toucher ce qui semblait si doux. Ses yeux étaient verts et profonds. C'était la plus jolie femme qu'aucun des assistants n'avait jamais contemplée. Elle portait une grande robe blanche brodée d'or.

Son époux lui cédait peu en beauté. Ses cheveux étaient noirs, son visage bronzé, sa taille élancée, mais donnant quand même une impression de force. Son nez un peu grand, au lieu de diminuer la beauté de son visage, lui conférait plus de caractère. Lui aussi était vêtu de blanc et de doré. Ses oreilles, comme celles de sa femme, étaient pointues, et ses yeux étaient violets, d'une nuance que ni Fergus ni Silvana n'avaient jamais vue. Leurs yeux à tous les deux étaient équarquillés devant la beauté du couple. Fergus murmura à l'oreille de Silvana "Quel dommage que la dame soit déjà prise!" mais elle ne lui répondit pas, perdue dans sa contemplation. Les deux autres avaient l'air plus calme. Ce n'était pas la première fois qu'ils pouvaient contempler ce spectacle.

De chaque côté de l'ensemble formé par les deux trônes, se tenait dressé un guerrier en armes. La première était une Sidhe, comme le Comte et la Comtesse, mais de quelques années de plus. Elle avait des cheveux roux et courts, et des yeux noirs. Sa beauté aurait été remarquable dans le monde des humains, mais elle était ici éclipsée par celle de ceux qu'elle devait protéger. L'autre gardien était un immense jeune Troll, aux cheveux noirs, à la barbe coupée court.

Quelques autres fées étaient dans la pièce, assises sur des fauteuils ou des canapés. Elle étaient probablement en train de discuter, mais se levèrent en voyant les nouveaux arrivants. Il y avait un vieux Satyre ventripotent, avec un violon, à côté d'une toute jeune fille Pooka, aux oreilles de renard, qui devait avoir dans les treize ans. Une très vieille femme Eshue, drapée dans une cape bleu nuit. Une petite fille Sidhe, qui devait avoir cinq ans, aux adorables boucles blondes. Elle semblait accompagnée de ses parents : un autre Sidhe, aux cheveux châtain coupés courts, aux traits très fins, qui fumait un cigare, et une Satyre brune à la peau blanche. Et enfin, une jeune fille Troll, assise seule, qui se leva avec un air de panique.

Le comte Amaury, lui aussi se leva de son trône pour les saluer, ainsi que la comtesse Alexandrine qui descendit du trône, s'avança, prenant les mains d'Abigail entre les siennes.

"Abigail. Je suis contente de te voir! Tu as un cadeau pour moi?"

Abigail remua la tête négativement, et dit d'une voix polie "J'ai été très occupée, ces temps-ci.

- Je sais." dit la comtesse, faisant la moue. "Abigail, tu sais que quand tu veux, tu peux tout laisser tomber, ton travail humain, et le stupide travail de diplomate que t'a laissé mon père, pour venir vivre ici et me fabriquer des objets magiques." Elle vit la grimace d'Abigail, se pencha sur le côté en souriant, essayant de l'interpréter. "Je sais que tu aimes ton travail de communication avec les autres, mais je me demande comment tu fais. Ils sont tous si déprimés et si ennuyeux!"

La comtesse frappa des mains, et des humains surgirent des zones d'ombre, vêtus de vêtements aussi divers que ceux du couloir, mais tous drapés dans une cape rouge et or, aux couleurs de la comtesse. Ils portaient des plateaux couverts de boissons et de nourriture, à la disposition des présents.

La vieux Satyre commença à jouer de son violon, et le père de la petite fille invita immédiatement sa femme pour une danse, laissant leur fille à la garde de la vieille Eshue. Ils étaient les seuls à danser, et personne ne s'en formalisait.

Le comte, pendant ce temps, s'était approché de Fergus. "Je vous remercie d'être venu vous présenter à la cour.

- Voudriez-vous une place ici?" demanda sa femme. "Quels sont vos talents?"

Fergus toussa pour s'éclaircir la gorge.

"Honorable comte, honorable comtesse, je vous dirai un jour les vicissitudes qui ont pu amener un des plus grands esprits du royaume de Féérie à s'enterrer dans une ville telle que Perpignan. Il y a plus de salons de thés que de bars tellement les habitants sont vieux, c'est horrible. Et les fientes d'étourneau... vous a-t-on déjà parlé des fientes d'étourneau? Je suppose que des majestés comme vous doivent être au-dessus de ce genre de considérations... Enfin bref. Mes talents, me demandiez-vous? Ils sont multiples. Je suis un grand dessinateur, un grand chimiste, le meilleur fêtard qu'on puisse trouver dans ce département (ce qui n'est pas grand chose). Je sais aussi jongler..." Ce disant, il avait sorti apparemment de nulle part un diabolo de sa poche, et se mettait à éxecuter des figures toujours plus compliquées, sans cesser de parler. "Je suis aussi un grand politicien, un excellent guerrier, un bon cuisinier et un amant exceptionnel." Il lança son diabolo en une boucle particulièrement compliquée, puis la rattrapa dans son dos, tout en s'inclinant.

La comtesse sourit.

"Peut-être voudriez-vous une place de maître des spectacles à notre Cour? La place est bonne, vous resteriez ici, on n'a pas le temps de s'y ennuyer.

- Les chambres sont magnifiques!" rajouta la comtesse. "Et je serais très heureuse de vous avoir près de moi!" Elle prononça cette dernière phrase avec un acccent de familiarité qui fit rougir Fergus.

"Je.. je... ravi nyamgrmph... mais je comptais aussi poursuivre l'enquête avec le Bansidh et la Nocker, vous savez, nous avions commencé à enquêter sur des affaires louches extrêmement intéressantes pour la politique mondiale - je vous ai dit que c'était une de mes spécialités, et... grmbm...

- Il semble pourtant que vos dons seraient mieux exploités ici!" dit la comtesse en inclinant la tête sur le côté avec un humour charmeur. "Et puis quel est l'intérêt des enquêtes? Ici, on ne fait que s'amuser...

- Je suis aussi un guerrier! clama Fergus.

"Nous avons des tournois!" lui dit le comte "Toutes les semaines. Je serais ravi de pouvoir affronter un nouvel adversaire.

- Tu es le seul qui puisses ma battre, mon amour!" dit la comtesse, se retournant vers lui.

"Je ne me le serais jamais permis si cela ne m'avait permis d'obtenir ta main, ma chérie!" il l'enlaça.

"Malgré ma meilleure épée et mon armure de jade, ta force dépassait tout ce que j'avais jamais éprouvé!" Elle se blottit contre sa poitrine..

"Cependant, je ne suis pas digne de toi, mon amour, car la seconde épreuve, jamais je n'aurais du la gagner! Comme le jury a été injuste de me trouver d'une beauté plus éclatante que la tienne!" Il l'embrassa sur la joue.

- Mais voyons, mon amour, c'était fait exprès! Si le jury de ce concours n'avait pas été formé de mes jeunes servantes les plus attirées par les hommes, je serais restée toute ma vie célibataire!" Elle l'embrassa passionnément sur la bouche, le faisant taire.

On aurait pu croire qu'ils s'étaient perdus dans la contemplation l'un de l'autre ; et pourtant leurs attitudes pouvait laisser croire qu'ils avaient parfaitement conscience du merveilleux tableau qu'ils formaient, et souhaitaient qu'il soit vu.

Fergus, en perdant du regard les beaux yeux de la comtesse, s'était un peu modéré. Il se mit à réfléchir, à tout ce qu'il laisserait derrière lui en signant pour un poste à la cour du Soler. Il laissa s'envoler sans regrets les images d'Elisabeth, de salons de thé et des étourneaux d'octobre. Mais cependant quelque chose le faisait encore hésiter.

Il se rapproche d'Abigail. Elle écoutait la conversation de Vassili et de la vieille femme.

"Yo!" lui murmura-t-il.

"Tu as encore de la bave aux lèvres depuis que tu as parlé à la comtesse." lui dit-elle, baissant charitablement la voix. "Essuie-toi, Pooka."

Fergus se passa la langue sur les lèvres.

"Dis, c'est pour bientôt, la baston?" demanda-t-il.

"Quelle baston?

- Tu sais, comme quand on s'est battu contre les minables, le jour où on a rencontré Flamme, mais en gros! Les Grands Méchants! Les tueurs de petites filles! Pan, pan, zwouing! Je resterais bien ici, mais si je viens pas avec vous, je risque de la rater, et après avoir fait tous les préliminaires chiants, ça serait bête, non?...

- Tu ferais mieux de rester ici, alors." dit Abigail.

"Quoi?" Fergus avait l'air déasppointé.

"Je ne peux rien te promettre, Fergus. Si tu restes ici, peut-être n'auras-tu pas effectivement d'aventures, mais tu t'amuseras plus que ce que nous pouvons t'offrir.

- Si on s'amuse plus ici, pourquoi tu n'y viens pas, toi aussi? Me dis pas que tu aimes pas t'amuser? Je t'ai vue l'autre soir, chez Silvana. Tu étais détendue. Tu étais bien.

- C'est vrai. Mais même toi, tu préfères ne pas rester, si tu dois rater l'action." Elle haussa les épaules "Je suis pareille, je pense. Ici, on s'amuse, mais il n'y a rien de la vraie exaltation qu'on retire quand on peut combattre pour aider quelqu'un et pour réparer quelque chose. C'est ingrat. On n'en a que des tout petits bouts. l'aventure ne nous tombe pas toujours dessus - il faut aller la chercher, elle se cache. On ne tombe que sur des impossibilités à première vue. N'attends pas trop de nous."

Fergus fit une tête d'enterrement. Puis il prit son parti, et alla inviter à danser la guerrière rousse. La Satyre et son mari valsaient toujours. Mais la musique n'était pas une musique de valse ; en fait, elle ne ressemblait à rien de connu. Sur le même air, la jeune fille Troll et la petite Pooka s'étaient mises à danser une ronde plutôt enfantine. La Pooka profita du passage d'un homme d'affaires maigre, cravaté, portant des coupes de vin pour lui faire un croche-pied. Il se rattrapa de justesse.

Pendant ce temps, Silvana demandait à Liew :

"Qui sont tous ces gens? Ceux qui font le service?

- Ce sont des humains qui sont rentrés dans notre palais, malgré l'écriteau qui dit de ne pas entrer. Des indiscrets, si on me permet de donner mon jugement. Il y a un charme lancé sur les plans qui sont dans la boîte, et ceux qui en prennent - ceux-là se retrouvent enchantés. Ils peuvent voir la porte, ils peuvent nous voir, nous autres fées. Normalement, un enchantement s'estompe vite. Mais si on reste dans des lieux féériques comme celui-là - alors il peut durer indéfiniment. S'ils décident d'entrer, ils sont alors capturés, et doivent faire le service pour la journée et la nuit, en punition de leur défi aux règles.

- Un jour... Ce n'est pas trop grave, alors... Mais comment se fait-il qu'il y en ait tant? On essaie si souvent d'entrer chez vous?

- Oui, car ce lieu a une réputation, forcément... d'endroit très dangereux, ou les gens disparaissent. Cela attire les gens. Mais il n'y a pas que ça. Parmi ces prisonniers, beaucoup sont tellement fascinés par le palais, par le Comte et la Comtesse, qu'ils décident d'eux-même de rester plus longtemps. Qui pourrait leur résister?

- Oh, je comprends!" dit Silvana d'un air enthousiaste. "Je comprends très bien! Ils doivent être bien heureux! Mais leurs familles, leurs amis..." Son visage avait pris une expression de tristesse.

"Le Comte et la Comtesse se lassent d'avoir toujours les mêmes serviteurs. Quand ils en sont fatigués, ils les forcent à ressortir, de l'autre côté du lac. Ils finissent par oublier, ou au moins par croire que c'est un rêve. C'est toujours comme ça, avec les humains." Il eut un bon sourire. "Et nous ne leur faisons pas de mal. Donc, vous voyez, jeune fille, ne craignez rien. Pas de veuves éplorées ni d'amis fachés. Tout se termine toujours bien."

Silvana sourit avec joie, et pour remercier Liew de la bonne nouvelle, l'embrassa sur la joue. Il rougit. C'est à ce moment que la Comtesse, qui avait fini ses démonstrations d'affection envers son époux, vint trouver Silvana.

"Bonjour, petite chérie. J'ai entendu dire que tu venais ici pour trouver ton nom. Je vais te montrer, Tu verras. Viens avec moi. J'ai une tapisserie magique qui peut te faire trouver ça, vraiment magnifique! J'en suis très fière. Il n'en existe pas beaucoup des comme ça, même dans de beaucoup plus grandes cours."

Elle l'entraina par la main, sans lui demander son avis.


Alexandrine mena Silvana jusqu'à une salle cachée derrière une des multiples tentures de la grande salle. Elles y étaient seules.

"Je ne permets pas souvent à quiconque de la regarder" murmura-t-elle, comme si elle était dans un lieu sacré et ne voulait pas déranger. "Même moi, je m'interdis d'y aller seule, maintenant. Il est trop facile de s'y perdre."

Puis elle leva un rideau, qui dissimulait un tableau.

C'était une scène de cour. Le Haut Roi et sa Reine étaient assis sur leur trônes, entourés d'une foule de gens. Et Silvana savait que c'était le Haut Roi. En regardant n'importe quelle personne, elle savait qui c'était, elle revoyait ses souvenirs les plus marquants. En observant un objet, elle savait exactement qui l'avait créé, et toutes les personnes à qui il avait appartenu. Elle n'aurait pu dire, cependant, combien de temps cela lui prenait. Elle n'avais pas l'impression que c'était immédiat, il lui semblait pouvoir chercher de plus en plus longtemps, pour de plus en plus de détails, sans fin. Il lui semblait pouvoir rester des heures à contempler le plus petit détail et à apprendre ses secrets. La voix de la Comtesse, aussi fascinée qu'elle, mais pour laquelle ce n'était pas nouveau, l'arracha à sa contemplation.

"Cherche, petite, cherche une trace de ce que tu as été."

Silvana se força à effleurer chaque personne ou chaque détail du regard, à ne pas s'y attarder trop longtemps, à ne pas se plonger dans cette source infinie d'histoires et de légendes.

Cela dura longtemps. Elle vit des images d'amour et des images de meurtres, de grandes joies et des tristesses qui lui perçaient le coeur.

Elle vit un roi qui était un cheval, un papillon qui était la femme d'un dieu, une pierre qui était un trône, une épouse qui était la mer... Elle vit beaucoup d'autres choses encore.

"Je crois que j'ai trouvé." murmura-t-elle soudain. "Cette harpe... je sais que je m'en suis déjà servi, dans d'autres temps."

La comtesse ne répondit pas.

La Satyre prit la liberté de tirer sur sa robe. Elle se retourna.

"Oh, excuse-moi. Tu disais que tu as trouvé?". La petite hocha la tête.


Quand elles revinrent, la comtesse était tout excitée. Elle fit taire le violon du Satyre d'un coup d'oeil impérieux, et le silence se fit.

"Je voudrais être la première à vous présenter Mairead!" Elle la fit avancer. Puis elle lui parla "Mairead. Nous t'appellerons Mairead de la Harpe, ici. Tu n'es pas noble, mais ce n'est pas grave. Je n'ai rien contre les gens qui ont un nom qui fait noble. Au contraire, pour un membre de ma cour, cela fait bien. Tu es musicienne? Tu sais toujours jouer?"

Mairead secoua négativement la tête. Elle était toujours au centre de l'attention.

"Je n'ai jamais touché une harpe. Mais chez moi, je joue de la flute.

- Parfait!" Elle fit un geste à un serviteur, qui s'eclipsa. "Tu vas nous jouer quelque chose. Pour fêter la découverte de ton vrai nom. Tu te rappelles de tes vies antérieures?

- Pas vraiment... J'en ai vu un peu dans la tapisserie..." elle frémit "Mais tout me semble flou.

- Ce n'est pas grave. Cela te reviendra. Ou pas. Mais en attendant, tu vas jouer..." Le timing était parfait. Le serviteur était revenu, portant un coffret avec tout un assortiment de flutes.

Silvana se mit à jouer. Abigail et Vassili l'avaient déjà entendue, chez elle. Mais maintenant, c'était tout autre chose. La musique semblait s'accorder à l'ambiance féérique de l'endroit, plus encore que le violon du vieux Satyre. Les assistants, en l'entendant, se souriaient les uns aux autres, même les serviteurs humains, qui habituellement semblaient loin de tout, le regard vague, comme dans un rêve. La dame Satyre et son époux se remirent à danser, ainsi que la comtesse et le comte. Fergus invita Abigail, qui ne le rejeta pas. Les deux gardes du corps se mirent aussi à danser, la petite Pooka fit tourner l'enfant Sidhe dans ses bras, le vieux Satyre proposa galamment son bras à la dame Eshu. Seuls Vassili, Liew, la jeune fille Troll, et bien sur Mairead qui jouait toujours, ne dansaient pas. Quand soudain, la jeune Troll en question éclata en sanglots bruyants.

Mairead cessa immédiatement de jouer. Elle la regarda d'un air désolé, et laissa tomber sa flute.

La dame Eshue lança un regard éloquent à son cavalier, qui reprit son violon, et empêcha les autres couples de s'interrompre brutalement. Mairead, elle, alla parler à la jeune fille.

"Excuse-moi! Je ne voulais pas... c'est-à-dire que je ne sais pas ce que j'ai fait, mais je ne voulais pas... Comment tu t'appelles?

- Iris." dit la demoiselle Troll en essuyant ses larmes. Elle semblait horriblement embarrassée d'être au centre de l'attention. "Ce n'est rien, vraiment, ce n'est rien! Je ne sais pas ce qui m'a pris!" Elle sembla tenter de se dissimuler derrière l'acoudoir de son fauteuil, ce qui au vu de sa grande taille, se solda par un échec cuisant.

Mairead semblait presque aussi embarrassée qu'elle. Le vieux Satyre, qui avait reposé son violon, après avoir achevé convenablement un morceau qui ressemblait beaucoup à celui de Mairead, vient lui parler à l'oreille.

"Laisse-la tranquille, jeune fille. Elle a besoin d'être seule."

Il l'entraina vers un autre siège, et Mairead le suivi, tout en continuant à lancer des regards gênés vers Iris.

"C'est notre musique." poursuivit l'homme à voix basse. "C'est le plus belle musique du monde, et en général, elle entraine les gens à se laisser aller à leur plaisir. mais elle peut aussi réveiller les émotions les plus fortes et les plus enfouies. Il n'est pas forcément bon de l'utiliser souvent. Il faut des circonstances particulières.

- Mais je ne savais pas!" dit-elle. "Je n'avais jamais...

- Je m'en suis douté." répondit-il. "C'était beau comme une première fois. J'ai beaucoup aimé l'entendre. J'adore la musique, et peu de ménestrels sont capables de jouer ainsi. Tu es pourtant bien jeune. C'est mon seul regret de rester ici - voir toujours les mêmes personnes, entendre toujours les mêmes musiques."

Le comte et la comtesse intervinrent alors pour venir féliciter Mairead.

"Tu aurais du continuer à jouer." dit Alexandrine. "C'était magnifique."

"Je la comprends d'avoir arrêté, et sa compassion l'honore." lui répondit Amaury. Puis, s'adressant directement à Silvana "Mais il est vrai que votre musique nous manquera.

- Peut-être pourrait-elle rester, et jouer pour nous en plus petit comité?" fit Alexandrine, caressant la joue de son mari.

"Acceptez-vous, Mairead de la Harpe?" lui demanda le comte. "Vous pourriez rester un peu plus longtemps. Quelques semaines, peut-être, ou quelques mois?"

La jeune Satyre se tortilla sur son siège.

"Je ne peux pas laisser ma famille et mes amis aussi longtemps! Mais si vous le voulez bien, je resterai dormir ici, et je rentrerai pour le début de la semaine."

Le comte lui sourit, alors que la comtesse eut une moue de désapprobation. Mais cela lui passa vite. "Je vais ordonner qu'on vous dresse une chambre." Elle appela un des serviteurs, s'occupa d'autre chose, et son mari la suivit.

"Tu as choisi sagement, jeune fille." lui dit le Satyre. "On ne peut pas tout laisser tomber d'un coup de son ancienne vie. Mais cette cour est bien agréable. Je t'apprendrai de nouveaux instruments, si tu veux.

- Merci." lui répondit Mairead. "Au fait, vous... tu t'appelles comment?

- Je suis Salam." dit-il gravement, acceptant le tutoiement.

Pendant ce temps, Abigail expliquait brièvement les derniers progrès de leurs enquêtes à un petit cercle d'auditeurs formé de Liew, de la vieille Eshue, et du Troll garde du corps. Vassili était debout derrière elle, et faisait de temps en temps une remarque, pour éclaircir un point qu'il connaissait mieux.

"Tu les écoutes?" demanda la Sidhe rousse d'un air méprisant. Elle ne faisait que passer, murmurant à l'oreille de son confrère garde du corps.

"C'est à nouveau ma ville." répondit-il "même s'il m'arrive de le regretter.

- Tu devrais rester pour de bon ici." lui dit la femme.

"Je n'ai pas autant d'intérêt que toi aux affaires de cour." répondit-il. "Peut-être une histoire de Kith, qui sait? De toute façon, il ne se passe jamais rien, ici. Encore moins qu'en ville."

Fergus rejoint le groupe, fit semblant de s'intéresser à ce qu'il connaissait déjà, puis aborda Liew, quand ce fut fini.

"Je n'ai pas participé à cette conversation-l" dit-il, "alors tu m'en dois une. Tu as tout à l'heure donné ta parole la plus sacrée!" Liew le regarda d'un air d'incompréhension, mais le suivit docilement. Quand ils furent arrivés là où on ne pouvait pas trop les entendre, Fergus lui murmura "Vas-y, raconte moi qui est qui! Je ne connais personne ici!

- Pourquoi moi?" demanda Liew. "Tu peux aller demander leur identité à chacun.

- Parce que je suis sur que tu sais plein de choses plus intéressantes que leurs noms! Ne te camoufle pas derrière tes sourcils! Allez, racoooonnte! Du ragot, du ragot!

- Je ne connais pas tant de choses." dit Liew d'un air offensé "Et même si je le savais, pourquoi vous le dire?

- Parce que tu es un gentil! Allez, vas-y, tu sais bien que je ne le répèterai à personne. Parole de scout! Et puis..." il baissa à nouveau la voix. "Et puis si tu me dis tout, je peux te raconter des choses sur Mairead, moi! Une sorte d'échange standard."

Liew rougit et dit "Je peux toujours vous dire leurs noms, après tout. En tant que maître du protocole, cela peut faire partie de mon travail. Vous connaissez déjà la comtesse Alexandrine et son époux, le comte Amaury. Les autres nobles sont la dame Svetlana et le chevalier Lukas, qui gardent nos souverains, et aussi le chevalier Andrei, frère de Svetlana. Sa femme s'appelle dame Irena et vient de Grèce. Leur enfant s'appelle Antonella. Outre ceux-ci, qui forment la noblesse, il y a nos diplomates Abigail et Vassili, que vous connaissez. Mais aussi Salam, le violoniste, qui est notre ménestrel. Tamara, la dame Eshue, qui fut notre messagère, et est maintenant une excellente conteuse. Iris, la jeune fille Troll, qui est en apprentissage du métier de guerrière auprès de dame Svetlana. Et Lunella, qui parle avec Iris en ce moment, est notre bouffon.

- Bien! Je me sens déjà mieux! Alors maintenant, qui couche avec qui?

- Les époux couchent avec leurs femmes, monsieur." dit le jeune Boggan, qui rougissaient de plus en plus.

"Ce n'est pas de ça que je parle, tu le sais bien! (Et puis si j'avais des femmes comme ça, je coucherais avec, moi aussi) Ce que je veux savoir, c'est... le reste. Enfin tu vois ce que je veux dire..." il prit un air très pénétré, mais ne réussit pas à tirer de Liew autre chose que des balbutiements. Et il ne réussit qu'à le gêner encore plus en lui parlant de Mairead.

"Bon, il faut que je reste ici, c'est le seeeuuulll moyen si je veux savoir quelque chose." se dit-il. Puis il héla un serviteur pour faire remplir son verre.

Le temps passa, toujours dans la joie. Puis vint un instant où Vassili et Abigail se préparèrent à partir. Depuis déjà un certain temps, ils n'avaient plus rien dit.

"Allez dire à mon frère et à ma soeur que je reste pour le week-end!" leur dit Mairead. "Ca ne devrait pas leur poser de problème. Mais je reviendrai bientôt, promis!

- Quant à moi, clama Fergus, je vais voir ce qu'il en est de cette place de maître des spectacles." Puis, il dit, plus bas, à Abigail "N'oublie pas de venir me chercher s'il se passe des trucs, hein?

- Si j'ai le courage de faire le voyage..." répondit-elle d'un ton d'ennui.

Liew les raccompagna dans le long couloir, puis les laissa à la porte de sortie.

Le coucher de soleil sur le lac était déjà magnifique, même si le soleil n'était pas encore à l'horizon.

"Nous voilà seuls à nouveau." dit Abigail.

"Et qu'en penses-tu?" demanda Vassili.

"Je ne sais pas. Il me faut le temps de m'y habituer à nouveau. Mais c'est l'ordre naturel des choses, n'est-ce pas?" Vassili hocha gravement la tête. "Il va falloir qu'on recommence à s'occuper de cette enquête. Je suis sur qu'on peut trouver quelque chose de chouette." continua la Nocker.