Deviant Love
À Flo, grâce à qui j'ai trouvé ma voie.
À Clo, pour les mots les plus marquants de toute mon existence, et leurs conséquences. J'y pense encore tu sais?
"Je… Je crois qu'on ne peut pas rester ensemble. Nous deux c'est pas possible."
Bonjour.
Je m'appelle Nicolaï. Je suis russe et je vis au japon. Je suis très… très. J'ai la peau très pâle, les cheveux très noire, les yeux très bleus. J'ai un très grand nombre de taches de rousseur. Quand je parle, j'ai la voix très aiguë, pour un mec en tout cas. Ça me va plutôt bien, vu que je suis assez (et pas très) petit. Un mètre soixante-cinq au Japon, ça reste presque correct, surtout que j'ai seize ans et que je peux – peut-être – encore grandir.
La phrase que vous entendez, c'est, vous l'aurez compris, une phrase de rupture. Enfin, de rupture… On n'avait même pas commencé à être en couple…
"Je… Je suis pas prêt à assumer une relation."
Vous avez bien entendu. "Prêt." Je suis homo et je viens de me faire jeter par un mec. Danny. Roux américain, dans ma classe de deuxième année de lycée. Un mètre soixante-douze, soixante-deux kilos. Aime les fraises, le gin et mes clopes. Pas vraiment un canon, mais une classe et un charisme qui mettent les filles à ses pieds, et il ne s'en rend même pas compte.
Faut dire que je suis le premier à me déclarer, et donc le premier à me faire jeter.
C'est également mon premier râteau. Normal, je n'avais jamais tenté autre chose qu'un coup d'un soir jusqu'à présent.
Résumons. Moi. Étranger au Japon, pas franchement séduisant, homosexuel qui fait fuir les cibles potentielles avant même de pouvoir faire un essai de plus de quelques heures. Chanteur de rock. Ben quoi? C'est si étonnant? Mouais, j'ai mentit. Je ne le suis pas encore, mais je passe une audition dans une heure. Faut que j'y aille peut-être.
Je me suis présenté devant les gars de Deviant Love. À voir ma gueule, ils se sont marrés. Faut dire que mon physique n'est pas franchement impressionnant, et ma voix plutôt fluette, mais bon. La fille – c'est rare les batteuses – a convaincu le guitariste de me laisser faire un essai, disant qu'avec un peu de chance je cachais u, trésor, et qu'ils pourraient ensuite, enfin, trouver un bassiste.
Elle a entamé un rythme à huit temps sur sa "trois fûts", il a plaqué trois accords et une gamme descendante, et j'ai chanté.
Quand je chantes, ma voix ne fait plus du tout gosse de primaire pas mué – je n'ai plus d'espoir de ce côté là. Elle fait plutôt hurlement bestial, un peu rocailleux. Elle ressemble à celle du chanteur de Linkin Park, avec la puissance qu'il lui manque, sans me vanter (comment ça trop tard?).
Ils m'ont engagé.
Ils ont aussi engagé un bassiste super doué, qui fait plus d'accords que Sid Vicious des Sex Pistols. C'est vrai que ce n'est pas difficile, ce pauvre Sid n'en connaissait que deux.
Devinez qui c'est, ce nouveau bassiste.
Daniel O'Brian.
Danny. Enfin il préfère qu'on l'appelle Dan.
Apparemment, il est d'origine irlandaise.
Après avoir pesté (mentalement) contre le fait que ce soit les Écossais qui portent des kilts, j'ai quitté Ari (pour Arimi, mais elle préfère ce diminutif qui sonne comme le héros du film de boxe – elle adore la boxe), vingt ans, et Misao, âge inconnu (mais pourquoi tous les mecs qui sont mon type sont hétéros?!), pour rentrer chez moi par le dernier train. J'attends la prochaine répet' avec impatience, faut dire que je suis un sombre masochiste. Vivement samedi.
Ça fait un moment qu'on ne s'est plus parlé vous et moi. J'ai été pas mal occupé depuis…quoi … février? J'ai eu les exams de fin d'année, puis la rentrée, et tout mon faible temps libre est occupé par le groupe. J'ai eu mes examens sans réel problème, les cours se passent bien et là c'est déjà la moitié des vacances d'été.
Le groupe? Quoi le groupe? Ah, vous vous en tapez des études? Moi aussi. Bon, bon, j'y viens…
Alors entre Dan et moi, déjà, c'est l'Antarctique. Silencieux et… froid. Sauf quand on se fight, comme ça, n'importe où, sans raison, simplement parce que je crève d'amour pour ses yeux verts et qu'il ne peut plus me voir, même si je ne le drague pas. Du coup, la vieille (je dis ça pour l'énerver et ça marche) et Mi-chan (idem; tiens, il a vingt-huit ans) sont souvent obligés d'intervenir. Ils en profitent pour pester contre les jeunes: L'irlandais (cf. "la vieille" et "Mi-chan") et moi on a raté le panneau "Interdit aux mineurs" le jour de l'audition. Bah, Dan fait facilement les vingt ans requis et avant moi ils avaient vu des chanteurs tellement zarbes qu'ils ont parié que le prochain aurait soit trente ans, soit soixante, c'est pour ça qu'ils riaient, du coup ils n'ont pas fait attention à mon âge réel… C'est même pas gênant pour les autorisations de concerts parce que Dan est majeur dans son pays et je suis émancipé. Je ne veux pas en parler, et je doute que ça vous intéresse… Où j'en était?
Ah oui. Dan me déteste. Mi-chan m'adore et Ari se prend pour ma mère.
En général, pour arrêter le pugilat, je me met à crier "Shut up" et ça nous calme. Faut dire qu'avec l'accent des États Unis, ça fait un peu film d'horreur. Ça donne quelque chose comme "Shiadaaaaaaaaaaaaaaaaaa…p" avec un nombre de "a" variable…
Alors… Demain on débute une série de concerts. Je suis enfin prêt à me casser la voix sur scène. Bon, d'accord, elle est déjà cassée. En tout cas, le groupe est prêt à m'exhiber, moi son membre le plus important. Non! J'ai pas une grande bite! Enfin si mais non, c'est pas le sujet. Je veux dire que j'ai bien grandit depuis mes débuts dans Deviant Love. J'ai pris au moins quinze centimètres (arrêtez vieux pervers) et je suis maintenant le plus grand du groupe, origines russes obligent(oui, les russes sont puissants… Et alors?), même si je suis le plus jeune. Et à force de hurler, ma voix de tous les jours commence à se casser aussi. Mes cheveux ont autant poussé que moi, et atteignent ma taille en raideurs lourdes et brillantes. Mi-chan dit que mon regard se fait perçant. Ari me jure que je me transforme en démon (pour une fan d'héroïc fantasy, ça doit être un compliment) et Dan pense que je ne suis pas encore réellement impressionnant – notez le "pas encore". Ce qu'il faudrait pour ça, c'est que je dépasse les cinquante kilos au lieu d'en perdre… On va finir par me traiter d'anorexique sinon! Pourtant je bouffe bien plus que Misao qui pourtant commence à prendre du bide. Ce serait Ari, je dirais qu'il l'a mise enceinte, mais même pas.
Tiens, en ce moment, il est blond platine et elle a des pics bleus. Je vous ai dit qu'elle est fascinée par mes yeux?
Quoi, assez parlé de moi?
Danny?
Il ne change pas. Toujours cette peau légèrement halée qui donne envie de passer les doigts dessus, toujours cette virginité exaspérante mais tellement rassurante… Difficile de penser à autre chose quand on sait qu'on va avoir une tête aussi… entêtante sous le nez sept fois plus que d'habitude. À un concert par jour… euh par soir pendant deux semaines, je me demande dans quel état je serai à la rentrée!
Kyah! Premier concert! C'est tellement excitant!
Je vous laisse, j'ai un pot avec mes poteaux… Je suis déjà ivre des exclamations du publique, mais n'allez pas croire que ça me saoule…
Dan si.
Ah, j'avais pas précisé hier, mais c'est Dan qui me saoule, pas le public qui saoule Dan… Ce soir aussi concert. La journée, dodo et trajet, plus répétition, enfin pas comme si on en avais besoin… En tout cas, je vais pas avoir beaucoup de temps pour vous, désolé.
Sunday afternoon.
La tournée est finie, les vacances aussi. Je suis chez moi, ça fait bizarre et mon studio cafardeux me paraît presque grand à côté du minibus qu'on s'est partagé à cinq (avec le manager) pendant deux semaines. On remet ça bientôt, paraît qu'on a de l'avenir. Moi j'ai surtout douze heures pour faire tous mes devoirs, et en deuxième année on en a beaucoup, si je veux dormir cinq heures cette nuit. Demain je me réveille à six heures, c'est bizarre de retourner à des préoccupations aussi matérielles après ce qui me semble un rêve…
Je me suis cru une star.
"Mais", a dit le philosophe, "plus grosse sera la tête, plus dure sera la chute". Et quelle chute…
Alors. Samedi soir (ou dimanche matin), minuit treize. Fin de la tournée. On s'est vraiment défoncé. On est allé fêter ça dans une boite branchée. Je me souviens avoir remarqué qu'il y avait plein de gays, même si la boite était peuplée principalement d'hétéros.
Après, le vide.
Apparemment, Misao et Arimi étaient très pris l'un par l'autre, et j'en ai profité pour abuser des TGV – tequila, gin, vodka: c'est bon les TGV. Après, j'ai du partir avec un mec, vu qu'ils ne se sont pas inquiétés.
Au matin je me suis réveillé dans ma chambre d'hôtel, eh oui, d'hôtel! Les deux dernières dates étaient au même endroit et on en avait marre du minibus. Alors comme on avait plein de fric à dépenser, vu que ça rapporte les concerts quand on vent plein de billets, on s'est payé un hôtel pas trop cher, juste à côté de la boite de nuit et de la salle de concert. Bon, j'arrête de tourner autour du pot. J'ai honte aussi.
Je disais que je me suis réveillé ce matin là dans des draps froissés. À côté de moi, sur le lit, pas de fric, mais trois capotes usagées. Sur chacune d'elles, un nom – de mec, bien sûr – et un numéro de téléphone, écrits au stylo. J'avais fait fort… Elles sont allé rejoindre une quatrième, sans numéro celle-ci, mais à la fraise vu la couleur.
Après, on est reparti, tout simplement.
Au bout de quatre heures de route, on est arrivé dans les embouteillages de notre chère ville. À ce moment là, je leur ai raconté ce que j'avais trouvé dans mon lit, ça les a fait marrer, sauf Dan. Vu la tête qu'il faisait, je lui ai demandé si je l'avais fait avec lui aussi. Il m'a dit…
"Dommage que ça non-plus tu ne t'en souvienne pas."
On était devant chez lui, il est parti en claquant la porte. Je n'arrive toujours pas à chasser de ma tête l'image de ses cheveux roux encore plus en désordre que d'habitude, et un poil trop longs pour une coupe au bol.
Comme je descendais là aussi pour prendre le train, vu que je ne veux pas qu'ils sachent où j'habite (mon numéro de portable est suffisant, non? Les stars doivent garder une part de mystère…), Misao a juste eu le temps de me dire d'essayer d'être plus responsable à l'avenir, et surtout de boire moins. Le minibus bouchait la circulation, alors il n'a pas voulu prendre le temps de m'expliquer.
J'avais une bonne raison de boire, j'ai toujours une bonne raison. Même si personne à part moi (et l'univers sombre et incontrôlable des archives administratives) ne le sait, hier j'avais seize ans et aujourd'hui j'en ai dix-sept. Ça mérite bien une autre TGV, surtout que je n'ai jamais la gueule de bois. Ça m'aidera à changer cette demi-heure de perdue à parler avec vous sans travailler en un temps complet, je n'aime pas faire les choses à moitié.
Je ne m'en suis pas rendu compte lundi parce que j'étais dans les vapes (je me suis couché à trois heures finalement), ni mardi parce que je planais comme d'habitude à cinquante mètres au-dessus du sol (je ne fume rien! J'ai pas les moyens de me payer de la dope!) mais Danny ne m'adresse plus la parole. On ne se dispute même plus dans les couloirs comme avant. Les autres élèves disent qu'on a enfin grandit. D'un autre côté, j'ai encore le temps de mûrir, mais lui a dix-huit ans depuis deux mois, et en occident c'est signe de maturité. En attendant, il boude comme un gamin, c'est lassant…
Notre soit disant réconciliation (tant qu'on ne se bat plus, pour les autres c'est bon signe) est même parue dans le journal du lycée, comme notre première grosse dispute (trois tables, six fenêtres et un tableau cassés; j'ai eu du mal à boucler mon budget ce mois-là, mais môssieur, avec son pôpa… Sa majesté est gosse de riche, pôpa est multimillionnaire… alors qu'est-ce qu'il fout dans un lycée publique?!). ça a dû soulager ceux de notre classe qui ne savaient pas encore qui n'avaient pas encore remarqué qu'ils ne risquent plus de se prendre une brosse à tableau en pleine tête…
Dan me fais encore la gueule. C'est chiant. Je m'emmerde tout seul, j'ai pas d'autre ami que lui dans la classe. M'enfin, depuis un mois, je traîne avec d'autres mecs, à cause de ce crétin. J'ai dit que c'était un ami? Barrez-le vite fait. Qu'est-ce qu'il me fait chier à bouder comme un gosse! Les répet' sont pas gaies en ce moment…
Dan est mort.
Merde.
Même en étant athée, j'ai envie de jurer par tous les dieux.
Misao était effondré au téléphone, il a dû me passer Arimi qui m'a appris sèchement la nouvelle. J'aurais plus de détails tout à l'heure. Il paraît que c'est un suicide. Que c'est ma faute. Bon sang! Depuis tout ce temps, j'aurais dû comprendre qu'il allait mal!
Mon Dieu. Dan…
Dan n'est pas mort, mais c'est tout comme. Il est dans le coma depuis une semaine. Suicide aux somnifères. Il en a avalé deux boites, il ne voulait vraiment pas se rater. Là je dis "Dieu merci". Il a fait ça un vingt-quatre décembre.
C'est son père qui l'a trouvé. J'appris cette semaine qu'il n'aime pas énormément ce fils unique qui refuse depuis trop longtemps de mettre son cent cinquante de Q.I. au service de la multinationale familiale. Dire qu'il avait tant de problèmes simplement parce qu'il voulait attendre la majorité japonaise pour renoncer au rock et à son insouciance…
Enfin bon. Ce soir là, son père très catholique, avait décidé de célébrer le réveillon avec le patron d'une firme bientôt alliée à la sienne, et la fille dudit patron, brune pulpeuse de vingt-cinq ans, et accessoirement la future belle-mère de Dan. Bref, le sieur O'Brian a décidé de passer voir si son héritier indigne respectait bien la tradition où s'il s'était débauché dans un de ces lieux pervers appelés boites de nuit. Bon, j'exagère, il voulait juste dire bonsoir à son fils. Il l'a découvert gisant sur la moquette de sa chambre. Bizarrement, c'est la fille qui a empêché son fiancé de paniquer en envoyant son propre père appeler une ambulance et en faisant vomir son futur beau-fils dans sa salle de bain. Je suis admiratif devant l'efficacité féminine.
Après les conséquences, les causes. Moi, moi, moi et re-moi, d'après Arimi. Ça me tue de le dire, mais elle a raison. Misao m'a tout expliqué, de ses théories sur les causes présumées aux causes réelles et certifiées. Il semblerait, et j'en doute, que notre petit génie m'aime. Que s'il m'a rejeté, c'est qu'il n'était pas prêt et qu'il a eu peur. Ça m'étonne vu que je lui ai laissé un bon mois de réflexion mais bon. Enfin, c'est ce qui s'est passé la dernière nuit de la tournée qui l'a tué. J'ai effectivement couché avec lui. Je lui ai semblé normal, il ne m'avait pas vu boire autant et même bourré, je garde presque mon comportement habituel. Je suis parti de boite avec lui, il m'aurait déclaré son amour, et je lui ai pris sa virginité sur le lit miteux de ma chambre d'hôtel. C'est d'une fellation que je lui ai demandée que vient le goût fraise du préservatif. Il s'est endormi, et j'ai dû le ramener dans sa chambre, avant de retourner chercher un autre partenaire dans la boite. À trois reprises, et même pas pour du fric. Vous comprenez d'où viens le "presque".
Dan ne s'est pas douté de tout ça, et il l'a réalisé quand j'en ai parlé en toute innocence dans le minibus, un peu plus tard. Ari et Mi-chan nous avaient vu partir main dans la main, pensant qu'on allait enfin sortir ensemble. Je ne dirais pas "enfin" vu que je ne crois pas qu'il m'aime. Je pense que j'ai surtout peur de l'envisager, parce que si c'est le cas… Si c'est le cas…
Tiens, marrant. On est en janvier. Il y a un an, jour pour jour, je lui déclarais mon amour devant des nouilles au sarrasin.
On est toujours le premier janvier. Le miracle de noël est arrivé une semaine à la bourre. Dan s'est réveillé! Pour le moment il dort pour récupérer et seule la famille proche (son père) a le droit de visite mais… Il s'est réveillé, c'est merveilleux!
Il neige… C'est la première neige de l'année. La dernière de l'année qui est finie, on m'a annoncé qu'il était mort. Depuis, cinquante centimètres d'un blanc verglacé sont figés dehors mais là… C'est qu'il risque d'y avoir une couche de vingt centimètres de poudreuse demain matin! Dan adore la neige. J'aime ça aussi.
Nouvelle année…
Dan est réveillé depuis trois semaines. Je suis retourné en cours le lendemain. Aujourd'hui, il veut me voir. J'ai pensé qu'il valait mieux que vous le sachiez. Il mange presque normalement et n'aura pas de séquelles après un peu de rééducation.
Un vrai miracle.
Dan n'a presque rien dit. Un "bonjour" et c'est tout. Je suis resté une heure assis sur une chaise à le regarder. Au moment de partir, il m'a demandé de revenir demain.
C'est tout.
Je suis heureux.
Ça fait deux semaines que je le visite. Il parle à peine. Il m'a demandé comment ça allait, et de lui apporter les cours. Il m'a dit de m'asseoir sur le lit aussi. Clair que la chaise est dure, même pour une heure par jour. C'est pire qu'au lycée.
Encore une semaine depuis la dernière fois. Je lui amène les cours tous les jours et il m'aide à préparer les exams. J'en ai un peu honte, mais ça nous fait du bien à tous les deux. Je me demande de quelle fac il va passer le concours d'entrée, il est sûr d'être pris de toute façon. Moi j'arrête les cours, j'ai pas envie de continuer et c'est beaucoup trop cher.
Merde. J'ai payé le loyer hier et il ne me reste plus un rond. J'ai dit à Dan que demain je ne pourrai pas venir le voir, il a semblé déçu. Il rentre chez lui après-demain matin, ça l'aurait aidé que je vienne une dernière fois le voir à l'hosto, mais ça fait deux mois que je ne gagne plus un rond, à venir le voir tous les soirs comme ça.
Demain je vais "travailler" et je rentrerai probablement à l'aube avec de quoi vivre un petit mois. C'est long mais comme ça je pourra voir Dan plus souvent que si je bosse tous les soirs.
Dan et moi on s'est expliqué. On a beaucoup discuté et ça a réglé pas mal de choses. Il m'a dit qu'hier je lui ai manqué et que c'est comme ça qu'il a décidé de me parler, histoire d'avoir le temps de le faire avant que je ne soit tué par un client sadique. Il est au courant que je me prostitue. Il sait plein de choses sur moi, des choses que j'ai jamais dites à personne. Là où j'habite. Que je me suis fait virer à coup de pied d'un palace à l'âge de quatorze ans pas un père homophobe, avec un certificat d'émancipation.
Il m'a dit tellement de choses que je ne sais pas par quoi commencer.
Dan a avoué à son père qu'il est bi, et que comme il flash en ce moment et depuis un bon bout de temps sur un mec, on peut le considérer comme gay. Son père s'en fout; le mec c'est moi. Misao avait raison. Dan m'aime depuis longtemps. Depuis presque deux ans qu'on se connaît. On a eu un coup de foudre réciproque. Au bout de neuf mois, je me suis décidé à lui en parler, mais il a eu peur, il n'était pas prêt. Vraiment. Le jour où il m'a foutu un râteau, il ne comptait pas vraiment le faire mais au dernier moment il a eu peur, encore une fois, peur que je ne comprenne pas, que je ne puisse pas l'attendre et il m'a dit ça…
Alors, quelques mois plus tard, il s'est décidé à me le dire, et comme il rassemblait tout son courage, il ne m'a pas vu me saouler, il se serait abstenu. J'ai honte. Il s'était même rappelé que c'était mon anniversaire. La suite vous la connaissez.
Je me sens aussi mal que si je l'avais violé, et il m'a dit qu'il avait eu l'impression d'être aussi sale que si ça avait été le cas, d'où sa dépression.
Le vingt-quatre décembre, il a essayé de tirer un trait sur tout ça et de coucher avec un autre, mais il a eu l'impression de me tromper, alors il est rentré chez lui pour prendre trop de pilules. Il ne sait pas trop s'il voulait dormir pour toujours ou réellement mourir. Il voulait juste oublier tout ça.
Moi de mon côté, j'étais tellement en colère, tellement déçu, tellement amoureux de lui que je n'avais rien vu venir. Se battre était, au début, une façon de se défouler tout en gardant contact avec moi, mais après la tournée, il ne supportait même plus mon visage.
C'est aussi à cause de moi qu'il est entré dans le groupe. À l'origine, il me suivait discrètement pour voir si je n'allais pas faire une bêtise, vu tout ce qu'il savait sur moi, ça ne l'aurait pas étonné. Au moment de l'audition, il n'avait même pas sa basse et ils lui en ont prêté une pourrie, alors ça les a épaté qu'il joue aussi bien.
Je lui ai demandé si maintenant il serait prêt à sortir avec moi, j'ai dit que je l'aimais toujours.
Il est parti dans un rire hystérique, absolument horrible. Son père m'a mis à la porte avec interdiction de le revoir.
J'ai peur.
J'ai jamais eu aussi peur.
Et ce rire qui lui ressemble si peu… On dirait le mien. Un rire cynique et désabusé. Le rire de quelqu'un de brisé.
Le téléphone a sonné. J'ai pas répondu, je déprime. Je vais me tuer.
Il est venu. On l'a fait. C'est agréable d'être seme, ça ne m'arrive pas souvent. Je l'aime.
Ça fait un an qu'on est passé pros, et ça marche du tonnerre. On est aux USA, le public est chaud!
Demain, Dan et moi on va à Las Vegas.
On va se marier.