Auteur : L'ange gardien
Disclaimer Tous à moi et rien qu'à moi !
Genre : Romance, angst… Comment accepter l'inéluctable ?
Un ange sans ailes peut encore voler
Kestrel leva une main et repoussa une mèche de ses cheveux blonds qui lui retombait sur le visage. Assise sur les gradins du gymnase du lycée, elle suivit de ses grands yeux marron clair le ballon de basket décrivant une trajectoire qui l'amena dans le panier.
-Bravo ! cria-t-elle.
L'un des joueurs, vêtu d'un jogging et torse nu, se retourna pour lui sourire. Il avait de grands yeux bleu-vert, un anneau d'or à l'oreille gauche et des cheveux châtains dont les mèches indisciplinées retombaient sur son front. Il leva une main dans sa direction puis repartit en courant à son match. Kestrel eut un immense sourire. Mark était vraiment un garçon adorable, plein de douceur et de force à la fois, avec un humour à toute épreuve. Le jour où elle avait perdu son grand-père, il était venu la voir. Mais contrairement aux autres, il n'avait rien dit. Il s'était contenté de s'asseoir à côté d'elle et de la laisser pleurer sur son épaule. Mais une fois le jeune homme parti, lorsque Kestrel avait été dans la salle de bain, elle avait trouvé une rose et le numéro de téléphone du garçon, lui rappelant qu'elle pouvait lui parler n'importe quand. Elle l'avait rencontré trois ans auparavant, alors qu'elle n'était encore qu'au collège, en troisième. Leur amitié de départ avait tout de suite été très tendre. D'ailleurs, pour faire enrager la jeune fille, sa meilleure amie Sylvie aimait à lui répéter que Mark et elle passaient leur temps à se fixer avec des yeux de merlans frits ! Très romantique, comme comparaison ! Kestrel se vengeait d'ailleurs en répliquant que la jeune fille n'était pas mieux avec Karen ! Car si Kestrel avait trouvé l'amour en la personne de Mark, Sylvie l'avait trouvé avec Karen. D'ailleurs, elles avaient souffert des préjugés et des esprits étroits. Aussi les liens entre les deux amies s'étaient encore resserrés lorsque Kestrel avait accueilli l'amour des deux filles avec un grand sourire aux lèvres. Quant à Mark, il les taquinait tout autant que Sylvie et Karen pouvaient le faire à son égard !
Puis, un an après leur rencontre, Mark avait pris son courage à deux mains pour avouer ses sentiments à Kestrel. Il faut dire que ses amis l'avaient menacé de le faire eux-mêmes, agacés de voir le jeune homme se ''déconnecter'' chaque fois qu'il la voyait. Et depuis, les deux adolescents vivaient leur histoire d'amour, souvent incomprise des adultes et des jeunes de leur âge, qui pour la plupart pensaient qu'à l'adolescence, être amoureux se résumait à rester ensemble deux mois à tout casser. Mais Kestrel et Mark étaient la preuve vivante du contraire.
Un hurlement de joie tira la jeune fille de ses pensées et elle vit le ballon passer par le panier et retomber à terre, scellant le match et accordant la victoire à l'équipe de Mark. Elle éclata de rire en voyant son petit ami porté à bout de bras par ses coéquipiers. Elle descendit les gradins tandis qu'ils le reposaient par terre, rouge de confusion.
-Bravo Mark, t'es le meilleur ! s'exclamèrent-ils en se dirigeant vers les vestiaires.
-Merci ! répondit le jeune homme en levant une main.
Kestrel s'approcha en souriant. Mark la regarda, un grand sourire aux lèvres. Il était vraiment fou d'elle. Différente des autres, gentille et intelligente mais aussi dotée d'un fort caractère ! Elle était la seule fille qui osait pleurer devant lui, et qui ne riait pas d'un garçon en larmes. Avec elle, le jeune homme savait qu'il pouvait parler de tout et n'importe quoi, de choses sans importance comme d'autres, plus graves.
-C'était un super match ! dit-elle un fois face à lui. Si vous jouez comme à l'entraînement après-demain, vous gagnerez sans problème contre l'équipe adverse !
-J'avais mon ange tout près, répondit Mark en souriant.
Kestrel lui sourit. Depuis le début de leur relation, le jeune homme l'avait toujours surnommée ''petit ange''.
-J'ai droit à un bisou ? demanda-t-il.
-Tu es trop collant de sueur ! répondit Kestrel avec un sourire en coin. La douche d'abord, le bisou après !
Mark leva les bras au ciel.
-Espèce de monstre ! s'exclama-t-il. Je suis un pauvre garçon martyr !
-C'est ça ! répondit la jeune fille. Deux minutes, je sors mon mouchoir et je verse ma p'tite larme !
Le jeune homme éclata de rire.
-Allez, dépêche-toi, dit Kestrel en souriant. Je t'attends dehors.
Mark bondit vers les vestiaires et disparut derrière la porte. La jeune fille sortit du gymnase et referma son manteau, surprise par le froid. La ville glacée brillait sous le soleil tandis qu'on devinait au loin la mer. Kestrel sourit en pensant à la petite plage sur laquelle venaient mourir doucement les vagues. Elle resta un moment immobile, simplement à regarder sa ville. Deux bras l'entourèrent soudain.
-Tu as froid ? demanda une voix douce à son oreille.
-Un peu, répondit la jeune fille en se retournant.
Face à elle, Mark lui souriait, les yeux brillants. Kestrel leva une main pour lui caresser la joue.
-Je suis propre maintenant ! plaisanta-t-il.
-Alors tu as droit à ton bisou, répondit la jeune fille.
Elle l'embrassa tendrement, blottie contre lui.
-Tu veux aller sur la plage ? proposa Mark lorsqu'ils se séparèrent.
Souriante, Kestrel acquiesça. Une fois de plus, le garçon avait deviné ses pensées avant même qu'elle ne les formule !
Serrant Kestrel contre lui pour la réchauffer, Mark traversa la petite ville. En chemin, les deux amoureux ne dirent rien, simplement heureux d'être ensemble. Lorsqu'ils arrivèrent devant le ponton de pierre surplombant de pierre, ils descendirent les marches. Marchant dans le sable, ils s'arrêtèrent non loin des vagues. Mark fit passer la jeune fille devant lui en la prit dans ses bras, la laissant se blottir contre sa poitrine. Il posa sa tête sur son épaule, prenant soin de na pas lui tirer les cheveux.
-Alors petit ange, dit-il doucement. Heureuse ?
Kestrel tourna un peu la tête vers lui.
-Très, répondit-elle. Tant que tu restes avec moi…
-Je n'ai pas l'intention de partir, dit-il gentiment.
Il savait bien que la plus grande peur de Kestrel, s'il ne devait y en avoir qu'une seule, était de perdre encore quelqu'un qu'elle aimait.
-Tu es toujours d'accord pour demain ? demanda-t-elle.
-La promenade à cheval ? Oui, bien sûr !
Kestrel éclata de rire au ton enthousiaste de Mark. Comme le soleil se couchait, le jeune homme s'avisa qu'il était temps de rentrer.
-Je te raccompagne, dit-il en prenant la main de Kestrel.
-Tu as peur que je me fasse agresser ? demanda la jeune fille avec un petit sourire.
-Plutôt que tu te perdes, répondit Mark en haussant les épaules. Petit ange, petit cerveau !
Avec un cri, Kestrel se jeta sur lui et l'étala sur le sable en une prise. Puis, s'asseyant à califourchon sur sa poitrine, elle le regarda d'un air triomphant.
-Voilà qui règle le problème de l'agression, je crois, dit Kestrel en souriant.
-C'est tout moi, ça ! s'exclama Mark d'un air fataliste. Je ne pouvais pas tomber amoureux d'une fille douce et fragile, non ! Il a fallu que je choisisse une championne d'arts martiaux avec un fichu caractère.
Il éclata de rire lorsque la jeune fille, outrée, commença à le bourrer de petits coups de poings.
-Pitié, pitié ! finit-il par crier d'une voix geignarde, les mains levées. Je me rends !
Kestrel se releva et lui tendit une main. Le jeune homme la prit pour se remettre sur ses pieds mais la garda dans la sienne.
-Bon, d'accord, finit-il par dire en souriant. Je veux juste passer un peu plus de temps avec toi.
-Comme ça, ça me va ! répondit Kestrel.
Main dans la main, les deux adolescents remontèrent la plage puis s'enfoncèrent dans la ville. Ils arrivèrent bientôt à la maison de la jeune fille. Une fois devant la porte, Kestrel se tourna vers le jeune homme. Il la prit dans ses bras et l'embrassa tendrement.
-A demain ! lui dit-elle ensuite avant de disparaître derrière la porte avec un doux sourire.
Mark lui sourit à son tour puis repartit, des étoiles plein les yeux tandis que Kestrel se laissait tomber sur son lit, un immense sourire de bonheur aux lèvres.
-Bouge pas Tototte, on va y arriver !
Eclatant de rire, Kestrel boucla la sangle de son cheval Tae puis jeta un coup d'œil dans le box d'Ombre, la jument grise que préparait Mark. Kestrel ne l'avait jamais vu la monter mais il lui avait dit la connaître. Facétieuse, la jument avait tout compris et levait la tête le plus haut possible pour échapper au mors que lui tendait le jeune homme. Ombre était infernale pour ça. Kestrel caressa une dernière fois Tae puis sortit et alla s'accouder à la porte du box voisin, curieuse de voir comment s'en sortirait son petit ami. Généralement, les cavaliers qui devaient monter Ombre appelaient au secours un palefrenier ou un moniteur. Une fois, quelqu'un l'avait frappée et avait été exclu aussitôt du Centre de la Forêt Qui Chuchote. Mark, lui, fit passer le filet sur sa main gauche. Il leva doucement la main droite et commença de parler à Ombre d'une voix douce. La jument dressa les oreilles, attentive. Il était rare qu'à ce moment de la préparation, on lui parle aussi doucement ! Ses yeux se posèrent sur Mark, qui continuait à lui parler d'une voix rassurante. Bientôt, il lui entoura le chanfrein de la main. Aussitôt, Ombre releva la tête. Très calme, le jeune homme la laissa faire, toujours sans cesser de lui parler. Lorsqu'elle redescendit la tête et qu'il lui entoura à nouveau le chanfrein, elle remua les oreilles mais ne bougea pas. Contrairement à ce à quoi s'attendait l'animal, il ne lui présenta pas le mors mais commença par la caresser. Il décrivit des petits cercles sur le front de la jument, la sentant se détendre un peu sous ses doigts. Et quand il lui présenta le mors, elle ouvrit gentiment la bouche et se laissa harnacher sans broncher.
-Bonne fille, chuchota Mark en la caressant.
Ombre émit un petit bruit très doux et donna un coup de tête dans la poitrine du garçon, le faisant éclater de rire. Il remit son toupet en place et après une dernière caresse, la sella. Là encore, totalement confiante, elle ne bougea pas.
-C'est bien, ma grande, dit Mark en lui caressant l'encolure.
Puis il se retourna.
-Tout va bien ? demanda-t-il en voyant l'expression de Kestrel.
-C'était de la magie ! s'exclama la jeune fille tandis que l'adolescent sortait du box. Je ne l'ai jamais montée mais tous ceux qui l'ont fait n'ont jamais réussi à la brider seuls !
Mark haussa les épaules.
-Tu sais, dit-il en ramassant sa bombe posée près de la porte, je crois qu'il y a autant de peur que d'envie de jouer dans son attitude. Elle a simplement besoin d'un peu de douceur.
-Et tu es très doué pour la douceur et la gentillesse, répondit Kestrel. D'ailleurs, je suis jalouse ! ajouta-t-elle en croisant les bras.
-Ah oui ? fit Mark en haussant un sourcil, amusé. Et de qui ?
-D'Ombre ! répliqua la jeune fille d'un ton d'enfant boudeur. Elle a eu droit à des câlins et pas moi ! C'est même pas du juste !
-Pauvre petite chérie ! s'exclama le garçon en faisant mine d'essuyer une larme au coin de ses yeux bleu-vert.
Il s'approcha d'elle et l'embrassa.
-C'est mieux ? demanda-t-il.
-Moui, répondit Kestrel avec un clin d'œil. Mais fais attention !
-A vos ordres, adjudant-chef ! s'exclama Mark en exécutant un salut militaire.
-Idiot, va ! fit l'adolescente en ramassant sa bombe avant de s'en coiffer.
Prenant les rênes de son cheval, elle sortit dans la cour. Les écuries derrière, deux carrières devant et un passage menant à la forêt, tout cela dans un clame tel qu'on entendait les oiseaux, le Centre de la Forêt Qui Chuchote méritait bien son nom. Arrêtant Tae devant les barrières de la carrière d'obstacles, Kestrel le ressangla puis monta en selle. Une fois là-haut, elle régla ses étriers tandis que Mark s'approchait et répétait les mêmes gestes qu'elle.
-Où va-t-on ? demanda-t-il une fois en selle.
-Comme d'habitude, non ? proposa Kestrel.
-Je te suis !
La jeune fille fit passer la barrière du passage menant à la forêt à Tae puis s'arrêta pour attendre Mark qui fermait la grille. Une fois les deux chevaux côte à côte, ils entamèrent leur balade au pas. Détendus et confiants, en bons termes l'un avec l'autre, les deux animaux mâchouillaient calmement leur mors tandis que les deux amoureux discutaient. Cavaliers émérites tous les deux, ils avaient pris l'habitude, depuis le début de leur relation, de ses promenades dans la forêt. En fin d'après-midi et surtout pendant un automne aussi froid, personne ne se promenait. On n'était qu'en octobre mais l'herbe gelait déjà. Les chemins étaient donc calmes. C'était pourquoi les moniteurs les laissaient se promener seuls. Si accident il y avait, ce serait vraiment le hasard. Les deux jeunes gens étaient sérieux et il n'y avait aucun risque qu'ils cherchent à faire les idiots.
-Tu as peur pour demain ? demanda Kestrel tandis qu'ils faisaient passer leurs chevaux au petit trot.
-Non, fit Mark d'un ton confiant. Pas du tout.
Mais la jeune fille le connaissait trop bien. Elle savait à quel point gagner ce match comptait pour le jeune homme.
-Et en version non macho, ça donne quoi ? l'interrogea-t-elle avec un sourire en coin.
-J'ai un trac monstre ! avoua Mark en la regardant.
-Moi je suis sûre que vous allez gagner, dit Kestrel en se penchant pour éviter une branche. Vous vous êtes super bien débrouillés hier, il n'y a pas de raison.
Mark lui sourit.
-Un petit galop ? proposa-t-il comme une étendue verte se présentait à eux, large trou dans la forêt.
La prairie était bordée de rochers, vestiges d'une route forestière. Il suffisait de couper à travers bois pour la rejoindre et de la quitter quand on voulait, car elle rejoignait ensuite la route. Mark savait qu'il était capable de tenir Ombre pendant le galop et que Kestrel pouvait en faire autant avec Tae. Les deux jeunes gens lancèrent leurs chevaux au galop sur l'herbe. Obéissants, Ombre et Tae accélérèrent sans pour autant chercher à prendre le mors aux dents. Grisés de vitesse et le visage fouetté par le vent, les deux adolescents savouraient leur plaisir. Mais soudain, une biche sortit des sous-bois, effrayant Tae. Le cheval se cabra à la verticale puis partit en grands bonds désordonnés, apeuré. Mark crispait les doigts sur les rênes heureusement pas trop tendues, mort de peur pour Kestrel. Lui parlant d'une voix douce et lui faisant décrire des cercles, la cavalière réussit à l'arrêter non loin du bord de la piste.
-Tout va bien ? demanda Mark en caressant Ombre. Sacrée assiette !
-Merci ! répondit la jeune fille en caressant son cheval encore tremblant. Tu as eu peur mon garçon, hein ? C'est fini.
Mais un coup de feu retentit, tout près d'eux. C'en fut trop pour Tae. Tandis qu'Ombre se cabrait puis retombait sur ses quatre pieds, lui se cabra puis se contorsionna si soudainement qu'il éjecta Kestel de ses étriers. La jeune fille décrivit dans les airs une trajectoire qui la jeta contre un rocher du bord de la piste tandis que sa tête allait donner violemment contre un arbre tout proche.
-Kestrel hurla Mark en un cri déchirant.
Sautant à bas d'Ombre, il alla l'attacher rapidement avec Tae dont il récupéra les rênes à une branche. Puis il se précipita vers la jeune fille. Dieu soit loué, son cœur battait et elle respirait !
-Kestrel, chuchota-t-il d'une voix brisée, réponds-moi, je t'en supplie !
Il la souleva un peu, lui calant la tête au creux de son coude. En faisant cela, il constata que si la jeune fille n'avait pas eu le crâne brisé, c'était uniquement parce que la bombe s'était fendue à sa place. Un mouvement perçu du coin de l'œil lui fit tourner la tête. Un braconnier –la chasse était interdite dans cette partie de la forêt- sortit du couvert des arbres, son fusil à la main. Il avisa la scène.
-Salaud ! hurla Mark d'une voix pleine de rage et les yeux débordants de larmes.
L'homme disparut sans un mot. Le garçon attrapa alors son portable et appela les urgences ainsi que la police.
-Nous arrivons, lui dit son interlocuteur médecin. Surtout ne la bougez pas et ne cherchez pas à lui enlever sa bombe.
-D'accord, répondit Mark avant de raccrocher.
Une fois la police appelée, il repoussa une mèche de cheveux qui recouvrait les yeux fermés de Kestrel.
-Reste avec moi, je t'en supplie ! chuchota-t-il en lui caressant les yeux. Tu n'as pas le droit de mourir, pas maintenant !
Il l'embrassa sur les lèvres, de grosses larmes ruisselant sur ses joues.
Bientôt, des sirènes retentirent dans les bois. S'engageant sur la piste, une ambulance suivie d'une voiture de police arrivait. Dès que les véhicules s'arrêtèrent, leurs occupants en bondirent.
-Ecartez-vous, jeune homme, dit l'un des médecins.
De mauvaise grâce Mark se leva. Il ne quitta pas des yeux Kestrel, tandis qu'on lui mettait un masque à oxygène et qu'on amenait un brancard. Il sursauta lorsqu'il sentit une main se poser sur son bras.
-Oui ?
Un médecin le regardait d'un air compatissant. Mark eut envie de hurler. Fichez-moi la paix ! Occupez-vous simplement de Kestrel !
-Et vous ? dit-il.
-Je vais très bien, répondit le garçon. Mon cheval ne m'a pas éjecté, je n'ai rien.
Comme deux infirmiers remontaient le brancard dans l'ambulance, emportant Kestrel, Mark bondit en avant, échappant au médecin.
-Je viens avec vous ! dit-il en se plantant devant les portes.
-Non, restez ici, dit l'un des infirmiers.
-Pas question ! répliqua Mark. Kestrel est blessée, il n'est pas question que je reste là sans rien faire !
-Michel, laisse-le venir ! intervint un médecin.
Mark bondit dans l'ambulance.
-Jeune homme ! cria un policier. Nous devons avoir votre déposition !
-Rejoignez-moi à l'hôpital ! répondit l'adolescent. Et soyez gentils, s'il vous plaît, ramenez ces deux chevaux au Centre de la Forêt Qui Chuchote !
Comme les portes de l'ambulance se refermaient, Mark vit le policier prendre une expression désespérée. Mais il s'en fichait. Il prit la main de Kestrel et la regarda. Blanche comme un linge, les yeux fermés, elle paraissait presque… morte.
-Suffit ! se morigéna Mark. Elle a besoin de toi fort ! Pas mort de trouille !
Les infirmiers regardaient ce jeune couple, les larmes aux yeux.
Sortant de la forêt, l'ambulance fila vers l'hôpital. Arrivés au service des urgences, les médecins firent descendre le brancard et l'emmenèrent tout de suite au bloc opératoire. Personne ne faisait attention à Mark. Soudain, le jeune homme sentit ses jambes se dérober sous lui. Pris de vertiges, il alla s'asseoir sur une des chaises du couloir. Les coudes sur les genoux, il se prit la tête entre les mains. Il s'avisa soudain qu'il avait toujours sa bombe et ses bottes d'équitation. Il retira la bombe et la laissa tomber à terre, faisant sursauter la standardiste.
-Pardon, fit-il avec un pauvre sourire.
La jeune femme lui retourna un gentil sourire qui faillit le faire hurler. Il avait conscience de réagir en animal blessé mais il n'y pouvait rien. Si Kestrel mourrait… il n'osait même pas imaginer dans quel état il serait…
-Jeune homme ?
Mark releva la tête et vit deux policiers face à lui.
-Oui ? répondit-il.
-Vous avez bien assisté à l'accident de cette jeune fille ? demanda l'un d'entre eux, qui devait avoir la quarantaine.
-Oui, répondit Mark. En effet.
L'un des agents s'assit à côté de lui et sortit son calepin tandis que l'autre souriait.
-Bien. D'abord, quel est votre nom, s'il vous plaît ?
-Mark Atane, répondit l'adolescent.
-Voudriez-vous nous raconter ce qui s'est passé ?
Le garçon s'exécuta. Etrangement, il lui semblait revivre froidement la scène. Comme si… comme si une autre personne l'avait vue, quelqu'un d'étranger. En fait, il souffrait tellement que son subconscient faisait abstraction des sentiments pour l'empêcher de hurler.
-Attendez ! dit soudain l'agent.
-Pardon ? fit Mark, sortant de ses pensées.
-Vous dites qu'il y avait un homme ?
-Oui, un braconnier. Le cheval de Kestrel a été effrayé d'abord par une biche, répéta l'adolescent, puis elle l'a calmé. Et lorsque le braconnier a tiré, c'est là qu'il lui a fait vider les étriers. Après, il est sorti des bois, nous a regardés et est reparti.
Un cri étouffé fit se retourner les trois interlocuteurs. La mère de Kestrel, une grande femme blonde à qui sa fille ressemblait beaucoup chancela et se rattrapa au bras de son mari. Si elle semblait prête à s'effondrer, remarqua le jeune homme, l'homme brun ressemblait à un tigre furieux.
-Tout ça, c'est ta faute ! s'écria l'homme en s'approchant de Mark. Je savais bien que tu ne lui apporterais que des ennuis !
-Quoi !? cria le jeune homme en se levant.
Il n'en croyait pas ses oreilles.
-Qui êtes-vous ? demanda l'un des policiers.
-Je suis Mr Kern, le père de la jeune fille qui est au bloc ! Un médecin nous a téléphoné en urgence depuis l'ambulance pour nous demander l'autorisation d'opérer !
-Comment pouvez-vous dire que c'est ma faute ! hurla Mark, les poings serrés. C'était un accident ! J'étais là, j'ai tout vu ! Et je crève de trouille pour elle ! Qu'est-ce qui vous arrive, vous ne pouvez pas supporter que quelqu'un d'autre que vous s'inquiète pour votre fille chérie ? Il va falloir vous y habituer ! Je l'aime à la folie, et ce n'est pas vous qui m'en empêcherez !
Il flanqua un coup de poing dans l'une des chaises et tourna ensuite son visage vers le père de Kestrel. Ebranlé par cette explosion de rage, Mr Kern regarda le jeune homme qui lui faisait face : les poings serrés, le visage ravagé par l'angoisse, les yeux bleu-vert débordants de larmes qui coulaient sur les joues et qu'il n'essayait même pas d'essuyer. Sa femme s'approcha de lui et posa une main apaisante sur son bras.
-Excuse mon mari, dit-elle d'une voix douce et tremblante. Mark, je te remercie pour ce que tu as fait. Pas seulement aujourd'hui, mais en général. Tu rends Kestrel très heureuse.
Le jeune homme se laissa tomber sur une chaise et enfouit son visage dans ses mains. Une main se posa sur son épaule. Relevant la tête, il croisa le regard de deux yeux gris fatigués.
-Pardon, Mark, dit le père de Kestrel. Je me suis emporté ! Mais je suis fou de ma fille ! Si jamais il lui arrivait quelque chose…
-Je sais, dit le jeune homme.
Ils restèrent tous les deux silencieux, dans un silence masculin, les hommes n'aimant pas beaucoup mettre leurs sentiments à nu les uns en face des autres. Mme Kern s'assit près de son mari et se blottit contre lui. Une attente insupportable commença alors. La tête entre les mains, Mark se remémorait tous ses souvenirs de Kestrel.
Son sourire.
Son odeur.
Son rire.
Kestrel le mettant à terre d'une prise effectuée plus vite que le vent.
Kestrel boudant pour rire, jalouse d'Ombre.
Leur premier baiser, au cours de leur première balade à cheval ensemble.
Kestrel pleurant sans retenue sur son épaule puis s'endormant entre ses bras, totalement confiante.
Kestrel l'écoutant raconter ses problèmes et le regardant pleurer sans rire, Kestrel le consolant…
Toutes ces petites choses qui faisaient d'elle la fille exceptionnelle dont Mark était fou amoureux.
Un bruit de porte s'ouvrant et se refermant le tira de ses pensées. Avisant un chirurgien, il bondit sur ses pieds. Derrière lui, les deux époux en avaient fait autant. L'homme s'arrêta devant eux.
-Comment…. Comment va-t-elle ? demanda Mr Kern.
-Elle est sauvée, répondit le médecin. Sa bombe s'est fendue à la place de son crâne. Elle n'a même pas de traumatisme crânien.
Mark était si heureux de savoir Kestrel hors de danger qu'il ne prêta pas attention au fait que le chirurgien n'avait pas réellement répondu à la question.
-Nous pouvons la voir ? demanda-t-il.
-Chambre 412, répondit le chirurgien.
Mark partit aussitôt. Il entendit le médecin rappeler les parents de Kestrel mais n'y prêta pas attention. Seulement, lorsqu'il entendit un cri étouffé, il se retourna. Pour la deuxième fois, Mme Kern plaquait sa main contre sa bouche et ne devait qu'au bras de son mari de ne pas s'écrouler.
-Que se passe-t-il ? demanda Mark en accourant. Répondez-moi !
Le chirurgien jeta un coup d'œil au père.
-Allez-y, répondit-il.
-Kestrel Kern… a été touchée à la colonne vertébrale. Elle ne pourra plus marcher. Plus jamais. Je suis désolé.
Mark n'entendit même pas les excuses du médecin. Il resta immobile, comme foudroyé. Kestrel, coincée dans un fauteuil ? Elle ne l'accepterait jamais ! Trop fougueuse, trop pleine de vie ! Le garçon se précipita vers la chambre 412. Il posa son front sur la vitre et regarda Kestrel dormir, encore sous l'effet de l'anesthésiant.
-Comment réagiras-tu ? murmura-t-il.
Pour lui, qu'elle soit en fauteuil roulant ne comptait pas. Il l'aimerait toujours, quoiqu'il lui arrive. Mais que dirait la jeune fille ? Les parents passèrent devant lui et entrèrent dans la chambre. Mark leur laissa un moment seuls avec leur fille, même si chaque fibre de son corps lui hurlait de courir vers Kestrel. Il en profita pour téléphoner chez lui.
-Nous arrivons, fils, fut la réponse de son père.
Dix minutes plus tard, Mark courut vers eux. Il s'immobilisa face à ses parents.
-Mark… dit doucement Mme Atane.
Le père ne disait rien. Il regardait son fils, déjà presque un homme. Un homme qui, aussi fort soit-il, souffrait plus qu'il ne l'avait jamais fait. Et en animal blessé, il refusait toute douceur. Il voulait être seul. Mais il risquait ainsi de s'enfoncer dans un gouffre sans fin de douleur.
-Mark… tenta encore sa mère.
Le jeune homme eut un mouvement de recul quand elle s'approcha. Mais son expression le fit changer d'avis. Il se jeta dans les bras de sa mère. Son père s'approcha et les serra tous les deux contre lui. Entouré de ses parents, Mark éclata enfin en sanglots, relâchant toute sa rage et sa peur. Mme Atane le berça comme lorsqu'il était enfant, jusqu'à ce qu'il se calme.
-Pas très brave, hein ? fit-il en s'écartant et en s'essuyant les yeux.
-Au contraire, répondit son père. Un homme qui pleure est plus courageux qu'un homme qui ne laisse rien paraître.
Mark fut heureux de voir que son père était d'accord avec Kestrel. IL remercia également mentalement ses parents de ne pas lui demander de répéter l'histoire. C'était au-dessus de ses forces.
-Comment va-t-elle ? demanda Mr Atane tandis que son fils les conduisait vers la chambre de Kestrel.
Mark resta un instant silencieux, juste observant le visage de la jeune fille à travers la vitre. Lorsqu'il se tourna à nouveau vers ses parents, seuls ses yeux hurlaient de douleur. Le reste de son visage était inexpressif.
-Elle a été touchée à la colonne vertébrale, répondit-il. Elle ne pourra plus jamais marcher. Ni probablement monter à cheval, ni faire d'arts martiaux.
Un tic agita ses lèvres tandis qu'il les mordait jusqu'au sang. Il aurait voulu hurler comme un loup blessé, casser quelque chose pour faire passer sa rage contre ce qui arrivait à la jeune fille.
-Et ses parents ? demanda Mme Atane.
-Ils sont anéantis, répondit le jeune homme. Complètement.
En effet, les deux parents qui sortaient de la chambre avaient une expression de désespoir absolu. Mme Atane prit la main de la mère de Kestrel.
-Marie, venez à la maison ce soir avec Jack. Ne restez pas seuls.
La pauvre femme hocha la tête tandis que Mr Atane serrait l'épaule de son mari.
-Je reste, annonça Mark.
Les quatre adultes se tournèrent vers lui. Chacun ouvrit la bouche pour dire quelque chose mais l'expression du jeune homme les en dissuada. L'air farouche, les yeux pleins de défi et de douleur, rien ne le ferait changer d'avis.
-Bien, dit sa mère d'une voix douce. Je vais arranger ça avec les médecins et je te ramènerai des vêtements propres.
-Merci, Maman, fit Mark.
Mme Kern s'approcha et serra le garçon dans ses bras. Surpris, il ne chercha pas à se dégager. La mère de Kestrel l'avait toujours apprécié mais tout de même.
-Veille bien sur elle, souffla-t-elle. Nous reviendrons demain aux premières lueurs.
-Surtout, ne lui dis rien avant que le chirurgien n'arrive, dit Mr Kern. S'il te plaît.
Mark hocha la tête. Les quatre adultes lui sourirent, son père le serra dans ses bras puis ils s'éloignèrent. Le jeune homme osa alors entrer dans la chambre de Kestrel. Le visage auréolé de cheveux blonds, elle semblait dormir en paix. Ses grands yeux étaient fermés, ses muscles relâchés. Mark tira une chaise et s'assit près du lit, ne quittant pas la jeune fille des yeux. Il prit sa main dans la sienne et la serra doucement. Un moment plus tard, sa mère entra, un sac à la main.
-Je t'ai apporté des vêtements, lui dit-elle. Un infirmier va venir t'installer ton lit et te montrer où dîner.
-Je n'ai pas faim, dit Mark en secouant la tête.
-Je sais, répondit sa mère en repoussant une mèche de cheveux du visage de son fils. Mais il faut tout de même que tu manges.
Elle se pencha sur lui et l'embrassa sur la joue.
-Je suis fière de toi, mon fils, souffla-t-elle avant de se relever.
Le temps que Mark relève la tête pour lui demander pourquoi, elle était sortie. Il reporta son attention sur Kestel mais bientôt, quelqu'un frappa à la porte. Il se leva pour ouvrir, s'avisant au passage qu'il faisait nuit. Un infirmier blond entra, portant un lit pliable et des draps.
-Bonsoir, dit-il d'un ton chaleureux. Je suis Joan. Tu dois être Mark ?
-Oui. Merci pour le lit, répondit le jeune homme avec un sourire las.
Joan lui sourit d'un air compréhensif et ne le bombarda pas de questions en l'aidant à installer son lit. Pour cela, Mark l'apprécia instantanément.
-Viens, lui dit-il ensuite. Je vais te montrer où dîner et te doucher.
-Je n'ai pas faim, répondit Mark.
-Viens quand même, répondit l'infirmier.
De mauvaise grâce, le garçon ramassa son sac de vêtements et le suivit dans les couloirs. Tout était si calme ! Les talons de ses bottes d'équitation résonnant sur la sol troublaient seuls le silence.
-Je peux prendre une douche d'abord ? demanda-t-il.
Joan se retourna et l'étudia. Puis il tendit le bras vers le couloir de gauche.
-Sixième à droite, dit-il.
Mark le remercia et se dirigea vers les douches. Une fois sous l'eau, il sentit toute la tension de la journée lui tomber des épaules. Il avait toujours peur pour Kestrel, ressentait toujours une rage incontrôlable contre ce qui lui arrivait, mais l'envie de hurler avait disparu. Sa douche terminée, le jeune homme ouvrit son sac de vêtements. Sa mère avait même pensé au pyjama et à la brosse à dents ! Néanmoins, Mark préféra s'habiller. Vêtu d'un jean et d'un T-shirt blanc propre, il sortit. Joan l'attendait devant la porte.
-A table ! lui dit-il d'un ton enjoué. Je sais, tu n'as pas faim, ajouta-t-il en voyant l'expression de Mark. M'en fiche.
Trop fatigué pour protester, l'adolescent suivit Joan. L'infirmier lui fit traverser tellement de couloirs que le jeune homme fut bientôt perdu. Joan lui ouvrit bientôt une porte d'où s'échappaient quelques conversations.
-Bonsoir, dit Mark d'un ton fatigué.
Les infirmiers et infirmières lui sourirent tandis qu'il s'asseyait un peu à l'écart.
-Michael, s'il te plaît, donne-moi un bol de soupe, fit Joan.
Un jeune infirmier au visage doux se leva. Mark avait à peine entendu, tant il était épuisé. Voir Kestrel dans cet état lui sapait toutes ses forces.
-Secoue-toi ! se grogna-t-il. Elle va avoir besoin de toi !
Joan posa un bol de soupe devant lui que le jeune homme considéra avec méfiance.
-Je te promets que ça ne te sautera pas à la gorge, dit l'infirmier en souriant.
-Très drôle ! répondit Mark. Merci quand même !
Mais la plaisanterie de Joan lui avait arraché un sourire. Comprenant qu'il souhaitait avant tout être tranquille, les autres reprirent leurs conversations. Mark écoutait distraitement mais tombait de sommeil. Il avala son bol de soupe. Si la première gorgée lui donna la nausée, il dut avouer en finissant que ça lui avait fait du bien.
-Merci Joan, dit-il en se levant. Bonne nuit à tous.
Il sortit de la pièce, suivi de Joan.
-Je te raccompagne, lui dit-il. Fatigué comme tu es, tu risques de t'écrouler dans un couloir.
-Un humour à toute épreuve ! lui fit remarquer Mark.
-Toujours ! répondit l'infirmier avec un clin d'œil.
Il guida le jeune homme à travers l'hôpital et le ramena bientôt devant la porte.
-Si jamais tu as besoin de quoique ce soit, il y a toujours quelqu'un quatre chambres plus loin. C'est la salle de veille.
-Merci Joan. Bonne nuit.
L'infirmier lui sourit puis sortit en refermant la porte. Avant de se coucher, Mark s'approcha de Kestrel. Il lui prit la main et repoussa tendrement une mèche de cheveux blonds qui retombaient sur ses yeux fermés.
-Je suis là, Kestrel. Je suis là, murmura-t-il.
Il resta encore un instant comme ça, puis se pencha pour l'embrasser sur le front. Se relevant, il s'écroula sur son lit, prenant juste le temps d'enlever ses chaussures. Quinze secondes plus tard, il dormait profondément, recouvert d'une couverture chaude. Et de l'autre côté de la vitre donnant sur la chambre, des larmes s'échappaient des yeux habituellement rieurs de Joan…
Mark se réveilla en sursaut, retenant un cri. Il resta un moment assis sur son lit, perdu. Puis les évènements de la veille lui revinrent en mémoire : l'accident, ses séquelles, l'hôpital… Le jeune homme tourna la tête et regarda Kestrel. Elle dormait toujours, cette fois sous l'effet du sommeil et non plus de l'anesthésie. Il s'assit près d'elle et lui reprit la main. Elle ouvrit bientôt les yeux. Mark y vit une lueur de panique aussitôt maîtrisée.
-Salut petit ange, dit-il d'une voix douce.
Les yeux de Kestrel se tournèrent vers lui et elle lui sourit.
-Mark !
Elle lui tendit les bras et le jeune homme s'approcha un peu. Lorsqu'il fut assez près, la jeune fille l'embrassa tendrement.
-Tu vas bien ? demanda-t-elle ensuite.
-Ne t'inquiète pas pour moi, répondit Mark en gardant le front contre celui de Kestrel. Comment te sens-tu ?
Une infirmière entra, interrompant les deux adolescents.
-Bonjour les amoureux ! s'exclama-t-elle. Voilà le petit déjeuner !
Elle installa une table sur le lit de Kestrel et posa dessus deux bols, du jus de fruits et des céréales.
-Vous vous en occupez, jeune homme ? dit-elle.
Mark hocha la tête. Il remplit les verres de jus de fruits et regarda Kestrel manger avant de l'imiter. Ils petit-déjeunèrent en silence. Lorsqu'ils eurent terminé, Mark se leva en empoignant le plateau. Kestrel le retint par un bras.
-Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il, ses grands yeux bleu-vert interrogateur.
-Ne me laissa pas toute seule, fit la jeune fille.
Mark se rassit sur le lit, retirant la petite table et posant le plateau dessus.
-J'allais juste redonner le plateau, dit-il doucement.
Sondant les yeux de Kestrel, il vit qu'elle savait que quelque chose dans son corps ne tournait pas rond. Elle ne savait pas quoi mais son instinct lui disait que quelque chose n'allait pas. Le jeune homme lui prit la main. A ce moment, les parents de Kestrel entrèrent, suivis par un jeune chirurgien. Mark se leva pour laisser la place à Me et Mme Kern.
-Tiziano Fenarec, se présenta le médecin.
-Mark Atane, répondit l'adolescent en lui serrant la main.
Les parents de Kestrel s'écartèrent un peu de leur fille.
-Kestrel ? dit le médecin.
La jeune fille tourna ses grands yeux lumineux vers lui.
-Voilà. Suite à ton accident d'hier, nous t'avons opérée. Heureusement, lorsque ta tête a heurté l'arbre, ta bombe s'est fendue à la place de ton crâne. Tu t'en sors sans problème de ce côté-là, tu n'as même pas eu de traumatisme crânien.
-Mais ? continua Kestrel en le fixant droit dans les yeux.
Tiziano put y lire une volonté de fer, qui ne fut pas sans lui rappeler sa petite sœur.
-Il y a un mais, en effet. Lorsque ton cheval t'a envoyée par terre, ton dos a heurté un rocher. Et ta colonne vertébrale a été touchée. Tu ne pourras plus jamais marcher, Kestrel. Je suis vraiment désolé.
Mark souffrait le martyr en regardant la jeune fille. Elle resta comme foudroyée sous l'effet de la nouvelle, les poings serrés et la bouche entrouverte, comme si un cri restait coincé dans sa gorge.
-Mr et Mme Kern ? fit Tiziano. S'il vous plaît, je voudrais vous parler.
Il entraîna les parents de Kestrel à l'extérieur, les emmenant faire un tour dans la parc. Dès qu'il eut fermé la porte, Mark se précipita au chevet de Kestrel. Il s'accroupit à côté d'elle, ses yeux cherchant le regard de la jeune fille. Elle regardait droit devant elle. Le jeune homme ne dit rien, ne bougea pas, même si ton son corps et toute son âme ne souhaitaient qu'une chose : prendre Kestrel dans ses bras et la protéger jusqu'à la fin des temps. Enfin, elle posa les yeux sur lui. Son regard horrifié croisa les yeux bleu-vert de Mark. Alors s'échappa de ses lèvres un long hurlement de bête blessée, montant du plus profond de son être. De grosses larmes coulaient sur ses joues tandis qu'elle hurlait son dégoût d'elle-même et de son corps. Elle serrait les poings si fort que des gouttes de sang perlèrent bientôt, ses ongles s'enfonçant dans sa paume. Mark voulut s'approcher et la prendre dans ses bras.
-Non ! hurla Kestrel.
Désemparé, le jeune homme s'arrêta. Il ne savait pas comment réagir. Kestrel pleurait, elle était totalement perdue mais elle le repoussait de toutes ses forces.
-Dégage ! cria-t-elle. Je ne veux plus jamais te voir ! Va-t-en !
Abasourdi, Mark obéit et sortit de la chambre. Il se laissa glisser sur le sol. Joan s'approcha de lui et Mark leva vers l'infirmier des yeux complètement déboussolés.
-Pourquoi ? fit-il seulement.
-Elle a peur, répondit Joan en s'accroupissant près de lui. Elle souffre et elle ne veut pas que tu la voies dans cet état.
-Mais moi… je l'aime ! répondit Mark.
Joan sourit doucement à cet aveu.
-Je sais, dit-il en posant une main sur l'épaule de l'adolescent. ça crève les yeux. Mais peut-être qu'il va falloir le lui rappeler… Même si elle te repousse, il va falloir que tu t'accroches. Elle a besoin de toi.
Le jeune homme hocha la tête.
-Je lui ai promis… il y a longtemps… que je ne l'abandonnerai jamais. C'est le moment de lui prouver que j'étais sincère !
Joan acquiesça.
-Laisse-lui peut-être un peu de temps, dit-il doucement. L'acceptation de soi est une épreuve à passer seul.
Mark se leva et alla regarder par la vitre. Le visage entre les mains, Kestrel pleurait toutes les larmes de son corps.
-Laisse-la, dit doucement Joan. Reviens un peu plus tard. Elle sait, au fond d'elle, que tu es là. C'est le plus important.
-Merci, Joan, répondit Mark.
Puis il s'éloigna. En chemin, il croisa les parents de la jeune fille accompagnés du chirurgien. Lorsqu'il leur raconta la réaction de Kestrel, ils voulurent se précipiter vers elle. Mais le chirurgien les en empêcha, d'accord avec Joan. Il valait mieux laisser Kestrel seule un moment. Joan veillait sur elle de l'extérieur. Tiziano en profita pour répéter à Mark ce qu'il avait déjà dit à Mr et Mme Kern : Kestrel aurait besoin d'un peu de rééducation pour ré-apprivoiser son corps. L'hôpital possédant tout un complexe de rééducation, Kestrel n'aurait pas à changer d'établissement. Mais elle devrait passer six mois hospitalisée avant de reprendre sa vie. Avec tous les changements qui s'imposeraient…
Mark hocha la tête. Puis il partit appeler ses parents, les prévenant qu'il passerait la journée à l'hôpital.
-Vous voulez bien prévenir l'équipe que je ne viendrai pas ? demanda-t-il.
-Bien sûr, répondit sa mère. Ne t'inquiète pas. Tu veux qu'on vienne ?
-Non, merci. C'est gentil, Maman, mais reste avec Papa et Michel.
-D'accord, dit doucement sa mère. Bon courage.
Mark raccrocha puis retourna vers la chambre de Kestrel. Lorsqu'il arriva, les parents de la jeune fille se tournèrent vers lui, désemparés.
-Qu'est-ce qui se passe ? demanda l'adolescent.
-Elle refuse de nous voir, répondit Mr Kern. Elle a hurlé dès qu'on est entrés.
Derrière les deux parents, Joan et Tiziano secouèrent la tête.
-Elle va mettre longtemps avant d'accepter ce qui lui arrive, dit Joan. Je pensais que le premier choc passé…
Mark refusa d'en entendre plus et entra dans la chambre. Kestrel tourna vers lui des yeux pleins de rage et de douleur.
-Dégage ! C'est pas assez clair ? Je ne veux voir personne ! Foutez-moi la paix.
-Kestrel… essaya le jeune homme.
-Quoi ? Tu veux te repaître du spectacle de l'infirme ?
Abasourdi par la cruauté qu'elle lui attribuait, le jeune homme resta sans voix.
-C'est donc ce que tu penses de moi… dit-il doucement.
Il ressortit de la chambre et secoua la tête en regardant les parents de la jeune fille. Serrés l'un contre l'autre, le visage défait, ils ne savaient plus comment réagir. Mark soupira pour cacher un gémissement de douleur. C'était si difficile de voir souffrir Kestrel et de ne rien pouvoir faire !
-Venez, dit doucement Joan à Mr et Mme Kern. Vous avez besoin de repos.
Il les entraîna vers une autre partie de l'hôpital malgré leurs protestations. Mark s'avisa alors que les parents de la jeune fille avaient des yeux épuisés. La nuit avait dû être longue… Il se tourna vers le chirurgien.
-Reste avec elle, dit-il en lui posant une main sur l'épaule.
Le jeune homme hocha la tête et le regarda partir. Puis il reporta son attention sur Kestrel à travers la vitre. Elle pleurait ! Elle pleurait, et il ne faisait rien ! Oubliant complètement comment elle l'avait rejeté, il entra silencieusement dans la chambre. La jeune fille ne releva même pas la tête lorsqu'il s'assit à côté d'elle. Sans dire un mot, il lui entoura les épaules d'un bras. Kestrel s'accrocha à lui comme un noyé à une bouée de sauvetage. La tête dans l'épaule de Mark, elle pleura tout son dégoût de son corps, de ce qu'elle était devenue. La tête posée sur ses cheveux, Mark ne disait rien. Qu'aurait-il pu dire ? Les banalités ne serviraient à rien. Lui dire qu'il l'aimait ? Comment le prendrait-elle ? Enfin, elle se détacha de lui.
-Va-t-en, dit-elle d'une voix tremblante, les yeux dans le vide.
-Pourquoi ? demanda Mark, blessé. Kestrel !
Elle reporta son regard vers lui. Le jeune homme eut le souffle coupé en voyant toute la douleur, tout le désespoir, qui brillaient au fond de ses yeux d'habitude si joyeux !
-Parce que je ne suis plus moi ! cria-t-elle. Je ne suis plus qu'une infirme, tout juste bonne à se faire balader en fauteuil roulant ! Je ne pourrai jamais plus monter à cheval, danser, faire des arts martiaux, courir, marcher, sauter sur les rochers ! Plus rien ! Et je ne veux pas que tu me traînes par pitié !
-Kestrel ! fit Mark d'un ton blessé. C'est vraiment ce que tu penses de moi ? Jamais je n'aurais pitié de toi, jamais, tu m'entends ! Je t'aime, Kestrel, comme un fou ! Jamais rien ne m'en empêchera, et certainement pas un fauteuil roulant ! Ce ne sont pas tes deux jambes que j'aime, c'est toi ! Tout ce qui fait que tu es toi ! Ton sourire, ta façon de rire, tes plaisanteries, tes discussions sérieuses, tes mots doux… Tu pourrais même devenir verte à pois violets que je n'en aurais rien à faire !
Ebranlée, Kestrel tendit une main vers Mark. Immobile, l'adolescent la laissa faire. Timidement, elle lui caressa la joue. Puis elle se jeta dans ses bras. Le garçon la serra dans ses bras.
-Je serai toujours là pour toi, souffla-t-il. Tu ne seras jamais seule, petit ange.
-Je ne suis plus un petit ange, répondit Kestrel en se détachant de lui. J'ai perdu mes ailes.
-Mais un ange sans ailes peut encore voler… fit Mark en la regardant droit dans les yeux. Différemment, mais il vole quand même. Seulement, tu dois le vouloir.
Kestrel hocha la tête.
-On va s'en sortir ensemble, dit Mark. Je te le promets.
-Tu as raté ton match, aujourd'hui, dit-elle avec un pauvre sourire.
-M'en fiche, répondit le garçon en haussant les épaules. Ils s'en sont sûrement très bien sortis sans moi.
A ce moment, la porte s'ouvrit et les parents de la jeune fille entrèrent. L'adolescent la sentit se raidir contre lui.
-Kestrel… souffla-t-il.
Il se leva, laissant la place à Mr et Mme Kern. Ils se précipitèrent vers leur fille, qui se laissa prendre dans leurs bras. Mark sourit et sortit silencieusement. Une fois dehors, il s'appuya à la porte et ferma les yeux.
-Bravo, fit une voix près de lui.
Mark tourna la tête et vit Joan qui lui souriait.
-Tu as réussi à briser au moins en partie la muraille de douleur qu'elle avait érigée autour d'elle. Elle sait qu'elle peut compter sur toi. Tu ne la laisseras pas tomber ? demanda-t-il en plantant son regard gris dans les yeux bleu-vert de l'adolescent.
-Jamais, répondit Mark. Elle compte plus que tout pour moi. On ne vivra plus comme avant, c'est sûr. Mais rien ne me fera jamais renoncer à elle.
-Alors tu es quelqu'un de valeur, répondit Joan en lui posant une main sur l'épaule.
Ce qu'il ne lui dit pas, c'est qu'il avait vu tellement de gens couper les ponts avec ceux qu'un accident transformait. Si tous avaient pu être comme Mark…
Un long parcours commença alors pour Kestrel. Il commença par deux mois de convalescence, pendant lesquels cette jeune fille au tempérament de feu dut rester dans son lit, immobile. Une kinésithérapeute venait tous les jours faire bouger ses muscles, une infirmière venait faire sa toilette. Au début, Kestrel avait serré les dents et les poings. L'infirmière n'avait rien dit, habituée aux silences douloureux. Le seul rayon de soleil de la jeune fille était Mark. Il venait tous les jours de la semaine. Il lui apportait les cours et faisait ses devoirs avec elle, lui permettant de rester à niveau. Il lui rapportait parfois des mots de ses camarades pour lui dire qu'ils pensaient à elle. Il y en avait un de Sylvie et Karen tous les jours. Elles ne pouvaient jamais se libérer pour venir la voir mais ne l'oubliaient pas. Tout l'hôpital avait adopté Mark. Ils l'appelaient tous par son prénom et souriaient en le voyant arriver. L'hôpital tout entier avait pris le jeune couple en affection. Plus que tout, ce qu'appréciait Kestrel, c'était que le jeune homme la traitait comme avant. Il lui envoyait toujours autant de vannes, l'enguirlandait de temps en temps, la serrait dans ses bras, lui parlait doucement, l'embrassait… Toute sa tendresse était restée exactement la même. Un jour, elle décida de lui faire un cadeau. En secret, elle demanda à une infirmière de lui fournir du papier, du carton, des crayons, de la colle, des ciseaux… Elle travailla sans relâche pendant deux semaines. Et un matin, lorsque Mark arriva, elle lui tendit un gros paquet.
-C'est pour moi ? demanda-t-il en déposant son bouquet de roses dans les bras de Kestrel.
Hochant la tête, le jeune fille enfouit son visage dans les fleurs. Intrigué, Mark s'assit à côté d'elle et ouvrit le paquet. Il resta muet d'admiration. Devant lui se dressait un château miniature doré en relief, derrière lequel se couchait le soleil. Et devant le château, lui-même était représenté en prince. Un ange volait au-dessus de lui, lui tenant les mains et l'entraînant vers le Ciel.
-Tu n'aimes pas ? s'inquiéta Kestrel.
-C'est magnifique, répondit Mark en la regardant. Merci beaucoup, petit ange.
Un grand sourire s'épanouit sur le visage de la jeune fille.
-Pour tout dire, c'est plutôt toi qui me tires vers le haut, mais bon…
Mark éclata de rire et la prit dans ses bras. Ils restèrent un moment silencieux, simplement dans les bras l'un de l'autre.
-Je commence ma rééducation demain, dit Kestrel au bout d'un moment. Et ils vont aussi me mettre dans un fauteuil demain.
Mark resta silencieux mais son cœur fit un bond en avant. Et voilà, on y était. Demain, Kestrel s'assiérait dans ce qui ne la quitterait plus de toute sa vie.
-Tu… tu voudras bien être là ? demanda la jeune fille d'une toute petite.
-Je ne te laisserais pas tomber, c'est promis, répondit Mark.
Kestrel sourit en se blottit un peu plus contre lui.
-Il neige… dit-elle soudain.
En effet, lorsque Mark regarda par la fenêtre, de gros flocons tombaient.
-Il doit faire très froid pour que la neige tombe ici, même fin novembre, fit remarquer Kestrel.
-Qu'est-ce que tu crois ! s'exclama le jeune homme. Je brave des conditions polaires pour arriver jusqu'à toi !
Kestrel éclata de rire.
-Comme c'est mignon ! fit-elle. Quel héros.
-Ah, fit Mark d'un ton faussement satisfait de lui-même. Depuis le temps que j'attends qu'une femme s'en rende compte…
-Espèce d'idiot ! répondit Kestrel en lui envoyant un petit coup dans l'épaule.
Mark lui emprisonna les poignets.
-Vilaine fille, fit-il en secouant la tête.
Puis il croisa le regard de Kestrel et éclata de rire, bientôt imité par la jeune fille. Et Joan qui passait dans le couloir se dit que si tous les malades pouvaient avoir quelqu'un qui les aime de la même manière… les traumatismes passeraient bien plus vite….
Mark alla s'asseoir en-dehors de la chambre tandis que Mr et Mme Kern passaient un moment avec leur fille suite à la séance de rééducation. Fermant les yeux, il se rappela la matinée, le regard de Kestrel lorsque était arrivé son fauteuil roulant. Elle ressemblait à une bête traquée, repoussée dans ses derniers retranchements. Il l'avait sentie prête à hurler. Sans rien dire, le jeune homme avait posé une main sur son épaule.
-Je suis là, disait cette main. Je ne te laisse pas tomber, n'aie pas peur.
Il l'avait sentie se détendre un petit peu, même si elle restait les nerfs à fleurs de peau. Joan s'était approchée d'elle. S'accroupissant à côté du lit, il l'avait regardée.
-On a tout notre temps, Kestrel, avait-il dit en plongeant son regard dans celui de la jeune fille. On y va quand tu le sens.
Elle avait inspiré profondément en fermant les yeux. Lorsqu'elle les avait rouverts, ils étaient pleins d'une détermination farouche.
-Allons-y, avait-elle dit.
Joan avait hoché la tête et, après s'être relevé, avait approché le fauteuil du lit. Avec des gestes très doux, il avait soulevé Kestrel et l'avait déposée dans le fauteuil. Silencieuse, la jeune fille avait passé ses doigts sur les roues, les accoudoirs… Lorsqu'elle avait relevé la tête, ses yeux brillaient.
-J'aurais le droit de le customiser un peu ? avait-elle demandé avec un drôle de sourire.
Sa plaisanterie avait fait éclater tout le monde, même si Mark devait se mordre les lèvres pour retenir ses larmes. Il voyait tout le courage dont faisait preuve Kestrel sous ses airs de légèreté. Voir le fauteuil roulant avait été comme si là, tout de suite, à cet instant, elle avait réalisé qu'elle ne pourrait jamais faire marche arrière. Elle était paralysée des jambes et le resterait. Son regard avait croisé celui du jeune homme et elle lui avait souri. Mark avait posé sur elle un regard très tendre. Tu ne peux pas imaginer à quel point je peux t'aimer, petit ange, avaient dit ses yeux.
Puis elle était partie pour une séance de rééducation à la piscine.
-Tout ira bien, lui avait soufflé le jeune homme.
Kestrel lui avait souri bravement. Mais une fois près de l'eau, elle avait hésité. Elle ne voulait pas se montrer.
-C'est la première fois que tu viens ici ? avait demandé une voix derrière elle.
Une jeune fille était venue s'asseoir. Elle avait de longs cheveux noirs, de grands yeux dorés et un immense sourire chaleureux.
-Ne t'inquiète pas, personne ne te regarde, avait-elle dit. Je m'appelle Cécilia.
-Kestrel, avait répondu la jeune fille.
Les deux adolescentes avaient continué à discuter un peu pendant la séance de rééducation. Cécilia avait expliqué à sa nouvelle amie qu'elle avait été blessée dans un accident de voiture. Pas très gravement, mais après avoir passé six mois la jambe dans le plâtre, il fallait que ses muscles se reforment. Puis, voyant que Kestrel n'avait pas envie de parler de son accident à elle, elle avait enchaîné sur autre chose. Lorsque les deux jeunes filles étaient sorties, Cécilia sur ses béquilles et Kestrel dans son fauteuil, elles avaient convenu de se revoir.
-Qui est-ce ? avait demandé Cécilia à sa nouvelle amie en voyant Mark assis près de la porte de la chambre de Kestrel.
-Mon petit ami, avait répondu la jeune fille en souriant tandis que le jeune homme bondissait. Il s'appelle Mark.
-Il a l'air adorable, avait apprécié Cécilia. Et il est vraiment très mignon ! avait-elle ajouté en se rapprochant.
Kestrel avait éclaté de rire. Devant le regard interrogateur de Mark, Cécilia était passée en lui faisant un geste amical, auquel il avait répondu en souriant, un peu surpris.
-Qu'est-ce qu'il y a ? avait-il demandé à Kestrel.
La jeune fille lui avait alors répété l'épisode de la piscine et l'appréciation de Cécilia, qui fit rougir un peu le garçon. Les parents de Kestrel arrivant à ce moment, il était resté dehors pour les laisser se retrouver en famille. Et maintenant, il attendait de retrouver Kestrel pour lui dire au revoir. Les parents de la jeune fille sortirent enfin. Mark les salua puis entra dans sa chambre.
-Tout va bien, petit ange ? demanda-t-il en déposant un baiser sur son front.
Kestrel hocha la tête.
-Mark, fit-elle d'une voix hésitante en lui prenant la main.
-Oui ? répondit l'adolescent en s'asseyant à côté d'elle.
Il posa son regard tendre sur la jeune fille, interrogateur.
-Ecoute… Je ne voudrais pas non plus vampiriser tes journées. Tu passes tout ton temps ici. Je ne voudrais pas qu'à cause de moi, tu mettes ta vie de côté.
Mark lui posa un doigt sur les lèvres.
-Ma vie, elle est là où tu es. Et j'y resterai jusqu'à ce que tu ne puisses plus me supporter et que tu me jettes dehors !
-Merci, chuchota Kestrel.
Le jeune homme se pencha et serra l'adolescente dans ses bras.
-J'ai vraiment de la chance que tu soies là, dit-elle.
-Et moi donc ! répondit Mark en lui caressant les cheveux.
Ils restèrent un moment silencieux, enlacés, puis Mark s'écarta.
-Bon. Tu me promets d'être sage, de dormir gentiment et de ne pas faire tourner Joan en bourrique ? fit-il avec un sourire malicieux.
-Juré ! répondit Kestrel en faisant de grands yeux innocents. Je suis un ange, non ?
Mark éclata de rire avant de l'embrasser.
-A demain ! lança-t-il avant de sortir.
Kestrel lui sourit, puis reporta son regard vers la fenêtre. Il faisait nuit, la lune et les étoiles brillaient car de ce côté de l'hôpital, aucune lueur parasite ne les cachait.
-Oui, merci à toi, Mark, chuchota-t-elle.
Les journées de Kestrel se succédèrent donc, au rythme des séances de rééducation, des discussions avec Cécilia, des promenades dans le parc de l'hôpital avec Mark. Le jeune homme était heureux de voir sourire Kestrel du matin au soir. Il ne la quittait que pour aller au lycée et à ses entraînements de basket. Il avait bien pensé à abandonner l'équipe mais si l'entraîneur lui avait laissé carte blanche, Kestrel avait refusé tout net. Et comme Mark insistait, il avait failli déclencher la colère du siècle ! Il avait prudemment battu en retraite et accepté de continuer son sport. Il ne parlait jamais de chevaux à Kestrel. Il attendait qu'elle le fasse d'elle-même. Un après-midi, alors qu'il entrait, il vit la jeune fille, depuis son lit, jeter un regard noir au fauteuil.
-Qu'est-ce qui t'arrive ? soupira-t-il après l'avoir embrassée.
-Il ressemble à une prison, marmonna Kestrel.
Surpris, Mark ne sut que répondre. Qu'arrivait-il à sa petite amie ? Puis il comprit qu'elle apprivoisait un peu plus son fauteuil, chose qui lui avait pris du temps. Beaucoup de temps.
-Et si on s'amusait avec ? proposa-t-il.
-Quoi ? sursauta Kestrel en le fixant comme s'il avait perdu la tête.
Mark éclata de rire. Il tira une chaise près du fauteuil. Farfouillant dans son sac, il en sortit des feuilles qu'il étala sur le sol, sous l'engin.
-Viens là, dit-il en s'approchant de Kestrel.
Etonnée mais confiante, la jeune fille obéit et lui tendit les bras. Mark la souleva et l'assit sur la chaise. Puis, sur les indications de sa petite amie, il prit son matériel artistique et le disposa autour d'eux.
-On barbouille ? proposa-t-il.
-Quoi ? demanda Kestrel.
-Ton fauteuil, espèce de nouille ! répondit Mark avec un sourire d'une oreille à l'autre.
Comprenant enfin, la jeune fille éclata de rire. Les deux adolescents se concertèrent un instant, puis prirent chacun un côté du fauteuil. Kestrel s'occuperait de l'accoudoir gauche, Mark du droit et elle le superviserait pour le dossier. Prenant la palette donnée par Mark, la jeune fille s'empara d'un pinceau et commença à dessiner des étoiles sur son accoudoir, une galaxie… De son côté, Mark faisait de même. Ils peignirent en discutant, riant de leurs erreurs. Ils entonnèrent même une chanson mais durent s'arrêter, pris d'une crise de fou rire tellement ils chantaient faux. Lorsqu'ils eurent fini, Mark exposa une idée à Kestrel pour le dossier. Enchantée, la jeune fille éclata de rire. Posant pinceau et palette, l'adolescent la prit dans ses bras et la déposa sur son fauteuil.
-Ne bouge pas ! commanda-t-il.
D'un trait de crayon blanc, il dessina les contours des épaules et du haut des bras de Kestrel. Puis, après qu'elle aie réintégré sa chaise, il commença à peindre. Il s'appliquait beaucoup. Iol cessa de tirer un bout de langue après que Kestrel se soit moquée de lui. Lorsque Joan entra, il resta médusé sur le seuil de la porte. Kestrel riait, du blanc plein les mains et sur le bout du nez. A genoux, palette dans une main et pinceau dans l'autre, Mark lui cachait le dossier.
-Voilà ! fit-il en se reculant.
L'infirmier put alors admirer un ange de dos, les ailes déployées, qui tournait la tête et semblait lui lancer un regard espiègle.
-C'est superbe ! s'exclama-t-il en s'approchant.
Les deux adolescents sursautèrent, puis prirent un air coupable.
-Tout va bien, fit Joan en riant. Il est bien mieux ainsi !
Il remarqua qu'ils avaient même peint des étoiles sur les accoudoirs.
-Et attends voir ! dit Mark en prenant Kestrel dans ses bras.
Il l'assit sur le siège. Joan éclata de rire.
-C'est génial ! s'exclama-t-il.
Assise, Kestrel cachait l'ange. Mais les grandes ailes déployées semblaient accrochées à son dos ! On aurait vraiment dit qu'un ange était assis dans le fauteuil !
-ça vous dirait de recommencer ? demanda Joan après avoir réfléchi un instant.
Les deux amoureux hochèrent la tête. Et le reste des six mois de la convalescence de Kestrel se passa dans un tourbillon de fauteuil à peindre. Tous les enfants voulaient des peintures sur la matière noire de leurs fauteuils ! Secondés par Cécilia, appelée à la rescousse, Kestrel et Mark peignirent des animaux, des extraterrestres, des voitures, des paysages, des signes signifiant quelque chose pour les enfants mais rien pour eux…
Le jour de la sortie de Kestrel, tous les enfants l'attendaient à la porte dans leurs fauteuils bariolés. La jeune fille en eut les larmes aux yeux. Elle les embrassa tous, leur promettant de revenir les voir. Une fois dans la voiture, elle discuta sans relâche avec ses parents. Son seul regret était que Mark, après sa sortie de l'hôpital, se soit éclipsé. Mais il était vrai qu'elle devait reprendre sa vie avec ses parents. Elle poussa un cri de joie en voyant sa maison. Heureusement, sa chambre avait toujours été au rez-de-chaussée. Elle la réintégra avec bonheur mais en ressortit aussitôt pour retrouver ses parents. C'était une période de vacances, elle pouvait donc reprendre sa vie en douceur. Ce qu'elle fit pendant une semaine. Un après-midi, Mark l'emmena se promener.
-Où va-t-on ? demanda-t-elle.
-Mystère et boule de gomme ! répondit le jeune homme avec un drôle de sourire.
Et Kestrel eut beau le bombarder de questions, il refusa obstinément de répondre. Lorsqu'il arriva devant la forêt, Kestrel resta muette. Mark les fit pénétrer sous les arbres et s'arrêta dans une clairière.
-C'est si beau… souffla enfin la jeune fille.
Mark lui sourit tendrement. Il avait eu un peu peur de la souffrir en l'amenant ici, se souvenant des courses-poursuites qu'ils avaient faites sous ses arbres… Mais à voir le visage de Kestrel, ses yeux brillants, elle était plus qu'heureuse d'être là.
-Merci, Mark, dit-elle doucement.
Pour toute réponse, il prit sa main dans la sienne et la serra. Au bout d'un moment, ils prirent le chemin du retour.
-C'est bizarre, fit Kestrel tandis que Mark ouvrait la porte fermée à clef. Mes parents ne devaient pas s'absenter…
Un énorme hurlement retentit alors, lorsque des dizaines de personnes jaillirent de leurs cachettes.
-Surprise !
Ebahie, Kestrel regarda tous les visages souriants face à elle. Il y avait là Sylvie et Karen, qui se jetèrent à son cou, ses parents, sa famille, ses amis du lycée, de l'équitation, Cécilia, les enfants de l'hôpital, Joan… La jeune fille sentit ses yeux s'emplir de larmes. Faisant volte-face, elle fit rouler son fauteuil dans le jardin. Désemparés, tous les invités se tournèrent vers Mark.
-Trente secondes, fit-il en levant les mains.
Il courut derrière Kestrel. Lorsqu'elle l'entendit arriver, elle leva les yeux sur lui. Ils lançaient des éclairs. Ouh là ! pensa le jeune homme.
-Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il doucement.
-Il y a que je ne veux pas les voir ! cria Kestrel. Je ne veux pas qu'ils me voient ! Pas comme ça !
-Maintenant ça suffit ! cria Mark à son tour. Personne n'en a rien à foutre de ton fauteuil ! C'est toi que tous ses gens aiment, pas tes deux jambes ! Peins-toi en violet à pois vert si ça te chante, on s'en fichera toujours autant ! On t'aime pour toi ! Toi et ton fichu caractère ! Alors arrête ! Tu es la seule à te rendre malheureuse !
Ebranlée, Kestrel resta un instant à fixer le vide. Lorsqu'elle regarda à nouveau le jeune homme, ils brillaient de larmes.
-Pardon, murmura-t-elle.
Mark s'accroupit près d'elle.
-Je t'aime, Kestrel, dit-il doucement. Et si tu ne devais avoir confiance qu'en une seule chose, que ce soit ça.
La jeune fille lui sourit, sentant un poids quitter ses épaules.
-On y retourne ? demanda-t-il doucement.
Séchant ses yeux, Kestrel hocha la tête avec un grand sourire. Dès qu'elle entra dans la pièce, tout le monde fit comme si elle ne l'avait jamais quittée. Sylvie lui planta une auréole factice sur le crâne. Tous le monde riait et chantait, ravis de la revoir. Et Kestrel se rendit compte que tous ces gens l'aimaient vraiment. Soudain, Joan coupa la sono, stoppant les couples qui dansaient.
-S'il vous plaît, dit-il dans le micro.
-Pitié, ne fais rien de stupide, fit Mark entre ses dents.
Kestrel leva les yeux vers lui sans comprendre.
-Je voudrais rendre hommage à un jeune homme exceptionnel. Je passerai les détails, mais sachez que s'il y en avait plus, beaucoup d'éclats de rire retentiraient dans les hôpitaux ! Et applaudissez fort l'organisateur de cette soirée.
Tout le monde obtempéra, scandant le nom de Mark. Le jeune homme devint écarlate, déclenchant des éclats de rire.
-Alors c'était toi ? demanda Kestrel en tirant sur sa manche pour la mettre à son niveau.
Le garçon hocha la tête.
-Oui, je voulais te faire une surprise, dit-il doucement. Te faire plaisir.
-Eh bien tu as très bien réussi, répondit la jeune fille en souriant.
Elle l'embrassa sous les rires de ses amis.
Mark et Kestrel regardèrent partir le dernier invité.
-Une balade du soir ? proposa le garçon à sa petite amie.
-Où ?
Il lui tira la langue et l'entraîna avec lui dans la lumière déclinante. Kestrel reconnut bientôt le chemin mais ne dit rien. Mark s'arrêta au bord du sable. Il regarda un instant leur coin de plage préféré. Il était désert, à l'exception de deux adolescents assis sur le muret.
-Le fauteuil ne passera pas, dit Kestrel d'une voix douce et calme.
Mark avait eu peur qu'elle ne se braque. Visiblement, elle avait plutôt envie de retrouver cette plage.
-C'est ça le problème ? fit le jeune homme d'un ton insouciant.
Il l'enleva dans ses bras et tournoya un instant sur lui-même, la faisant éclater de rire. Riant lui aussi, il lut dans le regard de Kestrel tout le bonheur qu'elle avait retrouvé. S'asseyant sur le sable, le garçon déposa Kestrel contre lui. Blottie contre sa poitrine, la jeune fille souriait devant le coucher de soleil face à eux.
-Mark ? fit-elle au bout d'un moment.
-Oui, petit ange ? répondit-il.
Levant le nez, elle croisa son regard.
-Demain, tu m'emmèneras voir Tae ? demanda-t-elle.
Mark en resta sans voix. Lui qui croyait qu'elle ne voudrait plus jamais revoir le cheval.
-Bien sûr ! s'exclama-t-il. Si tu veux, ajouta-t-il en lui caressant la joue.
-Merci, chuchota Kestrel.
Mark se pencha et l'embrassa, avant de reporter son regard sur le soleil coulant dans la mer. Kestrel fit de même, soupirant de bonheur.
-Au fait, fit le jeune homme au bout d'un moment. Je crois que Joan craque pour ta kiné. Tu devrais voir sa tête dès qu'elle apparaît !
Le rire cristallin de Kestrtel s'éleva dans l'air du soir, bientôt rejoint par celui de Mark.
Fin
Finie ! Vous avez aimé ? J'espère ! En tout cas, moi j'ai aimé l'écrire ! Vous croyez que ça mérite une review (grands yeux de faon supplicateurs)