Fic originale

Auteur : Olessya

Chapitres : 10

Genre : Romance yaoi

Le hasard des sentiments

Chapitre 1.

« Bonjour, je suis Lorris. Je ne sais pas si Mr Faure vous a parlé de moi, je vais travailler avec vous à partir d'aujourd'hui. »

Il avait préparé dans sa tête les phrases qu'il allait prononcer en entrant dans le bureau qui serait désormais également le sien, s'apprêtant à sourire, se motivant pour paraître le plus à l'aise possible. Il avait testé dans sa tête plusieurs intonations pour tenter de masquer au mieux sa timidité.

Mais lorsqu'il pénétra dans le grand bureau, personne ne prêta attention à lui.

La pièce semblait scindée en trois parties mais il n'y avait pas de cloison. Juste à côté, se trouvait un bureau isolé du reste par des parois vitrées sur lesquelles des papiers divers avaient été collés et masquaient l'intérieur. Il se douta qu'il s'agissait du bureau de Jacques Faure, le chef du service.

Ces deux pièces tenaient tout l'étage et un mouvement de tête suffisait pour en faire le tour.

Quatre personnes se trouvaient déjà à leur poste et il fut étonné de découvrir autant de visages inconnus.

Il resta à la porte, n'osant plus trop entrer mais une jeune femme arriva derrière lui les bras chargés de dossiers et il dût se pousser pour lui laisser le passage.

Il se sermonna intérieurement, se reprochant d'avoir raté son entrée, de s'être montré empoté.

Mais quelqu'un assis derrière l'un des bureaux remarqua sa présence et lui sourit. Le visage lui était familier, il avait déjà croisé la jeune femme dans l'entreprise et se rappelait même à présent son prénom : Anouck.

Bien qu'en communication téléphonique, elle lui fit signe d'approcher.

« Salut Lorris! Installe-toi. Tu peux te mettre au bureau, là bas. Frédéric va arriver et t'expliquer ce que tu auras à faire. » lui dit-elle.

Lorris sourit et la remercia. Il suivit son conseil et prit place derrière le bureau qu'elle lui avait désigné, se sentant un peu soulagé. La tension se relâcha en lui.

Il fit jouer l'articulation de ses doigts pour s'occuper et regarda tout autour de lui.

Comme ses yeux se posaient sur la porte, une femme qui paraissait avoir une cinquantaine d'années entra et sourit en l'apercevant.

« Mais c'est le charmant Lorris ! » s'exclama-t-elle.

Le jeune homme lui rendit son sourire. Il connaissait Anita depuis déjà plusieurs mois et il partageait désormais avec elle une certaine complicité. Sa façon de s'habiller à la fois élégante et excentrique faisait très soixante-huitarde et son côté exubérant plaisait beaucoup à Lorris.

« Alors, tu vas rester avec nous ? J'ai entendu dire ça au cinquième. C'est super ! Tu as commencé aujourd'hui ?» s'enthousiasma-t-elle.

« Oui, c'est mon premier jour. »

« C'est des méchants, ici, méfie-toi. Te laisse pas faire ! » l'avertit-elle.

Anouck venait de raccrocher et elle ne put s'empêcher de répliquer.

« Retourne à tes dossiers, Anita ! Ca avance pas vite parce que tu es sans arrêt en train de médire sur nous au lieu de bosser ! » la charria-t-elle gentiment.

« C'est bon ! C'est bon, j'y vais ! »

Lorris sourit, heureux de cette atmosphère et de cette bienveillance, lui qui appréhendait un peu ce premier jour.

Tout c'était fait tellement vite ! Deux jours auparavant, il avait reçu un appel sur son portable. On lui avait proposé ce nouveau job en contrat à durée indéterminée alors que ses finances étaient au plus mal et qu'il s'imaginait déjà rentrant chez ses parents pour ne plus avoir de loyer à payer. Même s'il adorait ses géniteurs, après tant d'années à profiter de son indépendance, la cohabitation aurait été difficile.

Il avait longtemps espéré ce contrat mais les derniers temps, déprimé par ses recherches infructueuses, il n'y avait plus cru.

Il s'était dit que les dirigeants d'OISS s'étaient habitués à faire appel à lui lorsqu'un surplus d'activité survenait et que cela les arrangeait de l'avoir toujours sous la main. Ils ne lui proposeraient donc jamais de contrat définitif. Et en fin de compte, c'était arrivé !

Un an et quelques mois auparavant, alors qu'il était au chômage, son ami Carlos qui travaillait à OISS, l'avait fait engager pour une petite mission d'un mois.

Lorris avait alors travaillé sous les ordres d'un certain Patrick Besson, au cinquième étage de l'immeuble. L'homme avait apprécié son efficacité et son sérieux et n'avait cessé de tarir d'éloges sur son compte. On lui avait alors proposé un nouveau contrat.

Et depuis, au sein d'OISS, il enchaînait les contrats de quelques semaines et les semaines de chômage à se morfondre chez lui et à se démener pour décrocher un entretien quelque part.

Certes, le travail pour lequel il venait d'être engagé n'était pas l'emploi dont il rêvait.

Rien qu'en regardant l'ordinateur qui se trouvait devant lui et qui devait dater d'une bonne dizaine d'années, il pouvait en déduire l'intérêt que l'on accordait à sa fonction.

Titulaire d'un diplôme d'études supérieures, il aurait pu aspirer à bien autre chose en théorie mais la conjoncture était mauvaise et il avait dû revoir à la baisse ses pourtant modestes ambitions.

Après les mois de vache maigre qu'il venait de connaître, il s'estimait déjà heureux d'avoir une perspective de plusieurs mois devant lui.

Comme il était perdu dans ses pensées, une jeune femme, qui avait l'air d'avoir quelques années de moins que lui et qu'il lui semblait avoir déjà aperçu, vint s'accouder à son bureau et se présenta à lui gentiment.

« Salut ! Je suis Eva ! » dit-elle sur un ton enjoué avec un grand sourire « Je fais le même job que toi et je travaille aussi avec Frédéric. Bienvenue parmi nous ! »

Elle lui fut immédiatement sympathique. Lorris la remercia chaleureusement.

La jeune fille entreprit alors de faire la présentation des autres personnes de l'étage.

Lorris la détailla comme elle parlait. Ravissante était le premier mot qui vous venez à l'esprit pour la décrire. Son visage d'un joli ovale était agrémenté de quelques taches de rousseurs tandis que ses cheveux d'un châtain tirant sur le roux descendaient dans son dos en des vagues ondulées. C'était encore son sourire qui était le plus marquant. Ses yeux noisettes sembler pétiller, tout en elle respirait la joie de vivre.

Mais au-delà de cette première impression, si on l'examinait plus en détail, on pouvait se rendre compte qu'elle était finalement assez ordinaire et pas aussi belle qu'elle pouvait apparaître. Cependant, son rayonnement était tel qu'on avait envie de ne pas chercher plus loin que cette joliesse qu'elle dégageait au premier abord.

« Là-bas, c'est Patricia et Corinne. Elles font la même chose que nous mais travaillent pour Mikel. Ne t'étonne pas si tu ne les vois pas tous les jours, elles sont à mi-temps. »

Lorris sourit aux deux jeunes femmes, l'une petite et potelée, l'autre grande et maigre, qui venaient de lui être présentées. Elles lui firent un petit signe en retour.

« Et Mikel, le voilà ! » annonça Eva alors qu'un homme grand et svelte, portant des lunettes démodées traversait le bureau à grandes enjambées pour revenir sur ses pas juste après et disparaître comme il était venu, non sans avoir lancé un « Salut ! » énergique.

« Alors lui, il est toujours débordé. Faut rien lui demander. Si tu veux quelques choses, laisse-lui un post-it sur son bureau qui est là car sinon, il faut lui répéter les choses cinq fois. »

« Je m'en souviendrai. » promit Lorris en souriant.

« Et dans le fond, c'est Anouck. Mais je crois que tu la connais déjà…. »

Lorris approuva d'un signe de tête. Il avait déjà eu à faire à la jeune femme, âgée d'une trentaine d'année à l'allure décontractée et au parler franc et simple.

« Et à côté, c'est le bureau de Guilène. Elle n'est pas là aujourd'hui mais tu la verras jeudi. Et le monsieur qui nous regarde là-bas, c'est Gérard. T'occupe pas de lui, c'est un grincheux. »

L'homme, âgé d'une cinquantaine d'années, les cheveux gris et la moustache finement taillée secoua la tête.

« Ce qu'il faut pas entendre ! » lança-t-il.

« Et enfin, dans le bureau qui se trouve là, il y a Jacques Faure. Mais tu as dû déjà le voir. »

« Oui » acquiesça Lorris.

La jeune fille, bavarde, enchaîna immédiatement.

« Il crie beaucoup mais il n'est pas méchant. C'est un gros nounours ronchon. »

Le jeune homme eut un petit sourire en imaginant le gros homme qu'il avait rencontré lors de son entretien tel un ours en peluche. Sa voix forte et grave, son parler franc et direct ainsi que sa stature imposante vous impressionnait immédiatement.

« Quand il crie, tu te bouches les oreilles et tu laisses passer. » lui conseilla Eva. « Et puis voilà Frédéric, notre chef. »

Dans le bureau, venait d'entrer un homme aux cheveux bruns, à l'allure banale et aux yeux tombants. Il avait un air endormi et salua Lorris sans trop de chaleur.

« Tu as trouvé ton bureau ? » demanda-t-il d'une voix molle.

« On m'a dit que ce serait celui-là.

« Bien. Je vais te montrer comment fonctionne les logiciels dont on se sert. »

A la fin de la matinée, ses nouveaux collègues lui proposèrent gentiment de venir manger avec eux mais il déclina la proposition en s'excusant. Il s'était déjà engagé auprès de ses amis du troisième étage et il prit l'ascenseur pour les rejoindre, content de les retrouver.

Deux mois après avoir fait son premier pas dans la société OISS, il avait été affecté à ce service. Intimidé et un peu déstabilisé au début, il n'avait pourtant pas tardé à être conquis par l'ambiance particulière et chaleureuse qui régnait à cet étage.

Dans le bureau dans lequel il avait séjourné, œuvrait un trio étrange et mal assorti.

Bruno, celui avec qui Lorris avait le plus d'affinités, avait fait des études d'art qui n'avaient débouché sur aucun travail rémunérateur. Le job d'étudiant qu'il avait trouvé par hasard à OISS s'était transformé en emploi définitif. Cet homme très cultivé et à l'humour décapant s'était fait sa place au sein de l'équipe et n'avait pas cherché à travailler ailleurs, bien que ses capacités soient bien supérieures à ce que sa fonction exigeait.

Philippe, la trentaine bien passée, était un vieux garçon un peu bougon avec des idées bien arrêtées et un jugement sans appel sur les autres. Il ne courrait pas après le travail et était toujours le premier parti. Individualiste et peu bavard au premier abord, il pouvait s'avérer serviable et sympathique si on apprenait à le connaître.

Au dernier bureau, était installée Aline, sympathique jeune femme très active et toujours prête à rendre service. Elle était entrée à OISS très jeune et faisait sans se plaindre les mêmes choses depuis des années. Elle ne rechignait jamais à la tâche mais ce n'était sûrement pas la personne la plus intelligente de la société et son manque de connaissance et d'intérêt pour l'actualité ou les choses qui demandaient une réflexion, lui valait souvent les moqueries de Bruno.

En dehors des émissions de télé-réalité, ses centres d'intérêt se limitaient en effet à l'aménagement de son appartement et à la mode vestimentaire.

Elle avait malgré tout un bon sens de la répartie qui donnait lieu à d'hilarantes jouxtes verbales avec Bruno, parfois arbitrées par le placide Philippe.

Grâce à ces trois camarades et malgré la précarité de sa situation, son séjour dans ce service avait été une période heureuse qu'il regrettait presque et il ne manquait donc jamais de leur donner de ses nouvelles.

Les trois avaient même œuvré activement à son recrutement en incitant leur chef de service, la ronde Marilou, à le recommander un peu partout.

Pour déjeuner, les rejoignait le plus souvent Sandra qui travaillait un étage plus haut mais qui avait fait partie de l'équipe infernale quelques années auparavant et avait conservé avec eux des liens forts.

« Alors ? Comment ça se passe au sixième ? » demanda immédiatement Aline en le voyant.

« Tu vas avoir fait tous les étages... » fit remarquer Philippe.

« Comme ça, il se rend bien compte que c'est nous les plus sympas ! » ajouta Bruno.

Nora passait dans le couloir et elle remarqua elle aussi sa présence :

« Tiens ! Lorris ! Tu es de retour ?

« Oui, je bosse au sixième. » répondit-il en souriant.

La jeune fille était visiblement pressée et elle ne s'attarda pas à discuter avec lui. Elle s'adressa à une autre fille qui se trouvait là.

« Tu viens avec moi prendre un café ? A moins que Lorris m'invite ? » fit-elle, espiègle. « Non ? Dommage… » enchaîna-t-elle sans attendre de réponse de sa part.

« Aah ! Moi aussi j'ai longtemps espéré mais j'ai dû me faire une raison… Il préfère certainement les garçons ! » rétorqua l'autre fille, malicieuse.

Tout le monde s'esclaffa mais Lorris resta éberlué. Il se demanda s'il devait rire ou pas.

Elle avait vu juste. Il préférait effectivement les hommes aux femmes.

Il prit peur, se demandant si cela se voyait sur son visage où dans ses manières, si des rumeurs circulaient déjà sur son compte. Peut-être quelqu'un l'avait-il aperçu dans un lieu compromettant ? Ou alors son ami Carlos avait vendu la mèche ?

Non. Même Carlos ne savait rien.

Comme il examinait une à une toutes les hypothèses, il finit par en venir à la conclusion que cette plaisanterie n'était tombée dans le vrai que par pure coïncidence. Et les autres en riaient d'ailleurs, ne manifestant aucune gêne. C'était la meilleure preuve qu'ils n'en pensaient rien.

Il en fut soulagé et rit à son tour.

Sa première journée de travail terminée, il rentra chez lui épuisé. Tous ces efforts, ce nouveau rythme lui avaient pris toute son énergie.

La journée s'était bien passée mais il gardait quelques appréhensions. Après une seule journée, il se doutait déjà que son travail allait être fortement routinier et peu passionnant. Et comme si cela ne suffisait pas, son chef, Frédéric semblait vouloir lui laisser le moins d'autonomie possible.

Mais il toucherait un salaire chaque mois, il pourrait faire des projets, organiser sa vie…. Vivre tout simplement.

Il se laissa tomber sur le canapé de son petit studio et composa sur son téléphone le numéro de Cyril, son meilleur ami.

Il avait connu Cyril à l'université et ce jeune homme à l'humeur joyeuse l'avait soutenu dans ses moments difficiles. Il était pour Lorris comme un grand-frère, un frère qui savait vous remonter le moral en une phrase ou un geste. Du temps de sa déprime, lorsqu'il ne se voyait opposé que des refus à ses candidatures, Cyril passait parfois chez lui à l'improviste, l'emmenant faire un resto. Sachant qu'il n'avait pas le moral, il pouvait l'appeler jusqu'à cinq fois par jour pour lui raconter des blagues ou des potins. En rentrant d'un entretien infructueux, il trouvait des CD glissés dans sa boîte aux lettres ou des tablettes de chocolats.

Cyril était aussi celui qui l'avait aidé à assumer sa sexualité et qui avait réussi à le convaincre d'en parler à ses parents. Comme lui, Cyril était homosexuel et il avait servi pour un temps de modèle à Lorris bien que celui-ci resta beaucoup plus sage.

« Salut Cyril ! »

« Alors comment ça s'est passé ? » demanda immédiatement une voix allègre à l'autre bout du fil.

« Ma foi, ça peut aller. Les gens avec qui je bosse ont l'air sympa. »

« Il faut qu'on fête ça, tu n'oublies pas ? »

« Promis ! »

« On sort ce week-end? J'ai des adresses. »

« Si tu veux…. »

« Excuse-moi mais je ne m'attarde pas car j'ai un rendez-vous important, si tu vois ce que je veux dire. Je l'ai rencontré à une expo sur Matisse il y a deux jours. Incroyable, non ? »

Lorris sourit en secouant la tête. Cyril était décidément incorrigible.

« Allez, je t'embrasse mon petit Lorris ! Je t'appelle jeudi soir ! »

« D'accord ! Ne fais pas trop de folies ! Bye ! »

Il raccrocha et composa aussitôt un autre numéro. Bien que répéter plusieurs fois la même chose lui pesait un peu, il fallait qu'il appelle aussi ses parents pour leur raconter sa première journée. Ils s'étaient fait tellement de soucis pour lui au cours de l'année qui venait de s'écouler !

Quelques jours plus tard, aux alentours de midi, Lorris rejoignit une nouvelle fois ses anciens collègues du troisième. Il les appréciait, leur trouvait à chacun des qualités mais hormis cela, les discussions qu'il pouvait avoir avec eux ne volaient jamais très haut. Il n'y avait qu'avec Bruno, atterri comme lui dans cette entreprise par un étrange hasard, qu'il pouvait parler de choses plus sérieuses que les programmes qui passaient à la télé ou les derniers cancans de la société.

Il essayait donc de suivre la conversation qui se tenait même s'il était plus intéressé, en vérité, par la lecture de son journal sur lequel il jetait un œil de temps à autre.

Pour une fois, Aline et Bruno ne se chamaillaient pas et les vannes pleuvaient sur le pauvre Philippe qui avait eu la mauvaise idée de revêtir une chemise d'un rose plutôt voyant.

Heureusement pour lui, Nora interrompit la séance de gentilles moqueries en faisant une entrée remarquée. Elle vint agiter une énorme clef USB sous le nez de Bruno.

« Regardez ! J'ai enfin ma clef USB ! »

« Ils les ont reçus ? On va en avoir, nous aussi ? » questionna Aline, intéressée.

« Je ne sais pas si vous en aurez. J'ai presque dû tuer pour avoir la mienne ! Depuis le temps que j'en réclame une…. »

« Tuer… tuer… » la plaisanta Bruno « Tout de suite les grandes méthodes ! On reconnaît bien les gens qui habitent le 93 ! »

« Ah mais j'ai bien essayé d'user de mes charmes mais y'a que la manière forte qui marche ! »

« Tiens ? Gilles n'a pas été sensible à ta nouvelle jupe ? »

« Et non ! J'ai même pas pu en obtenir pour ma copine Aline. Pourtant, j'ai supplié ! »

« Faut envoyer Philippe avec sa magnifique chemise rose ! Ca marchera peut-être plus ! »

Ils éclatèrent tous de rire sauf Philippe qui fit mine d'être concentré dans sa lecture.

« Si on envoie Philippe à la compta, c'est sûr que ça va le faire. Philippe, tu veux pas aller négocier avec Ronan ? En plus, regarde ! Il est justement en train de discuter avec Marilou, c'est le moment d'aller lui en toucher deux mots.»

Ronan était un jeune homme à l'allure très efféminée, du même âge que Lorris environ.

« Vous n'avez pas fini avec vos bêtises ? » ronchonna Philippe.

« Faut que quelqu'un se dévoue. Bruno ? »

« Non-merci ! Chacun se débrouille ! »

« Lorris ? » interrogea Nora « Il a l'air de bien t'aimer, il vient tout le temps te dire bonjour ! »

Lorris se sentit rougir. Il n'avait rien fait pour sympathiser avec ce Ronan, un grand garçon mince à lunettes aux cheveux courts et châtains, auquel il n'avait d'ailleurs que très peu à faire dans le cadre de son travail mais le jeune homme venait en effet toujours le saluer. Les autres l'avaient-ils remarqué ? Il fallait qu'il se méfie. Les homosexuels se reconnaissaient souvent entre eux. Ils sentaient très bien ces choses là. Lorris n'avait pas assez d'expérience pour pouvoir jurer que Ronan en était un mais il en avait en tout cas l'allure. Et lui, il ne se sentait pas d'assumer cela à son travail. Il ne fallait pas que ses préférences soient révélées à ses collègues. Il était à peu près sûr que l'attitude de certains viendrait à changer s'ils l'apprenaient.

Son but était de se faire apprécier de tous et d'éviter tant que possible les problèmes. Si on commençait à le charrier là-dessus…

« Il est juste poli. » fit tout de même Lorris pour le défendre.

« Mais c'est pas sûr du tout qu'il soit comme ça», fit remarquer Sandra qui le connaissait mieux car elle travaillait au même étage que lui « Il est très gentil en tout cas et je crois qu'il a une copine. »

Lorris se sentit infiniment soulagé à cette nouvelle.

« Oui, il ne faut pas juger sur les apparences. » continua Bruno, comme pour se racheter « Regarde Philippe ! »

L'intéressé releva la tête pour lui jeter un regard noir.

« Par contre, si tu veux vraiment user de ton charme viril, va au deuxième. » poursuivit Bruno, toujours prêt à colporter des potins.

Lorris se sentait toujours gêné quand on plaisantait avec l'homosexualité ou même simplement lorsque l'on abordait le sujet mais les insinuations de son collègue piquèrent sa curiosité.

« Pourquoi ? » demanda-t-il.

« Ah tu ne sais peut-être pas, toi, il y a quelqu'un au service info qui est homo. »

« Qui ça ? »

« Nicolas Gely, le directeur de l'informatique. »

Lorris chercha dans sa mémoire mais ne se souvint pas l'avoir déjà croisé. Ca n'évoquait pour lui qu'un nom bien placé et écrit en gras dans l'organigramme de l'entreprise.

« Ah bon ? Vous le savez comment ? » demanda Lorris, surpris de découvrir la présence d'un de ses congénères dans l'établissement, et étonné que cela se sache, lui qui essayait au contraire à tout prix de le cacher.

« Il est passé dans une émission à la télé, je crois que c'est quelque chose comme ça. C'est Pierre, le commercial qui nous l'a raconté, si je me souviens bien. Et j'ai des amis qui me l'ont confirmé. »

« Non, c'est pas vrai, Bruno ! Tu dis n'importe quoi, comme d'habitude ! » intervint Aline, jamais d'accord avec lui par principe.

« Mais si ! Je t'assure ! » insista l'homme.

« C'est des rumeurs ! Avec Sabine, on l'a rencontré une fois près du grand club de gym, tu sais, là où va Anita. Y'a un cinéma aussi. Il devait y aller, il était avec une fille. »

« Et alors ? »

« Il la tenait par la taille, Bruno. Par la taille ! C'était sûrement sa copine. »

« Ah mais ça ne veut rien dire ! C'est peut-être juste une amie ou même sa sœur. Tu tiens bien Sandra par la main parfois, tu sors pas avec elle que je sache… à moins que tu nous cache des trucs ! »

« Bruno! Mais non, c'était pas de l'amitié, je te promets ! Je suis sûre, Bruno. Je suis sûre !»

« Et puis je te signale qu'il y a des gens qui aiment les deux, les hommes et les femmes. »

« Oui je sais, tu m'as même dit comment ça s'appelait l'autre fois. Les bi… »

« Les bicyclettes ! » termina Bruno, espiègle.

Aline fit les gros yeux :

« Me prends pas pour une idiote ! Je sais quand même ce que c'est une bicyclette. C'était pas ça mais j'ai oublié. Ca arrive à tout le monde, non ? »

« Oui mais surtout à toi ! »

« Commence pas ! Tu fais ton malin parce que tu connais deux mots savants qu'on emploie jamais…. »

« Ah parce que 'Bisexuel' c'est un mot savant, maintenant ? Ah bon. »

« N 'empêche que j'y crois pas à ton histoire de bisexuel, tu inventes comme toujours. Franchement, il a pas l'air d'en être un de bi… truc ! »

« Ah bon ? Parce que pour toi il devrait ressembler à quoi ? C'est pas du tout une question d'avoir l'air ou pas. Encore heureux qu'il ne ressemble pas à une folle et qu'il ne vienne pas en talons hauts ! »

« Franchement !? Il a pas l'air quand même. Je suis sûre que c'est pas vrai. Tu dis ça parce que tu l'aimes pas. »

« Mais pas du tout ! Ca n'a rien à voir. Je te répète, je dis ça parce que je le sais de source sûre. Après j'ai rien contre lui. C'est sa vie privée, ça nous regarde pas. Tant qu'il me fait pas d'avances, y'a pas de problèmes. »

« Ca risque pas, Bruno ! T'as vu ta tête ? »

« Merci, ça fait plaisir…. »

« Tu racontes toujours des conneries ! T'es un vrai my…. Mi… Zut !»

« Allez ! Essaie encore une fois de le prononcer ! Mythomane ! Je suis sûr que tu peux y arriver ! »

Philippe avait décroché de la conversation et Sandra pianotait fébrilement sur son téléphone mobile tandis que Nora était allée faire admirer son nouvel outil de travail dans d'autres bureaux. Seul Lorris suivait l'échange avec intérêt, voulant connaître le fin mot de l'histoire autant qu'il redoutait un dérapage de ces deux amis si la conversation se prolongeait sur ce thème.

Le voyant attentif, Aline le prit à parti.

« Hein, Lorris, il en a pas l'air quand on le voit ? C'est n'importe quoi ! »

« Je ne peux pas dire, je ne le connais pas. »

« T as bien dû le croiser quand tu travaillais au cinquième. Il vient souvent voir Patrick Besson. Ils bossent pas mal ensemble. » le renseigna Bruno.

Lorris, intrigué, chercha de nouveaux dans sa mémoire. Il se rappelait bien un informaticien, un jeune homme à lunettes mais il ne se prénommait pas Nicolas m ais plutôt Fabien si sa mémoire ne lui faisait pas défaut. Et il n'avait rien d'un directeur informatique !

« Non j'ai pas dû le voir. Il est comment ?

« Il est grand, mince, avec les cheveux châtain-clair, ondulés, presque longs. »

La description donnée par son collègue fit tilt chez Lorris. Il ne pensait pas que cet homme était à l'informatique. Il ne correspondait pas à l'idée qu'il se faisait d'un informaticien. Plutôt jeune, il se distinguait des autres chefs de service par son allure décontractée. Lorris se rappelait un bel homme à la voix grave, posée, élégant dont il avait admiré les chemises.

Mais hormis son bon goût vestimentaire, rien ne laissait supposer ses préférences sexuelles particulières. Au contraire. Il ne ressemblait en rien aux autres homos que Lorris avait pu côtoyer. Il avait l'air d'un hétéro. Bruno, prompt à porter des jugements sur les gens, se trompait peut-être. Et s'il était bi, cela faussait peut-être tout.

« Blond. Il est blond, Bruno ! » le corrigea Aline.

« Non. Châtain-clair. Blond c'est quand c'est presque jaune. »

« Mais c'est pareil, Bruno ! Il a les cheveux clairs, tu demandes à tout le monde, ils te diront que c'est blond ! »

Comme Sandra levait le nez de son téléphone, Aline sollicita son arbitrage.

« Il a les cheveux de quelle couleur, Nicolas Gely ? »

« Entre blond et châtain clair. » décida la jeune fille pour ne froisser personne. « C'est l'heure de reprendre le travail. »

Un nom jusqu'alors anodin venait de prendre un sens particulier pour Lorris. Il se sentait étrangement heureux de découvrir qu'un de ses semblables travaillait dans le même lieu que lui.

Ce fut seulement trois jours après la discussion avec Bruno et Aline que Lorris croisa de nouveau Nicolas Gely. Lorsque celui-ci était venu discuter avec Patrick Besson alors que Lorris travaillait avec ce dernier, il ne lui avait prêté que peu d'attention. Seules ses chemises originales et élégantes avaient marqué son esprit.

Il profita donc de se retrouver à prendre l'ascenseur avec lui pour le détailler davantage. Il n'osa pas trop lever les yeux vers son visage et se contenta de le regarder à la dérobée. Bien que grand et athlétique, il avait un corps élancé. Sa taille fine et souple était soulignée par le bon choix de ses vêtements. Une chemise sûrement coûteuse et un pantalon bien taillé, près du corps. Il lui faisait penser à un danseur. Il ne portait pas de cravate et le col de sa chemise était légèrement entrouvert mais en raison de sa silhouette avantageuse, il paraissait très élégant. Un mélange de classe et de fausse décontraction.

Il était tout de même très soigné et à la mode. Il n'était pas impossible que Bruno ait raison….

Les deux étages qu'ils parcourent ensemble ne laissa pas à Lorris le loisir de parfaire son inspection mais il se douta qu'il aurait de toute façon de nombreuses occasions de le rencontrer de nouveau.