Créer pour aider 2012-2013
Pour Luna

Écrit entre le 11 février et le 2 avril 2013, réécrit en juin 2013 suite à un crash informatique extrêmement ciblé v.v

Dans la chronologie de l'histoire, la scène se passe en octobre 2013.


Faire part et confession

Mika fut naturellement le premier à l'accueillir (ses miaulements s'entendaient depuis le palier avant même que Gaël n'eût sorti ses clés). La deuxième fut Marie Élise, sitôt la porte franchie. Gaël ne trébucha pas contre le chat qui ronronnait en se frottant contre ses jambes et serra sa sœur dans ses bras. Alors que sa cadette lui racontait qu'elle avait fait bon voyage, Gaël se débarrassa de ses manteau et chaussures puis tous deux rejoignirent le salon. Akim était lui aussi rentré, Gaël lui offrit un baiser.

« Tu lui as donné ? demanda-t-il ensuite.

— Bien sûr que non, je t'attendais.

— Me donner quoi ? Un cadeau ?

— Heu, non, répondit Gaël, pas exactement.

— Plutôt du courrier, renchérit Akim.

— Une lettre ?

— C'est pas évident de te l'envoyer chez tes parents. »

Marie Élise grimaça. Il était en effet préférable de ne pas tenter le diable à ce sujet. Bien que plus compréhensif que sa mère – ou peut-être plus résigné – Marie Élise n'était pas certaine que son père lui remettrait sa correspondance, même si c'était lui qui relevait le courrier.

« C'est à ça que sert Internet, signala-t-elle avec un brin de malice.

— Gaël, je me sens vieux tout à coup, se plaignit Akim. Moi, j'aurais parlé d'un téléphone ! »

Gaël sourit. Il tendit à Marie Élise l'enveloppe épaisse et colorée qu'il venait de sortir de sa cachette, entre deux livres de la bibliothèque.

« De toute façon, on préférait te la remettre en main propre. »

Tout d'abord surprise, Marie Élise comprit rapidement de quoi il retournait.

« Oh my God! Vous vous mariez ! Oh, non ! »

Gaël et Akim échangèrent un regard étonné.

« Je pourrai pas être ton témoin, Gaël, je suis encore mineure ! »

Son aîné la prit par les épaules et déposa un baiser sur le sommet de son crâne.

« On a choisi une date fin août exprès pour que tu puisses venir, avant la reprise de tes cours mais sans bloquer tes vacances. Enfin, a priori.

— De toute façon, faudrait une apocalypse pour m'empêcher d'être là. Mais pourquoi attendre si longtemps ? Pourquoi pas pour les congés de Noël ou ceux de février ?

— Un mariage, ça ne s'organise pas en quelques semaines ! rigola Akim. Le temps de bloquer la date à la mairie…

— Trouver une salle…

— Le traiteur…

— Les invitations…

— On a encore du pain sur la planche.

— D'accord. Je suppose qu'à distance, je ne peux pas aider mais si jamais… J'ai hâte de vous voir en costume ! »

Le visage rayonnant, Marie Élise s'assit sur le canapé du salon. D'un commun accord, les deux hommes l'imitèrent, Akim sur un fauteuil à proximité et Gaël aux côtés de sa cadette. Aussitôt, Mika sauta sur les genoux de son maître, un regard mauvais à l'attention de l'adolescente. Akim dissimula un sourire. Il ne devrait être ni amusé ni satisfait par ce rejet de la part du félin mais il éprouvait toujours un vague sentiment de contentement à voir Mika n'accepter nul autre Le Pernaud que Gaël.

La jeune fille croisa son regard et lui rendit son sourire.

« Alors, racontez-moi ! Lequel a fait sa demande à l'autre ? »

Tout en grattant le menton du chat d'un geste machinal, Gaël lui répondit : « Y'a pas vraiment eu de demande…

— Comment ça ? s'étonna sa sœur avec déception. Y'en a bien un qui a posé la question le premier, non ?

— Pas vraiment. On suivait l'actualité et...

— Excuse-moi ! s'insurgea Akim. Techniquement, c'est moi. Je t'avais offert l'alliance, même si à l'époque il n'était pas question qu'une loi soit votée à court terme.

— Oh, racontez-moi ! s'exclama Marie Élise. Comment ça s'est passé ?

— De façon assez simple. C'était y'a… six ans, c'est ça ?

— En 2007, oui.

— C'est ça, l'année de la précédente élection présidentielle. On s'était remis ensemble depuis plusieurs mois et je…

— Quoi ? Vous vous étiez séparés ? Quand ça ? Pourquoi ?

— Eh bien… hésita Akim, soudain gêné.

— C'est un peu compliqué », biaisa Gaël en détournant le regard.

L'arrivée de Mika dans sa vie était le seul bon souvenir que Gaël conservait de l'année 2006. Ce qui n'avait été au départ qu'une sortie au cours de laquelle Akim avait rencontré quelques uns de ses amis, avait viré au cauchemar. Akim et lui avaient toujours eu une conception différente de l'importance du sexe au sein des diverses relations qu'ils entretenaient. Jusqu'alors, Gaël n'y avait jamais véritablement pensé : eux-mêmes s'étaient rencontrés à l'occasion qu'un coup d'un soir, après tout ; une histoire qu'il ne raconterait certainement pas à sa jeune sœur. Sans faire de généralités, Gaël côtoyait à l'époque – et depuis de nombreuses années – un univers de paillettes où le sexe sans lendemain ni rancune était monnaie courante. Mais si pour Gaël, il s'était agi ce jour-là d'une soirée entre amis, pour Akim cela s'était transformé au fil des conversations en une soirée parmi les ex de son copain. La dispute qui avait éclaté entre eux une fois rentrés avait abouti à la rupture, que Gaël avait cru définitive jusqu'à ce qu'Akim, inquiet de l'état d'esprit dans lequel le mois de décembre mettait Gaël, ne vînt sonner à sa porte.

Gaël ne l'avait plus laissé repartir.

« La vie de couple, c'est pas toujours facile, tu sais ? » répondit Akim d'une voix douce. Il croisa le regard de Gaël et poursuivit : « On a parfois des divergences d'opinion…

— Ou trop de fierté pour faire le premier pas et s'excuser.

— On apprend aussi à faire des concessions. L'important, c'est le dialogue et faire confiance à l'autre. »

Les yeux clairs de Marie Élise allèrent de l'un à l'autre.

« C'est marrant... j'ai entendu maman dire la même chose au sujet de papa... » dit-elle. Soudain, elle s'enflamma : « Ce qui prouve bien qu'il n'y a absolument aucune différence entre un couple homo et un couple hétéro ! »

Presque malgré lui, Akim se mit à rire.

« C'est drôle que tu sois si tolérante. Je veux dire, poursuivit-il avec plus de précaution, c'est pas évident de s'affranchir de l'opinion de ses propres parents, surtout à ton âge. »

Elle baissa les yeux.

« Je n'ai pas toujours été comme ça, avoua-t-elle comme avec honte. En fait... c'est à cause de Gaël. Je n'avais jamais vraiment réfléchi à l'homosexualité, avant. » Le faire-part serré contre sa poitrine, elle s'adressa à son frère aîné. « On ne parlait jamais de toi, ni à la maison ni dans le reste de la famille. J'ai grandi en pensant que tu étais mort, c'est plus ou moins ce qu'on m'avait laissé entendre, et j'ai toujours cru que ce silence, c'était pour ne pas raviver la douleur de mes parents. De... nos parents.

» Et puis un jour, y'a cinq ans environ, mamie a dit un truc... – la mère de mon père, précisa-t-elle à l'attention d'Akim. Je ne sais plus quoi exactement mais ça m'avait laissé une drôle d'impression, comme si j'avais raté un train ou quelque chose du genre. Alors je l'ai tannée et tannée et c'est comme ça que j'ai appris ce qui s'était vraiment passé. Que tu n'étais mort qu'à leurs yeux, en fait, et... Je savais pas quoi penser de... des gays mais… y'a une chose dont j'étais sûre, c'était qu'il n'y a aucune raison au monde, aucune... déviance, aucune… anormalité, aucun handicap… » déclara-t-elle en butant sur les mots, comme s'ils la dégoûtaient, « aucune raison au monde qui puisse justifier qu'on jette son enfant à la rue. Je ne comprenais pas, ça me paraissait tellement insensé, et de la part de mes parents que j'aimais et qui m'aimaient, de la part de ma propre famille, c'était juste... ! Ça n'avait pas le moindre sens.

» Alors j'ai commencé à rassembler tout ce que je pouvais sur toi, j'ai fouillé les greniers, les albums photo que personne n'ouvrait jamais, tout ce à quoi je pouvais penser. Je laissais traîner mes oreilles, parfois je posais des questions, en m'efforçant d'être discrète, pour en apprendre plus sur toi. Et plus j'en apprenais, plus je devenais folle de rage ! Plus j'en apprenais et plus tu devenais réel et vivant et... loin.

» Pendant des années j'avais cru que c'était Dieu qui nous avait séparés, qu'on y pouvait rien, que c'était la vie. Tu ne m'avais jamais vraiment manqué parce que je ne t'avais jamais connu et que personne ne faisait rien pour garder ton souvenir vivant. Tu étais comme une entité un peu irréelle, plus un concept qu'autre chose. Bien sûr, ça m'intéressait les rares choses où l'on faisait référence à toi mais en dehors de ça, je ne pensais pas vraiment à toi. Et soudain, je m'apercevais que tout ce que j'avais cru était faux et tellement… stupide ! Quelle importance ça pouvait avoir que tu aimes une fille ou un garçon, franchement ? Qu'est-ce que ça pouvait bien faire ? »

En silence, Gaël caressa les cheveux de sa jeune sœur puis la prit contre lui. La joue appuyée contre son épaule, elle lui adressa un sourire tremblotant, les yeux brillants de larmes.

« Alors j'ai juste... tu étais vivant, quelque part, et j'étais prête à tout pour te retrouver.

— Je suis heureux que tu l'aies fait. »

Marie Élise pinça les lèvres.

« Pourquoi es-tu resté à l'écart pendant tout ce temps ? »

Akim se leva et prit la direction de la cuisine afin de mettre en route le dîner.

Marie Élise était une enfant intelligente mais également naïve et terriblement idéaliste. Elle ne semblait pas comprendre qu'il aurait été impossible à son frère aîné – dont elle ignorait alors pratiquement l'existence – de l'enlever sur son cheval blanc ; car c'est bien d'enlèvement dont il se serait agi. Lorsque Marie Élise menaçait de fuguer si l'on ne l'autorisait pas à séjourner quelques jours chez son frère, elle ne réalisait pas quels sérieux ennuis elle pourrait lui attirer. Seul le bon vouloir de Jacques Le Pernaud permettait à la fratrie de se retrouver lors des vacances scolaires : Gaël n'avait aucun droit sur elle, pas même celui de visite.

Akim doutait même que Marie Élise réalisât pleinement la situation dans laquelle Gaël s'était trouvé, à l'époque à peine plus âgé qu'elle ne l'était aujourd'hui. Elle avait été trop choyée dans sa vie pour imaginer combien il avait été difficile pour Gaël de se débrouiller seul, sans aucun soutien affectif ni financier. Akim lui-même avait du mal à le concevoir.

Dévasté d'avoir été mis à la porte de chez lui, Gaël avait trouvé refuge chez son petit ami d'alors, celui-là même avec qui il avait été surpris par ses parents. L'hospitalité qui lui avait été offerte, ainsi que sa relation amoureuse, n'avaient guère duré et Gaël était rapidement arrivé à court d'amis prêts à l'aider.

Les Le Pernaud avaient dans un premier temps accepté que Gaël rentrât à la maison mais l'atmosphère y avait été irrespirable, Mathilde séquestrant son fils, refusant de le laisser sortir et se vautrer dans le pêcher tout en étant incapable de le regarder sans dégoût. Le stress ainsi engendré représentait un réel danger pour la grossesse de Mathilde, en particulier du fait de son âge et de ses antécédents de fausses couches. À l'approche de l'examen du baccalauréat, Gaël avait fini par quitter définitivement le seul véritable foyer qu'il eût jamais connu. Jacques Le Pernaud s'était porté garant sur le papier pour la location d'une chambre de bonne sur Saint-Malo mais là s'était arrêtée l'aide parentale.

En juillet, après avoir obtenu de justesse son bac au rattrapage, Gaël avait supplié son père de le laisser voir sa petite sœur, fraîchement rentrée de la maternité. Jacques s'était montré intransigeant, se contentant de lui donner une photo.

Ce cliché, Gaël l'avait toujours dans son portefeuille lorsqu'Akim l'avait rencontré.

Comprenant qu'il ne pourrait plus compter que sur lui-même, Gaël avait alors mené de front études par correspondance et emplois alimentaires, n'ayant jusqu'à sa majorité qu'un accès limité au pécule gagné par le mannequinat. Il avait choisi la voie de comptable pour les seules raisons qu'il s'en tirait en mathématiques et que cette filière lui avait paru déboucher sur un emploi rapide et stable. Il avait eu l'intelligence de réaliser que le mannequinat ne constituait pas une carrière assez fiable sur laquelle reposer son avenir.

Parfois, Akim songeait brièvement à prendre Marie Élise à part et lui expliquer tout ce que son frère lui taisait. Cependant, il estimait que ce n'était pas sa place et il respectait le désir qu'avait Gaël de ne pas envenimer davantage sa relation avec leurs parents. Akim souhaitait pourtant ardemment que Gaël se confiât à sa jeune sœur ; ce n'était pas lui rendre service que de la surprotéger.

Cela, Akim n'aurait aucun scrupule à en faire part à Gaël plus tard, dans l'intimité de leur chambre.

Un bruit de frottement l'avertit d'une attaque imminente mais il ne réagit pas assez vite pour esquiver les griffes que Mika, dressé de tout son long sur ses pattes arrière, lui planta dans la cuisse. Le jeune homme siffla de douleur et, après avoir décroché le félin agrippé à sa jambe, il lui versa sa ration de croquettes. C'était l'heure, après tout.

L'animal avait dû précéder de peu les frère et sœur car Marie Élise, à présent à l'aise dans leur intérieur, prit naturellement de quoi dresser la table tandis que Gaël jetait un œil à la cuisson des pâtes. Les deux fiancés communiquèrent silencieusement par le regard puis, après un sourire, Gaël l'embrassa sur les lèvres. Akim secoua la tête et s'occupa de la salade. Rien ne pressait. Tant que Gaël allait bien, c'était tout ce qui comptait à ses yeux.