Le nez dans le ruisseau
Scribouilleuse : Shakes Kinder Pinguy
Genre : Attention à la marche.
Claimer : à mwa, et un peu à meanne77 aussi, mais c'est presque pareil, de nos jours XD
Ecrit fin 2005
Néologisme
Le professeur André Merthaux était un vieux de la vieille, comme on dit. Il avait enseigné pendant la majorité de sa vie, maintenant, et cela se voyait. Il était… non, peut-être pas blasé, mais disons que peu de choses pouvaient encore le surprendre vraiment. Il en avait vu passer, des élèves, de toutes les sortes, et auxquels il avait tenté avec plus ou moins de succès d'inculquer l'art de la dissertation littéraire, du commentaire composé et de l'écriture d'imagination, et accessoirement à aimer les auteurs dits « classiques » s'il fallait généraliser, (quoique entendre Zola ou Maupassant être définis comme classiques lui donnait encore envie de leur enfoncer un bon vieux Le Horla dans le crâne à coups de maillets).
Oui, il en avait vu passer des élèves, des pires comme des meilleurs, parfois les deux. Il avait eu un mannequin une fois, ce qui rendait les cours impossible à cause de la distraction qu'il causait chez les filles ; il avait enseigné aux trois générations des frères Langaret, rageait encore de n'en avoir obtenu qu'un en section littérature (deux s'étaient égarés en scientifique, un en économie) et, pendant les trois années du lycée, il avait réussi à garder plus ou moins en vie l'élève le plus maladroit que la Terre ait jamais porté. Il avait été professeur principal de nombreuses classes de voileux, aussi. Ah, les voileux ! Tout un casse-tête. « Mais m'sieur, on a une régate ce week-end, mais m'sieur, on a voile c't aprèm'… »
Il y avait des cas, parmi eux… Il se souvenait de ce gosse, le petit… Le Goff, c'était ça, qui se baignait toute l'année entre midi et deux qu'il vente, pleuve ou neige.
Avec les élèves, il avait aussi vu passer les modes, et plus encore les modes « d'expressions », l'évolution du langage, des mots qui disparaissaient et revenaient, il s'était émerveillé de la créativité que cela pouvait provoquer. Il possédait un carnet dans lequel il rangeait ces expressions, sa petite collection personnelle.
C'est pourquoi, dans le brouhaha de la pause de dix heures, alors qu'il se battait pour se rendre à sa salle de classe, une phrase anonyme l'interpella :
« Brice s'est kãtine hier, t'aurais vu ! »
Il retint ce nouveau verbe, kãtine, se promit de le noter et de chercher ce que cela pouvait signifier. L'étymologie était importante, un rapport avec la cantine, peut-être, un synonyme de « bouffer » alors ? Brice se serait empiffré ?
Il se mit à l'affût des conversations, entendit un kãtinad dans un contexte qui lui échappait. Donc, kãtine verbe du premier groupe, nominalisation en kãtinad, genre féminin, et non pas le kãtinœri qu'il avait supposé. Maintenant, la question était de savoir si le verbe ou le nom avait été créé le premier et d'où il provenait…
À sa grande frustration, Merthaux fut incapable malgré ses efforts de découvrir le sens de cette nouvelle expression.
Un mois avait passé depuis la première fois qu'il l'avait entendue, et ce furent finalement ses élèves qui lui donnèrent la clef du mystère. Il était en cours avec les Seconde 8, des voileux, encore, la Seconde 8 était toujours une voileuse par tradition, lorsque Jérôme Lanvin lança un mot à Thierry Grouvier, oubliant que tout bon professeur avec plus de quelques années d'expérience développe un troisième œil.
« Thierry, soyez gentil de m'apporter ce morceau de littérature.
– Je vois pas d'quoi vous parlez, m'sieur ! » protesta Grouvier en ignorant ostensiblement le bout de papier qui avait atterri au pied de sa table.
Merthaux le regarda sans se répéter et l'élève finit par attraper son courrier volant, foudroya son ami du regard et déposa le mot dans la paume tendue de son professeur. Lanvin haussa les épaules, il ne devait pas s'agir d'un grand secret.
Au moment où son regard se posa sur les quelques mots, Merthaux se sentit tel Champollion devant la pierre de Rosette.
« JP m'a dit pour hier ! T'es vraiment un kantin ! »
Kantin. Probablement l'étymologie d'origine.
« Intéressant, commenta-t-il. Quelqu'un pourrait-il m'éclairer sur la signification du terme « kantin » ? »
Tous les élèves, même la petite Soufier, le regardèrent comme s'il descendait de la lune.
« Bah… un mec qui tient pas sur ses pieds, quoi », définit Lanvin.
Merthaux eut un instant de vide, il senait que la réponse se trouvait là, tout près… Kantin… Quelqu'un qui ne tenait pas sur ses pieds… Qui tombait tout le temps… Maladroit.
Merthaux sentit l'incrédulité l'envahir, une surprise qu'il n'avait pas connue depuis longtemps, une sorte de délice, même, à cette sensation de nouveauté, de capacité à pouvoir encore s'émerveiller. Il sourit, se découvrit amusé, très amusé. Très, très, très amusé.
Ç'aurait dû être évident, vraiment.
« Quentin, quentiner, quentinade, écrivit-il au tableau sous le regard stupéfait de la Seconde 8. Faites-moi au moins le plaisir de l'écrire de façon exacte ! Quelqu'un sait-il d'où provient ce terme ? Non ? Bien, nous allons nous prendre cette dernière demi-heure pour parler étymologie. »
Le grognement général fut incertain, ce n'était pas non plus tous les jours que l'on faisait de l'étymologie argotique. Ou de l'argot étymologique.
« Laissez-moi vous parler d'un de mes anciens élèves, l'un des meilleurs, mais qui était doté d'une capacité de distraction qui n'avait d'égale que sa légendaire maladresse… »
Merthaux raconta, à l'amusement et l'incrédulité de ces élèves ("Nan, vous charriez, là !").
Il faudrait qu'il demande à Madame Langaret les coordonnées du petit Kerec. Il était certain que Quentin serait stupéfait d'apprendre qu'il était entré la Légende.
Fin.
Notes pratiques : kãtine est l'écriture phonétique de "Quentiner", kãtinad de "Quentinade", etc. n'autorise pas à laisser les crochets dont on entoure l'écriture phonétique, don cj'ai opté pour l'italique...
Notes de fin : L'aventure de Quentin sur s'arrête ici. Comme je le disais au début, cette histoire a été créée dans le but de fangirliser et de faire plaisir à des gens que j'aime. Avec ce one-shot, tout ce que j'ai d'écrit dans cet univers est en ligne. Il est possible que j'écrive encore dessus, des drabbles ou des flashfics comme dans les chapitres "La vie continue", certaines personnes qui se reconnaîtront m'en demandent parfois, et l'univers est loin d'être épuisé, mais je ne pense pas que je viendrais les mettre sur si c'est le cas, elles seront probablement uniquement postées sur mon archive (cf. profil pour l'adresse).
Merci à tous ceux qui ont suivi Quentin et encouragé Jean-Baptiste, ça me fait profondément plaisir qu'ils aient trouvé des appréciateurs en dehors de leur public habituel !