Finding Nemo
Ou les joies de la collocation et comment survivre en présence d'un Emo.
- Mais maman ! J'ai plus 10 ans ! J'hurle au téléphone, me rasseyant proprement sur mon canapé.
J'ai en réalité 20 ans, et j'ai quitté il y a quelques mois le cocon familial pour m'installer dans un appartement rue du Trésor, dans le Marais. Sympathique, je sais. On remercie les parents qui banquent, parce qu'il me serait tout simplement impossible de payer le loyer d'un truc pareil. Mais que voulez-vous, quand sa fille vous rend fière dans ses études de médecine – majore les concours en fin de première année et première de sa promo en deuxième – on l'encourage.
Me voici donc, Jade Miller, 20 ans, franco-américaine de mode de vie, américano-américaine de naissance, qui se fait encore disputer – ou plutôt emmerder – par sa mère. Petite vie plutôt nomale, en somme.
- Ma chérie, je dis ça pour ton bien, tente de m'amadouer ma mère.
- Maman, je proteste dans un soupir, de plus en plus agacée. Je vais pas t'écouter et te laisser diriger ma vie alors que t'es de l'autre côté de l'Atlantique.
Si j'ai quitté le cocon familial…c'est parce qu'il m'a déserté. Mes chers parents sont retournés à New York, et par la même occasion rejoindre Dorian, leur fils chéri – et mon grand frère adoré –, qui les avait précédés de trois ans. Inutile de préciser que Dorian est plus que ravi d'avoir ses parents à moins de dix minutes de chez lui. Chacun son tour, merde.
Ma mère soupire de manière exagérée pour me faire comprendre sa désapprobation. Qu'elle désapprouve tant qu'elle veut, elle ne peut pas m'atteindre à des milliers de bornes de Paris.
- Mommy, je lui dis d'une voix de gamine, repliant mes jambes devant moi. I love you, ok ? Please don't be a pain ! I can live by myself !
Ok, je sais, on ne parle pas comme ça à sa mère quand on est une fille bien élevée. Ou en tout cas, on ne parle pas comme ça à ma mère. Mais bon, à situations désespérées, mesures désespérées. Et je suppose qu'avec le temps – ce temps étant mon arrivée à Paris, à 15ans – elle s'est habituée à mon attitude un peu…pourrie gâtée ?
Je l'avoue sans mal, je le suis sûrement. Mais qu'avec mes parents. Et aussi avec mes amis très proches. Bon…et peut-être aussi avec mes simples connaissances. Mais il paraît que c'est mignon, en général. Je ne sais pas si je trouverais ça mignon si ce n'était pas moi, mais je ne vais pas contredire les naïfs. De toutes les façons, c'est pas comme s'il ne m'arrivait jamais de m'en prendre plein la gueule. Dorian me dit que c'est parce que je suis américaine, riche, gâtée, cultivée et pire – parisienne. Pourtant, moi je trouve ça pas mal.
Mais comme quoi, la frontière entre mignon et insupportable est plus fine que l'on peut croire. Comme mon bébé chat d'amour qui fait ses griffes contre la brique de lait en carton qui traîne sur la paillasse, et inonde la cuisine. Et le lait, ça pue très vite. Mais je m'égare.
- Ma fille, pense à ce que je t'ai dit. Un colocataire t'aiderait à apprendre la vie en communauté et a être responsable.
- Mais –
- Pas de « mais » avec sa mère. Si ça continue, ton père et moi ne payons plus que la moitié du loyer.
- C'est un ultimatum ! Je crie, outrée, me levant de frustration, pour tourner en rond dans mon salon.
- Blackmail, ça fait moins guerre mondiale, rectifie ma mère.
Ma mère est sournoise. Elle est géniale.
- Et comment je fais pour le loyer, moi ? J'hurle, histoire de dramatiser la situation pour la convaincre qu'elle a tort.
- Tu peux te prendre un petit boulot, dit-elle sérieusement.
Horreur !
- Mais je fais des études, je geins. Tu veux vraiment que ta fille rate ses études pour des raisons pécuniaires ?
Je tais un « matérialiste ! » indigné qui pourrait légèrement agacer ma mère et déclencher une troisième guerre mondiale (c'est-à-dire me déshériter et arrêter de m'envoyer de l'argent). Surtout que je ne suis pas exactement l'artiste bobo qui vit d'amour, de peinture et d'eau fraîche. Donc côté matérialisme, je l'écrase.
- Alors prends-toi un colocataire, conclut ma mère, satisfaite de m'amener exactement là où elle voulait en venir.
Mais elle veut que je perde tous mes amis ou quoi ? Je suis invivable en espace restreint 24/7. C'est pas ma faute, sérieusement. J'ai vraiment besoin qu'on reste en dehors de mon espace personnel. Et ledit espace personnel recouvre une surface de plus ou moins 80 mètres carrés. Ce qui tombe bien, vu que c'est la taille de mon appartement. Inutile de préciser qu'il est hors de question de transformer mon bureau en une chambre pour un colocataire.
- Maman, tu veux que mes amis me détestent !? Je lui demande, atterrée.
- Justement, peut-être qu'alors, tu feras un effort. Ou au contraire, demande à un inconnu. C'est rigolo.
Rigolo ?
Rigolo !?
(Je tiens à préciser en ce moment plus qu'opportun que ce n'est pas moi qui est appris ce vocabulaire à ma mère.)
- On n'a pas le même dictionnaire, je dis froidement, regrettant qu'elle ne puisse voir mon air hautement sarcastique.
- Très drôle, dit-elle dans un soupir. Ma chérie, tu as un mois pour te trouver un colocataire. Je t'embrasse !
Vite, un argument de poids, n'importe quoi ! Je m'apprête à lui sortir que c'est vrai que j'ai en ma connaissance un nymphomane de trente-cinq ans accro à l'héro qui pourrait être intéressé, mais le bruit fatidique du téléphone qui a raccroché me coupe dans mon élan.
Je me suis faite avoir comme une bleue. Je peux jurer qu'au début de cette conversation, l'idée d'un colocataire n'était qu'une supposition, une parole en l'air. Pas une obligation. Je me demande à quel moment j'ai merdé.
Putain.
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xxxxx
- Dorian, dis-moi franchement…est-ce que t'es riche ? Je demande à mon frère le lendemain par téléphone.
- Oui pourquoi ? Me répond-il avec on ne peut plus de nonchalance.
- Immensément riche ?
- Ca en est presque malsain.
Vous entendez le bruit du jackpot ?
- Tu veux pas alors payer la moitié de mon loyer ?
Il rit.
Il a l'air de bien le prendre.
- Si j'avais pas eu les parents pour dîner hier soir, j'aurais dit oui. Mais…je trouve cette idée de coloc amusante.
- Mais qu'est-ce que vous avez tous !?
- J'ai eu un coloc, c'était cool.
- Ca compte pas, c'était sur un campus, à l'université.
- T'aurais dû faire des études aux US.
- Eww. Et vivre sur un campus, en partageant vingt mètres carrés avec une conne… ? Thanks, but no thanks.
Dorian rit.
Je décide de ne pas souligner le fait que s'il a autant aimé ses années campus c'est grâce à son coloc je-suis-canon-et-trop-bon-coup-et-juste-à-portée-de-main.
- Ca confirme ce que je pensais : t'as besoin d'un coloc. Demande à Mackenzie !
- T'es fou ? Je dis, avalant de travers. J'adore Mack !
Mackenzie Carter est ma meilleure amie. Petite brune aux grands yeux verts, poids plume avec un grand cerveau. De parents américains comme moi, je l'ai connue à New York quand on avait dix ans grâce à notre école. Et par miracle, ses parents sont venus s'installer à Paris deux ans après nous, ce qu'il fait que je passe mon temps avec elle. Mais pas mon temps comme dans « 24h sur 24 parce qu'on est coloc ». C'est plutôt « 20h sur 24 parce qu'on est les meilleures copines et que c'est par choix et non par obligation géographique ».
- Je comprends pas.
- Si on vit ensemble, il va y avoir des morts. En plus, tu connais son caractère…elle est pareille que moi !
Dorian rit à nouveau.
Mackenzie parle énormément, de manière plutôt bruyante, s'excite pour un rien, et dramatise comme personne. Un peu comme moi apparemment, et c'est très bien tant qu'on ne vit pas ensemble. Parce que même si un miracle a fait que les maths, la chimie, la bio moléculaire et tout le tralala soient étrangement faciles pour moi, j'ai besoin de bosser. Avec Mackenzie, c'est pas possible.
- Si je te trouve quelqu'un dans mes contacts français, je t'appelle, ok ?
- Ouais, je dis à contrecoeur. Une fille moche de préférence. Ou un mec super canon.
- Je vois ce que je peux faire. Mais c'est pas une raison pour glander de ton côté. Mets une annonce.
- Merci frérot.
- De rien. A bientôt princesse.
- Ouais, je dis sans réelle motivation.
Il raccroche.
Une annonce ? Genre scotché sur un lampadaire dans la rue !?
Je passe mon après-midi à appeler tous mes amis pour savoir s'ils connaissent un SDF canon et richissime ou une SDF super moche. Le lendemain, j'ai déjà le choix entre huit personnes. Tout ce charmant petit monde débarque chez moi la semaine prochaine pour que j'en choisisse un.
Ca promet.
J'ai fait promettre à Mack et Basil – deuxième meilleur ami actuel – d'être là pour les interviews. Peut-être que ça sera aussi « rigolo » que dans l'Auberge Espagnole.
Comment ça, vous sentez mon scepticisme ?
To be continued ?
La prochaine fois, vous rencontrez le colocataire de la mort qui tue.
Enfin…si vous le voulez ?
Jade (pitié, prononcez-le en Anglais, façon Jade Jagger) peut paraître super creuse pour le moment, mais ce n'est que temporaire.
Dites-moi ce que vous pensez, et je vous aimerai !