Suite et fin de l'histoire. :p


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Ironiquement, ce fut le lendemain même de leur conversation atypique que Sumi subit la dernière attaque de sa maladie.

La matinée était déjà bien avancée, semblable à tous les autres jours, la légère crise de la veille balayée par la nuit passée. Le jeune peintre était penché sur ses travaux, occupé à rédiger une lettre pour un administrateur de la capitale de la province. Terence était assis tout près des shoji, en pleine lumière, terminant le rouleau qu'il n'avait pas fini la veille. Ils n'attendaient ce jour là aucun visiteur, et les villageois ne semblaient pas non plus avoir besoin d'une aide quelconque. Bien que Sumi soit en quelque sorte le chef du village, et ce en dépit de son jeune âge, il était rare que l'on ait vraiment besoin de faire appel à lui. De même, si sa manipulation des lettres et des arts faisait de lui le lien vivant entre les esprits et les êtres vivants aux yeux des villageois, ces derniers ne le dérangeaient pour des raisons religieuses qu'en cas d'extrême urgence, ce qui était somme toute assez rare.

Oui, cette journée aurait pu être calme et sereine, comme toutes les autres, si Sumi n'avait pas soudain été pris d'une foudroyante quinte de toux. Terence bondit aussitôt aux côtés de son amant, posant une main inquiète sur l'épaule courbée du jeune homme. Celui-ci était plié en deux par la douleur, appuyant fortement sur son abdomen, comme si cela pouvait apaiser le mal qui le consumait.

Il arrivait souvent que Sumi soit pris de crises de ce genre, pendant plusieurs minutes, qui mêlaient la toux à une brûlure intense dans ses poumons. Elles le laissaient toujours complètement vidé, étaient chaque fois un peu plus longues et plus violentes, comme une araignée qui tisserait lentement sa toile dans le corps du jeune peintre. Terence croyait constamment qu'il s'y était habitué, jusqu'à la crise suivante qui lui montrait qu'il n'en était rien et que ces pics de maladie étaient toujours aussi impressionnants.

- Attend moi, je vais chercher du sirop, lança précipitamment le chirurgien avant de courir jusqu'à la chambre à coucher.

Du coin de l'œil, il vit Sumi qui tentait d'hocher la tête, le poing plaqué contre sa bouche pour tenter d'apaiser sa toux. Pour la première fois depuis qu'il se savait atteint de cette maladie, il se mit à cracher du sang.

Terence entra comme un ouragan dans la chambre qu'ils partageaient, renversant les futons encore dépliés, mettant un désordre innommable dans ses quelques possessions. Au fond d'une mallette de cuir qui contenait plusieurs fioles et médicaments, il sortit victorieusement le sirop qu'il réservait à ce genre de circonstances.

Mais lorsqu'il revint dans l'étude, une poignée de minute après l'avoir quittée, Sumi gisait au sol, inconscient.

Le cœur de Terence manqua un battement. Pourtant, lorsqu'il s'approcha de lui, il n'eut même pas besoin de prendre son pouls pour vérifier qu'il était bel et bien vivant. Le souffle de Sumi était si bruyant et erratique qu'il parlait à la place de ses veines.

L'occidental comprit que s'il ne faisait rien maintenant, il le perdrait dans peu de temps. Il ne sut jamais si c'était cette perspective, ou bien la conversation de la veille qui le poussa à prendre sa décision. Les deux, sans doute. Après tout, si la chirurgie était comme la peinture, pourquoi Sumi devait-il la redouter ? Certes, l'opération n'était pas sans risque, mais le jeune homme mourrait de toute façon, si personne ne faisait rien.

Avec la main précise et ferme d'un calligraphe, la volonté de sauver sa vie autant que son âme, d'empêcher son sang de s'écouler comme on empêcherait l'encre de baver sur le papier, il allait retirer cette chose qui occultait ses poumons, au fond du corps de Sumi. Retirer ce qu'il y avait au plus profond de lui-même, comme un peintre portraitiste saisissait l'essence même d'un être du bout de son pinceau. Sumi ne pourrait rien dire, s'il lui expliquait les choses en ce sens.

Et au diable les esprits, Terence n'y avait jamais cru, et y croyait encore moins à présent qu'il voyait le jeune scribe souffrir devant ses yeux.

Il courut dans la maison voisine, chercher de l'aide pour son intervention.

Himiko jouait avec son chien au cœur du village, près d'un petit bosquet d'arbre fleuri qui en marquait le centre, lorsqu'elle vit Terence sortir vivement de la grande maison du scribe. Celle-ci était entièrement faite de bois précieux et de tuiles brillantes. C'était sans aucun doute la plus belle, mais aussi la plus ancienne maison du village. A côté, les autres habitations étaient plus petites, et construites dans des matériaux bien moins recherchés…

Himiko aperçut Terence pénétrer dans la maison de mamie Shizuka et sa famille, leurs plus proches voisins. Quelques secondes plus tard, Shizuka en personne et son fils ainé jaillissaient de la maison en compagnie du chirurgien, tandis que la fille la plus jeune courrait à l'opposé, en direction de la forêt, sans doute vers la hutte du guérisseur.

Himiko s'accrocha au cou de son chien, s'asseyant dans l'herbe verte au pied d'un cerisier. Elle avait l'habitude de venir jouer ici, quand les travaux des champs étaient terminés, pour que ses amis du village puissent la rejoindre plus facilement ; ses parents vivaient bien plus loin que les autres habitants, au beau milieu des champs. Le temps que ses camarades arrivent, elle aimait beaucoup observer du coin de l'œil la maison du scribe, en espérant l'apercevoir lui, ou même son si gentil hôte étranger. Pourtant, voir le docteur Terence aussi pressé et la famille de mamie Shizuka s'agiter ainsi, lui fit comprendre qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Elle fut d'autant plus inquiète lorsqu'elle vit le guérisseur arriver à toute jambe, manquant de s'empêtrer à chaque pas dans ses vieux vêtements trop larges.

A la recherche d'un réconfort, la fillette passa ses doigts dans la fourrure douce de son chien, qui jappa faiblement en sentant sa maitresse aussi anxieuse. Himiko aurait aimé pouvoir s'approcher, demander aux quelques villageois qui s'approchaient déjà de la maison ce qui était en train de se passer.

Pourquoi le docteur Terence, d'ordinaire si doux et calme, avait l'air si sérieux et pressé ? A quoi servaient toute l'eau chaude et les chandelles qu'on était en train d'apporter ? La petite fille vit même passer devant ses yeux la femme de l'aubergiste, tenant dans ses bras un énorme seau d'alcool de riz.

Etait-il arrivé quelque chose à maitre Sumi ? Personne n'ignorait qu'il était malade, et tous faisaient régulièrement des offrandes aux esprits, pour qu'ils épargnent la vie de leur scribe. Il était leur chef administratif et spirituel, celui qui interprétait la parole des bons esprits, chassait les mauvais, tranchait le plus équitablement possible quand il y avait des litiges entre deux villageois. Et surtout, il était bon, gentil et serviable, des qualités qui faisaient qu'il avait toujours été apprécié de tout le monde.

Observant l'attroupement devant la maison du scribe, Himiko se mit à espérer qu'il ne se passait rien de grave. Mais bientôt, mamie Shizuka, son fils et les quelques autres qui étaient entrés dans la maison en ressortirent, la mine sombre, et la petite foule se dispersa un peu. Seuls restèrent les plus vieux, ceux qu'aucun travaux ne retenaient ailleurs.

Lorsque que deux jeunes hommes passèrent devant la fillette pour prendre la direction des champs, elle happa quelques bribes de leur conversation au vol :

- … En train d'opérer. Nous ne pouvons qu'attendre qu'il ait terminé.

Le chien d'Himiko lui lécha la main, alors qu'elle enfouissait sa joue dans la fourrure de l'animal. Le mot « opération » évoquait en elle des souvenirs flous. La sienne remontait à une dizaine de jours, et avait mis fin à plusieurs heures de douleurs atroces dans son ventre. Elle se souvenait qu'elle était étendue sur un futon, dans la maison de ses parents, lorsque le guérisseur était venu et lui avait fait boire une boisson amère. Sa vue était devenue de plus en plus trouble, si bien que la dernière image qu'elle avait eu, était celle de la peau blanche et des cheveux blonds du docteur étranger, qui venait de se pencher au dessus d'elle. Lorsqu'elle s'était réveillée, la nuit était tombée, elle avait un bandage autour du ventre et le docteur Terence se tenait à ses côtés, souriant doucement.

Si le docteur était bien en train d'opérer Sumi, ainsi que tous les signes tendaient à le faire croire, alors peut-être qu'elle n'avait pas à s'en faire pour lui ? Elle tenta de répéter plusieurs fois ces paroles pour s'en convaincre, mais ne parvint pas à se rassurer. Elle avait toujours beaucoup aimé le maitre scribe, beaucoup plus que tous les autres enfants du village.

Elle ne sut jamais combien de temps elle resta assise dans l'herbe à attendre, scrutant de loin la maison du peintre. Certainement moins de temps que ce qu'il lui semblait, car aucun de ses amis n'arriva durant ce laps de temps. A moins que leurs parents, apprenant la nouvelle, les aient défendus d'approcher du centre du village ?

La petite fille resta là, le cœur battant, guettant le moindre mouvement autour de la bâtisse.

Tellement concentrée que, lorsque la porte s'ouvrit enfin, elle sursauta violemment. Le guérisseur en sortit le premier, faisant un signe de tête aux anciens du village qui attendaient toujours devant la porte. Il y eut quelques rumeurs, qui parvinrent étouffées jusqu'à Himiko, puis la petite troupe se dispersa. Mamie Shizuka, toujours présente, raccompagna le guérisseur jusqu'à sa hutte.

Aussitôt, la fillette lâcha son chien et courut jusqu'à la maison, inquiète de savoir ce qu'il s'était passé. Que signifiait ce signe de tête ? Est-ce que l'opération s'était mal déroulée ? Comment allait le maitre Sumi ? Son animal se mit à poursuivre sa maitresse en aboyant joyeusement, croyant à un nouveau jeu. Mais ils se figèrent tous les deux au même instant lorsque Terence sortit à son tour, pour aller s'asseoir lourdement sur le perron.

Le visage du chirurgien était sombre et ses traits étaient tirés, comme s'il venait de passer un moment particulièrement éprouvant. Il se massait lentement les tempes, à la manière d'une personne épuisée, qui tentait de remettre de l'ordre dans sa tête.

-Docteur Terence ? Osa timidement la petite fille.

L'occidental sursauta et s'aperçut enfin de la présence de la fillette, à quelque pas de lui. Aussitôt, il lui sourit, mais ce sourire ne parvint pas à ramener la lumière sur son faciès démoralisé.

- Oh, bonjours Himiko… répondit-il il simplement, d'un ton peu convaincant.

La petite fille comprit qu'il avait besoin de rester seul, sans même qu'il ait besoin de le lui dire. Enfant unique, elle avait l'habitude d'observer les adultes, et savait déchiffrer les signes sur leurs visages. Même si elle brûlait d'envie de demander des nouvelles du scribe…

- Je… Je voulais juste vous souhaiter une bonne journée… bredouilla-t-elle en s'inclinant.

Terence se mit à rire, de manière légère. Ses yeux paraissaient tous petits, au milieu de son visage à la mine accablée.

- Merci, Himiko. Je te souhaite une bonne journée à toi aussi.

Elle sourit, rassurée de voir que le docteur était encore capable d'éprouver un peu de joie, et déguerpit aussitôt après, son chien sur les talons.

Laissant Terence seul avec ses tristes pensées.

Mamie Shizuka poussa doucement la porte coulissante qui menait à la terrasse, un plateau de thé dans les mains. Elle était un peu la doyenne du village, la protectrice attitrée du scribe et de son hôte. C'était elle qui veillait à ce que les tâches ménagères soient effectuées dans la grande maison, qui leur portait souvent leurs repas quotidiens, et qui se chargeait aussi de leur tirer les oreilles, lorsqu'il le fallait.

C'était d'ailleurs cette dernière tâche qu'elle s'était préparée à faire, en pénétrant dans la luxueuse bâtisse. Pourtant, lorsqu'elle remarqua la silhouette courbée du médecin, assis sur la terrasse, elle préféra changer de plan.

- Vous avez fait le bon choix, vous savez. Sumi n'a pas encore formé d'apprenti. Sans lui, notre village était perdu.

L'opération avait parfaitement réussi, grâce aux efforts conjugués du chirurgien et du guérisseur. Pourtant, l'occidental ne parvenait pas à se réjouir. Peut-être parce qu'il était persuadé qu'à présent qu'il l'avait opéré sans son accord, jamais sa relation avec Sumi ne retrouverait leur complicité d'autrefois.

Mamie Shizuka tendit une tasse de thé au docteur, que ce dernier accepta en murmurant un maigre remerciement. La boisson était différente que celle que lui préparait le scribe, plus amère, moins savoureuse. Ou bien, était-ce sa gorge nouée qui l'empêchait de bien percevoir le goût ?

- De toute façon, ajouta la vieille dame en secouant la tête, il ne pourra rien vous dire. Si les esprits avaient vraiment voulu sa mort, ils n'auraient pas fait en sorte que votre route croise notre village.

Terence acquiesça doucement, à demi convaincu. C'était exactement ce que Sumi avait dit, lorsqu'il avait opéré la petite Himiko. Pourtant, tant qu'il n'entendrait pas son amant le lui dire en face, il ne pourrait pas trouver le repos.

La nuit commençait à peine à tomber, lorsque les paupières de Sumi papillonnèrent. Ses yeux ne s'ouvrirent pas tout de suite, appesantis par la mixture anesthésiante que le guérisseur lui avait fait boire. Mais lorsqu'il parvint enfin à se réveiller complètement, et que ses deux prunelles noires apparurent, Terence était là.

Ce dernier posa doucement une main sur l'épaule de son amant, pour l'inciter à rester couché, même si le jeune homme était de toute manière beaucoup trop fatigué pour le faire.

- Terence… ? Appela-t-il d'une voix éraillée, une lumière d'incompréhension au fond de son regard.

L'interpellé baissa la tête, n'osant soutenir l'expression de son hôte. Il était agenouillé près du futon du jeune homme, une place qu'il n'avait quitté qu'à peine quelques minutes, pour aller prendre l'air sur la terrasse et boire un thé avec mamie Shizuka. Il voulait être là, lorsque Sumi se réveillerait, quitte à ce que cela soit le dernier moment qu'il partagerait avec lui.

- J'ai l'impression qu'on a enlevé une pierre, dans mes poumons… murmura-t-il d'une voix faible. Tu l'as faite, c'est ça… ? Ton « opération »…

¨Pour la toute première fois, il n'avait pas écorché la prononciation de l'expression, pour la tourner au ridicule. En d'autres circonstances, cette grande première aurait fait sourire le docteur. Mais pour l'heure, elle ne fit que l'accabler un peu plus.

Il hocha la tête, fixant toujours ses genoux pour fuir le regard de son amant. Pourtant, il n'y avait pas de reproche, dans le ton du scribe. Juste une profonde fatigue, ce qui se comprenait aisément. Terence sentit son cœur se serrer, face à cette explicite absence de réaction. Incapable de supporter le silence équivoque qui avait suivi le constat de Sumi, il se prépara à partir, laissant le scribe se reposer.

Mais alors qu'il allait se redresser, la voix de son hôte retentit de nouveau.

- Tu vois ? Je te l'avais dit que je n'avais rien à faire, contre cette maladie…

Le chirurgien se tourna vivement vers le peintre, abasourdi. Sumi le regardait en souriant, son éternel air malicieux rivé sur le visage, quoique légèrement voilé par son épuisement.

- Tu…Tu savais que je t'opérerais quand même ? Hoqueta Terence en écarquillant les yeux, éberlué.

Le scribe secoua négativement la tête, tout doucement. Il extirpa en grimaçant une main de sous la couverture et la tendit sur le plancher, cherchant à attraper celle de son amant. Ce dernier s'empressa d'accéder à la requête muette.

- Non… murmura Sumi en se saisissant de ses doigts. Je ne savais pas si tu oserais faire ça ou pas. Mais j'étais certain que les esprits veilleraient sur moi. Sinon, je ne t'aurais jamais rencontré…

Exactement comme l'avait dit mamie Shizuka, songea Terence avec une pointe d'amusement. Un immense soulagement s'empara alors de lui, comme si un sac de sable venait de tomber de son estomac. Il réalisa enfin à quel point il avait eu la gorge et l'estomac noués, ces dernières heures.

- Tu es vraiment incorrigible… soupira-t-il en se pinçant l'arrête du nez, de sa main libre.

Pour toute réponse, Sumi serra un peu plus fort ses doigts dans les siens, sans arrêter de sourire. Leurs deux mains dissemblables, qui tenaient des outils si différents, pratiquaient des activités si contradictoires… Et qui se ressemblaient pourtant étrangement.

Le peintre était guéri, définitivement hors de danger, et ne lui en voulait pas. Terence avait envie de sauter, courir, hurler sa joie à travers tout le village. Il l'aurait probablement fait, si le sourire de son amant ne l'avait pas si violemment empêché de s'écarter de lui, comme le plus puissant des aimants.

- Au fait… Chuchota Sumi, en fermant à demi les yeux. Ton dernier argument ne tient pas la route…

Terence haussa les sourcils, perplexe.

- Lequel ?

Le jeune scribe se mit à rire, un son que l'occidental avait craint de ne plus jamais pouvoir entendre. Il retentit à ses oreilles comme la plus douce des musiques, le transportant dans un autre monde.

- Tu disais que je n'avais pas besoin d'autorisation, pour peindre… Mais finalement, toi non plus, tu n'en as pas eu besoin pour opérer…

Terence leva les yeux au ciel, ne sachant s'il devait se sentir heureux, agacé ou désolé par une telle remarque. Alors, il y répondit de la manière la plus efficace et juste qui soit : il se pencha sur son amant et l'embrassa tendrement.

Terence appuya son front contre le bord de l'étagère, pour pousser un profond soupir.

Sumi lui avait menti.

Il lui en voulait. Il lui en voulait de l'avoir opéré contre son grès, profitant de son inconscience. Et dès que sa santé s'était améliorée, il s'était vengé de la manière la plus fourbe qui soit : il l'avait emprisonné dans le futon et forcé à lui faire l'amour encore et encore, jusqu'à ce qu'ils s'écroulent tout les deux de sommeil en plein milieu de l'acte.

Le rouge aux joues, Terence se demandait souvent d'où est-ce que son espiègle amant tenait toute son audace et son expérience amoureuse. Sumi avait toujours un air si prude et si serein devant les autres, affichant une mesure exemplaire et invoquant la sagesse des esprits chaque fois que la situation s'envenimait…Il était vraiment impossible de deviner le visage de fauve insatiable qui se cachait sous son masque de scribe.

Et dire qu'à son arrivée à Odori, le chirurgien trouvait que ses mœurs occidentales étaient beaucoup trop délurées par rapport à la solennité grave des gens de l'est. Ce n'était finalement qu'une autre de ces innombrables idées reçues que Sumi avait contredit.

Pour l'heure, le tigre domestique était profondément endormi, au milieu de l'amas chaotique de leurs vêtements éparpillés et du linge de lit défait. L'opération l'avait laissé plus affaibli qu'il ne voulait bien le dire, et ses efforts nocturnes l'avaient épuisé. Le jeune peintre en voudrait probablement à son compagnon de ne pas l'avoir réveillé alors que la journée était aussi entamée, mais pour Terence, peu lui importait ; il avait décidé de prescrire une journée de repos à son patient.

Bien qu'éreinté, l'occidental en avait lui-même eu assez de rester allongé –quoique contempler Sumi dormir était une activité extrêmement distrayante. Il avait donc décidé de se lever et de terminer les rouleaux qu'il avait entamés la veille, avide de nouvelles connaissances.

Le front toujours posé contre le bois verni du vaste meuble de la bibliothèque, les yeux fermés sous le poids de la fatigue, sa main tâtonna mollement jusqu'à la niche où il rangeait habituellement les écrits de médecine qu'il avait achevé.

Mais son indolence lui joua un tour, comme en prolongation de la vengeance de son amant. On provoquait toujours des catastrophes, quand on s'évertuait à faire quelque chose alors qu'on n'était pas totalement attentif…

C'est ainsi qu'au lieu de ranger le manuscrit, il fit chuter avec lui toute une pile de rouleaux. Le bruit le ramena brutalement à la réalité, le faisant sursauter. Ses yeux se posèrent alors sur le désordre qu'il avait provoqué, et tout en réprimant un juron coloré dans sa langue maternelle, il s'empressa de s'agenouiller pour tout remettre en place. Mais alors qu'il empilait pêle-mêle les parchemins dans ses bras pour les ranger soigneusement, certains d'entre eux, qu'il n'avait encore jamais remarqués dans cette partie de la bibliothèque, attirèrent inexplicablement son regard.

Peut-être Sumi les rangeait-il tout au fond de l'étagère, bien en dessous des autres ? Ils ne semblaient pas avoir souvent vu la lumière du soleil, ni connu le contact de doigts humains. La curiosité prit le pas sur son bon sens, autant mue par intérêt scientifique que par une pure indiscrétion. Il déroula le premier des manuscrits qui lui tomba sous la main, pour le parcourir rapidement des yeux.

L'instant d'après, il sentit le sang lui monter au visage et piqua furieusement du nez.

Terence devait avouer que s'il maitrisait plus ou moins la langue orale, le langage écrit d'Odori lui posait parfois quelques problèmes de compréhension. Pourtant, les caractères qui s'affichaient sous ses yeux étaient parfaitement compréhensibles, et les premières phrases du texte ne laissaient aucun doute quant au contenu du reste du manuscrit. Extrêmement précis et détaillé, quoique riche en métaphores très explicites.

- Sumi !

Son cri outragé raisonna longtemps dans la maison.

Le visage assoupi du scribe se fendit d'un sourire malicieux, tandis qu'il se retournait tout doucement dans son sommeil.


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Pour ceux qui auraient lu quelques uns de mes autres textes, celui-ci est le dernier pour le concours qui m'a fait écrire mes trois précédents one-shot. :3

Mes sentiments pour ce one-shot là sont mitigés (car oui, c'est un one-shot, mais comme il parait que la longueur de mes textes décourage la plupart des visiteurs, j'ai découpé en deux parties plus ou moins égales pour publier ici–je suis faible, je sais :p). Je crois qu'il est un peu le résultat d'un début d'été entièrement passé à jouer à Okami et regarder Avatar... D'où l'ambiance qui se veut vaguement japonisante, l'univers alternatif et en même temps très semblable au notre, rien que par facilité scénaristique.

Une bonne petite romance clichée comme je les affectionne. :3 Je réalise d'ailleurs qu'elle ressemble beaucoup à mes deux premiers one-shot pour le concours…

Mais trêve de blablas, je me suis quand même bien amusée à l'écrire, et j'espère que vous aurez pris autant de plaisir à la lire. :p

N'hésitez pas à me laisser une review, pour me dire ce que vous avez pensé de ce texte. Je compte beaucoup sur vos avis pour m'améliorer et savoir ce que je dois corriger (et en plus, ça inaugurera le joli bouton vert tout neuf). Je vous répondrai avec plaisir ! :3

Sur ce, merci beaucoup d'avoir lu jusqu'ici, et à très bientôt, j'espère !