Note : Voici une nouvelle. Toujours ce thème récurrent de la beauté que je me plais à explorer encore et encore.
L'amour d'une femme. La femme, elle a de belles formes et le regard doux, des bras tendres et dévoués. Je me dis parfois que je pourrai aimer une femme, quand je croise le regard d'une jolie créature qui semble vouloir tout me donner. Pourtant aujourd'hui je m'amuse à compter les beaux garçons. Les femmes sont des figurantes et n'égalent jamais la perfectible beauté de ces garçons. Aux corps amples et aux lignes pures. Leurs nuques dégagées et leurs jambes effilées ; ils ont l'air d'avoir bonne odeur et j'aimerai fourrer mon nez dans les endroits les plus incongrues de leurs belles personnes. Je dénombre beaucoup de beautés, certains atteignent un tel degré de perfection que je sais que je pourrais les regarder pour l'éternité.
L'amour d'un garçon.
Les mains dans mes poches, le froid cinglant et mes cils que je sens gelés. Tout en moi donne l'image d'un homme respectable et aisé. J'écris pour un journal internet et je donne régulièrement des interviews radio, je rencontre des gens et les gens disent des choses « intelligentes » – tout le temps. Sur les plateaux télé je fais beaucoup rire le public fidèle et complaisant. On salut mon cynisme et ma spontanéité épatante ; et bien sûr, mes critiques mordantes dans un journal parisien et bobo-artistique. J'ai de l'argent plein les fouilles, un appart' design et classieux, des livres à gogo éparpillés un peu partout. Des livres qui racontent de belles histoires, les miennes n'ont pas été écrites faute de références sur lesquelles s'appuyer. Je vis seul et seule l'inspiration éparse comble mes nuits. J'admire toujours la beauté sans la consommer. La contemplation n'engage aucune responsabilité, aucun risque, aucunes déceptions douloureuses.
Je vis comme je regarderai une belle photo.
Je longe les rues, les boutiques hors de prix, les quelques photos en noir et blanc pour une pub de parfum quelconque. Le garçon qui pose est beau, c'est une beauté consensuelle un peu fadasse. Je poursuis mon chemin, je croise des filles avec des collants rayés des grosses chaussures et d'autres accessoires extravagants ; leur fantaisie un peu indigeste, un peu sans goût, je l'aime bien. Puis je passe à côté d'un parc, je jette un coup d'œil. Des enfants jolis et plein d'énergie, je les aime bien aussi, mais seulement dans les parcs. Je m'apprête à continuer, pourtant je tombe sur un garçon, assis sur un des bancs. Je remarque tout de suite son jean grunge qui laisse entrevoir des jambes grêles et pâles, un vieux manteau vert sur un sweet-shirt punk. Il est assis en tailleur en fumant une cigarette, ses mains frêles semblent trembler. Ses cheveux sont en bataille, roux. Je suis hypnotisé par ce môme beau dans son étrange. Je m'approche, comme ça, juste pour mieux le voir. Je me trouve à quelques mètres de lui. Ses yeux sont transparents et son nez est émouvant. Émouvant comme un enfant. Et son corps un peu famélique qui traduit l'adolescent abimé. Sa grâce écorchée. Il a le regard perdu, les cheveux un peu trop long, la peau trop lisse. Je m'assois à côté de lui, en croisant les jambes.
Ce garçon me donne l'eau à la bouche.
Il ne remarque pas ma présence. Il rêve. Je sais qu'il rêve, c'est ce genre de gosses avec des étoiles plein la tête. Je sais, c'est une expression de merde mais qui s'applique avec une telle perfection à ces ados mélancoliques. Mon cœur bat fort, il fait un bond que je ne n'oublierai pas. Je suis ému. Jeune et joli garçon, comme tu es mignon, comme toute sexualité est exclue de ta personne, comme l'enfant crie à l'intérieur de toi, comme je l'entends, comme j'aimerai lui apprendre des vieilles choses comme l'amour et ses emmerdes. Oui, ses doigts tremblent, les discrètes tâches de rousseur sur son nez frémissent. Et l'envie pulse en moi. Son visage de poupée égarée et ses immenses yeux naïfs m'excitent. Au début je prévoyais de m'enivrer de son expression et de sa seule présence, de l'émanation de son parfum. Juste me plonger un peu dans l'univers crée à ses côtés. Mais j'en décide autrement, je vais honorer ici et maintenant la spontanéité qu'on me prête. Le môme n'a toujours pas tourné son regard vers moi. Il ne m'ignore pas, non, c'est encore pire, je n'existe pas. Alors je dis :
– Excuse-moi, tu as une cigarette ?
Il tourne son visage lentement vers moi, son profil était divin, mais maintenant, son visage à quelques centimètres du mien, sa bouche est d'un rose de fleur du matin, un rose de crayon de couleur sur du papier à dessin. Il entrouvre la bouche, un peu désemparé il a l'air. Il farfouille dans ses poches, me tend un paquet et bredouille quelques mots sans aucun sens. Je l'aime déjà, cet ado. Évidemment, je ne fume presque jamais, à part quand l'occasion peut servir ma cause, comme présentement. Un peu méprisant je lui demande un briquet, ses pommettes rougissent, il a l'air d'un dessin trop contrasté. Comme il est attirant. Ses mains tremblent tellement, son briquet est rose et abimé. Je parie qu'il l'a trouvé par terre, quelque part. Nous fumons en silence quelques instants. Il est repartit à l'intérieur de lui, j'aimerai y plonger pour comprendre l'agencement, ses fantaisies et ses tristesses. Je lui demande :
– Excuse-moi, mais quel âge as-tu ?
– J'ai 16ans, me répond-il après un moment de silence trop long pour n'importe qui, mais à moi ça me plait, cette langueur, cette façon de se ficher du rythme à tenir pour quelqu'un de normal, de banal. Il m'ignore cette fois, peut-être par timidité, peut-être par un franc et profond désintérêt. Alors j'en profite pour le regarder, pour posséder son image. Il est habillé avec des fringues amples, je devine ses douces formes. Il est sans aucun doute un peu maigre, un peu trop blanc, comme du linge propre. Comme j'aime les peaux lactescentes. Il ne porte pas d'écharpe, son cou est frêle et d'un blanc parfait, je me surprends à m'imaginer le lécher à cet endroit là, cet endroit le plus érotique d'un corps. Sa gorge offerte et virginale. C'en est trop.
– Excuse moi encore, je suis un emmerdeur, pardonne mon impolitesse, mais que fais tu ici, dans ce parc ?
– Je pense, je suppose.
– Ah oui ? A quel genre de trucs ? (Je suis étonné par l'indiscrétion dont je fais preuve aussi aisément.)
– A l'ennui, j'imagine. Rien qui vous intéresserait, je suppose.
Cette façon qu'il a de ponctuer chacune de ses laconiques phrases par des incertitudes. Sa voix est douce, encore un peu aiguë, mais basse. Il ne fait pas d'effort pour s'exprimer. C'est charmant. Je n'ai jamais baisé de garçons aussi jeunes. J'ai 33ans, et jamais je n'ai enfreint la loi. J'ai toujours tout fait en toute légalité. Mais ce garçon vulnérable, je voudrai faire de la poésie avec nos corps.
– Écoute, je suis écrivain. Je t'invite chez moi. Nous pourrions penser ensemble.
Il me regarde sans comprendre. Ses immenses yeux interrogatifs. Est-ce qu'il est aussi naïf qu'il en a l'air ? Et puis soudain, après quelques secondes – oui, on se demande certainement comment après quelques secondes l'énergie peut-être soudaine. C'est l'élan de sa phrase qui la rend si soudaine et inattendue.
– Mes parents m'ont jeté. Je ne sais pas où aller. J'ai dormi une nuit dehors déjà. J'ai faim. J'ai froid.
Je ne remercierai jamais assez ces parents indignes qui laissent leurs beaux enfants à la merci des plus redoutables. Non, je ne compte pas lui faire du mal. Juste profiter un peu de ses merveilles. Je lui souris avec compréhension, et il me suit chez moi. Dans le métro il se détourne un peu de moi, il baisse la tête, intimidé. Il sait peut-être ce que j'attends de lui. Ça ne lui est peut-être même pas inconnu. Quelle horreur je m'apprête à commettre. Je m'en délecte avant même de penser à m'en repentir.
Debout il n'est pas très grand, bien plus petit que moi. Pourtant ses jambes paraissent longues et fines. Je m'impatiente, je veux les voir parées de nudité. Les femmes sont belles dans du satin et des larmes, mais les hommes, dans leur nudité animale, surpassent les plus belles œuvres d'art.
A suivre...