Blabla préliminaire de l'auteur :

A voir au bas du chapitre. (Je peux juste dire que je suis moins satisfaite de ce chapitre que des autres. Bien que je ne le sois pas pour les autres non plus. Mais celui ci je le trouve vraiment moins dense.)


Ce n'est pas le froid qui me réveille, ce n'est pas le soleil, ce n'est pas un cauchemar. Ses mains sur moi. Sa bouche sur moi. Je ne m'attendais pas à ça de la part de cet amant si jeune, encore naïf. Mais il est désespérément abandonné, c'est vrai. C'est comme tenir un cœur à vif entre mes mains. J'ai l'impression de tenir ton cœur entre mes mains. Je trouve sa remarque mignonne et inattendue. Mais j'ai envie de lui dire : « t'as le même tu sais, à ton âge t'aurai déjà dû essayer, tu sais. » Mais je me tais.

Ses mains me donnent du plaisir ; et j'ai comme l'impression d'avoir fait l'amour à un enfant. Cette sensation me met mal à l'aise et m'émeut à la fois. Je suis troublé et je regarde le plafond, pendant que sa langue rose et subtile m'inonde. Dans ma jouissance c'est la mer que je vois.

Ça a un goût bizarre. Sa tête apparaît de sous la couverture, comme un petit chaton ébouriffé. Je le tire vers moi. Sa peau nue et nouvelle sur mon corps mature. Mais le corps seulement, parce qu'autrement je suis bête sourd aveugle, prétentieux pas hideux ; mais impulsif et impatient. Je pourrai être sage, mais c'est juste pas drôle, d'être sage.

Nous respirons en cœur, c'est un moment de plénitude absolue. Je pense qu'il veut me faire plaisir. Je pense… qu'il attend de moi… quelque chose. Il se prend pour une courtisane. Ma belle geisha sans fard. Tu lèves ta tête, tes joues coquelicot. J'ai jamais eu d'amant comme lui. Son petit air toujours ailleurs, en quête d'attention, son minois d'enfant perdu. Est-ce que j'ai jamais eu ce regard ? Faut dire j'ai toujours fait le fort, j'ai jamais eu peur, j'ai jamais pleuré.

J'étais trop seul pour espérer des caresses.

On se met à parler un peu, et ce qu'il y a de bien quand on parle après l'amour, après toute cette sueur et ce sperme sur ce canapé, c'est que la gêne coule avec nos fluides. Alors on parle mieux, on n'a plus peur. On n'a moins peur. Parce qu'on a toujours un peu peur. On se raconte des choses alors, il me parle de lui. Il dit qu'il aime le soleil, les copains, la nuit. Il hait les psys, la politique l'ennuie. Il aime rire mais la mort l'attire. Ça c'est moi qui le devine. C'est le genre de garçon beau avec du sang sur les poignets. C'est un garçon fragile ; à 16ans on veut faire bonne figure, ou alors on a dépassé ça et on est juste sûr de soi. Mais lui il dit qu'il pleure pour un rien, il me dit ça en riant, comme pour s'excuser. Je sais pas pourquoi il me raconte tout ça. Pourquoi il croit que ça m'intéresse. C'est parce que tu m'as montré tes fesses ? Ses fesses rondes et douces comme un abricot. Elles sont si rondes et si parfaites que je pourrai tenter de percer le secret de leur harmonie toutes mes nuits. Toutes mes nuits je pourrai boire son jus. Et puis je sais plus de quoi on parle, mais il me dit : « Il faut bien mourir quelque part ». Je lui dis que j'ai peur du noir moi, et que par conséquent je n'aimerai pas mourir dans un cinéma.

C'est en songeant à la mort que nous nous endormons.

Quand je me lève à nouveau je pense à mon père. Je ne sais pas pourquoi. Mais je me dis qu'il est malade, il va bientôt crever et j'ai pas été foutu de lui rendre visite une seule fois depuis sa convalescence. Je suis un connard. L'espace d'un instant ça m'avait échappé. C'est ce gamin qui chamboule tout à l'intérieur de moi. Est-ce que baiser une créature divine à peine sortie de l'enfance ça a l'habitude de susciter des phases de remises en question ? Je ne crois pas non. Je remarque un pot de fleurs, avec des fleurs fanées. Il est vraiment temps de rafraichir cet appartement. Ranger les livres, changer les tableaux, faire vivre les fleurs à nouveau. Je sais pas pourquoi, je sais que c'est absurde, mais j'arrose le pot de fleurs. Peut-être que dans un miracle elles vont se mettre à pousser devant mes yeux, à pousser si haut qu'elles envahiront le salon, et là, là, ce sera vraiment la joie. Qui me les a offertes ces fleurs, déjà ? C'était peut-être à une de ces soirées de pd que je donne. On m'offre toutes sortes de trucs bizarres. Je crois qu'une fois j'ai eu un lézard si ce n'était pas un iguane.

Dans la cuisine j'arrose toujours mes fleurs, quand le garçon arrive. Nu comme au premier matin. La lumière pure du jour donne à son corps une allure de fantôme. Une allure majestueuse. Il me semble qu'un elfe érotique est dans ma cuisine, et que je ne pense qu'à mes foutues roses fanées. Il s'approche.

– Qu'est-ce que tu fais ? Il me demande.

Il voit les fleurs dans l'évier, et avec malice il attrape une rose qu'il pique dans ses cheveux. Ses cheveux sont épais, bouclés, flamboyants. Comme un dieu. Dans la lumière de ma cuisine, il est éblouissant. D'innocence, de vie.

Éclats d'amertumes.

Moi, j'ai jamais été comme ça. Aussi beau et heureux baigné par le soleil du matin. Ce que je peux être mièvre. J'ai toujours nié le romantisme par peur du sentimentalisme. Mais on a peur de ce qu'on est, c'est bien connu. Il aura suffit d'une putain de nymphe rouquine, d'une putain tout court pour…

En colère – c'est toujours la colère qui dicte mes actions – je l'attrape par le bras et je le plaque contre un mur. Il sursaute au contact du froid. Une de mes mains sur ses épaules, mon autre main qui glisse dans ses reins. Je ne sais pas si j'ai envie de lui, enfin bien sûr que si, mais je veux dire par là, peut-être que je pourrai me retenir, ne pas lui sauter dessus tout le temps. Je le touche pour m'assurer que je ne rêve pas. Et quand sous mes mains je sens le grain de peau parfait des ses exquises fesses parfaites, je le libère. Il me demande :

– Tu as aimé faire l'amour avec moi ?

– Et toi ? Je réplique.

– Faire l'amour c'est toujours agréable, je suppose. Le partenaire ça compte vraiment, tant qu'on a de l'amour ? Je veux dire… tant qu'on a... des bras… aimants ?

– Disons que c'est comme ça pour moi aussi.

Je devrais lui dire : « ne te donne pas à n'importe qui non plus. Tout ceux qui aiment ton corps deviendront aimants l'espace d'un instant tu sais. » Mais je me tais, encore une fois. Je ne suis pas le père de ce gamin. Il vit dans quel monde d'ailleurs, pour être aussi... hors du temps ? Il m'évoque un vers lyrique perdu dans un poème en prose. Et puis ça contraste grandement avec ce mot qu'il a utilisé auparavant: « baiser. » Il me parlait de baiser sans l'ombre d'une promesse, et voilà qu'il me parle de bras aimants. T'es étrange comme garçon, t'es étrange murmuré-je en me piquant à mes roses. Tu n'es pas cohérent. Mais ça, je le passe sous silence. Je n'invite jamais les gens à se justifier.

Après avoir mangé copieusement – engloutissant une partie de mes ressources, qui se résume à bien peu de chose – Je lui prête des fringues. Mieux, je lui prête des fringues pour sortir en ville afin de lui en acheter de nouvelles. Nous embarquons dans mon élégante voiture noire. Pendant que je mets Aznavour dans le lecteur cd et que tout ici vibre de nostalgie il regarde par la fenêtre, le nez en l'air. J'ai un peu de mal à me concentrer sur la route, distrait par sa nuque indécente. « Tu es illégal » je lui dis.

– Hein ?

– Non, rien. Et on ne dit pas « hein ». Sois polis.

Et il sourit.

Je lui achète un pull vert en V. La laine verte sur son torse pâle. J'aime les garçons à contraste. La laideur contrastée peut m'apparaître belle. Tout est une question d'harmonie, de couleur, de tonalité. Je l'appellerai… « La couleur d'Eros ». Pff, je n'ai jamais eu de talent pour l'écriture. J'ai l'espoir d'être subversif mais ça se révèle toujours mièvre et galvaudé. Le contraire de l'image que je veux donner. En toucher deux mots à mon psy.

Nous nous arrêtons dans un petit café, et après plusieurs minutes silencieuses à faire des bulles dans notre grenadine – donc ce n'est pas si silencieux à vrai dire, c'est atone plutôt – je demande :

– C'est quoi ton prénom, en fait ?

– C'est important de le savoir ?

– Tu n'es pas curieux de connaître le mien ?

– Non. Je connais déjà ton corps.

Le corps c'est plus important que l'identité ? Les gamins de nos jours. Ses parents sont peut-être des bourgeois conventionnels. Il s'appelle peut-être Jean Edouard, Stanislas, St Eustache. Je divague. Et j'ai envie de lui demander s'il n'a pas mal aux fesses. Il a l'air détendu, indolore. Je me rappelle de ma première fois, je m'en souviens cruellement. La sensation qu'on écartait mon corps en deux, comme la mer et Moise. Il est possible que ce diable à la peau de vierge soit une garce, une sublime pute déguisée en enfant fragile. Dans des tableaux heureux et gentils, j'y vois souvent la mort déguisée en figure rassurante inoffensive et aimante. J'y vois souvent la mort tentant d'y attirer l'enfant. Il lève ses yeux ourlés de cils clairs vers moi. Un regard de garce victorieuse. Je divague encore. Son sourire naïf et ses yeux heureux, comme seul un enfant crédule peut l'être après ce que je lui ai fait. Je l'ai quand même pénétré sans capote. Il s'en fou. Il se fout de tout cet idiot ma parole. Son visage spontané et puéril m'agace.

Je ne sais pas pourquoi, mais je lui parle de mon métier. Je m'en fiche d'être jugé, c'est comme si je parlais tout seul dans ma chambre, mais avec un témoin. Un peu comme être nu devant son chat. Je n'ai pas besoin de savoir ce qu'il en pense, son air interrogatif et curieux me suffit. Son approbation silencieuse me fait beaucoup de bien. Il se peut qu'il ne comprenne pas tout ce que je lui raconte, mais j'en ai marre des gens alertes, des gens d'esprit qui me contredisent et mettent le doigt sur des trucs sans importance en pensant avoir fait une découverte. Tous ces psychologues de comptoir. Je préfère les incohérents, pour eux le sens n'est pas une vertu. En fait je passe une journée formidable. Ensoleillée, presque muette. Et à mes côtés un éphèbe au sourire joyeux.

Au jardin des plantes, au parc de la pépinière dans la chanson, on se balade comme deux amoureux, moi le beau monsieur, lui le candide l'innocent, et puis les roses pas fanées, et puis les amants idiots main dans la main. A l'ombre d'un arbre j'attrape sa manche et je le plaque contre l'écorce.

Je l'embrasse avec tendresse.

Oh, je perds mes cils ? Il s'exclame dans la voiture, prouvant son observation en me mettant sous le nez sa paume, dans laquelle est posé un cil. J'ai rarement des discussions aussi naïves et vides d'esprit. Mais lui quand il parle, il y a toujours ce petit truc inattendu, décalé. Le genre de réflexion qu'on entendra jamais dans un film ; (enfin tout dépend du film.) Cela me fait sourire et j'embrasse sa paume. Son odeur me trouble et j'allonge son siège pour une petite séance de tendresse. Même si au début mon désir pour lui était animal, je l'ai transposé vers quelque chose de plus subtile et espiègle. Mon désir de pénétration est moins intense, je veux surtout gouter ses endroits inconnus. L'explorer. Le creux de ses coudes, de ses genoux, la saveur de ses cuisses. L'intérieur de ses cuisses est ferme et délicat, laiteux, sans un poil. Vous savez cette zone entre le sexe et la cuisse, à l'endroit du tendon où la peau est si fine. Je le lèche ici alors qu'il gémit comme un mauvais garçon.

Sur le chemin du retour je suis indécis. Je le verrai bien nu dans mon grand lit. Je le verrai bien sous verre à tout jamais. Ça me fait penser à un livre, « Le corps exquis ». Les héros tuent leurs amants pour les garder près d'eux toujours. Ils n'ont plus peur de la rupture, de la douleur, de l'abandon. S'il était mort… Son corps languide pour moi seul, pour moi toujours. Mais je ne suis pas un monstre. Si j'avais le talent de l'horreur, si en plus d'être artiste de beauté j'étais artiste de la mort j'en ferai mon œuvre. Mais maintenant je dois le ramener chez lui. C'est tout. L'intermède irréaliste et onirique doit s'achever. C'est beaucoup plus romantique écourté. C'est beau quand ça ne vit qu'une journée.

Quand c'est pas éphémère on s'y blesse à nos lèvres.

Il me dit pouvoir se débrouiller pour rentrer : Ne t'en fais pas, il me dit. Je trouverai un moyen. Je pensais que ses parents l'avaient abruptement et définitivement mit à la porte. Mais il me rassure encore, prétend que ça va aller. C'est peut-être lui qui est parti avec des envies d'aventures. J'étais là ; je l'ai fait jouir. Ça lui a plut de se faire aimer le temps d'une nuit par un homme comme moi, à la merci des jeunes corps. Je n'en sais rien. Nous n'échangeons pas nos numéros.

Je le dépose à une rue de chez lui. Il s'apprête à remettre son jean mais je l'arrête, j'écarte ses jambes et j'en embrasse l'intérieur. Puis je baise ses yeux, je sens la caresse papillonne de ses cils sur ma bouche éplorée. J'ai envie de lui confier : « tu sais en pensant à toi j'aurai toujours les yeux noir désir » mais ce serait prosaïque. Ce serait vraiment nul dans sa pseudo poésie. Je suis plus un ado transi. N'est-ce pas ? Alors je lui dis : « Joyeuse vie, et ne pleure plus pour rien. »

De dos aussi, il est très beau.

FIN


J'entends déjà les revendications. Mais j'avais prévu une fin de ce genre. Je ne sais pas construire d'intrigue autour de la relation amoureuse, et puis comme dis la chanson : "les amours qui durent, font les amants exsangues, leurs baisers trop mûres, nous pourrissent la langue." Je devine que cette "fin" n'est pas satisfaisante, mais j'avais envie de ça. Je ne doute pas que si je l'avais lu moi même j'en serai très contrariée. Enfin écrire c'est aussi risquer de ne pas séduire le lectorat. Genre j'ai des lecteurs, non mais qu'elle se calme ! Je m'excuse encore pour ce bref chapitre.