EPILOGUE

« Je suis tellement callée, » je soupire joyeusement, m'adossant sur le dos de ma chaise en teck, dans mon backyard. « Je veux des journées comme ça tous les jours. »

On est au mois de juillet, il est 21h, fait probablement 27 degrés pour 70 pourcent d'humidité, et par miracle il n'y a pas trop de moustiques ce soir. On vient tous de finir de dîner, et tout le vin blanc que j'ai bu m'est monté à la tête. Je n'arrive pas à m'empêcher de sourire.

Ares, assis en face de moi, lui aussi reculé sur le dossier de sa chaise, est en train de boire une bière, une clope à la main. Ca fait un petit moment que je le regarde. C'est sûrement l'effet de l'alcool, mais je suis encore une fois frappée par la beauté de ses traits et le dessin de ses muscles sous son t-shirt gris chiné.

Demain, ça fera exactement deux ans qu'on se sera remis ensemble, et il s'est passé un paquet de choses.

La première, c'est qu'on a déménagé à Brooklyn, New York, dans un duplex hyper mignon à Carroll Gardens. On y a déménagé en Septembre il y a deux ans, et pour rien au monde je ne veux quitter cet endroit. On a le rez-de-chaussée et le premier étage, une aubaine, puisque du coup on a la parcelle rectangulaire de terrain derrière. On n'en a toujours pas fait grand chose. Devant la porte de derrière, il y a une terrasse parfaitement rectangulaire, sur laquelle on a une table de jardin en teck assez grande pour accueillir huit à dix personnes, un banc, et un barbecue. Le reste, c'est du gazon tondu avec amour, et que j'ai réussi à faire ressembler à un green de golf un peu plus long (Ares n'a pas du tout la main verte). On a mis deux transats en teck, et malgré les voisins qui peuvent nous voir facilement, on y bronze régulièrement.

« Je ne t'ai pas vu une seule fois sans que tu dises un truc dans le genre, » me sourit Deck, l'un de meilleurs amis de Madison – et un bon ami à moi et Ares, maintenant – assis à côté de moi à table.

Madison a réaménagé à New York l'année dernière, dans son loft dans le Nord de Brooklyn, à Williamsburg. Ça lui correspond totalement – c'est le quartier branché, underground et artistique de la ville – et il vit à cinq minutes de tous ses meilleurs amis. Deck est l'un d'entre eux, rencontré quand il avait dix-sept ans. Ils sont allés à NYU ensemble, et ne se sont jamais quittés.

Deck est très grand et me fait penser à une version Américaine de Nico. Il a les épaules très larges, des cheveux noirs épais, coupés plutôt courts, commence à avoir une sacrée barbe, et ses poils de torse dépassent de sa chemise à carreaux rouges, ouverte aux premiers boutons. Il est très bronzé (on est allé à la plage le weekend dernier), et a les yeux presque noirs.

« Elle dit ça sans arrêt, c'est insupportable, » ajoute Madison en pointant un doigt vers moi.

Je lève une épaule bien haut et lui sourit. « Qu'est-ce que j'y peux ? »

Il lève les yeux au ciel, amusé, et je lui fais un clin d'œil. Madison a drastiquement changé depuis Paris, je ne m'en remets toujours pas. Il est parti à Hong Kong pour plusieurs semaines, mais a finalement déménagé à Tokyo pour presque un an.

Même s'il m'a cruellement manqué, je m'attendais à ce qu'il y reste. Madison, comme Deck, d'ailleurs, est un électron libre qui bouge sans arrêt, attire les gens comme des aimants et vit tout à fond. Quand je l'ai revu à New York pour la première fois l'année dernière, j'ai failli ne pas le reconnaître. Finis les cheveux longs, finis les cheveux platine. Il les avait rasés à un ou deux centimètres sur le côté du crâne, et les avait laissés plus longs sur le dessus, au naturel. Et ce naturel était un brun très foncé, légèrement ondulé.

Je pensais que le revoir allait être délicat, qu'Ares n'allait pas forcément être ravi de le fréquenter souvent, sachant qu'on avait couché ensemble, mais ça s'est super bien passé. Il faut dire que Madison s'était remis de la chose après probablement deux secondes assis dans l'avion pour Hong Kong. Certes, savoir qu'il s'était désintéressé de moi si rapidement a un fait un peu mal à mon ego, mais j'ai surtout été rassurée. Maintenant, on est tout simplement amis, comme on l'avait été à Paris ; sans ambiguïté. Et Madison s'entend d'ailleurs parfois trop bien avec Ares – ce qu'il fait qu'ils me charrient sans relâche.

C'est en rencontrant Deck, Daria, et ses autres amis que j'ai pu enfin comprendre d'où venait Madison – le côté jeunesse dorée underground, qui n'en a rien à taper de bosser, préfère voyager, et détendu d dans la vie. Son autre meilleur ami, Alex, est producteur d'électro-funk et de musique électro dans le style de Chromeo, Duck Sauce, Armand Van Helden et compagnie. Sa vie se résume à dormir tard le matin, se faire des expos, se faire inviter dans les meilleurs restos et travailler le soir (qui équivaut à sortir, si vous voulez mon avis). Deck tient une galerie d'art qui est connue pour débaucher des perles d'artistes (Deck reste très humble sur la chose).

Ares s'est tout de suite bien entendu avec eux : ils viennent tous de familles plus qu'aisées, et ont vite compris que l'argent ne faisait pas tout dans la vie (tant qu'on en avait en masse). Du coup, ils se sont tous tournés vers des métiers littéraires ou artistiques. Même si je suis aussi créative qu'une brique, je suis ravie qu'Ares ait des gens comme ça dans son entourage. En plus, ça me change des banquiers de Wall Street. Si certains de mes collègues sont sortables, la plupart sont des cons prétentieux et nouveau-riche insupportables.

« Ares, j'espère que t'as conscience de la chance que t'as, d'avoir une copine toujours heureuse. »

La bouche d'Ares s'étire dans un sourire en coin. Il me regarde d'un air complice et lève un sourcil.

« Elle n'a pas toujours été comme ça, » dit-il avec humour et sarcasme.

« Han, c'est pas vrai ! » Je m'exclame, faussement outrée.

Madison rit. « Vraiment ? » Dit-il d'un ton théâtralement surpris, posant une main sur son cœur. « Tu vas vraiment essayer de nous faire avaler ça ? »

« Avaler quoi ? » Demande Daria, la meilleure amie de Madison, quand elle revient dans le jardin, après un tour aux toilettes.

A ce moment précis, je donnerais tout sur la planète pour que Charlie et Eugénie soient là. Parce qu'on se serait tous les trois regardés avec chacun d'entre nous une réplique plus salace l'une que l'autre à cette énorme perche qui nous est tendue (sans jeu de mots).

Mon regard se pose sur Ares, qui me regarde. Ares lève un sourcil légèrement, avec l'air démoniaque, et pousse sa langue contre la paroi de sa joue, si bien qu'elle fait une petite bosse. Je tousse pour couvrir le rire qui manque de s'échapper de ma bouche.

Deck est en train de dire à Daria qu'ils parlent de mon caractère facile (ha !), mais je n'en profite pas pour flatter mon ego, trop absorbée par Ares. Aussi cliché que cela puisse paraître, la complicité que j'ai développé avec Ares au cours des dernières années en a fait mon meilleur ami, au même titre que Charlie peut l'être.

Quand Madison commence à m'enfoncer, par contre, je me sens obligée de me défendre.

« C'est vrai que j'étais, par défaut, de mauvaise humeur, » je concède en lançant un regard mauvais à Madison, l'air de lui dire « content ? »

« C'est drôle, d'habitude les gens deviennent comme ça en bougeant à New York, pas le contraire, » rit Deck.

Les trois autres Newyorkais à table hochent la tête, au même moment. Ça en est même comique. J'ai toujours adoré New York, donc je ne vois pas quel est leur problème. Et pour être honnête, niveau stress et mauvaise humeur, un Parisien pur et dur détient la couronne. Honnêtement, les Américains qui se plaignent des New-yorkais sont de vraies chochottes. Tout le monde est poli et aimable ici, c'est un truc de dingue. La seule chose sur laquelle ils sont chiants, c'est la clope. Pas le droit de fumer, même en terrasse (même pas à la plage !), et Bloomberg est en train d'interdire de fumer dans les parcs. Ils nous reste donc chez nous, et sur le trottoir.

Laissez-moi vous dire que ça me ravit.

« C'est Ares qui fait ça, » je dis sans réfléchir, honnête grâce à la bonne humeur que me procure mon petit excès de vin blanc.

Daria lâche un « aww » sincère au même moment que Madison lâche le même son, mais plutôt sarcastique. Je plisse les yeux en croisant son regard, mais ne peux m'empêcher de lui sourire. Quand mon regard se pose sur Ares, il me sourit des yeux tendrement, et je ne peux m'empêcher de sourire d'oreille à oreille.

J'étire ma jambe pour aller poser mon pied nu sur le genou d'Ares, sous la table. Il pose une main sur mon pied et me fait un clin d'œil.

Ce que je dis est vrai – il me met de bonne humeur. Dès que je fais la gueule, il sait sortir la phrase qui va à la fois me faire pousser un soupire exaspéré et me tirer un rire. Après, il faut dire que je ne sais pas vraiment sur quoi est-ce que j'ai le droit de me plaindre. J'adore mon nouveau job – même si les Américains ne connaissent pas les RTT et te font comprendre que quand il s'agit de deals de dizaines de millions de dollars, il n'est pas question de partir à la plage le week-end, mais plutôt de le passer au bureau. Je bosse avec le même genre de connards machos et prétentieux qu'à Paris, mais si je voulais me la couler douce au bureau, je ferais de la comm' ou du marketing. Mon appartement – notre – me plaît et le simple fait de marcher dans ma rue quand je rentre à la maison me met de bonne humeur. J'adore le quartier, rempli de petits restos super savoureux et remplis d'autres couples d'une trentaine d'années qui aiment bien manger, bien boire, et sociabiliser un maximum. Et puis ici tout est beau et tranquille. Il n'y a pas le bruit fourbe de Manhattan : le bruit de fond continu qu'on oublie, mais qui nous stresse et irrite sans qu'on ne s'en rende vraiment compte.

Après ma discussion avec mes amis Parisiens, avant que je me remettre avec Ares, j'ai commencé à voir Ares d'un œil nouveau. Si ma misère pendant notre séparation m'a fait très vite comprendre que j'allais avoir du mal à me passer de lui, j'ai quand même commencé à voir comment les gens voyaient Ares.

Avec moi, Ares a toujours été très cash, sarcastique et avec toujours une répartie ou une idée à partager. En groupe – et ça m'a sidérée de le remarquer – il reste plus en retrait. Ce n'est pas tant un malaise ; il use de sa répartie au bon moment, fait rire les gens et tranche certains débats qu'on a en groupe. Du coup, les gens l'écoutent toujours, alors que moi, je peux brailler et argumenter pendant des heures, à la fin je passerai juste pour la fille qui veut gagner le débat, et c'est tout (même quand j'ai raison). Il suffit qu'Ares ajoute à la fin juste une phrase (souvent dans le sens de ce que je dis), et les gens sont convaincus.

Parfois, ça me saoule grave. Ca revient sur le plus gros fruit de notre discorde : qu'il fasse figure de maturité pendant que moi je passe pour la gamine capricieuse. Et en plus, ça ne facilite pas toujours les rencontres. Ares n'est pas asocial ni antipathique, mais il y a eu des cas où les gens étaient intimidés. Couplé à ma mauvaise humeur, mes regards dédaigneux et snobs et ma répartie qui manque de grâce et tact, je me dis que parfois on a même de la chance d'avoir des amis.

Le téléphone de Deck, qui vibre sur la table, me sort de mes pensées. Ca – et Ares me chatouille les pieds. J'agite mes orteils pour qu'il s'arrête.

« Alex a fini son dîner. Il nous demande ce qu'on fait. »

Rien que l'idée de bouger me fatigue. Je ne sais pas comment ils font, mais Madison, Deck et Alex sortent tout le temps. On a pourtant le même âge, mais j'ai l'impression qu'ils ont 21 ans et ont tout juste découvert les joies de picoler légalement. Leurs soirées durent jusqu'à l'aube, sont imbibées d'alcool et saupoudrées de cocaïne (quoique les trois ont plus ou moins arrêté parce que ça fait trop « 2005 »).

« Faites ce que vous voulez, mais je suis trop vielle pour rééditer la soirée de la dernière fois, » je dis en m'étirant le dos, mon bâillement déformé par le sourire qui se dessine sur mon visage, en repensant à ladite soirée. « Je vais continuer à fumer des clopes et boire du vin ici. »

Je m'attends à un commentaire de Madison – qui m'appelle de plus en plus « grand mère », mais il hoche la tête. Par contagion, Ares hoche la tête, l'air aussi désintéressé que Madison et moi par l'idée de sortir.

Je regarde Deck et Daria, espérant qu'ils se joignent à nous. Deck me lance un regard d'attente.

« Ah ! » Je dis, comprenant. « Dis lui de venir, y a pas de problème. »

« Cool ! » Dit-il d'un ton enjoué, répondant au texto d'Alex.

« T'es con, tu pouvais l'inviter sans me demander. C'est pas comme si on n'avait pas assez pour lui. »

« Ou comme s'il était déjà venu les mains vides, » ajoute Ares avec humour.

Je ris. C'est vrai qu'Alex rapporte toujours du super bon vin. Le mec va tous les ans en Californie pour tester des vins et s'en fait livrer des caisses entières. Avec Ares, on n'a pas encore eu le temps d'aller à Napa et Sonoma, mais c'est dans nos plans. Le problème, c'est que je n'ai pas énormément de vacances et que je rentre le plus possible à Paris (comme le mois prochain, d'ailleurs !). Heureusement, Ares est le premier partant. Et il connaît déjà Napa, donc je crois qu'il n'en a rien à taper. Pour lui, tant qu'on trouve du bon vin en ville, y a pas besoin de traverser tout le pays. Et je le comprends : mon foie gras de canard, je l'achetais à la Grande Epicerie sans me poser deux fois la question. Pas besoin de descendre dans le Sud-Ouest.

On continue allègrement à descendre nos bouteilles de blanc et à fumer des clopes. Ares part acheter des clopes pour renflouer notre stock. Un autre grand changement dans ma vie a été d'arrêter de fumer la journée. Comme je l'ai dit, la législation à New York est clairement anti-fumeurs. Les New-yorkais ont tendance à jeter des regards haineux aux fumeurs, et personne ne fait de pause clope au boulot. En faire une est signe de fainéantise et de retard social (selon les New-yorkais, les fumeurs sont des Néandertaliens). Par contre, cette petite bande d'hypocrite à une grosse tendance à changer d'opinion sur la chose une fois la nuit tombée. Le nombre de fois où je me fais taxer des clopes par des « non fumeurs », je ne vous raconte pas.

Du coup, j'ai adopté leur technique. Je clame haut et fort que je ne fume pas, et le soir venu, surtout en été et quand on sort, je fume sans me soucier de ma santé. Et la journée chez moi, aussi. Deck avait rapporté un paquet, et j'en avais un que je partage avec Ares (il est passé aux Light comme il s'est remis religieusement au sport et lui ne fume que s'il a picolé avant). Ces deux paquets n'ont pas fait long feu entre nous cinq, et avec Alex qui arrive, on a besoin d'en racheter pour tenir la nuit.

« Contente de rentrer ? » Me demande Madison, en parlant de mes vacances à Paris le mois prochain.

« Grave, » je réponds, m'allongeant complètement sur ma chaise. Je tourne la tête pour le regarder. « T'es sûr que tu ne veux pas venir ? Les autres m'ont demandé plusieurs fois que tu viennes. »

Madison sourit. « C'est gentil mais avec les travaux au 2-10, j'ai vraiment pas le temps. Et ils vont bien venir te voir à New York un jour. »

Après avoir erré deux ans en France et en Asie, Madison a décidé que d'être architecte n'était pas pour lui. C'était trop restrictif. Quelques mois après son retour à New York, il a fait ce qu'il savait faire de mieux : la fête. Sauf qu'il en a fait son business, en ouvrant un club très petit et très select à SoHo. Ca a fait un carton. C'est lui qui a fait les plans, évidemment, et choisi la déco à l'aide d'une décoratrice d'intérieur. Quant à la clientèle, elle était déjà toute faite ; Madison a assez d'amis beaux et branchés pour remplir le Stade de France. L'image du club était toute faite, et je ne connais pas un soir où il n'est pas plein. Alex y mixe régulièrement, et les DJ qu'il produit aussi. C'était le carton assuré. Bonne musique, comité restreint, cocktails qui poussent à l'alcoolisme et beau décor, Madison a eu assez de fric pour rembourser l'argent qu'il devait à son père (qu'il lui a filé pour ouvrir la boîte), et il vient de s'acheter un endroit pour ouvrir un restaurant. Ce restaurant, c'est 2-10, dit « two-ten », qui est le numéro de la rue dans laquelle est le restaurant.

« Ca fait presque un an que t'as pas pris de vacances, » je tente de le convaincre.

« Euh, nous, on n'est pas du tout d'accord, » renchérit Deck. « La dernière fois qu'il est parti en vacances en France, il a disparu pendant deux ans. »

« Je refuse aussi, » dit Daria très sérieusement, couvant Madison du regard.

« Roh, ça va, » rit Madison. « Je suis rentré plusieurs fois. »

« Trois semaines en deux ans, t'as raison, » dit Daria d'un ton plat, levant un sourcil et croisant ses bras devant elle.

« Regardez qui j'amène, » dit Ares en rentrant de son excursion clopes, passant la porte de derrière.

Alex apparaît derrière Ares, et en parfaite synchronisation, Madison et Deck l'accueillent avec un « heeeey » chaleureux. A chaque fois qu'ils se retrouvent tous les trois, on ne trouvera pas plus heureux sur la planète. Jamais ils ne trouveront ça normal de se voir, même s'ils sont ensemble au moins 6 jours sur 7 ; ils se retrouvent toujours comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des années. Ensemble, ils sont intenables. S'il y a une mauvaise idée à avoir, ils l'auront. Je me suis réveillée il y a deux semaines dans l'appartement de Madison, à moitié en train de tomber du canapé sur lequel j'avais vraisemblablement fait ma nuit. Jamais je ne me suis réveillée avec une gueule de bois pareille. Je portais un t-shirt blanc sur lequel il y avait marqué en gros imprimés noirs : « I'm Growing a Mustache » (je me laisse pousser la moustache). Ce t-shirt n'était certainement pas à moi. Je n'avais plus de pantalon (heureusement que je portais une culotte noire pas trop sexy parce que je n'ai jamais retrouvé mon pantalon), et sur mon mollet droit était écrit au marqueur noir l'adresse de chez moi. Madison m'a expliqué plus tard que j'avais insisté pour qu'il l'écrive si jamais je me perdais. Je n'ose même pas imaginer être sortie de chez lui dans cet état. Et clou de toute la tenue, j'avais une coiffe d'indien en fausse plume noire, qui m'arrivait jusqu'au milieu du dos, tenue par un bandeau argenté. Je ne sais pas où j'ai trouvé ça – et à ma plus grande horreur, personne non plus.

Ares s'est réveillé comme une fleur dans le lit de Madison, sans t-shirt et avec une énorme paire de lunettes noires avec une rangée de clous dorés sur la barre du haut, façon M.I.A.. Les yeux injectés de sang et un bleu énorme sur le pied, il n'étais pas au top non plus. A côté de lui dans le lit, il y avait Madison, le visage barbouillé au marqueur (une moustache, notamment, qui a dû être le thème de notre soirée d'alcoolisme sévère). Il tenait dans ses bras un pylône orange du type qu'on utilise pour délimiter des zones de travaux.

On a retrouvé Alex et Daria dans la baignoire, Deck allongé dans les toilettes, et deux autres copines à eux dans la chambre d'amis. Un autre amis des trois mecs, Tristan, était sur le balcon. Tous portaient des accessoires improbables et différents. La seule chose qu'on avait en commun, c'était un puissant mal de crâne et notre mémoire de la soirée aussi pleine qu'une passoire. On s'est fait livrer des pizza en guise de petit déjeuner (il était 14 heures, après tout) et on a remédié à notre gueule de bois avec des cocktails mimosa.

Cette soirée résume plutôt bien le genre de chose qu'il se produit quand on passe du temps avec les trois.

« Je vous ai apporté deux bouteilles d'un Sauvignon blanc extraordinaire, » dit-il en les posant sur la table. « J'en avais commandé deux caisses et je les ai reçues toute à l'heure. »

On pousse tous des sons divers pour exprimer notre contentement.

« Et la musique, ça se passe comment ? » Demande-t-il, l'air réellement étonné qu'on n'ait pas mis de musique.

La vérité, c'est que ça nous saoule tous de devoir faire le DJ et changer la musique quand elle devient merdique.

« A ton avis, pourquoi est-ce qu'on t'a invité ? » Demande Deck avec humour.

Alex sourit d'oreille à oreille, tel un enfant qui va faire une connerie, et se dirige vers les enceintes qu'on a posées sur le bord de la fenêtre. Alex sort un iPod de la poche arrière de son jean, choisit une playlist, et vient s'asseoir à côté d'Ares. La musique est un remix électro frais de Back in the USSR, et c'est comme d'habitude parfait pour les circonstances.

« Je note que vous ne sortez pas, et qu'on est samedi soir, » je ne peux m'empêcher de commenter. « Je vous disais bien qu'il n'étais pas humainement possible de sortir autant que vous à 30 ans. »

« Pourquoi aller ailleurs alors que ce soir la meilleure soirée de la ville est ici ? » Demande Madison d'un ton innocent.

« J'espère pour toi que t'as pas invité cent cinquante personnes chez moi ce soir, » je lui dis en lui lançant un regard suspicieux.

« Alex, Deck et moi pouvons te jurer que non, » dit-il solennellement, toujours avec le regard trop innocent pour être honnête.

J'étudie du regard les deux autres, et je sais tout de suite qu'il se trame quelque chose. Je n'aime pas du tout ça.

« Quoi ? » Je demande fermement, n'aimant pas ça.

J'aime trop mon appartement pour que des gens viennent le massacrer. Les deux haussent les épaules en même temps, l'air de ne pas me suivre. Ares les regarde avec un air menaçant, lui non plus probablement pas enchanté de devenir la boîte de nuit éphémère du weekend. Sous le regard d'Ares, les trois se tassent et regagnent leur sérieux.

« Il n'y a pas cent cinquante personnes qui viennent, » dit simplement Ares. « Sauf si vous voulez mourir, tous les trois. »

« Et je ne sors pas ce soir, » j'ajoute de mon ton le plus sérieux possible (je suis trop influençable pour mon bien, quand les trois s'y mettent). « Donc arrêtez avec vos airs conspirateurs. »

« Vous êtes vieux, » se plaint Madison en soupirant. « C'est insupportable. Prévenez-moi quand vous partez en maison de retraite, que je vous rachète votre appartement. »

La blague de vieux, normal.

Je m'apprête à lui dire d'aller se faire foutre quand j'entends au loin la sonnette de mon appartement. Mon regard rencontre celui d'Ares, qui a l'air aussi tendu que moi.

« Vas-y, » dit-il calmement. « Si j'ouvre la porte sur des potes à eux, » continue-t-il en désignant les trois mecs d'un geste vague de la main, « je leur pète la gueule. »

« T'es vraiment pas accueillant, » j'entends Madison dire d'un ton malin quand je me dirige vers l'intérieur de mon appartement pour aller ouvrir la porte d'entrée.

J'entends de dehors qu'il y a plus d'une personne. Quand je suis suffisamment proche pour entendre clairement ce qu'ils disent, j'entends un « shhh ! » suivi d'un silence complet. J'hésite à aller chercher Ares, si c'est finalement des cambrioleurs ou quelque chose dans le genre, mais la curiosité l'emporte.

Et ça fait longtemps que j'ai pas gueulé sur quelqu'un, donc l'idée d'envoyer chier les gens de manière impolie me réjouis assez.

J'ouvre la porte d'entrée avec la mine la plus plate et désintéressée possible.

Quand je vois le groupe accumulé sur le pas de ma porte, la bouche m'en tombe.

« Surprise ! » J'entends en Français – ça faisait longtemps – en voyant mes six amis Parisiens et leurs valises.

Pendant deux secondes, mon cerveau fait un blocage, et je ne peux m'empêcher de les regarder un par un, comme pour vérifier qu'ils sont bien là.

« Lou ? » Demande Charlie après ces deux secondes. « Tu vas nous faire une syncope ? »

Ma bouche s'ouvre et se referme sans un son, et le déclic se fait dans mon cerveau. Je pousse un cri de joie et ouvre grand mes bras avant de me jeter sur Charlie, le plus proche de moi.

« J'arrive pas à le croire ! » Je m'exclame, ne pouvant m'empêcher de rire. « Je suis trop contente ! »

Je me demande aussi où ils vont dormir, mais je me force à bien les accueillir avant de penser logistique. Je comprends au même moment pourquoi Madison ne voulait pas sortir, et qu'il avait sûrement dû convaincre Alex, Deck et Daria de rester ici pour rencontrer mes amis.

Ares apparaît à côté de moi à ce moment-là, et pose sa main sur le bas de mon dos.

« T'étais au courant ? » Je lui demande, émerveillée.

« A ton avis, qui en a eu l'idée ? » Demande-t-il d'un ton blasé et supérieur.

Je lève les yeux au ciel mais m'accroche autour de son cou pour l'embrasser, n'y parvenant qu'à moitié à cause du sourire qui s'étire sur mes lèvres.

« Merci, » je lui dis sincèrement, avant de me concentrer à nouveau sur mes amis, et de les saluer un par un.

Après les cinq minutes qu'il me faut pour me remettre de ma stupéfaction et les saluer proprement, je les entraîne dans le jardin pour qu'ils rencontrent les autres. Pendant que je fais les présentations, Ares récupère des chaises à l'intérieur de la maison, puisqu'il n'y en aura pas assez pour tout le monde.

« Vous voulez boire quelque chose ? » Demande Ares en Français quand je me rassieds sur ma chaise, maintenant placée à côté de Charlie.

Ca me fait bizarre d'entendre Ares parler Français après presque deux ans à parler Anglais. Ca a été bizarre de lui parler en Anglais après lui avoir parlé en Français depuis notre rencontre, mais de ne fréquenter que des Américains a facilité la transition. Il m'arrive encore de laisser une ou deux phrases s'échapper en Français quand je m'adresse à lui, l'esprit occupé sur autre chose, mais comme il me répond toujours en Anglais, je repasse moi-même à l'Anglais sans effort.

Mais là – je trouve ça très sexy.

« Puisque tout le monde est au vin… » remarque Eugénie. « Je compte bien me bourrer la gueule pour faire passer le décalage horaire. »

Les autres Français acquiescent avec des sons et onomatopées différentes. Ca me fait rire. Mes amis n'ont décidemment pas changé.

Quand Ares rentre dans la maison pour aller chercher des verres, je choisis de le suivre, décidée à l'entendre parler Français un peu plus longtemps.

« Chéri, » j'essaye en Français pour la première fois, « tu peux sortir les coupes ? Je vais ouvrir la bouteille de champagne. »

Ca me fait bizarre, de l'appeler chéri, alors que je m'étais obstinément résolue à ne jamais utiliser de termes affectueux avec lui. Evidemment, au fil du temps, j'ai commencé à utiliser de tels termes en Anglais, allant de « honey » à « baby » (ou « babe » pour faire plus rapide), mais jamais je ne lui en ai sorti un en Français.

Ares, égal à lui-même, le prend avec nonchalance.

« Pas de problème, » me répond-il en Français, ouvrant le placard au-dessus de l'évier pour sortir les coupes.

Ca m'arrête dans mon action pour ouvrir le frigo. Ca me rend à la fois nostalgique est excitée de l'entendre parler Français.

Ares est consciencieusement en train de poser les coupes sur le plan de travail quand je m'approche de lui. Il lève un sourcil, curieux, et s'arrête dans sa tâche pour me faire face.

« Quoi ? » Demande-t-il, curieux, toujours en Français, quand je lui souris bêtement.

« Rien, » je dis avec un rire dans la voix. Je pose mes mains sur son torse et me mets sur la pointe des pieds pour l'embrasser. Il anticipe le mouvement et se penche légèrement pour que ma bouche rencontre la sienne (sinon il n'y a pas moyen que j'y arrive).

Quand je me remets à plat sur mes pied, il me regarde avec un sourire amusé.

« Toi, tu as trop bu, » me dit-il.

« Peut-être, » je lui réponds avec un énorme sourire. « Ca fait longtemps qu'on n'avait pas parlé en Français. »

« Et ? » Demande-t-il, le regard curieux et son sourire s'élargissant.

Je hausse une épaule avec un sourire candide. « C'est sexy. »

Le rire de Ares est rauque et chaud. Il s'avance pour se coller à moi, pose ses mains sur mes hanches, et s'incline pour m'embrasser lentement.

Je foutrais bien tout le monde dehors, tout d'un coup, histoire d'être tranquille avec lui.

J'ai glissé mes bras autour du cou d'Ares quand j'entends la voix d'Eugénie crier du jardin : « Bon, faut coucher avec qui pour avoir à boire, ici ? », suivi des rires des autres Français.

Ca nous décolle avec un rire.

« J'avais oublié ce que c'était que de vivre avec des Parisiens, » me dit Ares, toujours en Français (probablement conscient de l'effet que ça me fait).

« Ca fait deux ans que tu le fais, pourtant, » je lui réponds avec malice.

Il fait une moue accompagnée d'un léger mouvement de tête, l'air de dire « t'as pas tord ». Après une dernière caresse affectueuse sur la joue, il me tend les coupes, et récupère des verres à vin.

« Je t'aime, » je lui dis tendrement, avant de me diriger vers la porte.

« Je t'aime, » répond-il avant que je me retourne pour ouvrir la porte de derrière.

Je ressors dans le jardin, repoussant la porte et la double porte moustiquaire avec mon pied, excessivement contente de la tournure que ma journée a prise.

« Excusez mes amis Français, » je dis en Anglais, « ils sont insortables. »

Ils rient tous en réponse, portés par la bonne humeur – les uns par leur arrivée à New York après un long voyage et le bonheur des retrouvailles, les autres par le vin et la bonne ambiance.

« Qui veut du champagne ? » Demande Ares haut et fort – en Anglais, cette fois-ci, en sortant derrière moi.

Comme d'un seul homme, tout le monde répond à l'affirmative. M'approchant de la table pour déposer les verres, je les couve tous du regard.

Quand mon regard se pose sur Charlie et Eugénie, je ne peux m'empêcher de remarquer qu'ils se tiennent la main.

« Mais non ? » Je dis, éberluée, manquant de renverser une coupe en la déposant sur la table de jardin. Madison la stabilise pour moi d'un geste habille. Charlie et Eugénie suivent mon regard sur leurs mains entrelacées, et me regardent ensuite avec un air mi-coupable, mi-réjouit. Je me tourne vers les autres, avec un air accusateur. « Et vous, vous étiez infichus de me le dire ?! »

« On l'a su la semaine dernière, » répond Caro, l'air blasé. « Ils nous ont fait une Lou et Ares, et on ne l'a pas vu venir. »

Je souris à sa comparaison, avant de me retourner vers mes deux amis, remplie de joie.

« Mais depuis quand ? » Je m'exclame gaiement.

« Bientôt six mois, » répond Eugénie avec un ton tout aussi joyeux, passant son autre main dans les cheveux de Charlie.

Charlie s'incline spontanément vers son toucher, sans avoir l'air d'y réfléchir.

Je ne vous avais pas dit que ça ne m'étonnerait même pas s'ils sortaient ensemble ? J'avais encore une fois raison.

J'entends Ares expliquer aux autres brièvement pourquoi je suis choquée tout d'un coup. Daria lâche un petit « ah » de compréhension. Madison lâche un « félicitations » à Charlie qui incline légèrement la tête en signe d'acquiescement.

« Vous en avez d'autres, des nouvelles comme ça ? » Je demande, pas sûre de pouvoir encaisser encore une nouvelle aussi énorme.

Les Français échangent tous un regard entre eux, et je vois Lila qui repousse avec un geste délibéré et explicite le verre de champagne que Ares vient de lui servir. Ares et moi échangeons un regard incrédule.

« Quoi ? » Je m'exclame, posant mes mains sur mon cœur, comme si ça allait éviter une syncope. « Tu es enceinte ?! »

« Trois mois, » répond Lila avec sa voix délicate et un sourire tellement grand qu'il pourrait diviser son visage en deux.

« Et c'est un garçon, » ajoute Jason avec un ton fier et un peu macho (les mecs ont souvent tendance à penser que s'ils ont un garçon, c'est parce qu'ils sont virils eux-mêmes).

« Félicitations, » dit Ares en tapotant l'épaule de Jason.

« C'est génial ! » Je m'exclame gaiement, pensant presque être dans une dimension parallèle (après tout, j'ai pas mal bu ce soir).

« Ares, on ne rentre pas assez souvent, » je lui dis avec un ton boudeur, malgré moi déçue de ne pas avoir été là quand Lila a annoncé la nouvelle à tout le monde, et de ne pas avoir été là pour suspecter et prendre Charlie et Lila sur le fait.

« Nous aussi, on a un truc à leur dire, » me dit-il simplement, l'air content de lui.

Ah ouais ?

Certes, j'ai eu une promotion le mois dernier, mais c'est moi, pas nous. Je sais qu'on a ouvert un compte commun récemment (même si on a encore nos comptes personnels), mais c'est ma nouvelle.

Ares se lève de sa chaise et fait le tour de la table. On le regarde tous, curieux de savoir quelle est la nouvelle qui le met de si bonne humeur. Je pense au sac Peekaboo dont je n'ai pas arrêté de lui bassiner les oreilles avec, mais à mon plus grand désarroi, ça ne qualifie pas vraiment d'une nouvelle.

Je fixe Ares du regard jusqu'à ce qu'il arrive à côté de moi. En m'appuyant sur mes jambes, je recule ma chaise pour lui faire fasse, et lève un sourcil inquisiteur.

Le Peekaboo, ça serait cool quand même.

Ares me fait un clin d'œil. Il sort quelque chose de sa poche, et la curiosité ne fait que monter. La clé pour une maison de vacances dans les Hamptons ?

Le sourire d'Ares s'étire.

Quand j'aperçois le boîtier bleu marine en velours (Tiffany's !), je ne tilt pas. Mais quand Ares descend sur un genou, et ouvre l'écrin sur la bague en diamants de sa mère, mes yeux s'écarquillent, et mon cœur rate un battement.

The End


Haaaan, j'ai cru que je n'allais jamais réussir à terminer cette histoire ! Désolée, encore une fois, pour le retard et ma lenteur.

Lou & Ares vont me manquer, mais ils vont réapparaître ailleurs (comme je l'ai fait pour Jade, Seth et Basil).

Je vous conseille d'aller voir les bagues de fiançailles sur le site de Tiffany's, elles sont à tomber parterre. J'ai même téléchargé l'app iPhone Tiffany's spéciale bagues LOL.

Bref – qu'en avez vous pensé ? Ca vous a plu ? Qu'est-ce que j'aurais pu/dû changer ?

Vous avez peut-être pu constater que j'avais un peu introduit l'entourage Newyorkais de Madison… parce que oui, c'est lui le prochain sur la liste ! Ca sera une petite histoire, mais elle la lui sera entièrement consacrée.

Merci encore mille fois pour tous vos reviews et inbox. Ils m'ont reboosté quand j'étais face au drame de la page blanche. J'espère que cette fin ne vous a pas déçue !

A bientôt pour de nouvelles aventures !

xoxo