Auteur : Mouf-Mouf

Disclaimer : Tout à moi !

Genre : Equitation… Romance yaoi… et bobos !

Note : Librement inspiré de ma chute de cheval de samedi, qui m'a laissée avec un énorme bleu et de grosses écorchures sur la hanche !

Et il chut

Il existe de nombreux verbes exprimant le passage d'une situation choisie –généralement verticale- à une autre nettement plus inconfortable et souvent liée à un contact plus ou moins brutal avec le sol. On peut dire tomber, chuter, choir, ou, plus familièrement, se ramasser, se rétamer… Notez tout de même les différences d'emploi : au hasard –tout à fait au hasard-, on dit ''tomber amoureux'' mais pas ''choir amoureux''. Etonnant, non ? Et pourtant, cette différence entre les deux verbes fut d'une importance capitale pour Antoine… Mais je vais un peu vite, pardon. Reprenons du début, voulez-vous ?

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L'heure était au sérieux. Les trente élèves du cours de macroéconomie avaient les yeux rivés sur le tableau noir, attentifs aux explications du professeur sur les équations compliquées tracées à la craie. Enfin, trente moins un… Le menton calé dans une main, la jambe agitée d'un tic nerveux, Antoine ne tenait plus en place. Il ne rêvait que d'une chose, bondir de sa chaise et s'enfuir de la salle de classe étouffante de cerveaux en surchauffe. Le sien se portait très bien, merci. Il avait renoncé à essayer de comprendre son cours du vendredi soir, se contentant de prendre soigneusement des notes que Chris lui expliquerait le lendemain. D'ailleurs, assis à côté de lui, le petit génie de Dauphine lui adressa un regard désabusé avant de se replonger dans le cours. Antoine eut juste le temps de lui répondre d'un clin d'œil souriant. Heureusement que Chris était là ! Sans lui, la macro et la microéconomie ne seraient pour lui que des feuilles noircies incompréhensibles, et des examens ratés. Quelle chance que d'avoir pour ami l'un des cerveaux les plus performants de l'université !

En troisième année tous les deux, ils se connaissaient de loin mais s'étaient vraiment liés d'amitié en octobre, à un cours particulièrement ennuyeux où, assis l'un à côté de l'autre, Antoine avait fait une démonstration brillante de son humour un peu dingue et Chris de ses répliques cinglantes. Autant dire que le professeur n'avait apprécié que moyennement et que les deux garçons s'étaient très vite retrouvés dehors. Un regard et le fou rire reprenait Antoine, tandis que Chris se laissait aller à un large sourire –l'expression d'amusement la plus poussée qu'il puisse avoir.

-Désolé, avait hoqueté Antoine.

-Aucun problème, avait répondu l'autre en haussant les épaules. Je connaissais déjà ce cours, de toute façon…

Une lueur très intéressée s'était allumée dans les yeux sombres d'Antoine.

-Mon ami ! s'était-il exclamé. Alors tu vas pouvoir m'expliquer !

Et il l'avait entraîné d'un bras enroulé autour de ses épaules. Depuis ce jour, ils formaient un duo aussi dissemblable que complémentaire qui avait surpris tous leurs amis. Le brun Antoine complètement déjanté qui entraînait le blond Chris, plus calme et seul capable de ramener son ami à un peu de sérieux.

Et en plus il est mignon… Totalement hermétique à ce qui se déroulait sur le tableau noir, Antoine entreprit d'étudier son voisin du coin de l'œil. De courtes mèches blondes indisciplinées, de grands yeux chocolat, des traits affirmés et une musculature toute en finesse sous ses pulls confortables. Un régal pour les yeux et une torture pour Antoine. Parfaitement. Parce qu'il s'était rendu compte que ce garçon lui plaisait, et pas qu'un peu, après qu'ils soient devenus amis. Le temps de découvrir la personnalité cachée sous l'apparente froideur, les sourires même les plus minuscules, les yeux pétillants bien plus expressifs que les mots qui ne sortaient que rarement et de façon choisie. Et c'était bien là tout le problème, l'éternel et insoluble problème. S'il était au courant de ses préférences sexuelles, merci pour lui, Antoine n'avait pas pour autant l'habitude de sauter sur tout ce qui portait pantalon. Mais là, il s'était un beau jour rendu compte qu'il avait tendance à fixer avec insistance les lèvres pleines de son ami, et se sentait des pulsions meurtrières envers les filles qui avaient l'audace de faire la bise à Chris le matin. Il s'était alors dit qu'il y avait anguille sous roche. Voire baleine sous gravillon.

Mais après quelques tentatives d'approche qui s'étaient soldées par un sourcil haussé, Antoine en était venu à se dire que soit Chris était totalement bouché, soit ses tentatives de drague étaient pitoyables. Ou les deux. Ce qui de toute façon n'arrangeait pas ses affaires… Je suis en train de me donner un mal de crâne, moi… Le jeune homme secoua la tête et retint un gémissement. Il se faisait l'effet d'un collégienne à ses premiers émois, à tourner autour de l'élu de son cœur sans oser trop l'approcher.

-D'un ridicule consommé, marmonna-t-il.

Que faire, que faire… Sinon profiter de leurs instants d'amitié, substitut si doux et amer à la fois ? Mon vieux, tu deviens presque poète et c'est effrayant !

-Tu comptes camper ici ou rentrer chez toi ? s'informa une voix où pointait l'amusement.

Antoine releva les yeux et croisa le regard toujours un peu désespéré que posait sur lui son ami. Sac rangé, manteau sur le dos… cours fini ! Avec un cri de joie, le brun sauta sur ses pieds et entreprit de rassembler ses affaires.

-On peut savoir à quoi tu pensais, pour être aussi absorbé ?

-A toi, répondit Antoine avec un sourire.

-Charmé, répondit Chris sans laisser paraître la moindre émotion.

Raté…

-J'espère que ça en valait la peine parce que tu as loupé un truc important dans les équations.

Antoine jura puis adressa un sourire enjôleur à son ami.

-Mais tu vas m'expliquer demain, hein ? fit-il avec sa plus belle imitation du chiot battu et abandonné sous la pluie.

-Mais oui, fit le blond en lui tapotant la tête. A condition qu'il te reste des biscuits à la noix de coco et du capuccino.

-J'en ai un plein placard !

-Dans ces conditions, ça marche, conclut Chris en serrant la main d'Antoine.

-Tu sais que je t'aime, toi ? lança ce dernier.

-Moi ou mon cerveau ? répliqua son ami avec un léger sourire. Allez, on y va !

Et re-raté…

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L'odeur du cuir mêlée à celle du foin, le bruit des sabots dans la paille, les hennissements puissants qui se répondaient d'un bout à l'autre de l'écurie… Antoine eut un large sourire en pénétrant dans son centre équestre. Il n'y avait pas à tortiller, rien ne pourrait lui enlever l'idée qu'il s'agissait là de l'endroit le plus agréable qui soit. Il battait même son lit douillet avec sa couette rouge toute chaude et trois fois trop grande, c'était dire ! Il salua à droite et à gauche quelques cavaliers de son cours déjà occupés dans les boxes des chevaux qui leur avaient été attribués, et arriva au pupitre de la sellerie avec un sourire d'excuse.

-Bonjour Laurence, fit-il en posant son sac à ses pieds. Désolé, métro bloqué pendant un quart d'heure entre deux stations…

La jeune femme le jaugea un moment du regard, inexpressive, et Antoine croisa les doigts derrière son dos. Oh, elle n'était pas méchante, mais particulièrement pointilleuse sur les horaires. Les chevaux étaient distribués à 8h30 pour le cours de 9h, point à la ligne, et les retardataires avaient intérêt à avoir une excuse en béton armé. Un léger sourire détendit soudain les traits de la jeune métisse et ses yeux verts retrouvèrent leur chaleur habituelle.

-Excuse acceptée, Antoine, fit-elle avec un sourire. File donc préparer Nuance, allez ouste !

-Merci ! s'exclama le jeune homme en récupérant son sac.

Il planta un baiser sur la joue de sa monitrice et disparut en coup de vent dans les écuries, poursuivi par un rire en cascade.

-Salut Christelle ! claironna-t-il en lâchant son sac près du box de sa jument.

-Coucou ! fit une voix dans les tréfonds de la stalle d'à côté.

Une masse de cheveux roux apparut par-dessus la porte et il lui claqua deux bises. Le visage constellé de tâches de rousseur, des yeux bleus comme un lac d'été, elle était toujours prompte à rire et formait avec lui un duo infernal qui s'ingéniait à faire tourner Laurence en bourrique.

-Chanceux, tu vas t'éclater avec Nuance ! s'exclama-t-elle en le voyant tendre la main à sa monture afin qu'elle la sente.

-Othello est sympa, lui aussi ! Toi qui aime les gros nounours câlins…

De fait, le cheval avait posé sa tête sur l'épaule de sa cavalière, histoire de lui rappeler sa présence. Grand hongre alezan, des yeux sombres intelligents et des oreilles pointées en avant, il semblait désireux de participer à la discussion.

-Regarde, il est même aussi possessif que ton nounours à deux pattes !

-Arrête de comparer Nicolas à un nounours, tu exagères ! protesta Christelle. D'accord, il est balèze…

-Tu rigoles, c'est une armoire à glace ton copain ! Je te crois sur parole quand tu me dis qu'il est doux comme un agneau, mais…

-Et toi, le coupa perfidement la jeune fille, le Grand Amour Secret de ta vie vient toujours te chercher à 10h15 ?

-Bon, ben c'est pas tout ça, mais j'ai un cheval à préparer,moi, marmonna Antoine en se réfugiant dans le box de sa jument.

Un éclat de rire salua sa sortie et il jura dans sa barbe. La peste soit des filles et de leur intuition quasi infaillible ! Il avait suffit qu'elle rencontre Chris une fois, la première fois qu'il était venu la chercher, et la semaine suivante elle commençait déjà à le charrier. Bon, le point positif, c'était que cette histoire les avait rapprochés, et comme elle savait quand même se tenir, elle tenait sa langue devant le blond. Mais tout ça pour mieux se lâcher dès qu'il se retrouvait seul avec elle ! Heureusement qu'il l'adorait, tiens…

Voyant l'heure tourner, le jeune homme se secoua et débarrassa Nuance de sa couverture, bien utile pendant les froides nuits d'hiver. Il entreprit ensuite de la brosser vigoureusement, faisant voler poils et brins de paille. Oui, indéniablement, en plus de plaisir certain qu'il retirait de monter à cheval, son enthousiasme était monté d'un cran depuis que Chris avait pris l'habitude de venir le chercher en voiture. Lorsque son ami avait découvert qu'il se tapait un heure de métro à l'aller comme au retour, il avait décrété qu'il pouvait bien lui servir de chauffeur. Un coup de volant, et Chris était en dix minutes de chez lui au centre équestre. Et il avait définitivement coupé court aux protestations d'Antoine en lui disant que plus tôt ils commenceraient à travailler, et plus vite ils pourraient déjeuner et profiter de leur week-end. Le brun avait bien été obligé de capituler face à l'argument de l'estomac, imparable comme bien souvent. Et puis, il n'allait pas s'en plaindre, hein…

-Voilà, fit-il après avoir curé le quatrième sabot, tu es propre comme un sou neuf !

Il laissa glisser ses doigts sur l'encolure noire, douce comme une peluche, et planta un gros bisou sur le chanfrein de la jument, juste entre les deux yeux. Celle-ci s'ébroua et se mit à fouiller ses poches du bout du nez, déclenchant le rire de son cavalier.

-Après le boulot, espèce de gourmande ! lui lança-t-il en la repoussant doucement.

Il alla récupérer selle et bride, et harnacha sa monture en un tour de main, rompu à l'exercice depuis le temps. Il jeta un regard à sa montre et eut un sourire satisfait. Il était juste dans les temps. Il s'appuya à la porte du box et entreprit de caresser sa jument, venue chercher un peu de contact contre son épaule. Il allait replonger dans ses pensées lorsqu'une petite voix l'appela à l'aide.

-Antoine, au secours !

-J'accourre, jeune demoiselle, fit-il en allant se pencher à la porte du box voisin, que dis-je, je vole à votre rescousse, je…

-Tu blablateras plus tard, viens m'aider, espèce de grand !

Le jeune homme éclata de rire et alla rejoindre son amie dans le box. Joueur, Othello profitait de sa grande taille pour échapper au mors en levant haut le tête, se mettant ainsi hors de portée. Debout sur la pointe des pieds, Christelle pestait contre sa petite taille.

-C'est pas juste ! pleurnicha-t-elle lorsque Antoine prit la bride et la situation en main.

-Que veux-tu, répondit-il en enroulant sa main autour du chanfrein du cheval, tu fais un mètre douze debout sur un tabouret les bras levés, ce n'est pas de ta faute. Et puis tu es mignonne ! ajouta-t-il en voyant son amie mettre les poings sur les hanches.

-Bien rattrapé, lui accorda Christelle. Tout le monde ne peut pas être un Mont Everest sur pattes !

Antoine fourra le mors dans la bouche d'un Othello surpris et entreprit de lui glisser les oreilles sous la têtière.

-Elle était moyen, celle-ci, commenta-t-il.

-Oui, mais c'est tout ce qui m'est passé par la tête…

-Voilà qui explique beaucoup de choses, fit Antoine en bouclant les derniers liens de cuirs.

-File d'ici ! s'exclama Christelle, faussement outrée.

Le jeune homme s'enfuit en riant et alla mettre sa bombe et ses gants.

-Oh, Antoine ! le rappela son amie. Merci quand même ! fit-elle avec un clin d'œil.

L'appel de Laurence conviant ses cavaliers sur la carrière l'empêcha de répondre autrement que par un sourire, et les deux cavaliers se hâtèrent. Toujours cette ponctualité d'une précision presque diabolique…

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Concentré, Antoine entreprit d'appliquer les conseils de Laurence. La théorie ne posait aucun problème mais la pratique, c'était une autre paire de manches ! Ils devaient, texto, ''déplacer les hanches sur le cercle tout en gardant les épaules du cheval droites, et ce, au trois allures''. Certes. Et quand le cheval n'avait aucune envie de se plier à l'exercice et de croiser ses postérieurs ? Lancé dans un cercle à gauche, Antoine renforça l'action de sa jambe gauche pour repousser les hanches de sa jument hors du tracé du cercle, resserrant le diamètre à chaque pas. Lorsqu'il sentit que Nuance cédait et faisait un pas croisé, il entreprit aussitôt de la féliciter. Et un pas de fait, un ! Sur des centaines qu'ils faisaient depuis le début de la reprise, mais c'était un détail… Il jeta un regard autour de lui. Partout, des cavaliers lancés sur des cercles plus ou moins larges, au pas ou au trot. Il repéra Christelle à l'autre bout de la carrière, facilement repérable avec son pull rouge sur son géant flamboyant. Othello avait beau être une masse imposante, il semblait être d'une étonnante souplesse et se plier aux demandes de sa cavalière sans rechigner.

-Prends donc exemple sur lui, ma belle, souffla le jeune homme à sa monture en reprenant les rênes.

-Antoine, tu dors ? lança Laurence. Allez, en cercle autour de moi, montre-moi les fruits de ton travail.

Le jeune homme s'exécuta en grimaçant. Mais il n'eut pas le temps d'atteindre sa monitrice qu'une voiture freinant sec sur le parking attenant effrayait sa jument, qui se cabra aussitôt avant de faire un brusque écart puis de se planter sur ses quatre sabots, tremblante et les oreilles pointées en avant. Antoine reprit facilement son équilibre avec l'habitude que confère la pratique, et relança Nuance en avant.

-C'est une voiture, grosse nouille, fit-il d'une voix douce en lui caressant l'encolure. Tu en as vu des centaines dans ta vie !

-Tout va bien ? demanda Laurence lorsqu'il arriva à sa hauteur. Je l'ai vue s'agiter comme ça plusieurs fois depuis le début du cours.

-Elle est à fleur de peau, répondit le jeune homme en haussant les épaules.

-Le vent l'énerve, et il a fait tellement mauvais ces derniers temps qu'elle a plus vu le manège que la carrière. Etre dehors doit l'exciter un peu, expliqua la monitrice en flattant l'épaule de la jument noire. Allez, en piste les affreux, montrez-moi ce que vous savez faire, conclut-elle en frappant dans ses mains.

Le jeune homme passa de longues minutes à tourner autour d'elle, essayant d'appliquer les conseils qu'elle lui donnait pour obtenir les pas croisés désirés. On avait beau dire, un cours de dressage était peut-être moins impressionnant qu'un cours d'obstacle pour des spectateurs, mais pour un cavalier c'était de loin le plus fatiguant ! Sauter était pour un cheval bien plus naturel que faire des figures de dressage, pourtant nécessaires à sa souplesse et à sa musculature.

-Parfait ! s'exclama Laurence lorsque Nuance fut capable d'enchaîner des postérieurs croisés dans les deux sens. Allez, au trot maintenant !

Et là-dessus, elle partit s'occuper d'un autre couple cheval/cavalier.

-Bon, ben, au trot maintenant ! répéta Antoine en serrant ses bas de jambes.

Nuance partit aussitôt dans un trot élastique qui ravit son cavalier. Il avait oublié combien les allures de sa monture pouvaient être aussi belles que confortables ! Il élargit son cercle à droite et reprit l'exercice, sentant la jument plus réceptive maintenant qu'elle avait compris ce qu'il attendait d'elle. Il s'apprêtait à la lancer au galop lorsqu'un chien se mit à japper furieusement de l'autre côté de la clôture, surprenant la jument. Celle-ci se cabra à nouveau contre le monstre et enchaîna les sauts de moutons. Cette fois-ci, Antoine ne put tenir en selle et vida brutalement les étriers, heurtant le sol de la carrière avant de comprendre ce qui lui arrivait. Un peu sonné, il resta un instant au sol, le temps d'analyser la situation. Il avait chu. Bien. Le haut de son dos et sa hanche gauche le lançaient, moins bien. Il allait certainement en être quitte pour de sacrés bleus ! Il se redressa avec précaution et se remit sur ses pieds en grimaçant. Il souleva un bout de son T-shirt et dégagea le haut sa hanche pour apercevoir trois lignes de grosses écorchures tandis que Laurence allait récupérer Nuance, réfugiée à l'autre bout de la carrière, le plus loin possible de l'horrible monstre bruyant.

-Tout va bien ? demanda Christelle en arrêtant Othello à côté de lui.

-Rien de cassé, mais de jolis bobos, répondit-il en fronçant le nez.

-Bon, comme tu n'as rien de cassé, tu pourras nous faire un bon gâteau pour la semaine prochaine, comme le veut la tradition, fit la jeune fille avec un clin d'œil.

-Au chocolat ! lança un cavalier.

-Non, aux pommes ! répliqua un autre.

-Et moi, je préfère la noix de coco, répondit Laurence en s'approchant, Nuance derrière elle.

-Bande d'estomacs sur pattes insensibles, se désola Antoine en secouant la tête. Et toi, tu es une nouille de première ! ajouta-t-il en reprenant les rênes de sa monture.

Peu rancunier, il lui caressa l'encolure. Après tout, il ne pouvait lui en vouloir de réagir selon ses instincts ancestraux de proie ! Mais si elle avait pu éviter de l'envoyer par terre, il lui en aurait été reconnaissant…

-Tu te sens de remonter ? s'assura Laurence avant qu'il ne mette le pied à l'étrier.

-Je vais y aller doucement, répondit le jeune homme en se hissant en selle avec une grimace, j'ai la hanche un peu en compote.

-Ok, mais ne force pas, d'accord ? Inutile de jouer les gros durs, fit la monitrice en lui tapotant amicalement le genou.

Antoine lui adressa un sourire et termina l'heure au pas, ménageant sa hanche malmenée pour laquelle il prédisait déjà un bleu monumental. Il se contenta de confirmer les acquis de la jument quant au déplacement des hanches sur le cercle pendant les dix minutes restantes, et sauta à terre avec un soulagement évident. Il la ramena ensuite au box et retira sa bombe en soupirant, et grimaça encore à l'idée de l'odeur de cheval et de sueur qu'il devait dégager. Il y avait plus sexy, tout de même !

-Allez, souris, lança Christelle en déposant la selle d'Othello contre le mur, le Grand Amour Secret de ta vie va pouvoir jouer les infirmiers sur tes blessures de guerre.

Antoine rougit instantanément et entreprit de débarrasser Nuance de son harnachement.

-Je ne crois pas que vêtu d'une tenue d'équitation –il y a plus seyant, tout de même-, en plus maculée de sable, et dégageant l'agréable parfum que nous connaissons bien…

-Des détails, des détails, fit la jeune fille en balayant ses objections d'un geste négligent de la main.

Antoine éclata de rire et reprit le pansage de sa monture, lui offrant deux friandises à la pomme une fois la couverture remise.

-Tu n'es pas rancunier, toi, remarqua sa rousse amie comme ils ramenaient les harnachements à leur place.

-Elle ne m'a pas fichu par terre par méchanceté mais parce qu'elle a eu peur, nuance, répondit le jeune homme.

-Ah ah ah, répliqua Christelle en levant les yeux au ciel. Quel humour, vraiment…

Antoine lui adressa un clin d'œil en rassemblant ses affaires et, après une dernière caresse à Nuance qui avait déjà le nez fourré dans son foin, il se dirigea vers le parking avec son amie. Une Twingo bleue l'y attendait déjà, et il ne put empêcher un large sourire de venir fleurir sur ses lèvres.

-Je confirme, mon ami, tu as l'air parfaitement stupide, commenta la jeune fille.

-Je te proute, répondit-il très dignement. A samedi prochain !

Il fit la bise à son amie et alla s'asseoir à côté du conducteur. Il n'eut pas le temps de le saluer que Christelle retenait sa portière et adressait un large sourire à Chris.

-Bonjour ! fit-elle avant de se retourner vers Antoine. Bon, tu n'oublies le gâteau pour la semaine prochaine, hein ?

-Mais oui, promis, répondit le jeune homme, faussement exaspéré. Allez, dégage, va sauter dans les pattes de ton nounours que je vois là-bas !

La carotte fonctionna parfaitement, Christelle lui envoya un baiser du bout des doigts avant de courir rejoindre sa montagne sur pattes qui lui ouvrait les bras, un tendre sourire aux lèvres.

-Un gâteau ? demanda Chris en démarrant, un sourcil haussé.

-J'ai chu, expliqua son ami en grimaçant. Et la tradition veut qu'une chute égale un gâteau pour le cours suivant.

-Tradition sympa, commenta le blond avec un demi-sourire. Tu ne t'es pas fait mal ? demanda-t-il en se tournant vers lui à un stop.

Antoine nota avec une pointe de plaisir l'air inquiet, les mèches ébouriffées voilant les yeux attentifs… Tu t'égares, mon petit, concentration, concentration…

-Ça va, fit-il en réprimant une grimace lorsqu'un cahot envoya sa hanche blessée frapper le siège.

-Et en version non macho, ça donne quoi ? s'amusa Chris.

Antoine se contenta de lui tirer la langue, parfaitement puéril et conscient de l'être, et fit diversion en montant le son de la radio pour massacrer le refrain de la chanson qui passait. Le temps d'arriver chez lui, il avait réussi à entraîner son ami dans sa destruction organisée d'œuvres musicales.

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Antoine leva la tête pour offrir son visage à l'eau chaude relaxante. Il la sentait avec délices ruisseler le long de son corps, délasser ses muscles crispés par l'effort et atténuer les douleurs liées au choc. De temps en temps, il entendait le bruit d'une bouilloire qui sifflait, le cliquètement de verres, et il savait que de l'autre côté de la porte, Chris s'affairait à préparer le capuccino et les biscuits à la noix de coco, alliés indispensables contre les adversaires qu'étaient la macro et la microéconomie. Rien qu'à y penser, le jeune homme ne put s'empêcher de grimacer. Certes, la présence de Chris rendait les choses bien plus faciles et agréables, mais ça restait tout de même des matières rébarbatives et ennuyeuses, na ! Il avait presque envie de rester à jamais sous sa douche, offert aux bons soins de l'eau bouillante.

-Antoine, tu te noies ? s'informa Chris de l'autre côté de la porte.

Bon, il allait de voir changer ses plans…

-J'arrive ! répondit-il en coupant l'eau.

-N'oublie de désinfecter ta hanche, lança son ami en s'éloignant.

-Gnagnagna, oui Maman ! grommela le brun en sortant de la douche.

Il se sécha et enfila caleçon et jean, dégageant juste sa hanche gauche. La peau bleuissait déjà nettement sur une surface large comme la paume de sa main, et les fines écorchures rouges allaient mettre un certain temps à cicatriser. Serrant les dents, Antoine versa un peu d'alcool sur un coton et entreprit de les tamponner, retenant un hurlement. Lorsqu'il fut sûr qu'elles étaient propres du moindre grain de sable, il s'autorisa une expression de douleur.

-Aïe, lâcha-t-il simplement.

Il boucla son jean puis, conscient d'une autre zone de douleur dans le haut de son dos, il tourna le dos au miroir et se tordit le cou pour s'examiner. Oui, juste entre les deux omoplates, il y avait un autre bleu, plus petit, et une série d'écorchures qui lui envoyèrent des éclairs de douleur lorsqu'il se désarticula les épaules pour tenter de les atteindre.

-Et merde ! jura-t-il en laissant retomber sa main.

Il y avait UNE petite zone du dos que l'être humain ne pouvait atteindre, et il fallait qu'il se blesse exactement ! (1) Il allait laisser tomber et enfiler sa chemise lorsque la voix de Chris s'éleva à nouveau de l'autre côté de la porte.

-Tout va bien ? demanda-t-il.

-Je n'arrive pas à atteindre les écorchures dans mon dos, râla Antoine.

-Tu veux un coup de main ? proposa son ami.

Le brun hésita un instant. Bonne idée, pas bonne idée… ? Oh, ça suffit ! Il alla déverrouiller la porte de la salle de bain et l'ouvrit sur un Chris amusé. Il crut voir un instant son expression changer lorsqu'il le découvrit torse nu, mais son impassibilité habituelle reprit si vite ses droits qu'il crut avoir rêvé. Un peu déçu malgré tout, Antoine se reprit aussitôt. Il la jouait cool ? Il pouvait la jouer cool lui aussi !

-Tourne-toi, fit Chris.

Antoine obéit complaisamment et grimaça lorsque son ami entreprit de désinfecter ses blessures.

-Ça pique, râla-t-il.

Le chacal se contenta de rire, faisant redoubler les protestations du brun. Il nettoya méthodiquement chaque coupure et ne laissa retomber sa main que lorsqu'il fut sûr qu'elles étaient parfaitement propres.

-Et voilà, c'est fini, annonça-t-il en jetant le morceau de coton.

-Merci ! s'exclama Antoine. Sans toi, je…

La suite de sa phrase s'étrangla dans sa gorge lorsqu'un doigt plus léger qu'une plume entreprit de suivre les contours du bleu dans son dos, faisant frissonner la peau sensible. Antoine eut le souffle coupé lorsque les mains de Chris vinrent se nouer sur son ventre, ses bras entourant délicatement sa taille pour ne pas heurter sa hanche blessée. Et les neurones du pauvre garçon disjonctèrent définitivement lorsque des lèvres fraîches se posèrent sur son bleu.

-Aïe, se contenta-t-il de dire.

Un léger rire secoua le corps serré contre son dos et une voix un rien voilée s'éleva.

-Alors où n'as-tu pas mal ? (2)

Dans un état second, Antoine leva la main pour désigner son épaule. Aussitôt, les lèvres douces allèrent y déposer un tendre baiser.

-Mais encore ? s'enquit Chris.

Antoine se retourna lentement sans briser l'étreinte pour autant. Il avait bien trop peur de briser ce rêve merveilleux en même temps. Il ancra son regard aux yeux levés vers lui, et ce qu'il y distingua amena un sourire sur ses lèvres.

-Là, murmura-t-il en désignant sa clavicule.

Un doux baiser recouvrit bientôt l'endroit désigné, déclenchant un profond frisson dans le corps tout entier d'Antoine.

-Ailleurs ?

Le brun montra sa joue, et sourit au bisou d'enfant qui lui fut offert. Chris n'eut pas besoin de répéter sa question lorsqu'il s'écarta de lui. Il lui suffit de hausser un sourcil interrogateur, et Antoine désigna ses lèvres d'un geste hésitant. Chris se hissa sur la pointe des pieds et s'arrêta à quelques centimètres de l'objet de son désir, laissant leur souffles se mêler. Les yeux plongés dans ceux de son vis-à-vis, il lui adressa un sourire un peu tremblant avant d'aller au bout de son geste. Il s'empara lentement des lèvres d'Antoine, comme pour tester leur réaction. Elles tremblaient un peu, et il se surprit à sourire comme les bras de son ami se refermaient enfin sur lui, le serrant contre son corps ferme. Il pouvait sentir les battements de son cœur un rien trop rapides faire écho aux siens, et cette constatation l'emplit de joie sans qu'il comprenne vraiment pourquoi. Il approfondit alors le baiser, envoyant sa langue chercher sa consoeur pour l'entraîner dans un ballet qui, s'il commença tendre et lent, gagna rapidement en intensité. Leurs lèvres se dévoraient, lâchant la bride à un désir trop longtemps retenu. Les mains d'Antoine étaient remontées pour enserrer le visage de Chris, qui dessinait des arabesques sur la peau nue du brun, ne gardant qu'un parcelle de conscience pour ne pas aller frôler la zone douloureuse. Et le temps perdit toute emprise sur eux.

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Un long moment plus tard, lorsqu'ils eurent migré de la salle de bains au canapé, que Chris se fut installé sur les genoux d'Antoine, que leurs lèvres furent rougies et gonflées sous l'effet de baisers toujours plus dévorants, que leurs cheveux furent ébouriffés et que leurs corps n'en puissent plus de frissonner sous des caresses enfiévrées sans pour autant s'en rassasier, Antoine s'arracha à l'étreinte délicieuse de son désormais amant pour une question, une seule.

-Pourquoi maintenant ? demanda-t-il simplement en dégageant les yeux sombres de leur voile de mèches blondes.

Chris resta un instant silencieux, comme méditant sa réponse. Antoine allait craquer et fondre à nouveau sur ses lèvres tentatrices lorsque sa voix basse s'éleva.

-Parce que je suis un rien bouché et que, je suis désolé mon cher, mais tes techniques de drague sont plutôt pitoyables, fit-il avec un léger rire.

-Je ne te permets pas ! s'indigna Antoine.

-Je me permets tout seul, ne t'inquiète pas, répondit Chris en haussant les épaules. Disons que c'était de te voir… vulnérable, de m'être inquiété pour toi, et certainement un élan d'audace que je ne comprendrai jamais mais que je ne suis pas près de regretter…

-Ah oui ? fit mine de s'étonner le brun, joueur.

Chris leva les yeux au ciel mais ses protestations furent étouffées dans un nouveau baiser.

-J'ai juste un truc à dire que je n'aurais jamais imaginé dire, haleta Antoine en s'arrachant difficilement à lui.

-Et c'est ? s'enquit Chris.

-Merci Nuance ! répondit Antoine avec un clin d'œil malicieux.

Chris éclata de rire et ne put qu'acquiescer avant de perdre à nouveau pied sous des caresses décidément bien trop enfiévrées pour ses pauvres neurones. Inutile de vous dire que la macro aussi bien que la microéconomie furent totalement oubliées !

FIN

(1) : je sais, je sais : comme par hasaaard ! XD

(2) : je sais, Indiana Jones l'a inventé bien avant moi, mais j'ai toujours rêvé de reprendre cette scène. J'adore !