Auteur : Mouf-Mouf

Disclaimer : Tout à moi, mais je veux bien prêter, hein !

Genre : Romance yaoi

Note : Et voilà, regain d'inspiration ! J'allais corriger Fallen Angel, et cette histoire m'est tombée dessus ! Bilan : une bosse (on s'en fiche) et une nouvelle fic (youpi !) !

Etrange rencontre

Après avoir manqué de percuter trois arbres et de sortir de la route une deuxième fois, Nathanaël se gara sur le bas-côté afin de pouvoir déchiffrer sa carte en toute tranquillité. Il retrouva la route principale et la suivit du doigt, jusqu'à ce qu'elle se perde dans un entrelacs de petites routes et autres chemins tellement fins qu'il lui était impossible de les distinguer les uns des autres au milieu d'une grosse tache verte. Il poussa un profond soupir et replia sa carte. Voilà ce que c'était que de conduire le nez au vent et les pensées vagabondes ! Il avait été si heureux de quitter Paris, d'abandonner ses responsabilités pour un après-midi, libéré de son strict costume au profit d'une tenue plus légère, qu'il avait totalement perdu sa direction. Et bien sûr, il avait oublié son GPS. Il pouvait toujours essayer d'appeler Andrew, mais non seulement Leïla lui en voudrait, mais en plus il imaginait très bien son garde du corps goguenard devant son incapacité à lui expliquer où il se trouvait…

Nathanaël sortit de sa voiture, espérant en voir passer une autre qu'il pourrait arrêter. Quoiqu'il ne lui semblait pas en avoir vue depuis deux bonnes heures… Entourée de hauts arbres majestueux, le soleil serpentant sur le sol au gré de leurs branchages, la route semblait même abandonnée. Loin d'être nette, elle était jonchée de feuilles, de terre et de branchages, témoins du passage plus fréquent d'animaux que de voitures. S'il mettait de côté le fait désagréable qu'il était perdu, il se devait d'avouer que cette forêt était magnifique. Pas un bruit si ce n'était le vent dans les branches et les pépiements d'un oiseau. Après l'activité effrénée de la capitale, voilà qui ne pouvait qu'être agréable ! Même s'il aurait bien aimé savoir où il avait échoué…

-Mon cher, tu es vraiment nul, s'amusa-t-il en secouant la tête.

-Vous êtes perdu ? fit soudain une voix.

Surpris, Nathanaël sursauta et se retourna… pour se retrouver face à un gros nez noir poilu. Il laissa échapper un cri étranglé et bondit en arrière, accompagné d'un rire joyeux. La main sur le cœur, il entreprit d'identifier le monstre qui venait s'en prendre à lui… en réalité, un cheval et son cavalier. L'animal, grand et massif, d'une belle couleur ivoire, avait les oreilles pointées vers lui tandis que son maître se gondolait toujours. Même le cheval semblait se foutre de lui ! Bien qu'un peu vexé, Nathanaël choisit de ne pas s'offusquer et préféra détailler celui qui se moquait si ouvertement de lui, chose qui lui arrivait rarement. Des mèches blondes en bataille sous la bombe, un corps fin mais indéniablement masculin, des yeux sombres que le rire faisait pétiller, la peau hâlée de ceux qui passent beaucoup de temps à l'extérieur… Une apparition somme toute charmante ! Le cavalier se calma enfin et, remarquant les bras croisés et le sourcil haussé de Nathanaël, il eut une grimace d'excuse. Il sauta au bas de son cheval et vient à sa rencontre, un bras passé des les rênes et l'autre main tendue.

-Désolé, fit-il avec dans les yeux une lueur qui trahissait encore son amusement.

-Ce n'est rien, répondit le brun en acceptant la main tendue avec un sourire. Il est vrai que s'effrayer d'un cheval peut paraître stupide…

-C'était surtout votre tête ! s'exclama l'autre. On aurait dit que vous étiez tombé nez à nez avec un dragon ou un autre genre d'horrible créature !

Son rire était communicatif, et cette fois Nathanaël ne put que l'accompagner. Il y avait également longtemps qu'il n'avait pas simplement ri ainsi avec quelqu'un !

-Thibault Kiliad, se présenta le cavalier, une fois son fou-rire calmé.

-Nathanaël… Brand, ajouta-t-il après une hésitation.

Après tout, il pouvait bien donner son vrai nom : sa photo apparaissait presque chaque jour dans le journal, il avait bien dû le reconnaître. Aussi fut-il surpris de ne pas voir l'attitude de Thibault changer : il se contenta d'un sourire poli avant de retirer sa main pour caresser le chanfrein de son cheval.

-Et voici Poème, fit-il doucement. Tenez, faites-lui sentir votre main, ajouta-t-il en l'attrapant par le poignet.

La prise était douce mais ferme, et Nathanaël se retrouva avec deux naseaux chauds posés sur sa paume. Le souffle lui arracha un éclat de rire.

-Ça chatouille ! s'exclama-t-il.

-Et maintenant qu'il vous connaît, vous pouvez le caresser, l'encouragea Thibault.

D'un geste hésitant, Nathanaël effleura l'encolure du cheval, avant de la caresser plus franchement, perdant ses doigts dans les crins blancs, revenant sur le chanfrein et le grattant entre les deux yeux. Poème en ferma les yeux de plaisir, et son cavalier eut un sifflement admiratif.

-Vous savez vous y prendre avec les chevaux !

-Je montais à poney, lorsque j'étais petit, répondit Nathanaël.

-A vous voir effrayé par Poème, j'aurais juré que vous n'aviez jamais vu de cheval de votre vie ! Mais maintenant, on dirait que vous en côtoyez tous les jours… remarqua Thibault en flattant l'encolure de sa monture à son tour.

-J'aimerais bien, répondit le brun avec une grimace, mais je n'ai pas le temps…

-Trop de travail ? demanda Thibault.

Nathanaël lui jeta un regard torve. Il se foutait de lui ou quoi ? Et pourtant, les yeux ancrés aux siens étaient francs et sincèrement interrogateurs. Se pouvait-il réellement qu'il ignore qui il était ? Tu pèches par orgueil, là, mon grand ! Il s'amusa de sa propre prétention, et choisit de rester évasif.

-Oui, trop de travail...

Ils restèrent un moment silencieux, simplement à caresser le cheval ravi de tant d'attentions. Pas un bruit ne venait rompre le silence, et chacun semblait y trouver son compte. Thibault se contentait d'un sourire avant de reporter son attention sur Poème, simplement tranquille. Et Nathanaël se surprit à apprécier ce moment particulier. Ce fut pourtant le cavalier qui y mit fin le premier.

-Au fait, vous n'étiez pas perdu ?

-Si, c'est vrai, acquiesça Nathanaël avec une grimace. J'ai roulé un bon moment sans faire attention à ma direction, et je n'ai aucune idée de comment je pourrais rattraper la route principale et rentrer…

-Ah, les hommes des villes, se moqua Thibault en levant les yeux au ciel. J'ai une proposition à vous faire, ajouta-t-il avant que Nathanaël n'ait pu décider s'il devait s'offusquer ou non. Vous ne vous sortirez pas tout seul de cette forêt, et il n'y a que deux façons de retrouver la route principale de la forêt, à moins de couper à travers les arbres –ce que je vous déconseille fortement. L'un est à une bonne heure à cheval d'ici, et Poème est fatigué. L'autre passe par chez moi. Un café, ça vous dit ?

Le brun hésita un instant. Les yeux sombres attendaient calmement sa réponse. Il semblait aussi désireux de l'aider qu'indifférent au fait qu'il préfère rester perdu dans cette forêt, il y avait donc peu de chances pour qu'il prépare un coup tordu et fumeux pour piéger une célébrité. Nathanaël s'amusa avec un fond de regret de sa paranoïa, et se demanda fugitivement à quand remontait sa dernière rencontre fortuite qui n'en ait pas été entachée. Il se refusa à chercher, craignant le résultat, et adressa un sourire à Thibault.

-Un café serait parfait, accepta-t-il.

-Super ! s'exclama le blond en bondissant en selle. Bon, Poème a beau être grand, il ne carbure pas autant que le moteur de votre bolide, alors vous allez devoir nous suivre à allure réduite.

-Au point où j'en suis, je ne suis pas pressé, se résigna Nathanaël avant de s'installer au volant.

Un bruit de sabots claquant sur le bitume, et un éclat d'ivoire passa devant sa voiture pour se retrouver sur le bas-côté de la route. L'herbe haute y étouffait le trot élégant de Poème, et il semblait flotter au-dessus du sol. Nathanaël avait beau ne pas être un homme de cheval accompli, il savait reconnaître une belle bête lorsqu'il en voyait une. Thibault se retourna sur sa selle pour lui faire signe, et le jeune homme démarra en douceur, se gardant de faire rugir le moteur pour ne pas effrayer le cheval. La fenêtre ouverte, il roulait doucement, appréciant le vent frais, les hauts arbres, les rayons de soleil qui perçaient leur voûte pour former des flaques de lumière. Il lui semblait même que Thibault chantonnait devant, mais trop doucement pour qu'il puisse être certain de la mélodie. Le jeune homme se surprit à sourire. Son après-midi s'améliorait de façon substantielle !

Après une demi-heure à rouler, à prendre des chemins plus perdus les uns que les autres, Nathanaël freina devant une petite maison de pierre. Montée sur deux étages, des fleurs aux fenêtres et devant la porte, un champ immense s'ouvrant derrière… C'était là un vrai petit coin de paradis, bien loin des bruits de la ville et de ses hauts buildings. Le seul bruit était celui des hennissements de Poème, auxquels répondaient trois chevaux arrivant au galop dans le champ. Deux chevaux et un poulain, rectifia mentalement le jeune homme en le regardant piler devant la barrière. Il s'amusa de les voir tendre le nez vers leur maître, qui leur distribua à chacun une caresse sur le nez avant d'attacher Poème avec un licol pendu à un anneau de la barrière.

-Viens, approche-toi ! lança Thibault en dessanglant sa monture, passant automatiquement au tutoiement. Le temps que je m'occupe de Poème, et je suis à toi !

Nathanaël obtempéra prudemment, répétant les gestes exécutés plus tôt avec le cheval ivoire. Les deux grands, un noir et un bai (1), vinrent aussitôt le sentir et se bousculer pour des caresses. Le jeune homme n'avait pas trop de ses deux mains pour les satisfaire ! Une tension sur sa chemise lui fit baisser les yeux et il éclata de rire. Malin, le petit poulain noir avait glissé sa tête entre deux poutres de bois pour essayer de fouiller ses poches. Thibault vint à son secours et le chassa d'une petite tape.

-Artiste, tu exagères ! s'exclama-t-il.

-Il est adorable, s'attendrit Nathanaël en le voyant revenir à la charge.

-Et très têtu, répondit le blond en fronçant les sourcils. Un mois, et il a déjà un caractère impossible. Tu pourrais le surveiller ! lança-t-il à la jument noire qui s'était remise à brouter.

Ce fut à peine si elle remua une oreille, et Nathanaël éclata de rire à nouveau.

-Je crois qu'elle s'en moque, informa-t-il le pauvre maître.

-Tu as remarqué, toi aussi ? fit Thibault avec un clin d'œil.

Il retourna à Poème et le débarrassa de sa bride en un tour de main. Cherchant à échapper au poulain, Nathanaël alla lui proposer son aide. Après tout ! Le jeune homme le considéra un instant, surpris, puis un large sourire fendit son visage et il lui fourra une brosse dans les mains.

-C'est un bouchon, précisa-t-il. Tu le passes sur tout son corps, sauf la tête. Et n'aie pas peur de frotter, ça le gratte et il adore ça !

Fort de ses instructions, Nathanaël entreprit de brosser le grand cheval tandis que Thibault s'occupait de ses pieds, délogeant cailloux et petits bouts de bois qui pourraient provoquer une blessure.

-Combien as-tu de chevaux, comme ça ? demanda-t-il en regardant Artiste essayer de pousser sa mère à jouer à chat.

Il venait la bousculer, partait au grand galop, pour revenir tout dépité en voyant qu'elle ne le suivait pas, et recommençait inlassablement.

-Quatre, répondit le jeune homme. Poème, Artiste, la noire c'est Boréale et le bai, c'est Vaurien. J'ai commencé par acheter Vaurien quand je me suis installé ici, il y a cinq ans. Puis Poème a suivi, Boréale peu de temps après, et j'ai décidé l'année dernière de la faire pouliner. J'ai toujours rêvé d'élever un poulain, et comme mon père possédait un haras, j'ai toute l'expérience nécessaire !

-Tu comptes monter ton propre élevage ?

-Oh non ! fit Thibault en riant. Quatre chevaux me suffisent amplement ! Et puis mes écuries, de l'autre côté du champ, sont juste assez grandes pour quatre, c'est parfait.

-En effet, c'est parfait, acquiesça rêveusement Nathanaël.

Il regarda pensivement le jeune homme emmener sa monture au pré et l'y lâcher, riant de la voir aussitôt se rouler dans l'herbe tendre au milieu de ses congénères. Au temps pour le brossage ! Il resta un instant accoudé à la barrière à côté de Thibault, savourant ce plaisir de prendre son temps qui lui était trop peu accordé. Ce fut le cavalier qui brisa le silence le premier avec un grand sourire.

-Allez viens, je t'ai promis un café !

Séduit par cette proposition plus qu'alléchante, Nathanaël le suivit dans la petite maison de pierre.

Assis sur la terrasse qui s'ouvrait de l'autre côté de la maison, les yeux fermés, le jeune héritier offrait son visage au soleil avec délices. Son hôte l'avait installé sur une chaise de jardin, avec l'ordre de ne pas bouger le temps qu'il prépare le café, lui faisant les gros yeux lorsqu'il avait tenté de protester. Une fois de plus, Nathanaël s'était amusé de ce comportement dont il avait perdu l'habitude. Les gens avaient plutôt tous tendance à le traiter soit avec une déférence qui frisait le ridicule, soit comme un rival à abattre. Dans cette ambiance délétère, pas facile de nouer des amitiés ! Le comportement simple et sans chichis de Thibault était d'autant plus agréable et rafraîchissant.

Le jeune homme fut interrompu dans ses réflexions par un concert de miaulements. Surpris, il baissa les yeux pour voir une chatte rousse tigrée passer, altière, par la porte-fenêtre, et aller se rouler en boule dans le grand panier d'osier qui trônait au bout de la terrasse baignée de soleil. Elle était suivie de cinq petits chatons encore malhabiles sur leurs pattes, tanguant et trébuchant à chaque pas. Tous aussi roux que leur mère, un seul sortait du lot avec son pelage aussi noir que la nuit à l'exception de quatre petites chausses blanches au bout des pattes. Il peinait un peu au bout de la file, et piaulait désespérément après ses frères et sœurs qui jouaient déjà dans le panier. Il trébucha une fois de plus et, n'y tenant plus, Nathanaël le rattrapa. Le chaton était si petit qu'il débordait à peine de sa paume. Le jeune homme le monta à hauteur de son visage et croisa deux yeux bleus scintillants et curieux. Ils s'observèrent un instant, l'homme et le chat, puis le félin eut un petit miaulement et lança sa patte, joueur, vers le nez de son nouveau perchoir. Celui-ci éclata de rire, et du bout de l'index, entreprit de lisser l'épi rebelle entre les deux oreilles noires. Le petit corps se mit aussitôt à vibrer comme le chaton ronronnait bruyamment, les yeux clos.

-Les chevaux, les chats… Tu es l'ami des bêtes, finalement ! s'exclama Thibault en arrivant.

Il déposa sur la table un plateau contenant deux tasses fumantes, du lait, du sucre, et quelques tranches d'une brioche dorée à souhait. Nathanaël, dont le déjeuner remontait déjà à loin et que ses pérégrinations dans la forêt avaient affamé, se sentit saliver rien qu'à cette vue.

-On dirait un bon gros matou devant un bol de lait, se moqua Thibault.

Nathanaël lui adressa une grimace, faisant redoubler son rire. Il devait être un peu maso, finalement, puisque être ainsi un sujet de moquerie le ravissait. Il choisit de ne pas se pencher sur cet aspect étrange de sa personnalité et préféra poser le chaton sur ses genoux, qui s'y roula aussitôt en boule en bâillant, blotti contre son ventre.

-Il est trop mignon, s'attendrit le jeune homme. Merci, ajouta-t-il en prenant la tasse de café que lui tendait Thibault.

-C'est le petit dernier de la bande, répondit le jeune homme en lui servant d'office une tranche de brioche. Et c'est celui qui ressemble le plus à son père ! Tu le veux ?

-Pardon ?

-Le chaton. Tu le veux ? Ils sont sevrés, et je leur cherche des maîtres. 6 chats, ça devient un peu beaucoup, même pour moi !

Nathanaël caressa pensivement la boule de poils tout en mordant dans sa part de brioche. Hmm, un vrai délice… ça aussi, c'était quelque chose qu'il avait oublié. Il avait tendance à prendre ses petits-déjeuners sur le pouce, avalant un café corsé et une pomme à toute allure. Il faudrait qu'il pense à demander des brioches à Leïla, tiens… Même Andrew serait ravi !

-Alors ? reprit Thibault, le tirant de ses pensées.

-Tu serais prêt à me le donner comme ça ? s'étonna Nathanaël. Si ça trouve, je suis un psychopathe qui le torturerait atrocement.

-Non, je ne crois pas, répondit tranquillement le blond. Vu ton comportement avec les chevaux, et même la façon dont tu t'attendris sur ce chaton, je pense pouvoir te faire confiance.

Si ce raisonnement étonna d'abord l'héritier, il fit ensuite naître un large sourire sur ses lèvres.

-J'aimerais beaucoup avoir un chat, mais je n'aurais pas le temps de m'en occuper, surtout d'un si petit. Malheureusement, ajouta-t-il avec une pointe de regret.

-Trop de travail, encore ? releva Thibault.

-C'est ça, trop de travail, acquiesça Nathanaël en perdant son regard dans les méandres noirs de son café.

Il y avait les fois où il était fier de son travail, acharné et ravi de ses journées de vingt heures, et puis il y avait les fois où des petits riens lui rappelaient ce qu'était une vie normale, sans obligations délirantes. N'importe qui, s'il le voulait, pouvait prendre un chat, non ? Et pour lui, rien que cela était compliqué. Il y avait des fois où il haïssait cette entreprise florissante qui était la sienne.

-Tu n'as qu'à le laisser ici, reprit la voix claire du cavalier.

-Hm ?

-Oui, ce serait ton chaton, mais il resterait chez moi et tu pourrais revenir le voir, précisa Thibault en haussant les épaules. Comme une sorte de pension, quoi.

Nathanaël lui adressa un regard surpris. Il était sérieux ? Comme ça, ils se connaissaient depuis à peine deux heures, et il lui proposait naturellement de lui donner un chat et de revenir le voir chez lui ! Voilà qui dépassait un peu son entendement, là… Le blond eut un petit rire.

-Tu n'as pas l'habitude des propositions désintéressées, pas vrai ? remarqua-t-il en buvant une gorgée de café.

-Pas vraiment, non, grimaça l'héritier. Mais si tu es sûr de toi, j'accepte la tienne avec plaisir ! ajouta-t-il avec un grand sourire.

Thibault lui fit un clin d'œil et lui tendit la main, qu'il s'empressa de serrer. La poigne était ferme et chaude.

-Alors nous avons un deal, scella le cavalier avec un sourire.

Nathanaël fit rugir son moteur sur la route principale, et la voiture bondit en avant. Il jeta un dernier coup d'œil à son rétroviseur pour voirThibault lui adresser un dernier geste de salut à la croisée des chemins, avant de faire volter son cheval bai et de disparaître entre les arbres. L'héritier sourit en repensant à son après-midi. De pourri parce que perdu dans les bois, il était devenu particulièrement agréable. Il avait gagné un chaton, un ami, et une promesse de balade à cheval, tout cela en même temps ! Voilà qui le changeait des contrats et des promesses de dîners protocolaires…

Ils avaient passé deux bonnes heures installés sur cette terrasse à discuter de tout et de rien, comme à se taire. Thibault lui avait parlé de son emploi de traducteur littéraire qui lui laissait une grande souplesse d'horaires, n'ayant obligation de présence à sa maison d'édition que deux jours par semaine, et travaillant chez lui le reste du temps. Il lui avait raconté un peu ses chevaux, ses grands-parents qui lui avaient légué la maison, les animaux des bois, les nuits étoilées que la lumière artificielle ne polluait pas… Nathanaël avait écouté avec ravissement et une pointe d'envie. Lui était resté très évasif sur son travail, et Thibault n'avait pas cherché à en savoir plus. Contrairement aux gens qu'il rencontrait d'habitude, il ne l'avait pas bombardé de questions sur les noms célèbres de son répertoire, sur les soirées privées auxquelles il assistait, sur les secrets de fabrication de son entreprise… Il s'était intéressé à l'homme avant l'héritier. C'était à l'homme qu'il avait proposé de revenir, et de l'homme qu'il s'était moqué lorsqu'il avait fallu repartir. Thibault avait eu beau lui expliquer les chemins à prendre, lui dessiner un plan avec les croisements, Nathanaël perdait le fil au bout de trois. Le cavalier avait éclaté de rire et Nathanaël s'était mis à bouder, marmonnant que c'était facile pour lui, il vivait dans ces bois depuis son enfance ! Le rire du blond avait alors redoublé, pour le plus grand plaisir de son nouvel ami. Et il avait fini par le prendre en pitié, sellant un autre cheval pour le reconduire sur la route principale.

-Maintenant, tout droit ! avait-il fait en tendant le bras. Ça ira ou tu veux un plan ?

Nathanaël s'était contenté d'une grimace pour toute réponse avant de redémarrer sous de nouveaux éclats de rire.

Il secoua la tête en y repensant, et se surprit à siffloter comme les arbres s'espaçaient et qu'il sortait peu à peu de la forêt. Thibault lui avait proposé de l'attendre à la croisée des chemins le dimanche suivant, et rien que cette perspective donnait un nouvel éclairage à la semaine chargée qui attendait le jeune homme. Ce dimanche ne se ferait pas en solitaire ou en squattant chez Andrew et Leïla, et le changement était plus qu'appréciable. Un ami… Il avait l'impression d'avoir dix ans à nouveau, et qu'un enfant venait de lui offrir des bonbons dans la cour de récréation. Il rit de lui-même à cette image, puis son téléphone se mit à sonner, interrompant ses pensées. Il fit basculer l'appel sur le haut-parleur de la voiture, et soupira en voyant le numéro qui s'affichait.

-Bonjour, Père.

-Bonjour, mon fils. Tu as passé une bonne journée ?

-Excellente, merci. Mais je me doute que vous n'appelez pas pour ça…

Il y eut un silence, puis un soupir à l'autre bout de la ligne.

-Je suis désolé de te déranger dans ton jour de congé, mais Monsieur Miyamoto désire n'avoir affaire qu'à toi pour le contrat…

-Désire ou exige ? grimaça Nathanaël.

-Disons une exigence déguisée en demande, comme d'habitude.

Nathanaël ferma un court instant les yeux et retint un soupir. Ce contrat était de la plus haute importance pour la société, et contrarier leur client était la dernière chose à faire…

-J'arrive, lâcha-t-il enfin. Le temps de me changer dans mon bureau, et je vous rejoindrai dans le vôtre.

-A tout de suite, alors.

Nathanaël raccrocha et appuya sur l'accélérateur, laissant la forêt loin derrière lui pour foncer vers la ville qu'il distinguait à peine pour l'instant. Retour à sa réalité !

Nathanaël s'arrêta en douceur dans le petite cour, coupant le moteur juste à temps pour voir Thibault sortir de la maison avec un grand sourire.

-Bonjour ! lança-t-il en s'extirpant de son coupé sport.

-Bonjour, répondit son ami en s'approchant. Tu es pile poil à l'heure, je te félicite !

-Hey ! Maintenant que je sais venir sans me perdre, c'est du gâteau !

Son ami éclata de rire en lui serrant enfin la main et, comme à leur habitude, lui offrit un café bien chaud. Il prévoyait le coup et gardait toujours une cafetière prête le dimanche après-midi, prêt à fournir sa drogue à Nathanaël. Ce dernier en savoura une gorgée en fermant les yeux de plaisir.

-Je t'adore, tu sais ? fit-il très sérieusement.

Thibault se contenta d'éclater de rire, inconscient de la portée réelle des paroles de son ami. Il lui fit signe de le suivre jusqu'à la barrière du pré, où étaient déjà posées deux selles et deux brides, en prévision de leur promenade hebdomadaire. Si Nathanaël s'était d'abord senti un peu gêné de s'imposer ainsi, Thibault l'avait aussitôt détrompé : non seulement faire une promenade à deux était toujours plus agréable que de la faire seul, mais en plus cela lui permettait de sortir deux chevaux d'un coup. Jackpot ! comme il le disait lui-même avec un grand sourire.

Lorsqu'ils s'arrêtèrent devant les poutres de bois, Nathanaël remarqua une boule de poils noire couchée dans une flaque de soleil contre un poteau, profitant allègrement de chaleur, les yeux mi-clos.

-Salut Azzuro, fit-il en s'accroupissant près du chat.

Il lissa l'épi toujours aussi rebelle du bout du doigt, avant de caresser plus franchement l'animal, récoltant un ronronnement sourd. En quelques mois, le minuscule chaton était devenu un beau chat noir méconnaissable, toujours aussi chic dans ses quatre chausses blanches et ses grands yeux bleus qui lui avaient valu son nom.

-Satisfait de l'état de mon pensionnaire ? interrogea Thibault, accoudé à la barrière.

-Tout à fait, répondit son ami avec un clin d'œil en grattant le ventre de son chat. Je te recommanderai !

Le blond le regarda jouer avec le félin un moment, amusé. Nathanaël était capable de passer des heures ainsi, allant même jusqu'à se rouler par terre comme un gamin avec Azzuro. Il ne comptait plus les griffures et autres petites égratignures récoltées lorsque le chat finissait par s'exciter un peu trop, mais cela n'empêchait pas son ami de recommencer à chaque fois avec un enthousiasme intact.

Lorsqu'il jugea qu'il était temps de passer à un animal un peu plus imposant, Thibault récupéra deux licols à ses pieds et porta deux doigts à sa bouche, lançant un sifflement strident. Azzuro sursauta et s'enfuit à toutes pattes sous l'œil navré de Nathanaël tandis qu'un bruit de cavalcade se faisait entendre.

-Tu l'as fait fuir, reprocha-t-il à son ami avec un air de gamin boudeur.

Le jeune homme fondit littéralement et lui ébouriffa les cheveux en riant.

-Tu es trop mignon ! s'exclama-t-il avant de se tourner vers ses chevaux, sans remarquer les fines rougeurs sur les joues de l'héritier.

Il distribua des caresses à chaque cheval, puis passa le relais à Nathanaël lorsqu'il se glissa sous la barrière pour attraper Poème et Vaurien. Ils se laissèrent faire sans protester, trop occupés à se bousculer pour atteindre les mains du jeune homme, chatouillant ses paumes de leurs lèvres douces. De son côté, têtu, le poulain n'avait pas abandonné son idée de fouiller ses poches. Bien que trop grand désormais pour se glisser facilement entre deux poutres, il se livrait à une gymnastique compliquée, pliant jambes et encolure pour se faufiler. Nathanaël éclata de rire et lui fila une petite tape sur le nez, le renvoyant tout déconfit dans le pré avec sa mère pour seule compagnie. Il alla récupérer la longe de Vaurien, libérant Thibault, et l'attacha à un anneau près de Poème. Suivant un rituel désormais bien établi, les deux amis brossèrent et harnachèrent leurs montures entre rires et plaisanteries, Nathanaël très fier de ne plus poser la selle à l'envers sur le dos de Vaurien. A sa décharge, lorsqu'il avait dû le faire avant la première balade, il n'avait pas vu de cheval depuis plus de quinze ans ! Mais Thibault n'avait rien voulu entendre, et il n'avait cessé de rire que lorsque son ami l'avait menacé de lui faire bouffer cette satanée selle !

Sur le point de défaire la longe de l'anneau et de l'attacher autour de l'encolure de Poème, Thibault interrompit son geste et alla se planter devant Nathanaël, main tendue et sourcil haussé.

-Oui ? fit innocemment ton ami.

-Dépêche, fut la seule réponse.

Le jeune homme soupira et plongea la main dans sa poche de pantalon pour en ressortir son portable, engin forcément dernier cri et bourré des technologies de pointe de son entreprise. Mais Thibault n'en avait cure : il s'en empara comme d'une boule puante et partit le ranger dans sa maison avant de la fermer à clé. Ce fut avec un grand sourire qu'il enfourcha enfin son cheval, certain d'avoir réglé les derniers détails.

-On y va ? lança-t-il à Nathanaël toujours à terre.

Vaincu, l'héritier secoua la tête et grimpa sur le dos de Vaurien avec un sourire. Encore une idée de Thibault. Lassé d'entendre son portable sonner toutes les deux minutes, et de le voir sursauter lorsqu'il l'avait passé en mode vibreur, le jeune homme avait tout simplement décidé de le lui confisquer le temps de la promenade. Nathanaël s'était d'abord indigné, avant de reconnaître que son ami avait raison. Il était en congé et son père était aux commandes de l'entreprise pour la journée, quant à ses actionnaires et employés, il les avait sélectionnés pour leur efficacité et leurs compétences. Ils pouvaient bien se passer de lui deux ou trois heures ! Sans compter que profiter de la forêt, des champs, d'un ami et d'un cheval aux allures souples sans craindre le prochain appel intempestif était tout de même sacrément relaxant !

-Allez Papi, en route ! lança-t-il en serrant les mollets comme le lui avait rappelé Thibault.

L'un à côté de l'autre, ils s'engagèrent sur le petit chemin de terre qui partait serpenter entre les arbres, le soleil filtrant entre les feuilles éclatantes. Les chevaux marchaient d'un bon pas, Vaurien soutenant sans faiblir l'allure de Poème, pourtant bien plus jeune que lui. Leur propriétaire disait en riant que le doyen marchait aux piles Duracelle : à dix-huit ans, il tenait encore une pêche d'enfer et adorait les longues balades aux trois allures. A cela s'ajoutait le fait qu'il avait le pied sûr et le calme qui lui conférait quand même son âge. Un oiseau s'envolant sous ses sabots ne le perturbait pas plus qu'un chien aboyant brusquement ou un lapin surgissant brutalement d'un buisson. A peine remuait-il une oreille tandis que Poème, plus vif, se cabrait facilement. Si Thibault le maîtrisait facilement, il se félicitait à chaque fois de confier Nathanaël à Vaurien : le jeune homme avait eu beau retrouver ses réflexes et son aisance en quelques séances de remise en route, il lui fallait un cheval calme et de confiance.

Ils cheminèrent un moment en silence, appréciant le pépiement des oiseaux et le bruit des sabots étouffés par la terre et les feuilles.

-On trotte ? proposa Thibault lorsqu'ils débouchèrent sur un chemin plus large.

Nathanaël se contenta de hocher la tête et, rassemblant les rênes, il donna l'impulsion à sa monture. L'allure plus saccadée lui fit serrer les dents le temps qu'il réussisse à trouver son équilibre pour se lever et se rasseoir en rythme, épargnant son fessier. Il apprécia alors la vitesse, pourtant modérée, de l'allure, et un large sourire naquit sur son visage. Il devait se baisser de temps en temps pour éviter des branches basses, peu désireux de se retrouver brutalement à terre. Ils repassèrent au pas au bout de dix minutes, et Thibault pila presque aussitôt. Il se retourna, un doigt sur les lèvres, et fit signe à Nathanaël de le rejoindre. Intrigué, le jeune homme s'exécuta et s'immobilisa à côté de lui, suivant la direction de son doigt tendu.

Un peu plus loin sous les arbres, à demi dissimulés par un buisson, se tenaient une biche et son petit. Tête levée, oreilles en avant, la biche humait le vent, tous ses sens en alerte. Peu soucieux, le faon quant à lui se contentait de grignoter le buisson, mais se lassa bien vite et revint chercher le lait de sa mère. Attendri et heureux que l'odeur des chevaux cache la leur, Nathanaël savoura le spectacle avec une joie enfantine. (2) Ce n'était pas dans ses buildings de fer et d'acier qu'il risquait de voir une chose pareille ! Entendit-elle un bruit, sentit-elle une odeur qui l'alertèrent, toujours est-il que la biche bondit soudain plus à couvert, aussitôt suivie de son faon. En une seconde ils avaient disparu, laissant le coin de forêt vide et les deux garçons avec des yeux émerveillés.

-Qu'est-ce qu'ils étaient beaux ! s'extasia Nathanaël lorsqu'ils repartirent.

-Magnifiques, souffla Thibault. Même moi qui sillonne régulièrement ces bois, c'est rare que je voie un faon ! Des biches et des cerfs, oui, mais les petits…

-Ton éditeur ne râle pas de retrouver ses manuscrits pleins de feuilles, à force de travailler dans ta forêt ? le taquina Nathanaël.

-Non, il trouve que ça rajoute une touche ''naturelle'' au récit, répondit son ami avec un clin d'œil.

-Plus sérieusement, reprit le brun en caressant l'encolure de Vaurien, ça doit être vraiment génial de pouvoir bosser quand tu veux, sans horaires fixes…

-C'est surtout de la chance et de la discipline, corrigea Thibault. J'ai la chance de travailler en maison d'édition et pas en freelance, ce qui m'assure un salaire régulier plutôt que de courir après les manuscrits. Et ce n'est pas toujours facile de se mettre au boulot sans réelle pression d'une hiérarchie pour le rendu. J'y arrive pourtant, parce que c'est une vie qui me convient et que je n'en voudrais pas d'autre, conclut-il tranquillement. J'ai toujours le temps de vivre à mon rythme et de faire tout ce que je veux et dois faire.

Nathanaël médita un moment ses paroles. Oui, décidément, un mode de vie aux antipodes du sien… Thibault le sortit portant de ses pensées en lui demandant des nouvelles de Leïla et Andrew. Sans jamais les avoir rencontrés, leur couple lui était devenu sympathique au fil des récits de son ami, et il s'amusait beaucoup de leur irrévérence à son égard. Il éclata de rire comme Nathanaël lui racontait leurs dernières manœuvres pour tenter de le forcer à quitter le bureau plus tôt : Leïla ronflant ostensiblement, Andrew regardant vingt fois sa montre l'air de rien, Leïla sortant un oreiller de ses tiroirs pour y perdre sa tête…

-Je sais que c'est plus pour moi que pour eux, en plus, ajouta l'héritier, ils s'inquiètent de mon manque de sommeil. L'autre jour, Leïla m'a demandé si je voulais qu'elle m'aide à maquiller les cocards qui me tenaient lieu de cernes !

Cette fois, le blond pleurait de rire sur son cheval, essayant d'imaginer la tête de son ami face à la proposition de sa secrétaire. A n'en pas douter, elle avait dû être impayable ! Leur arrivée sur une large plaine calma son hilarité. Bordée d'arbres de chaque côté et derrière, elle s'ouvrait largement sur le ciel bleu au bout. Située en haut d'une petite colline, elle donnait à chaque fois l'impression d'être suspendue dans les airs. Un véritable régal, surtout lorsque… un coup d'œil, et les deux cavaliers échangèrent un sourire complice. Une pression de jambes, et leurs chevaux prirent complaisamment le galop, les emportant en longues foulées puissantes comme le vent leur fouettait le visage. Nathanaël sentit monter en lui une bouffée d'allégresse et de joie pure, qu'il libéra dans un cri de joie. N'eut été le martèlement des sabots, il aurait vraiment eu l'impression de voler. Et cet horizon uniquement fait de ciel bleu et de quelques nuages donnait l'illusion d'y plonger directement, monté sur un cheval ailé.

Une flèche d'ivoire prit de l'avance sur sa gauche, et Thibault se retourna un instant avec une grimace narquoise. Piqué au vif, Nathanaël sollicita sa monture qui allongea aussitôt ses foulées, réduisant sans difficultés la distance qui les séparait de Poème jusqu'à se retrouver à nouveau à ses côtés.

Les cavaliers ne repassèrent au pas que quelques mètres avant la fin de la plaine, un large sourire aux lèvres. Ils firent un peu marcher leurs montures au souffle précipité, avant de mettre pied à terre. Sortant un morceau de corde de leur poche, ils en entourèrent un tronc dépourvu de branches basses et y attachèrent la longe de leurs chevaux, leur laissant un mou suffisant pour qu'ils puissant brouter l'herbe tendre. Poème et Vaurien installés, Nathanaël et Thibault firent la course jusque dans la plaine et s'y laissèrent tomber en riant, retirant leur bombe au passage. Les bras en croix, les yeux rivés au ciel et le visage caressé par le soleil, ils savouraient pleinement.

-Je crois que je ne te remercierai jamais assez, lâcha soudain Nathanaël.

-Alors ne le fais pas, répondit tranquillement Thibault.

Surpris, l'héritier tourna la tête et lui adressa un regard surpris. Son ami lui rendit un doux sourire.

-Je suis ravi que tu sois là, dit-il simplement avant de se remettre à contempler le ciel.

Chamboulé et ravi de cette réponse, Nathanaël ne put que l'imiter sans un mot. Pourquoi compliquer les choses lorsqu'elles étaient si simples ?

-Tu as vu ce lapin ? lança soudain Thibault.

-A côté de la sorcière ? répondit son ami.

-Je vois plutôt un dragon, mais bon…

-Un truc maléfique, quoi…

-Pauvre dragon, t'es vache ! Si ça se trouve, c'est un végétarien incompris !

-Comme le gros lion derrière ?

-Ah non, lui il va clairement bouffer le lapin…

Nuages et interprétations loufoques défilèrent longuement avant qu'ils ne se décident à se relever…

-Leïla ? Apporte-moi le dossier de Projitec, s'il te plaît, il y a une partie du contrat que je dois revoir…

-Monsieur Graham demande un rendez-vous dans les plus brefs délais.

-Dites-lui que je le verrai mardi avec ses collègues, comme prévu. Qu'il ne croie pas que me lécher les bottes lui apportera quoi que ce soit.

-Je lui dis tout ça texto ?

Nathanaël releva un instant les yeux de ses papiers pour croiser le regard rieur de Leïla. Plantée devant son bureau, un sourcil haussé, gracieuse même lorsqu'elle était immobile, elle lui adressait un petit sourire en coin. Nathanaël prit le dossier qu'elle lui tendait avec une grimace.

-Non, veillons tout de même à préserver sa susceptibilité…

-A tes ordres, chef ! fit la jeune femme avec un salut militaire avant de se retourner dans un revirement de jupe blanche.

Sa sortie fut accompagnée d'un éclat de rire. Nathanaël adorait son comportement fort peu conventionnel lorsqu'ils n'étaient que tous les deux. D'aucuns l'auraient virée aussitôt, mais lui y voyait une marque d'amitié plus que de l'insolence, et c'était bien pour cela qu'il la gardait précieusement. Efficace dans son travail, extrêmement professionnelle devant témoins, elle se transformait en amie espiègle en fin de journée, s'attachant à faire rire son patron aussi souvent que possible. C'était grâce à elle, et à Andrew, qu'il réussissait à garder les pieds sur terre au milieu de ses journées de folie.

Le jeune homme s'accorda une minute de pause pour jeter un regard circulaire dans son bureau. Situé au dernier étage d'une haute tour, une immense baie vitrée lui offrait une vue imprenable sur la ville, seul ornement de la pièce. Face à elle, son grand bureau de bois recouvert de papiers, dossiers, et autres tasses de café. Même le téléphone disparaissait sous une chemise rouge qui débordait ! Il jeta un œil par la porte entrouverte à sa gauche, et Leïla lui adressa un petit signe d'encouragement depuis son bureau. Il lui répondit d'une grimace avant de se replonger dans son travail. Jeudi soir, vingt-deux heures trente… Il n'avait pas dîné, il tombait de sommeil, et Andrew allait encore l'assassiner de garder sa dulcinée aussi tard. Parfait.

-Alors, voyons ce client suédois, fit-il à mi-voix.

Il était sur le point de signer son accord pour une vente, lorsqu'une mélodie de Mozart se fit entendre, brisant le silence quasi-religieux qui régnait dans la pièce. D'abord surpris, Nathanaël tourna la tête en tous sens pour en chercher la provenance, adressant un regard interrogateur à Leïla qui lui répondit d'un signe d'impuissance. Il réalisa soudain que la musique venait de sa veste posée sur le dossier de son siège, et il attrapa le petit portable juste à temps dans la poche. Il l'avait complètement oublié ! Il fallait dire aussi qu'il ne sonnait presque jamais, les quatre seules personnes ayant ce numéro sachant pertinemment qu'il ne fallait pas en abuser. Deux étaient avec lui en ce moment, son père ne l'appelait jamais sur ce numéro… Nathanaël décrocha avec un sourire.

-Allô ?

-Bonsoir ! fit une voix dynamique. Je ne te dérange pas ?

-Je suis encore au bureau, mais une pause me fera le plus grand bien !

-C'est une façon polie de me dire que oui, je dérange ? s'amusa l'autre.

L'héritier éclata de rire en se laissant basculer en arrière sur son fauteuil. Il croisa le regard de Leïla, qui lui adressa une question muette.

-C'est Thibault, formèrent silencieusement ses lèvres.

Un grand sourire fendit aussitôt le visage de son amie, qui leva le pouce. Il lui répondit d'un clin d'œil, avant de reprendre sa conversation.

-Que me vaut le plaisir de ton appel ? demanda-t-il.

-J'étais en ville aujourd'hui, pour le boulot, répondit Thibault. Je sors d'un dîner avec mes collègues, et je voulais te proposer qu'on se retrouve pour aller boire un verre. Mais si tu dois travailler…

-Je peux aussi tout envoyer balader ! le coupa l'héritier. Il est temps que je libère ma secrétaire, de toute façon…

Il vit du coin de l'œil Leïla joindre les mains et murmurer un remerciement au plafond. Un rire silencieux le secoua.

-Tortionnaire, va ! l'accusa son ami. Bon, où veux-tu qu'on se retrouve ? Tu as un bar de prédilection ? Sinon, je peux te proposer…

-Thibault… l'interrompit Nathanaël. Je suis désolé, je ne peux pas sortir dans un bar. Ce serait l'émeute en quelques secondes…

-Tu ne doutes pas de tes capacités de séduction, toi !

Nathanaël eut un rire bref et sans joie. Si seulement…

-Je pensais plutôt aux gros titres demain ''L'héritier se bourre la gueule…''

Un silence pensif de l'autre côté de la ligne. Et oui, même aller boire un verre avec lui relevait de l'exploit…

-Je te propose quelque chose, reprit l'héritier, pris d'une inspiration soudaine. Si on se retrouvait plutôt chez moi ? Dis-moi où tu es, je t'envoie un chauffeur.

-D'accord, répondit Thibault après quelques minutes de réflexion. Je suis devant le restaurant ''Au Coin de la Rue''.

-Parfait ! On se retrouve dans un quart d'heure, l'adresse est une surprise !

Un rire clair résonna dans le combiné avant qu'il ne raccroche, et Nathanaël sauta sur ses pieds, toute fatigue envolée. Il enfila sa veste à la volée et tira la langue à ses dossiers avec la satisfaction espiègle d'un gamin. Leïla l'accueillit avec des applaudissements, et il se courba dans une révérence exagérée.

-Tu peux filer aussi, lui dit-il, il est plus que temps. Andrew me conduit chez moi et je te rends ton petit-ami.

-Tu as intérêt, le menaça la jeune femme. Mais quel chez toi ?

-Bonne question, répondit Nathanaël avec une grimace. J'y réfléchirai dans l'ascenseur, avant d'envoyer John !

Il se pencha pour lui faire la bise, mais Leïla le considérait avec un sourcil haussé, les bras croisés.

-Quoi ?

-J'admire ta technique pour faire venir ce jeune homme chez toi, répondit-elle, mais j'espère que tu ne comptes pas le laisser repartir aussi facilement ?

Les joues de l'héritier rougirent violemment. Mais pourquoi fallait-il qu'elle soit son amie et sa confidente, et qu'il ait jugé utile de lui parler de son attirance pour le beau cavalier ? Hein, pourquoi ?

-Leïla… tenta-t-il.

-Non, non, non, l'arrêta-t-elle, pas de ''Leïla'' qui tienne ! Nathanaël, tu me l'as dit toi-même, il est différent ! Il ne te fera pas de coup bas si vous devenez plus intimes et il t'attire comme personne depuis bien longtemps, qu'est-ce qu'il te faut de plus ?

Le jeune homme se contenta de hausser les épaules. Ça non plus, ce n'était pas facile… Ses relations avec les autres étaient tellement faussées qu'il peinait à se lier. D'autant plus quand sa vie privée sortait des normes. Les journaux se feraient un réel plaisir de crier au scandale et d'en faire des choux gras ! Il craignait la trahison, la manipulation, et là il craignait de tout gâcher. Pourtant, c'était vrai qu'il avait de plus en plus de mal à se retenir face à Thibault. Tout en lui lui plaisait, son mode de vie diamétralement opposé au sien, ses rires, sa fraîcheur, et même ses défauts qu'il avait appris à connaître.

-J'ai l'impression de voir de la fumée sortir de tes oreilles, l'interrompit Leïla. Allez, file, ou tu vas le faire poireauter trop longtemps ! Et pense à ce que je t'ai dit !

Cette fois, elle lui planta un baiser sur la joue avant de le pousser dans l'ascenseur. Les portes se refermèrent sur son sourire, et Nathanaël secoua la tête, amusé et désespéré à la fois. Y penser, y penser, elle en avait de bonnes ! Il ne faisait que cela, y penser !

-Mon vieux, tu es doué pour te compliquer la vie, fit-il à mi-voix.

Nathanaël appuya sur l'interrupteur, et apprécia de voir que les lampes qui s'allumèrent diffusaient une douce lueur. Juste de quoi dessiner la pièce, les meubles, rien d'agressif pour ses pauvres yeux fatigués. Il accrocha sa veste de costume à une patère dans l'entrée, et desserra sa cravate avec un réel plaisir. Il était vingt-trois heures, et il avait dit merde à son travail ! Un réel exploit ! Andrew l'avait d'ailleurs vu arriver avec des yeux ronds, et avait aussitôt saisi son téléphone pour appeler une ambulance. A n'en pas douter, pour quitter ses bureaux à une heure pareille, son patron d'ami devait être malade ou pris de folie, voire les deux ! Mais à la seule mention du nom de Thibault, un sourire entendu était né sur ses lèvres, faisant lever les yeux au ciel à Nathanaël. Bien sûr. Il aurait dû s'en douter, ce que Leïla savait, Andrew le savait aussi… Du moins, tant que cela ne concernait pas les affaires ! Et la vie privée de leur patron était si déserte que le moindre changement les transformait en concierges de la pire espèce…

Nathanaël eut un petit rire en revoyant le sourire ravi d'Andrew à la perspective de pouvoir retrouver Leïla plus tôt que prévu, et il alla se poster devant la baie vitrée qui s'ouvrait sur la ville. Moins haut que son bureau, le petit appartement lui offrait malgré tout une vue superbe sur les illuminations de la ville et une cachette sûre. Situé dans un quartier banal, au sommet d'une tour aux résidents discrets et pourvue d'un gardien de confiance, semblable à la dizaine d'autres qu'il possédait dans toute la ville, ce n'était pas un chez-lui mais au moins il pouvait s'y créer une bulle d'intimité pour quelques heures. Habituellement, seules deux personnes savaient où il passait la nuit : Andrew et lui. Avec Thibault et John, ce soir serait une exception.

-Quelle magnifique vue… fit une voix derrière lui.

Un sourire naquit sur les lèvres de l'héritier. Quand on parlait du loup… Il se retourna pour voir Thibault debout entre deux canapés, près d'une lampe qui lui permettait juste de distinguer un œil sombre et un sourire chaleureux. Vêtu d'un jean et d'un pull léger, le jeune homme avait tout de l'étudiant en vacances, aux antipodes du costume hors de prix de son ami. Et il s'en moquait éperdument.

-Je ne t'ai pas entendu entrer, remarqua Nathanaël en s'approchant pour lui serrer la main.

Rien que le contact des doigts chauds suffit à l'électriser, surtout qu'il lui sembla qu'il durait un peu trop longtemps…

-J'ai un grand secret, répondit Thibault sur le ton de la confidence en se laissant tomber dans le canapé.

-Je brûle de le connaître, fit son ami en haussant un sourcil.

-Je passe par les portes, chuchota le blond avec un clin d'œil, déclenchant le rire de Nathanaël. Mais tu semblais tellement perdu dans tes pensées qu'un éléphant aurait probablement pu faire irruption sans que tu ne le remarques, ajouta-t-il en riant.

L'héritier ne le quittait pas du regard, soudain extrêmement sérieux. Son rire clair, son visage rejeté en arrière, la lueur qui jouait sans ses cheveux blonds, sa gorge pâle à découvert… S'il continuait ainsi, il allait vraiment finir par lui sauter dessus ! Il avait déjà du mal à se contenir en temps normal, mais là l'alliance de fatigue et de soudaineté de leur entrevue achevait de lui mettre la tête à l'envers… Il sursauta lorsqu'une main douce effleura son front, repoussant une mèche rebelle. Elle descendit sur sa joue, la caressant du bout des doigts, et il releva les yeux pour croiser un regard sombre indéchiffrable et proche… très proche. Il ne l'avait pas vu bouger, se pencher ainsi vers lui.

-Un sou pour tes pensées, bel ami, souffla Thibault avec un léger sourire, redessinant sa pommette du bout de l'index.

Nathanaël faillit fermer les yeux de plaisir sous cette caresse, mais un sursaut de panique le fit bondir du canapé.

-Je me disais que je t'avais invité pour un verre, et que je ne t'ai encore rien offert à boire ! s'exclama-t-il avec un rire nerveux.

Il se détourna en se maudissant dans toutes les langues qu'il connaissait –et vu les écoles prestigieuses qu'il avait fréquentées, ça faisait beaucoup !-, et entreprit de fouiller les deux grandes armoires qui encadrait un miroir face au canapé. Il était pratiquement sûr qu'un bar était installé dans l'une des deux. Ou était-ce dans un autre de ses appartements ? Il finissait par s'emmêler les pinceaux, à changer ainsi chaque soir de résidence pour éviter d'être suivi…

-Je suis désolé, lança-t-il sans se retourner, je ne vis pas suffisamment souvent ici pour savoir où se trouvent les choses. Mais je crois que…

Un mouvement dans le miroir attira son attention et lui coupa la parole. Il y vit Thibault se lever lentement et venir le rejoindre, s'arrêtant un pas derrière lui. Il sentait sa présence dans son dos, son souffle chaud sur sa nuque, la tension de son corps. Son regard était rivé au sien dans le miroir, déterminé. Une main ferme se posa sur la sienne et repoussa la porte de l'armoire, tandis que l'autre se posait sur sa hanche, légère. Immobile, incapable de faire le moindre mouvement, Nathanaël regarda le visage fin descendre dans son cou. Il frissonna lorsque ses cheveux frôlèrent sa peau, et oublia de respirer lorsque des lèvres fraîches s'y posèrent. Il ne protesta pas plus lorsque Thibault l'obligea gentiment à lui faire face, relâchant sa main pour prendre son visage en coupe. Il approcha lentement son visage du sien, lui laissant le temps de s'échapper s'il le voulait. Mais Nathanaël était incapable du moindre mouvement, comme un lapin pris dans les phares d'une voiture. Toute son assurance, ses tours d'homme d'affaires se retrouvaient balayés face au jeune homme. Il l'avait en son pouvoir.

Il ferma les yeux en sentant son souffle chaud sur ses lèvres, et retint un gémissement lorsque celles de Thibault vinrent s'y poser. C'était un baiser tout doux, un baiser test. Les pouces du blond lui caressaient les joues en même temps, et les bras de Nathanaël allèrent entourer son corps, le serrant contre le sien. Cela dut plaire à Thibault, car il envoya bientôt sa langue titiller les lèvres closes de l'héritier, cherchant à obtenir plus. Ce fut comme un déclic. Nathanaël s'embrasa d'un seul coup, une de ses mains remonta sur la nuque de son ami et il lui dévora la bouche de baisers, relâchant la passion qu'il tenait en laisse depuis trop longtemps. Bien qu'un peu surpris de ce déferlement de fougue, Thibault y répondit aussitôt avec le même entrain, plaquant l'héritier contre la porte de bois. Les mains se firent plus audacieuses, déboutonnant une chemise, glissant sous un pull, les lèvres descendirent plus bas…

Ce fut Nathanaël qui stoppa tout dans un éclair de lucidité. Il repoussa doucement Thibault, serrant malgré tout son pull si fort entre ses doigts que ses jointures blanchirent. Le jeune homme suivit le mouvement sans protester, le regard interrogateur. Il fournissait malgré tout un gros effort pour se retenir. La vision de Nathanaël, chemise offerte sur un torse appétissant, lèvres rougies, yeux brillants de désir et cheveux ébouriffés était trop affolante pour son bien…

-Je ne peux pas… souffla l'héritier.

-Pardon ? fit Thibault.

Nathanaël se détacha de lui et alla s'asseoir sur le canapé en se passant une main sur le visage, reprenant ses malédictions silencieuses. Il en avait rêvé des nuits entières, il l'avait enfin dans ses bras, et il fallait qu'il gâche tout avec un malaise stupide ! Il y avait des moments où il se détestait lui-même… Deux bras croisés vinrent se poser sur ses genoux, et il rouvrit les yeux pour croiser le regard de Thibault, accroupi devant lui.

-Qu'est-ce qu'il y a ? fit celui-ci d'une voix douce. On va trop vite ? Excuse-moi, je…

-Non, ce n'est pas ça, réfuta Nathanaël en secouant la tête. C'est juste que je… c'est…

Thibault le regarda bafouiller un instant, interloqué mais patient. Cela faisait trop longtemps qu'il espérait ce moment pour le brusquer maintenant. Il s'étonnait d'ailleurs toujours de ne pas avoir été repoussé violemment, et savourait encore la sensation de ses lèvres sur les siennes.

-Tu ne veux plus ? demanda-t-il à voix basse, redoutant la réponse.

-Si, répondit précipitamment le jeune homme, à son grand soulagement. Un peu trop, même, ajouta-t-il avec un petit sourire. C'est juste que…

Incapable de terminer sa phrase, il détourna le regard, gêné. De plus en plus perdu, Thibault leva la main et la posa sur sa joue, ramenant son visage vers lui. Ses yeux sautaient d'un point à l'autre, et il se mordillait la lèvre comme un gamin. La lumière se dit soudain dans l'esprit de Thibault, et son sourire heureux laissa place à une grimace.

-Ote-moi d'un doute, fit-il d'une voix basse. Ce n'est pas à cause de cette histoire d'héritier et de personnage public ?

Au silence embarrassé qui suivit sa question, il comprit qu'il avait visé juste. Il sentit la moutarde lui monter au nez. Cette histoire d'héritier, de règles et de précautions commençait à sérieusement lui courir ! Elle était tellement ancrée en Nathanaël qu'il était incapable de laisser libre cours à ses désirs sans en craindre les conséquences !

-Laisse-moi deviner, reprit-il en se relevant, le regard froid. L'arrogant héritier craint que son amant d'une nuit ne courre révéler ses frasques à la presse dès le lendemain matin ?

Nathanaël eut un mouvement de colère à ces mots, que Thibault calma aussitôt en s'asseyant à ses côtés, entremêlant ses doigts aux siens et reprenant sa caresse sur son visage.

-Quand comprendras-tu que je me moque éperdument de l'héritier ? murmura-t-il. Ce n'est pas lui que je veux, c'est l'homme caché derrière. C'est lui pour qui mon attirance grandit depuis des semaines, c'est à lui que je veux faire l'amour ce soir. Et à personne d'autre.

Le cœur de Nathanaël bondit, et il serra plus fort sa main dans la sienne. Dieu, c'était exactement ce qu'il avait besoin d'entendre ! Il se pencha et l'embrassa doucement, soudainement rassuré. Il avait beau s'en douter, entendre Thibault le lui confirmer de vive voix balayait ses derniers doutes… Il était sur le point de l'allonger sur le canapé, mais ce fut le blond qui s'échappa cette fois-ci, le tirant debout à sa suite.

-Qu'y a-t-il ?

-J'ai peur qu'ici, dans cet appartement impersonnel, l'héritier finisse par refaire surface, expliqua Thibault en l'entraînant vers la porte. Alors j'ai décidé de te kidnapper et de t'emmener chez moi. Là-bas au moins, je n'y ai jamais vu que Nathanaël. Des objections ? fit-il en ouvrant la porte.

Nathanaël n'hésita pas un instant, et éteignit les lumières avant de franchir le seuil à sa suite d'un pas décidé.

-Aucune objection.

-Parfait ! se réjouit Thibault en appelant l'ascenseur. Bon, tu crois que l'héritier pourrait quand même nous rendre un dernier service en appelant son service de chauffeurs de nuit ?

-Je vais finir schizophrène si tu continues comme ça, tu sais, s'amusa Nathanaël, le portable déjà à la main.

-Je croyais que c'était déjà le cas, fit mine de s'étonner le blond.

Les protestations de Nathanaël furent noyées dans un baiser comme les portes de l'ascenseur se refermaient sur eux.

La petite maison de pierre était plongée dans le silence et l'obscurité n'était brisée que par la lumière de la lune qui se déversait à flots par la porte-fenêtre. Le bruit de la porte se refermant résonna comme un coup de tonnerre, faisant sursauter Nathanaël. Il se retourna pour voir Thibault s'approcher lentement, et il tendit les bras vers lui, refermant ses doigts sur son pull. Les yeux sombres cherchaient une confirmation dans les siens, l'assurance que cet intermède en voiture ne l'avait pas fait changer d'avis. Nathanaël se fit un plaisir de l'assurer de son intact désir en lui offrant un baiser volcanique, débarrassé de toutes ses hésitations. Il sentit Thibault sourire contre ses lèvres avant de lui répondre, serrant son corps dans ses bras, l'entraînant dans un tourbillon qui lui fit perdre la tête.

Ils faillirent bien ne jamais atteindre la chambre, s'embrassant à perdre haleine, semant des vêtements sur chaque marche. Azzuro, d'abord ravi de ce nouveau jeu, avait commencé par les poursuivre avec un miaulement ravi avant de se prendre une chemise sur la tête. Il s'était alors enfui, boudeur, sous le rire des deux amants amusés, avant qu'ils ne reprennent le cours de leur passion.

Arrivés dans la chambre, ils s'arrêtèrent un court instant, le souffle court. Thibault prit le temps de dégager le visage de Nathanaël des mèches qui lui voilaient le regard, de caresser ses lèvres gonflées du bout des doigts, de savourer les battements précipités de son cœur sous sa main. Il savourait le contact de ses doigts frais sur sa nuque et dans son dos, son regard brûlant de désir qui lui promettait mille délices pour la nuit à venir… La main posée à plat sur son torse, les yeux rivés aux siens, il le fit lentement reculer jusqu'au lit sur lequel il le fit basculer en douceur. Il recouvrit son corps du sien avec un gémissement et retourna s'emparer de sa bouche, rendu fou par les caresses de son amant. Ils se perdirent l'un dans l'autre, oublieux du reste pour un long moment…

Thibault ouvrit les yeux en sentant une masse pelucheuse se frotter contre son épaule avec un petit miaulement, la mordillant délicatement par moments. Il tomba sur Azzuro qui miaula d'un air convaincu lorsque leurs regards se croisèrent, et le jeune homme le caressa d'une main, le chat se coulant sous ses doigts avec un air ravi.

-Chut, murmura-t-il. Ne le réveille pas.

Il se détourna de lui pour contempler son amant. Blotti contre lui, le nez enfoui dans son épaule, les cheveux en désordre et ses bras enserrant de façon possessive le torse du blond, Nathanaël dormait du sommeil du juste, un joli sourire flottant sur ses lèvres. Thibault resserra sa prise autour de sa taille, effleurant la peau de son dos de sa main libre. Il glissa sur les marques d'amour qui marquaient sa nuque et son épaule, résistant à l'envie de les recouvrir de ses lèvres. Il se laissa plutôt retomber dans les oreillers, un sourire ravi illuminant son visage. Enfin. Il avait rêvé, il avait espéré, et enfin il était là. Dans ses bras, blotti contre lui, après une nuit passée ensemble. Se réveiller pour le contempler constituait un plaisir dont Thibault se délectait, et dont il ne comptait pas devoir se passer de sitôt. Oh que non !

Ses yeux allèrent se perdre par la fenêtre. Le soleil naissant illuminait le pré, et il pouvait voir ses quatre chevaux sortis de leur abri s'ébrouer, se rouler par terre, jouer et partir au galop… Une matinée parfaite. Il n'aurait pas pu l'imaginer autrement. Quoiqu'à y réfléchir, assister au réveil de Nathanaël n'était pas mal non plus…

Il s'amusa de le voir froncer le nez face à l'assaut d'un rayon de soleil sur ses yeux clos, enfouir son visage contre son torse avec un grognement, resserrant sa prise sur lui. Il lui caressa doucement les cheveux, déposant un baiser plus léger qu'une plume sur son front. Vaincu, Nathanaël papillonna lentement des yeux, complètement groggy. Et Thibault éclata de rire devant son air de gamin encore endormi, les yeux bouffis de sommeil. Il était trop craquant !

-Pas gentil de se moquer, marmonna le brun dans un bâillement.

N'y tenant plus, Thibault fondit sur ses lèvres pour lui offrir un premier baiser du matin, posant son front contre le sien lorsqu'ils se séparèrent.

-Bonjour, toi, murmura-t-il avec un sourire.

-Bonjour, répondit Nathanaël, parfaitement réveillé cette fois-ci.

Ils restèrent un moment immobiles, les yeux dans les yeux… puis Nathanaël se redressa d'un bond, comme un ressort qui claque.

-Merde ! s'exclama-t-il. Quelle heure est-il ? Leïla va me tuer, Andrew aussi, et… et zut, conclut-il en se laissant retomber en arrière. Leïla se doutera bien d'où je suis passé, ils sont grands, ils peuvent se débrouiller… Je prends ma journée, précisa-t-il en réponse au regard tranquille de son amant.

-Parfait ! se réjouit Thibault en se penchant sur lui. Je dois dire que tu as pris ta décision tellement vite que je n'ai même pas eu le temps de déployer mes arguments…

Nathanaël haussa un sourcil, amusé. Il referma ses bras sur le corps du blond, l'attirant contre lui avec un sourire. Il se sentait bien, apaisé… et heureux.

-Je voudrais bien les entendre quand même… murmura-t-il.

Thibault déposa un baiser sur sa tempe en souriant.

-Et bien, je comptais te parler de la brioche du petit déjeuner…

Baiser sur sa pommette.

-… d'une douche chaude à deux…

Sur la paume de sa main, sur ses doigts, le faisant frissonner.

-… d'une sieste dans l'herbe, d'une balade à cheval…

Sur son nez, joueur.

-… de rester dans ce lit à loisir, juste toi et moi… ça te convient ? finit Thibault contre ses lèvres.

-C'est parfait, souffla Nathanaël avant de l'embrasser.

Il faudrait tout de même appeler Leïla et Andrew pour ne pas qu'ils s'inquiètent, rattraper cette journée de travail perdue en mettant les bouchées doubles les jours suivants, reprendre les rendez-vous perdus… Mais pour le moment, Nathanaël s'en fichait pas mal. En dehors de Thibault, de ses lèvres, de ses mains, de son corps contre le sien, de son sourire dans son cou, rien ne comptait. Et c'était parfait ainsi.

FIN

(1) : Le corps marron, les crins et le jambes noirs.

(2) : Du vécu, poignant et sensationnel !