Le jour où il partit fut le dernier jour où elle sourit. Elle se souvint comment il avait l'air d'un petit garçon dans son uniforme gris trois tailles trop grandes pour lui, avec des boutons luisants en laiton sur le devant. Il portait un casque en métal sur la tête, et ses chaussures marron avaient été polies jusqu'à ce qu'elles brillent dans le soleil étincelant. De tous les garçons allant au Front ce jour-là, il avait été le plus jeune et le plus effrayé.
Elle avait essayé de cacher ce qui la déchirait, à lui et aux voisins, mais son masque était tombé et avait trahi son chagrin. Il lui avait tourné le dos en voyant sa tristesse, mais elle savait que c'était parce qu'il avait ses propres larmes à cacher.
C'était vers la fin du printemps, quand les roses et les iris étaient en fleur. Elle avait choisi quelques fleurs de son petit jardin et les avait accrochées sur le haut de son casque.
Il était son petit papillon, son seul enfant, né dans le déclin de sa fécondité. Il était son miracle, sa fierté et sa joie.
Elle l'avait regardé marcher avec les autres, l'iris et les roses en s'agitant joyeusement comme il s'éloignait. Elle avait prié alors pour qu'elle puisse le voir à nouveau.
Elle n'avait pas compris pourquoi il avait dû y aller, pourquoi il avait même voulu y aller. «Pour le pays, il avait dit. Pour la Patrie». Elle ne comprenait pas.
Elle avait assisté au départ de son seul papillon, sa seule joie, et la lumière est sortie de sa vie.
Cela faisait deux ans maintenant; c'était l'été. Six mois avant, elle avait reçu deux lettres. La première était de lui, mais elle était différence de celles qu'elle avait reçues de lui auparavant. Elles étaient toutes remplies d'obscurité et de douleur, et elle avait presque été désolée de les lire, mais c'était les dernières phrases, qui l'avaient rendue perplexe.
Maman, Je sais que je ne serai pas chez nous pour ton anniversaire, mais j'ai quand même un présent pour toi.
Monte au Point de Guet, au sommet de la colline du fort abandonné. Regarde derrière le mur là, Maman. Il y aura une surprise à cet endroit de la part de ton petit papillon.
Puis, deux semaines plus tard, elle avait reçu l'autre lettre. C'était celle que chaque parent dans le village redoutait, du Quarter, à Berlin. «Disparu, présumé mort». Qu'est-ce que cela signifiait vraiment? Elle ne l'avait pas cru.
Elle attendit anxieusement tout l'hiver et la majorité de printemps. Aujourd'hui, c'était le jour spécial. Aujourd'hui, c'était son anniversaire.
Elle dévala vivement les escaliers de sa maison brillamment colorée et ouvrit la porte donnant sur le jardin. Traversant le jardin, elle soupira en voyant les buissons et les plates-bandes envahis. Elle n'avait pas eu le cœur à jardiner récemment.
C'était un jour frais d'été; elle marchait, le vent caressant doucement son visage. Elle ferma les yeux pour échapper aux regards curieux et aux chuchotements de ses voisins.
Au bout d'un moment, elle atteint la périphérie du village et commença à monter. La pente n'était pas raide et elle était couverte d'herbe et de fleurs sauvages. L'air était rempli de l'odeur douce de violettes. Elle inhala profondément. Un rare sourire traversa son visage. Elle se souvint comment son petit papillon aimait l'odeur des violettes.
Elle continua à grimper. La douleur sourde dans ses jambes disparut comme l'anxiété de savoir ce qui l'attendait grandissait. Que trouverait-elle là-bas? Elle n'était pas assez bête pour espérer qu'elle le trouverait là, qu'il serait là, l'attendant. Elle le savait, mais il y avait toujours une petite partie d'elle qui disait peut-être.
Finalement, elle atteint le sommet, et en dépit de ses convictions, elle se prit à scruter la colline à sa recherche. Elle resta en place et écouta, mais tout ce qu'elle entendit fut le battement rapide de son propre cœur. Il n'y avait personne en vue.
Soupirant, elle commença à marcher vers le mur du fort. Il grandit devant elle, ses pierres grises couvertes dans des vignes s'imposant à elle. Derrière ce mur, il avait dit.
Quand elle arriva à la fin du mur, elle retint sa respiration et tourna le coin. Quand elle vit ce qui était de l'autre côté, elle se figea sur place.
Rien. Rien du tout.
Oui, bien sûr, il y avait des arbres et encore plus d'arbres, mais rien d'autre.
Les larmes brillèrent dans ses yeux, mais elle les chassa avec colère. Secouant lentement la tête pour purifier ses pensées, elle ressortit lentement d'en arrière du mur, sa main traînant sur les pierres.
Stupide! Si stupide! Que s'était-elle attendue à trouver ?
Marchant plus rapidement maintenant, elle arrivait presque à la fin du mur, quand elle entendit une voix basse.
« Allo, madame? Attendez s'il vous plaît! »
Elle s'arrêta, reprit son souffle et regarda autour d'elle à la recherche de l'homme qui avait parlé. Elle le vit alors, un grand homme portant un vieux chapeau de paille, un fermier du village sûrement. Elle ne le reconnu pas. Il s'approcha d'elle lentement, les yeux larges.
« Madame! C'est vous! Vous êtes arrivée! »
Maintenant qu'elle le voyait de plus près, elle vit que ses yeux étaient gentils et un sourire illumina son visage.
« C'est vous! Il avait dit que vous viendriez.»
Elle eut le souffle coupé, et ses yeux s'élargirent.
« Qui? Dites-moi! Vous connaissez mon fils? »
Il sourit et fit oui de la tête.
« Oui, madame. Je le connaissais. Venez avec moi! Je vais vous montrer. »
Il lui tendit sa main et elle la prit. Elle s'emballa, et beaucoup des pensées remplirent sa tête.
« Mon fils, où est-il? Ici? Est-il vivant? »
L'homme tourna la tête pour la regarder ; un air perplexe se forma sur son visage.
« Ici, madame? Non, non. Il est au Front, non? En France?
Elle s'arrêta soudainement, sa main s'esquivant de la sienne. Elle dit non d'un hochement de tête et parla d'une voix fatiguée.
« Non, pas au front. On m'a dit qu'il était mort. J'ai reçu la lettre. »
Le visage de l'homme fut compatissant et ellecligna des yeux. Soudainement, elle fondit en larmes. L'homme s'arrêta et mit une main sur son épaule.
« Madame, je suis désolé. Trop sont morts. Je suis désolé. »
Elle fit oui de la tête et ils se turent pour quelque temps.
« Monsieur, vous avez dit….que vous aviez quelque chose à me montrer? »
Il la regarda avec surprise et, ensuite, sourit.
« Ah, oui madame, J'avais oublié. Venez! »
Il saisit son bras de nouveau et commença à s'éloigner du mur, se dirigeant en bas de la colline à travers les grands arbres.
« Il est partie au printemps, hein? Il y a de cela deux ans maintenant? Bon garçon, bon fils, non? »
Elle inclina la tête, n'ayant pas assez confiance en elle pour parler.
« C'est une surprise, il m'a dit, pour votre anniversaire! Il a dit que vous viendriez un jour. Je vous ai attendue! »
Ils arrivèrent à une clairière dans les arbres et il s'arrêta avant de la pousser doucement en avant.
« Voici! Bon anniversaire! »
Elle tourna la tête et haleta lorsqu'elle vit ce qui était la. Un jardin, plein de roses, lys, iris, toutes en fleur. Ses roses favorites, les vieilles roses, les roses à cent feuilles les plus parfumées et les iris, bleus et pourpres, qui dansaient dans la brise. Elle vit aussi des pavots, des lys et le cosmos, leurs couleurs brillantes lui coupant le souffle.
« C'est pour vous.», dit doucement l'homme, interrompant ainsi ses pensées. « Un cadeau, pour votre anniversaire. Il a dit que votre jardin chez vous était trop petit, et que vous n'aviez pas la force pour agrandir le jardin seule. Alors, il a fait un jardin ici, pour vous. »
Elle entendit à peine ce qu'il dit ; elle regardait son jardin comme un enfant enchanté.
« C'est à moi!? Ce jardin est à moi!? »
Elle regarda l'homme, son sourire brillant sous les larmes.
« Il a fait tout cela ? Avant de partir?»
L'homme dit oui de la tête.
« Il venait chaque jour! Un bon garçon, bien sûr. Je l'ai aidé »
Il se retourna pour s'en aller et s'arrêta.
« Ah oui, J'avais presque oublié. Il a dit que je devais vous dire une chose. »
« Quoi? Dites-moi, s'il vous plait? »
« Il a dit que je devais dire : «Maintenant vous aurez toujours des papillons!».»
Elle sourit et revint vers le jardin, son jardin. Elle rit à haute voix lorsqu'elle vit les papillons.