En théorie, il devait faire de bonnes actions. Et aussi combattre des monstres - ça, ça aurait été facile, du moins si un monstre avait point le bout de son nez, de ses tentacules, ou tout équivalent. Les bonnes actions étaient un problème autrement plus délicat.

En plus, il allait devoir manger. Pouvait-on se nourrir sans argent et en commettant de bonnes actions ? Il en doutait.

Peut-être pouvait-il faire un échange standard ? Chercher un autre héros débutant avide de bonnes actions, mais qui serait soutenu par ses parents et aurait un déjeûner sur lui ? Comme ça, ça lui ferait une occasion. Et en échange... Terreur ne lui casserait pas la gueule, par exemple. Ca lui semblait un bon plan.

Sauf qu'aucun héros en devenir ne passait sur la route. Ce n'était pas plus mal. Le pays, du moins si on en jugeait par les kilomètres qu'il avait parcourus depuis le matin, lui semblait souffrir d'une pénurie de monstres. Il fallait éviter la concurrence.

Il vit alors sur le bord de la route un buisson de ronces. Peut-être était-ce sa chance de manger sans léser personne ! Pour les bonnes actions, on verrait plus tard.

Malheureusement, il n'était pas le premier à avoir cette idée ; les mûres restantes étaient plutôt acides, sans compter qu'il fallait se piquer les doigts pour les cueillir. Il jura plusieurs fois, piétina les ronces de ses bonnes chaussures (qui seraient moins bonnes ensuite), et réussit à assimiler l'équivalent d'un maigre repas.

C'est alors qu'il vit la colombe.

Elle était prisonnière des ronces, et avait déjà abîmé ses ailes en essayant de quitter le buisson. Même si le rouge qui maculait ses plumes blanches était aussi constitué en grande partie de jus de mûres. Voilà donc pourquoi la récolte de Terreur avait été si maigre ! Une partie de lui murmurait que c'était bien fait.

Mais il décida de se montrer rationnel. Après tout, n'était-ce pas l'occasion qu'il cherchait ? Celle de faire une bonne action ? Avec précautions - il n'avait pas l'habitude - et quelques grimaces, il écarta les vrilles épineuses pour laisser la colombe s'échapper.

Au lieu de s'enfuir, elle se posa sur son épaule, se dandina un peu. Elle n'était pas très intelligente, pensa-t-il. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas mangé de viande - enfin, depuis la veille, mais cela lui semblait longtemps. Ceci dit, il prit son mal en patience. Il n'était pas facile de faire des bonnes actions. Sinon, on ne les mentionnerait même pas dans les contes, pas plus que les passages où les héros vont aux toilettes.

"Tu m'as sauvé la vie." commença la colombe.

Terreur ne fut pas surpris de l'entendre parler. Sa mère était une sorcière, après tout ! Il avait déjà vu parler des choses autrement plus surprenantes - et autrement plus tramatisantes, s'il pouvait se permettre de donner son avis.

"Mouais, je sais." marmonna-t-il entre ses dents. "J'suis pas débile."

Soit elle ne l'entendit pas, perdue dans son propre discours, soit elle était de particulièrement bonne composition.

"Pour te remercier, je vais te donner une de mes plumes. Si tu la brandis en disant "à moi, petite colombe", tu deviendras un oiseau comme moi, et tu pourras voler. Attention, elle ne pourra servir qu'une fois !"

Le volatile arracha en effet une de ses petites plumes, et la tendit à Terreur, qui l'accepta, avec la certitude d'avoir fait quelque chose de bien. Au sens rentable.

Puis l'oiseau blanc toujours un peu taché de rouge s'envola dans le ciel, quoique un peu péniblement. Soit il était blessé, soit il avait mangé trop de mûres. Ou il avait des crampes. Ou il était vraiment débile, et il avait arraché une plume importante. Enfin, il n'y avait pas de raison pour se poser ce genre de questions. Maintenant que Terreur avait la plume, ce n'est pas comme si c'était important.

Soudain, une vive lumière l'environna, au point qu'il dut fermer les yeux.

"Tu es prometteur, mon enfant, et je vais te guider sur le chemin du Bien."

Quand il les rouvrit, une bonne fée se tenait devant lui.