Auteur : Mouf-Mouf

Disclaimer : A moi !

Genre : Triste et plein d'espoir à la fois… Bizarre, quoi.

Note : Je tiens à préciser que je n'ai pas écrit ça pour recevoir des condoléances, vous pouvez vous abstenir sans problème ! Disons que je voulais partager avec vous, histoire que vous me donniez votre avis sur ce style différent de celui qui est le mien d'habitude…

Quand je te reverrai…

Cher Cédric :

Quand je te reverrai… je t'en collerai une. Te voilà prévenu. Tu ne t'y attendais pas, hein ? Mais je trouve que ce sera mérité : je t'en collerai une… pour te punir d'être mort, pour commencer. Qu'en dis-tu ? Et encore, c'est un châtiment moindre par rapport à l'énormité de ton acte. Il paraît que mon bon cœur me perdra. Il paraît aussi qu'il faut que j'arrête de me cacher derrière l'humour pour parler des choses graves.

J'ai toujours trouvé l'humour plus facile. Sans humour, les mots de douleur ont beaucoup plus d'impact. Trop, même. Comment pourrais-je parler, sinon ? Dire que le poids de ton absence écrase les mots dans ma gorge ? Tu as toujours su décrypter mes sourires, de toute façon. Tu t'en rendais toujours compte lorsqu'ils n'atteignaient pas mes yeux, lorsque la tristesse avait pris la place légitime de la joie.

Mais aujourd'hui c'est particulier, aujourd'hui est un anniversaire. Triste anniversaire, gâteau d'amertume à la bougie noire. Aujourd'hui je peux te dire ma souffrance. Elle tient en trois mots : tu me manques. Terriblement. Ça fait quatre, d'accord. Je n'ai jamais aimé les maths, tu le sais bien, et toi non plus d'ailleurs !

Que te dire… Que même après un an, je ne comprends toujours pas ton geste. Que se passait-il dans ta tête, quelles voix te parlaient, couvrant la mienne et celles de tiens, quelles mains t'ont poussé ? Quelles pensées te sont venues lors de ton vol bien trop court ? Avant même que tu ne sautes ? Etait-ce un coup de tête ? Un projet mûrement réfléchi ? Au fond, je crois que je préfère nettement ne pas savoir…

Je peux te parler des cauchemars qui me réveillent la nuit au point que je crains désormais le noir –je dors avec une veilleuse, merci bien !-, de la douleur presque physique qui me fait un nœud dans le ventre et dans la poitrine, de mon passage sur pilote automatique pendant les mois qui ont suivi ta disparition, ne m'en laissant aucun souvenir… Je peux aussi te parler des photos que j'ai décrochées du mur et rangées dans une boîte avec les lettres, les fleurs séchées et le collier d'argent. Et je peux te parler de ma vie maintenant.

Tiens, je t'ai encore croisé aujourd'hui, dans le métro ! Et il y a deux jours, à la Fnac. Enfin, presque… Un sourire, une démarche, des yeux rieurs, une voix, une façon de parler, une coiffure… très décoiffée, et j'ai l'impression de te revoir. Mais ce n'est jamais toi. Mon cœur se serre un peu plus à chaque fois, d'autant que ce stupide espoir inconscient ne peut s'empêcher de se manifester. J'ai toujours été un peu longue à la détente…

Je sens ta présence un peu partout, d'ailleurs. Un livre qu'on a acheté ensemble, un film que tu as aimé, devant lequel tu as pleuré, devant lequel on s'est endormis ; un film qu'on a revu cent fois parce que, franchement, cet acteur était trop beau !, parce que les chansons étaient chouettes et qu'on les massacrait ensuite en se promenant, un chien qui ressemble à celui que tu avais, un coin de Paris que tu aimais particulièrement, ce café où tu avais flashé sur le serveur… Tiens, là j'ai l'impression que tu es dans mon fauteuil en osier, à côté de moi. Tu as mon énorme lapin en peluche sur les genoux, et tu joues avec ses oreilles. Pourquoi ses oreilles et pas ses pattes, je n'ai jamais compris. Tu m'expliqueras, dis ?

Tu me manques horriblement, et aujourd'hui particulièrement. Mais tu n'es pas totalement parti, n'est-ce pas ? J'essaye de te garder avec moi autant que je le peux : je te fais goûter avec moi mes nouvelles recettes de gâteaux, ratées comme réussies, je pense à toi pendant un film que tu aurais aimé, lorsque le soleil brille juste après la pluie, comme tu l'aimais. J'admire pour toi les vagues qui s'écrasent sur le sable, je découvre de nouvelles saveurs de chocolat pour toi. A la montagne, la prochaine fois, je ne repartirai pas sans avoir espionné des marmottes, comme tu aimais le faire. C'est un peu comme si tu étais toujours là, pas vrai ?

En septembre prochain, j'aurai 22 ans. Tu avais un an de plus que moi, mais je te rattraperai en septembre. Et je te dépasserai l'année suivante. Mais je vais commencer par gérer un anniversaire à la fois, tu veux ? A chacun suffira sa peine, je crois.

Voilà, je crois que je t'ai dit l'essentiel. Je suis différente, maintenant. Plus fragile, plus forte également, peut-être, en un sens. Je suis plus méfiante, je protège mon cœur. Tu en as emporté un sacré morceau avec toi, tu sais ! Je ne t'en veux plus, mais la trahison a été atroce. Je ne regrette pas les trois ans que j'ai passés à essayer de te sauver de toi-même, les trois ans passés à veiller sur toi, tu en valais largement la peine. Mais je ne te pardonnerai pas ce geste final. D'où la gifle. Tiens-toi prêt, tu n'y échapperas pas ! Bon, et je rajouterai quand même probablement un bisou par-dessus. Ça fait longtemps.

Je t'embrasse,

M.

PS : tu crois que les anges rougiront lorsqu'on les sifflera ensemble, comme on sifflait les Parisiens ? Il faudra qu'on vérifie !

PPS : Prends garde aux nuages, il paraît qu'ils sont traîtres.

PPPS : tu me manques.

Maëlle relut une dernière fois sa lettre avant de la glisser dans l'enveloppe. Blanche. Pas de nom, pas d'adresse. Pas de timbre. Inutile.

Elle la déchira lentement. En deux. En quatre. En huit, en morceaux plus petits à chaque geste, jusqu'à ce qu'ils deviennent confettis.

Lorsqu'elle ouvrit les mains, le vent marin s'en empara aussitôt et les entraîna avec lui dans ses tourbillons. Il fit claquer les pans de sa robe autour d'elle, fit voler ses cheveux devant ses yeux.

Elle les regarda monter, plus haut, toujours plus haut dans le vent, vers ces lourds nuages noirs qui assombrissaient le ciel. L'averse ne tarderait pas, elle allait pleurer à sa place. Elle, elle ne pouvait plus. Les plus grandes douleurs sont muettes. Crier, hurler semble dérisoire, frapper également. Mais rester debout face aux vagues, hypnotisée par la mer sombre qui se confondait à l'horizon avec le ciel… Il n'y avait pas de meilleur moyen de fêter un tel anniversaire.

Lorsque les premières gouttes commencèrent à tomber, Maëlle ferma les yeux. Elle les accueillit avec reconnaissance, les sentit dégouliner le long de ses joues. Elle ne sentait pas le froid, il lui importait peu. Seule la pluie comptait.

Elle resta un moment immobile, les bras ouverts et le visage offert. Puis quelque chose changea. Le moment était passé. La souffrance était toujours présente, elle ne disparaîtrait pas. Mais peut-être qu'avec le temps, elle cesserait d'être un assaillant agressif pour devenir un vieux compagnon d'habitude.

Maëlle se détourna de la mer, face à la terre. A quelques pas, sous un parapluie, il lui sourit. Attentif. Patient. Comme toujours. Il lui tendit la main. Lorsqu'elle fit un pas vers lui, elle souriait à travers la pluie.

FIN