Bienvenus, mes amis, sur le premier chapitre de "Back To Red". Ce sera une histoire en environs 8 chapitres, mais empressez-vous d'oublier ce détail, car rien n'est moins sûr, peut-être qu'il m'en faudra 12 ou 13. J'essaierai, dans la mesure du possible, d'updater toute les semaines ! ... Bonne lecture.
(Heu non, en fait pas bonne lecture de suite, d'abord je me dois de vous dire que cette histoire est destinée à des lecteurs avertis, n'étant pas forcément à la recherche de niaiseries sucrées. Je ne dis pas que ce sera un festin d'horreur et de tripes, huhuhu, quand même, mais j'ai peur que cela soit quand même assez violent. Voilà. Merci ! =D)
Ah oui, et j'ai également une...
...Petite indication : L'acronyme S.E.G.P.A, que j'utilise un demi-billion de fois dans le texte, signifie Section d'Enseignement Général et Professionnel Adapté. C'est un collège normal en apparence, puisque les gamins y vont de la 6ème à la 3ème, mais en réalité les cours qui y sont dispensés sont d'un niveau très inférieur à la normale. Les enfants placés dans ces établissements spécialisés ont de graves problèmes d'apprentissage et sont pour la plupart issus de milieux très défavorisés. Il ne s'agit pas – contrairement à l'idée qu'on s'en fait – de débiles mentaux, mais simplement de gosses que la vie n'a pas épargnés. Pour finir, je précise que l'élève type de S.E.G.P.A connaît généralement un paquet de problèmes graves et durables sur le plan comportemental, psychologique et affectif, et beaucoup (sans pour autant tous les mettre dans le même sac) ne savent communiquer que par la violence.
Voilà. Je vous laisse en paix.
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Back to Red
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- Tu r'ssembles à une petite pute !
Il y a des pas derrière lui, puis un relent de tabac froid et de transpiration. Il les ignore, souverain, et continue ses peintures de guerre devant le miroir.
- T'écoutes, merdeux ?
La voix est rauque et pestilentielle. Elle crache les insultes comme des glaires. Mais sur ses plumes de cygne, elles glissent, sans l'atteindre.
- Bordel de merde, pourquoi tu t'maquilles ?! C'est quoi qu'tu veux, dev'nir la salope d'la ville ?! C'est ça qu'tu veux, p'tit con ?!
Bam ! Le coup l'atteint derrière le crâne, et sa face s'écrase contre le miroir, embrassant violemment son scandaleux reflet. L'impact est suivi de quelques instants de silence. Il regarde les traces de sang et de rouge-à-lèvre sur la surface réfléchissante, et du bout de ses longs doigts blancs, il les efface. Puis il se retourne et décoche à sa mère une gifle retentissante. Le souffle de la femme se coupe et son cou se tord sur le côté de manière grotesque, mais son corps massif ne bouge pas. Lorsqu'elle lui fait front à nouveau, elle est blême et furieuse.
- T'iras brûler en enfer, elle murmure. Frapper ta propre mère ! T'iras brûler en enfer, Léto !
Il lui tourne le dos : l'enfer ne lui fait ni chaud ni froid. Il a presque fini son masque de guerrier à présent. Ses lèvres pourpres brillent, aveuglantes et sensuelles, celle du bas saigne encore un peu.
Ses yeux sont deux billes noires qu'il a noyées de rouge, sur la paupière, puis au-dessous, et qu'il a étirées jusqu'à ses tempes. Enfin, il dirige le bâton carmin contre ses pommettes aigües et trace avec application deux traits horizontaux. Puis il se regarde, étonné, et c'est comme s'il découvrait son visage pour la première fois. Il est un soldat de sang et de soie, à mi-chemin entre Charles Manson et Blanche-Neige, et ça le fait sourire.
Je viens de naître, il pense. Son sourire prend un goût de viande crue.
Soudain, il regarde derrière son reflet et voit que sa mère s'apprête à le frapper à nouveau. Il fait volte-face et l'empoigne par une touffe de ses cheveux graisseux, approchant son visage à quelques millimètres du sien.
- Si tu me touches, je t'égorge.
Il articule posément les trois dernières syllabes. Sa mère ne bouge plus. Le garçon devant elle – son garçon – elle ne le reconnaît pas. Il lui fait peur.
Il est d'jà pédé, elle pense, pourquoi qu'y s'rait pas meurtrier ?
Il prend le temps de contempler les sillons crasseux que l'inculture, le manque d'hygiène de vie et la bêtise ont creusé dans sa peau, puis il la repousse loin de lui. Alors elle se réveille :
- Où tu vas !? Reviens ici, sale merdeux !
Le menton haut, il quitte la salle-de-bain. Elle le suit en beuglant jusque dans sa petite chambre qui sent le sucre et le poivre, et il extirpe de sous son lit une corde, un petit bidon d'essence et des menottes. Elle ne comprend pas. Elle vocifère de plus belle, il ne l'écoute pas : il n'y a rien à entendre. Dans le tiroir de sa commode, il prend une petite bouteille remplie d'un liquide blanc, un canif et des allumettes et les enfouit avec le reste dans son sac de cours élimé.
Ce n'est que lorsqu'il lui claque la porte de l'appartement au nez sans avoir dit un mot qu'elle se calme et se tait, enfin. Dans le silence, elle frémit. Le garçon – son garçon – a laissé derrière lui un parfum bien étrange. C'est une odeur fragile mais obsédante qui flotte dans l'air comme un papillon mélancolique et se pose partout ; sur le sofa défoncé, sur la lumière pisseuse qui tombe de l'ampoule grésillante, puis sur les lourdes épaules de la femme immobile.
Alors, foudroyée, elle s'écroule. Car elle est mère, et que jusqu'au cœur de ses os, elle sait : c'est l'odeur des enfants qui ne reviendront pas.
Dehors il n'y a pas de bruit, pas de vent, personne. La ville n'a d'autre couleur que Léto et les feuilles mortes qu'il foule doucement, immense tapis rouge que l'automne a déployé pour lui. Nous sommes un 30 octobre. Vendredi. Contre le ciel laiteux monte un croissant de lune : c'est le sourire de Léto.
Ça fait un an, il pense, un an ! Bon anniversaire !, et le croissant de lune s'élargit. Sous ses pieds, les feuilles bruissent et chuchotent une vieille comptine, et alors, il se souvient.
Le 30 octobre de l'année précédente, Léto a 13 ans, et personne ne le voit. Il est une petite ombre coincée entre le plomb du ciel derrière la vitre et le bois de son pupitre, que de nombreuses générations d'élèves à problèmes ont lacéré et écorché.
Il est immobile. Il a peur.
Quelque part dans le préfabriqué où il a cours, un garçon de son âge déchiffre laborieusement un texte de CE1, et des bouts de mots hachés flottent paresseusement dans l'air lourd de l'après-midi, faisant dodeliner les têtes et papillonner les yeux.
Mais Léto est bien éveillé. Ses yeux sont secs, ses paumes moites. Un pli d'angoisse fissure son front de porcelaine.
Je vais le faire, il se répète, je VAIS le faire…
Et il va le faire.
Dans une minute, il déplacera sa main droite de quelques centimètres à peine, lentement, précautionneusement, et de cet infime frémissement dans l'immensité du monde jaillira un cataclysme d'une violence inouïe.
Mais cela, bien sûr, il ne le sait pas.
L'air autour de lui s'électrise, se raréfie à mesure que les secondes s'égrènent inéluctablement ; l'adrénaline lui ronge le ventre comme un bain bouillant, fait monter dans sa gorge un goût alcalin, enflamme l'immense rallye de ses veines…
Un… deux…
Et soudain, ça y est. Après des mois à planifier, craindre, imaginer et rêver dans l'ombre, il est l'heure.
Trois !
Son cœur fait silence. Sa main, plume d'oiseau-mouche, glisse doucement, tout doucement, fend l'air d'une caresse, hésite d'un timide tremblement puis se pose, enfin, et Léto ferme les yeux.
Oh.
Il l'a fait.
Sous la sienne, la main d'Idriss est brûlante. Comme il l'imaginait. Alors il la serre un tout petit peu car il craint qu'elle lui soit confisquée d'une seconde à l'autre, et aussi parce qu'il voudrait capturer sa chaleur et la garder au creux de lui, toujours.
Une seule seconde a passé. Léto soulève craintivement les paupières. Idriss le regarde. Idriss, il a des prunelles comme du miel de châtaignier et la peau comme le sable du Maroc. Idriss, c'est le soleil. Il est trop beau. Ça fait mal aux yeux.
- Qu'est-ce que tu fous, là ? D'où tu m'touches ?
Sous la paume de Léto, il n'y a que du noir. Idriss a retiré sa main d'un coup sec.
- T'es pédé ou quoi ?
Les yeux de miel du garçon n'ont jamais vu d'amour. Ni dans sa famille, ni ailleurs. Nulle part. Il ne sait pas trop quelle forme ça prend, l'amour, on ne lui a pas appris à le reconnaitre. Il a marché toute sa vie dans un désert immense et pour la première fois, il voit une petite fleur blanche posée devant lui, comme un miracle au cœur de l'aridité.
Il ne sait pas ce que c'est.
Et il l'écrase.
- J… je crois, répond Léto dans un souffle.
C'est l'explosion.
Idriss bondit sur ses pieds et renverse la table, il crie des insultes dans un arabe guttural, attrape Léto par les cheveux et le montre à la classe entière. "ZAMEL !", il hurle. "ZAMEL !", et à la S.E.G.P.A, qu'on soit d'ici ou d'ailleurs, on sait que zamel, ça veut dire "pédé". Léto prend un coup dans le dos qui lui coupe le souffle et les jambes, et sa frêle silhouette se balance pathétiquement au bout du bras d'Idriss. Il y a des rires, des encouragements, d'autres insultes puis d'autres coups, et la professeure terrifiée sort pour chercher de l'aide.
Idriss lâche Léto et il tombe sur le sol comme un pétale fané, sans bruit. Un coup de pied dans son ventre le plie en deux et le force à vomir. Un autre dans son entrejambe le fait hurler comme jamais il n'a hurlé. Il s'évanouit à moitié. Un garçon blond le saisit par la gorge, écrase son visage contre sa braguette. Il simule une fellation avec des mots orduriers et des gestes brusques, et les autres rigolent. Puis le blond le repousse violemment, et le nez de Léto craque contre le bois d'un pupitre. Le sang coule dans sa gorge et sur sa figure. Il s'étouffe en pleurant.
- Idriss !, il dit dans un cri mouillé.
Il voudrait lui expliquer que ce n'est pas ce qu'il croit, qu'il n'est pas comme toute ces folles perdues qu'on voit à la télévision et qui ne pensent qu'au sexe, ça non ! Il voudrait lui dire qu'il aimerait juste lui tenir la main, parfois. Pas souvent. Quand Idriss le voudra. Voilà, seulement quand il le voudra. Il aimerait lui dire qu'il est prêt à tout pour un de ses sourires, car il l'aime de cet amour pur, invincible, miraculeux et transcendant qu'il ne nous est donné de connaitre qu'à 13 ans.
- Idriiiss ! Idriiiss !
Les garçons s'esclaffent alors qu'Idriss imite les geignements de Léto d'une voix stridente, singeant son expression douloureuse avec des grimaces clownesques. Mais Idriss, lui, il ne rit pas. Pas vraiment. Il n'y arrive pas. Sa bouche reste ouverte, mais c'est juste parce qu'il se retient de hurler. Il regarde Léto recroquevillé au sol, son visage, ses habits tout tâchés de sang, et il revoit cette microseconde où il lui a touché la main.
Zamel… Une peur sans nom lui broie les tripes. Zamel…
Dans son désert, une gigantesque tempête venue de nulle part souffle et redessine un horizon aux dents de sable, aux dunes écharpées que sillonnent des scorpions affolés, piquant au hasard. Et alors, c'est comme si des litres de vitriol se déversaient dans ses veines : Idriss crie et envoie se fracasser un autre pupitre avec tant de violence que les tendons de ses avant-bras lui font mal, puis il s'empare d'une épaisse règle en fer et s'approche du corps de Léto.
Il le hait. Il le hait comme jamais il n'a haï de sa vie même si 5 minutes auparavant il n'avait pas conscience de son existence, et il veut lui faire mal là maintenant de suite, le plus mal possible avant qu'on l'en empêche…
Il pointe la grosse règle contre la raie des fesses de Léto, à travers son jean, et l'enfonce de toutes ses forces, une fois, deux fois, dix fois… Léto hurle, et les autres ne rient plus. Le teint d'Idriss est terreux et maladif. Il ponctue chacun de ses martèlements d'un cri rauque, et au bout d'une minute, les paupières de Léto s'abaissent sur ses yeux rougis comme un voile pudique.
Idriss, c'est le soleil. On peut tourner autour. Pas le toucher.
Et là, c'est le moment où vous vous dites : "mais c'est qui cette meuf, elle est malade d'écrire des trucs comme ça ?" Et c'est également le moment ou je ne trouve strictement rien à répondre à part un "maiiiiiis... maiiiiiiiis..." XD
Non, sincèrement, il ne s'agit pas d'une amourette fleur bleue, vous l'aurez compris, mais je vous promets le happy end. "Genre elle va arriver à caser un happy end après ça?!" Ben ouais ! Ich bin very powerful :P
Merci d'avoir lu, et merci d'avance à ceux qui, motivés de la laïfe, vont reviewer. Je serai plus que ravie de leur répondre ! A la semaine prochaine.