ENFIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIN \o/

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J'aurais pleuré sang et larmes, j'aurais sombré dans la folie, je me serais un peu roulée par terre en criant des injures en polonais, mais ! Voici le dernier chapitre d'AS.

Ma vie est maintenant finie.

Au contraire, comme indiqué précédemment, AS continue (le traître). Si vous avez toujours rêvé d'une belle édition d'AS recorrigée, avec de belles images, vingt-quatre pages de BD, un bô lexique si vous voulez me voir moi, en personne, séduisante et sans reproche viendez à la Japan Expo voir Aquilegia, ou même à Harajuku, Paris Manga, que sais-je ? Bref, nous sommes belles, séduisantes, et c'est l'occasion rêvée de m'insulter face à face comme vous l'aviez toujours rêvé !

Pour les estrangers qui n'habitent pas à Paris (quelle idée !) ou répugnent à aller en convention (il y a du peuple, des estrangers, toussa) : je suis tout à fait disposée à a) envoyer le fanzine (frais de ports inclus pour vous, désolée !), avec paiement par Paypal b) en période scolaire, vous croiser sur Lille vous filer le fanzine en personne si vous souhaitez économiser des frais de port, ne suis-je pas gentille ?, c) autre, si vous avez une idée en tête.

Hors bas mercantilisme : j'espère sincèrement que ce chapitre, et cette fic, vous aura plu. J'aurai douillé comme je n'avais jamais douillé à écrire une fic, c'était bien la première fois qu'écrire des chapitres me laissait incapable d'écrire un mot pendant quelques semaine sans commettre des abomination… Mais au final, j'imagine que je me suis bien amusée (?). Si ça a pu être le cas pour vous, je ne peux honnêtement pas demander plus.

En conclusion : BONNE LECTURE \o/

L'aigle et le safran

Neuvième partie : Le Sang et la Neige

Le couple impérial célébra son mariage à Okre, lors de l'équinoxe d'hiver, dans le grand temple de la capitale.

La cérémonie fut belle le peuple y était venu en foule, s'amassant aux portes blanches du bâtiment, à peine contenu par les soldats chargés de former la haie d'honneur des mariés. Les tableaux commandés pour l'occasion, plus tard, surent retranscrire toute la gloire du moment ; l'Impératrice, sa silhouette mince nimbée d'or et de joyaux, sa chevelure noire savamment arrangée en pluie d'orfèvreries, et l'Empereur, massif et austère dans l'armure de cérémonie de ses ancêtres, formaient un couple idéal pour les peintres officiels. On les immortalisa beaucoup devant l'autel de pierre massif, baignés par la lumière douce des vitraux, la tête baissée devant les trois prêtres ; remontant l'allée nuptiale, dignes et droits parmi leurs escortes ; émergeant lentement sous le ciel hivernal au milieu des vivats, les mains jointes et le visage grave.

Un sérieux admirable, une solennité magnifique ; et que la cérémonie fût inutile, que le couple impérial portât encore les bracelets nuptiaux de leur mariage à Piara, célébré sitôt que Nemui avait rejoint l'Empereur – qui s'en souciait ? L'image était belle, c'était l'essentiel ; et Fairn, honoré du titre de témoin pour l'occasion, aurait été mal avisé de protester. Il avait remonté l'allée nuptiale au côté de Meïryuu, échangé avec lui les bracelets des mariés.

Qu'aucun d'entre eux ne se fût permis plus qu'un sourire amusé lorsque leurs regards s'étaient croisés pour la première fois témoignait d'un admirable contrôle d'eux-mêmes.

Meïryuu n'était plus le courtisan de Piara ; il n'était plus non plus exactement le général des montagnes. Encore une fois, l'Okrain s'était métamorphosé en accord avec sa fonction. Ses cheveux mi-longs, coupés aux épaules pour les besoins de la guerre, s'étaient vus noués en queue de cheval, une broche superbe aux motifs de fleurs et de papillons tenant fixes les mèches trop courtes. Il avait à peine pâli son teint, à peine rougi ses lèvres ; le noir qui soulignait l'amande de ses yeux se réduisait à deux lignes discrètes. Sa robe, quoiqu'aussi ouvragée que l'exigeait l'occasion, n'avait pas le mauvais goût de tenter d'éclipser celle de l'Impératrice ; le choix du noir impliquait une sobriété sage à peine brisée par les liserés dorés de la fleur de safran brodée dans son dos.

Que sa tenue d'officiel fût à mi-chemin entre ses atours de prostitué et son uniforme de général amusait Fairn plus que de raison,

Le mariage avait été suivi d'une grande fête. Les trois quarts de la noblesse des deux pays s'y étaient joints ; les parcs du Palais Impérial avaient heureusement le bon goût d'être assez larges pour permettre à un couple de trouver quelque solitude, pourvu qu'il la cherche aux bons endroits. Meïryuu les connaissait, et Fairn l'avait laissé le guider.

Les souliers tressés de l'Okrain laissaient les traces diffuses dans la neige. Le ciel avait revêtu les couleurs ternes de son crépuscules, ses ombres mauves et bleu-gris à peine relevés par les derniers rayons solaires. Les carpes fluorescentes qui nageaient dans les grands bassins creusés au sol luisaient doucement, jetant des éclats colorés sur la végétation au désordre soigneusement entretenu qui émaillait les allées à peine dessinées. Des buissons bas mêlaient le blanc de leurs feuilles ternies de givre aux teintes pâles des fleurs hivernales ; de grands arbres aux troncs épais voyaient leurs branchages nus se perdre parmi les manteaux d'épines de larges conifères. Aucune ligne droite, aucune régularité, aucune symétrie ; à peine, parfois, les angles brisés d'un rocher soigneusement retaillé.

L'ensemble n'était pas sans une certaine beauté austère, délicate et délibérée ; cette même artificialité savante qui définissait Meïryuu. L'Okrain s'y déplaçait avec l'aisance d'un habitué, contournant un roc pour mener Fairn derrière la silhouette massive d'un orme noueux, esquivant les taches colorées que jetait au sol l'eau luminescente des bassins pour y préférer l'ombre d'une colline artificielle.

Le sang d'Agena Valirston prolongeait l'armure rouge de Shikyuu Idashi comme la traîne d'une robe improbable, la robe brune de la morte imbibée de pourpre là où l'épée de l'Okrain l'avait transpercée.

L'espace d'un instant, Fairn crut revoir une fleur agenouillée auprès d'un mort ; mais pas assez de neige, mais trop de sang – mais pas de grâce dans la silhouette immobile qui leur souriait, simplement l'assurance calme d'un prédateur.

- Fairn Elrasirst et Meïryuu Solien, énonça l'oncle de l'Impératrice d'une voix amusée. L'Aigle et le Safran. N'est-ce pas trop d'honneur pour un simple traître ?

Fairn sourit à son tour. Le regard noir qui soutenait le sien lui plaisait, ainsi que l'assurance de la tête fière. Shikyuu avait peut-être cinquante-six ans, mais il les portait comme d'autres arboraient leurs vingt ans.

- Vous oubliez Agena.

Le regard du noble s'attarda brièvement sur le cadavre à ses pieds.

- A-t-elle jamais compté ? Elle n'aurait pas tenu quelques secondes contre vous. On te laisse le plus pénible... Meïryuu.

Meïryuu sourit à son tour. Prévoyant comme à l'ordinaire, il avait déjà son épée en main. Fairn le laissa s'avancer ; après tout, c'était au bras droit de l'Impératrice de régler les conflits familiaux de sa maîtresse.

- Cela n'a-t-il pas toujours été le cas ? rétorqua l'Okrain, la voix teintée d'un amusement détaché.

Un silence ; une nouvelle nuance dans le sourire de Shikyuu.

- Je dois l'admettre. Quelle idée, aussi, de choisir pareil pseudonyme ! Mon neveu était furieux.

Meïryuu haussa les épaules, ce même geste dont Agena avait tant échoué à reproduire la grâce négligente.

- Un bon fils respecte les volontés maternelles, n'est-ce pas ? Je vous appréciais, cependant. Je regrette que vous ayez dû choisir la voie de la trahison.

Shikyuu laissa échapper un petit rire :

- Trahison ? Je préfère parler de fidélité à l'ancien Empereur...

Meïryuu secoua doucement la tête.

- Ne me décevez pas ; vous n'êtes pas du type fidèle. Vous auriez tué feu l'Empereur pour vos propres intérêts ; vous avez tenté de tuer l'Impératrice pour les mêmes raisons.

A nouveau, Shikyuu rit. Il changea légèrement d'appui, la neige crissant sous ses pieds ; Meïryuu redressa imperceptiblement son épée, les yeux fixés sur lui.

- Là ! J'avoue tout ; tu me connais trop bien... Ou est-ce l'Aigle qui te donne mauvais esprit ? Peut-être suis-je trop suspicieux, Elrasirst... Mais de ce que j'ai entendu de vous, nous avons bien des points communs.

La voix de Shikyuu se teintait d'un amusement familier. Fairn se souvenait des grandes lignes de sa vie ; jeune noble rebelle, passionnément impliqué par le sort de ses paysans ; pressenti un temps pour devenir Empereur, la proximité excessive de l'Okrain avec ses serfs avait finalement ruiné ses chances de succession. Sa participation suspectée à une révolte paysanne avait failli lui coûter la vie ; mais il s'était assagi, s'était mêlé de politique plus élevée. Petit à petit, il était remonté dans la faveur impériale jusqu'à pouvoir prétendre au titre de conseiller du pouvoir, faisant montre de sa loyauté sans faille en maintes occasions.

Même sans les détails biographiques, cependant, le sourire suffisait.

- Peut-être, concéda Fairn avec un petit rire. J'avoue que je suis aussi curieux. Sans doute, vous y étiez contraints, pour prendre un tel risque... Il est toujours possible de faire parler un assassin, fût-il aussi dévoué que les vôtres l'ont été.

- J'avais dit à ces imbéciles d'utiliser leur poison sitôt capturés, regretta Shikyuu avec un soupir. Mais oui ; j'avais vendu quelques informations aux Okrains par l'intermédiaire d'un agent fiable. Celui-ci a malheureusement eu le mauvais goût de se confier à Agena... Ça n'a pas été gênant tant que j'ai pu l'utiliser comme agent à ma solde...

Un petit rire :

- … Pardon ; à celle des services secrets okrains. Elle était discrète, nourrissait une fascination commode pour Okre, a même su manipuler son mari pour lui faire joindre sa cause. Le... suicide de son époux, cependant, l'a rendue assez nerveuse pour qu'elle tienne à m'assurer que si jamais elle devait décéder ou être capturée, mes... implications seraient connues... Preuves à l'appui.

Un haussement d'épaules.

- La réunion de nos deux Empires me condamnait. Le dossier d'Agena aurait été transmis à l'Empereur dans le cadre de la politique d'unification des services secrets... Et je doute qu'il serait resté passif. J'aurai eu, au moins, le plaisir d'exécuter cette imbécile.

- Vous auriez pu fuir, répliqua Meïryuu, le visage inexpressif.

Les ombres s'étaient allongées ; les traits des deux hommes se faisaient plus indistincts, dessinés seulement par la lueur faible des étoiles naissantes. Silencieux, Fairn guettait les crissements de neige ou les froissements de feuillage qui pourraient signaler une arrivée indésirable.

- Je suis trop vieux pour recommencer ma vie à zéro. La fatigue de la vieillesse, j'imagine.

- Je regretterai de devoir vous tuer.

Un sourire à moitié perdu dans l'ombre. La lame de Shikyuu luisait doucement sous la lune encore pâle, noyée d'obscurité là où les branchages voilaient le ciel.

- Tu peux toujours me laisser fuir.

- Je tiens à ma tête plus qu'à mes sympathies. Vous cherchez juste à me troubler avant l'exécution, n'est-ce pas ?

- Flatte mes vieux os, parle de combat.

Meïryuu secoua la tête.

- Chaque parole que je vous accorde est une victoire pour vous.

Shikyuu rit doucement ; puis les trait lumineux des deux lames décrivirent un arc brillant vers les silhouettes baignées de lune.

Fairn, discret, se recula poliment.

Malgré son âge, l'oncle de l'Empereur avait gardé de beaux restes. Il para l'attaque de Meïryuu, s'esquiva soudain, se noyant d'ombre avant de reparaître en ligne souple, son attaque à peine contrée.

Une parade ; un assaut plus direct vers l'épaule, écarté d'un coup de lame ; un recul, une esquive, la danse tendue, irrégulière de deux silhouettes tantôt assombries et tantôt illuminés selon qu'elles passaient de l'abri des feuillages au flot pâle de la lune. Une pause ; deux attaques, vives – à nouveau, l'attente, le rythme irrégulier d'un combat...

La première blessure survint après quelques minutes, le bruit familier de la chair entaillée – Meïryuu ne cria pas, se décalant vivement pour porter une nouvelle attaque. L'obscurité rendait impossible l'estimation de la gravité de la plaie. L'Okrain favorisait nettement sa jambe gauche dans les assauts suivants, mais ç'aurait pu être un moyen de pousser son adversaire à l'imprudence. Shikyuu n'était pas de ce genre cependant, ses assauts calculés et mesurés – une impeccable machine à tuer, admirablement exempte des faiblesses de l'âge ; que Meïryuu parvienne à soutenir ses attaques faisait déjà hommage à ses capacités de combattant.

Un pas, une esquive souple ; la lame de Shikyuu fondit vers le cou de son adversaire, celle de Meïryuu trop basse, sa posture trop engagée dans l'attaque pour qu'il puisse parer...

Shikyuu poussa un cri étranglé et Meïryuu jura doucement, retirant son épée du ventre du noble en une torsion sèche. Le sang jaillit à flot. Shikyuu tomba lentement à genoux, puis au sol, un rire mêlé de toux échappant à ses lèvres.

- Parer une arme à main nue ? Est-ce bien raisonnable ?...

- Il faut parfois un peu d'audace, répondit Meïryuu d'une voix égale.

Avait-il perdu des doigts ? Difficile à dire dans l'obscurité. Shikyuu rit à nouveau.

- En quantité mesurée. Achève-moi ?

L'Okrain hocha silencieusement la tête et s'agenouilla auprès de sa victime. Le poignard que Shikyuu tenta aussitôt de lui planter dans le côté était une formalité presque obligatoire, que Meïryuu esquiva sans s'en offenser.

- Au revoir, Shikyuu-nyn.

Un dernier rire, plus pénible à entendre, retentit sous l'ombre des feuillages…

Meïryuu se redressa lentement, reculant vers la lumière pour examiner l'état de ses vêtements.

- J'ai tenté de faire coïncider la plaie avec un suicide. Arrangez-le un peu si sa pose ne vous convient pas ; moi, j'ai mal à la main.

- Avez-vous perdu des doigts ? s'enquit Fairn, s'avançant pour examiner le corps.

L'obscurité rendait son jugement plus difficile, et il eût été peu discret de traîner Shikyuu à la lumière pour mieux l'examiner ; les Passeuses chargées d'examiner le corps, de toute façon, sauraient se montrer coopératives. L'oncle de l'Impératrice mourrait probablement de soucis de santé dans la version officielle, d'un suicide mystérieux dans la version officieuse – une histoire d'amour scandaleuse avec une Piaraine, peut-être...

Que de romantisme ! Une belle fin pour un grand homme.

- J'aurais besoin d'un Écouseur dans les plus courts délais, exposa Meïryuu. Mais rien de perdu. Ma tenue est tachée, cependant.

Une certaine dose de désapprobation dans sa voix faussement calme, la contrariété désinvolte d'une grande dame s'étant cassé un ongle. S'était-il impeccablement façonné, son Okrain ! Impossible de savoir ce qu'il pensait précisément de son acte, ou du défunt. Fairn sourit courtoisement et lui proposa son bras.

- Souhaitez-vous que je cache votre entaille à la jambe ?

Une brève hésitation ; puis l'Okrain hocha lentement la tête et, d'un geste souple de grand prince, lui tendit sa main intacte. Souriant légèrement, Fairn s'en empara avec la même élégance soigneuse qu'un homme invitant une femme désirée à danser.

Une neige fine avait commencé à tomber, les flocons trop fragiles pour persister sur la tiédeur d'une peau humaine. Meïryuu s'appuya davantage contre Fairn, ployant contre lui avec un naturel étudié. Ils avaient l'air d'un couple, sans doute ; une autre marque de rapprochement entre Okre et Piara, n'était-ce pas émouvant ? Et qu'elle fût bâtie sur le sang, que sa tendresse soit née de la dissimulation et du paraître – qui s'en souciait ?

- Votre main ne saigne pas trop ? murmura Fairn à l'oreille de Meïryuu.

- J'ai pris des manches longues, on ne s'étonnera pas que je l'y protège du froid.

Le Général rit à mi-voix. Lentement, ils remontèrent les allées tortueuses qui les avaient menés près de Shikyuu, croisant à peine, sur leur chemin, deux ou trois couples plus audacieux, ou plus romantiques, partis admirer les étoiles plus ou moins près du niveau du sol.

Deux adolescents plus innocents, assis au bord de l'un des bassins, se murmuraient des mots doux en caressant les couleurs mouvantes qui nageaient sur leurs peaux ; l'espace d'un instant, les parfums entêtants d'un jardin baigné de soleil remontèrent à la mémoire de Fairn.

La petite amante du Prince avait duré deux ans au final. Il aurait été inconvenant qu'une union aussi exemplaire que celle de l'Empereur de Piara et de l'Impératrice d'Okre s'encombre de satellites adjacents. D'après les rumeurs, Nemui avait dû se séparer de l'une de ses demoiselles de compagnie.

Quoiqu'en disent les romans, les bergères n'épousaient pas les princes…

La neige s'intensifia ; ils durent éviter les arbres, dont les branches ployantes laissaient chuter d'épais paquets blancs. Meïryuu ne boitillait pas, soigneusement.

Les premières éclats de la fête leurs parvinrent, les premières lueurs des torches suspendues peignant des taches dorées sur leur peau pâlie de lune. Meïryuu s'arrêta un instant, expirant profondément.

- Souhaitez-vous éviter la foule ? suggéra Fairn d'une voix douce.

L'Okrain lui lança un regard aigu.

- Montrez-moi la moindre pitié et je vous plante mon aiguille à cheveux dans la gorge.

Le Général se permit un petit rire :

- Je n'aurai pas cette imprudence.

- Je l'espère bien.

Qu'il était bien conçu, son automate ! Gracieux, élégant, les jambes souples malgré sa blessure ; saluant de la tête les convives qui l'interpellaient, patientant avec un sourire courtois pendant que Fairn se débarrassait de ses propres importuns ; se laissant entraîner entre les tables de marbre surchargées de victuailles, l'or de ses bijoux luisant vivement à la lueur des porte-flambeaux floraux, puis sous l'éclat plus lointain des chandeliers de cristal du palais d'hiver ; gravissant lentement, gracieusement, les escaliers massifs qui menaient au premier étage.

Les appartements de Meïryuu, comme le Suumilka jadis, avaient été conçus comme un écrin soigneux où leur propriétaire s'enchâssait avec un naturel étudié. Les teintes, à dominante brun-rouge et or, demeuraient les mêmes que jadis ; mais la décoration était bien plus sobre, la luminosité plus vive – quelques chandeliers complexes, aux airs de papillons artificiels, qui jetaient leurs feux dorés sur les murs pâles et les tableaux de scènes champêtres ; de grandes fenêtres qui donnaient directement sur le parc en-deçà. Les lieux dégageaient une atmosphère douce, feutrée, faussement intime.

L'adolescente qui s'occupait de Meïryuu avait été choisie avec le même goût admirable, sa beauté discrète et sa silhouette élégante s'accordant aux lieux comme à son maître. Elle retint un cri étouffé en voyant la main dégoulinante de sang de l'Okrain, une brève expression d'horreur traversant son visage juvénile, mais ne se permit plus ensuite la moindre expressivité inconvenante, le faisant asseoir avant de nettoyer la plaie et de travailler à la refermer.

Elle faisait un Écouseur très convenable malgré sa féminité, ses gestes calmes et assurés. Fairn haussa un sourcil à l'attention de Meïryuu, qui lui sourit avec – oui, c'était de la fierté, cet éclat calme dans les yeux noirs, cette inclination des lèvres pleines ; l'expression était aussi inhabituelle que plaisante.

- Komui a été l'Écouseur de mes armées. Je l'éduque actuellement.

- Je fais confiance à vos goûts, sourit Fairn. Vous vous êtes formé une garde personnelle ?

- De ces mêmes armées, répondit Meïryuu, la voix teintée d'ironie. C'est dire si leur nombre était bien choisi ; une fois parvenu à un meilleur statut, je n'ai pas eu de dilemme dans mes choix.

Fairn laissa échapper un petit rire.

- C'est bien pour cette raison que les Empereurs nous dirigent ; leur jugement est bien plus avisé que le nôtre.

- N'est-ce pas ? Vous aviez la fibre impériale.

Un lent sourire malgré la douleur qui menaçait de s'imprimer sur les traits délicats de l'Okrain, les yeux noirs de Meïryuu croisant les siens et y demeurant fixés.

- Quel dommage que feu l'Empereur ne vous aie pas montré tout le respect que vous méritiez. Sans doute l'a-t-il regretté.

Fairn esquissa le même lent sourire, notant la raideur nerveuse des épaules de l'adolescente, et se saisit de la main intacte de l'Okrain pour en embrasser doucement la paume.

- Ce n'est pas le rôle d'un serviteur que de s'interroger sur les actes de son maître. Je suis honoré du crédit qu'on a pu me porter, et n'oserais jamais pouvoir seulement douter de la sagesse supérieure de mes souverains.

Un rire léger, à peine interrompu par un léger halètement de douleur.

- Oh, oui... Le temps m'avait fait oublier votre modestie...

- Vraiment ? C'est vexant. Je pensais avoir suffisamment peu de vertus pour qu'elles marquent.

Un sourire ; la main de l'Okrain serra la sienne, les doigts fins effleurant son poignet.

- Résignez-vous. Vous êtes fade. Souhaites-tu passer à la jambe, Komui ?

Elle le souhaitait, une fois la main de son maître convenablement bandée. Elle entrouvrit les pans de la robe de Meïryuu avec un rougissement de vierge, dévoilant la jambe blessée avant de s'affairer à nettoyer le sang. Fairn réprima un rire. Loin de lui l'idée de perturber davantage une praticienne en plein ouvrage.

La plaie avait été faite proprement, les bords nets et les dommages profonds ; le sang avait coulé d'abondance, absorbé par le tissu des chaussures hautes de l'Okrain.

- Vous aviez tout calculé, n'est-ce pas ? admira Fairn.

- Ma profession première m'a appris à adapter mes habits aux circonstances.

Fairn rit, lui embrassant l'intérieur du poignet en réponse.

- J'ai toujours admiré votre professionnalisme.

Était-il bien policé, son Okrain ! Pas une plainte, pas un cri ; des répliques sarcastiques et sa main valide crispée sur la sienne. Peut-être souhaitait-il éviter des pleurs à sa petite Écouseuse ? Elle semblait terriblement attachée à son rôle. Fairn se demanda brièvement s'ils avaient consommé, se réprimanda aussitôt pour des errances mentales aussi peu convenables. Un gentilhomme ne s'attardait pas sur ce genre de sujet. Courtoisie, délicatesse et élévation de l'âme ! Ses trois maîtres mots.

Elle travaillait vite, du moins, toute l'efficacité d'un Écouseur militaire ; ou peut-être aussi fut-ce leur conversation qui aida à faire passer le temps. L'adolescente avait les traits tirés lorsqu'elle se retira, ses salutations timides et discrètes.

- Elle vous semble admirablement dévouée ; mes félicitations.

Meïryuu soupira légèrement, la tension de ses muscles tendus le quittant en une longue expiration.

- C'est en partie pour ça que je l'ai choisie comme homme à tout faire. Elle est intelligente, calme et obéissante. Je n'ai pas eu à m'en plaindre jusque-là.

L'Okrain se releva, le pli de ses lèvres se tordant légèrement lorsqu'il dut s'appuyer sur sa jambe blessée ; Fairn lui offrit courtoisement le bras.

Le corps souple qui se moula contre le sien était presque une surprise, des lèvres impérieuses se pressant aussitôt contre les siennes, exigeant une réponse qu'il ne fut que trop heureux d'accorder. Les bras de Meïryuu se nouèrent autours de ses épaules, sa main valide se posant sur la nuque de Fairn ; l'odeur caractéristique de l'Okrain lui parvint à nouveau, à la fois familière et étrangement nouvelle, la même senteur particulière de sa peau mêlée à un nouveau parfum.

- Vous me devez un duel, Général.

Les mains du Piarain se perdirent d'elles-mêmes dans les longs cheveux noirs, effleurant les joues pâlies de poudre, caressant la gorge tiède.

- Oh ?

- Je n'ai jamais pu vous affronter à égalité. J'ai envie de voir ce que vous valez.

Fairn hocha la tête. Ils étaient trop semblables pour qu'il ne puisse comprendre la requête de Meïryuu. A Piara, Fairn avait été Général, Meïryuu espion et courtisan ; dans les montagnes, leur rencontre et ses conséquences tenaient des vœux de Fairn. L'équilibre des pouvoirs avait toujours été inégal – et c'était peut-être ce qui rendait plus précieux ce corps mince entre ses bras, que l'Okrain vienne librement renouer des liens nés d'un mélange de malice, de politique et de curiosité...

- Entendu. Pas maintenant, cependant.

Un sourire ironique courba l'arc délicat des lèvres pleines.

- Bien sûr. Nous ne voudrions pas montrer de dissension entre les deux couronnes, n'est-ce pas ?

- Ce serait admirablement peu professionnel, approuva Fairn avec le plus grand sérieux.

Un petit rire :

- Et Okre sait que nous n'avons jamais mêlé l'émotionnel au professionnel, Fairn Elrasirst. Me porterez-vous ? J'ai besoin d'un bain.

Le mode interrogatif sonnait étrangement dans la bouche de Meïryuu, mais la situation l'était également ; il avait perdu ses prérogatives comme Fairn avait perdu les siennes. L'équilibre rompu, il ne leur restait plus qu'à en construire un nouveau à force de tâtonnement. Pas question d'explications ou de négociations ; ç'aurait tout gâché, n'est-ce pas ? Ils étaient tous les deux bien trop fiers pour confesser une faiblesse ou, pis, un attachement.

Fairn sourit, se penchant légèrement pour mieux soulever l'Okrain ; celui-ci se laissa faire, souple et liquide entre ses bras.

- Ce sera un plaisir. Pourrais-je quêter l'honneur de vous y joindre ?

- Si vous êtes sage. C'est moi qui ai dû m'escrimer, après tout ; mon ouvrage s'était déjà chargé du vôtre.

- Si je promets de vous laver le dos ?

Le rire de l'Okrain s'étouffa contre sa peau, son souffle chaud et caressant :

- Je verrais. Première porte à droite.

La salle de bain de Meïryuu n'avait rien à envier aux pièces d'eaux piaraines ; le carrelage rosé des murs et du sol avait été gravé de bas-reliefs soulignés d'or qui figuraient, entrelacées en lignes sinueuses, des créatures marines fabuleuses, remontant le long des parois du bassin large qui occupait la moitié de la place. Deux robinets de cuivre à l'image de poissons-fleurs offraient un choix d'eau chaude ou froide ; une grotte marine miniature, creusée à même la pierre, hébergeait une brosse, un pichet d'argent, quelques flacons de produits de bain. Fairn commença à faire couler l'eau avant d'allumer les torches accrochées au mur, les flammes ensorcelées dégageant bientôt une lueur assez vive pour fermer la porte.

Meïryuu se laissa dévêtir avec une complaisance royale, les doigts fins s'entremêlant parfois aux siens pour l'assister avant de s'attaquer à sa veste ; Fairn rit et l'aida, laissant leurs habits tomber en tas sur le sol. Il serait toujours temps de les brûler plus tard – il ne s'agissait pas de laisser des habits tachés de sang aux mains des domestiques du château quand l'oncle de l'Impératrice allait bientôt décéder d'un accident mortel.

Meïryuu grimaça légèrement lorsque l'eau toucha sa plaie à la jambe, gardant sa main blessée sur le rebord du bassin. Fairn se glissa à ses côtés, savourant l'eau chaude. L'Okrain soupira légèrement.

- Évitons les sels de bain, voulez-vous ?

- Je pense que l'idée sera bonne. Shikyuu-nui était un épéiste remarquable.

- Mm. Je regrette que sa fierté l'ait empêché d'admettre une disgrâce. Il vous ressemblait...

Fairn peignit un sourire sur ses lèvres, embrassant doucement la tempe nue de l'Okrain.

- Je vous fais confiance sur ce point ; je suis mauvais juge à l'égard de moi-même.

Un regard incisif croisa le sien.

- Ne faites pas l'imbécile... Elrasirst. Comment avez-vous tué votre Empereur ?

La question et sa franchise lui arrachèrent un rire machinal. Il emmêla une main dans la chevelure noire qui, enfin dénouée, coulait en flots liquides sur les épaules de l'Okrain.

- Un accident malheureux. Il s'est éraflé sur l'une des roses de son jardin privé... Une infection foudroyante, comme il en arrive parfois, lui a ôté la vie. Les Écouseurs furent formels sur la nature du virus. Vous avez dû en entendre parler jusqu'à Okre, n'est-ce pas ? Un accident si bête chez un homme dans la fleur de l'âge !

La main de Meïryuu s'égara sur son torse, caressant presque distraitement les reliefs durs de ses muscles, s'arrêtant sur les lignes rigides des clavicules.

- Et combien d'accidents malheureux lui aviez-vous préparé ?

Fairn sourit.

- Une centaine si besoin. Une poignée de porte dotée d'une aspérité juste assez tranchante pour couper, juste assez petite pour sembler naturelle. La maladie ne reste active que quelques heures lorsqu'elle est adaptée en philtre ; j'ai eu de la chance.

- Vous avez pris des risques.

- C'est mon habitude.

- Le Prince – l'Empereur – a-t-il suspecté quelque chose ?

- S'il l'a fait, il n'en a rien montré ; au demeurant, son honoré père avait formulé ses... réserves quant à vous à voix haute, plutôt que les noter sur papier...

Les yeux noirs n'avaient pas quitté les siens, leurs feux intenses et concentrés ; Meïryuu se redressa légèrement, la main se posant sur la nuque de Fairn.

- Vous êtes fou, Elrasirst – complètement fou.

- Sans doute, approuva le Général avec un petit rire. J'ai, du moins, bon goût.

Une hésitation étonnamment nue et sincère ; puis l'Okrain rit doucement, étouffant les derniers échos de son amusement entre les lèvres de Fairn. Ses jambes vinrent s'entremêler à celles du Piarain, son corps souple se pressant davantage contre le sien.

- Vous avez bon goût dans vos folies... J'imagine avoir bon goût dans la mienne.

Ce fut au tour de Fairn de se sentir pris au dépourvu. Peut-être était-ce le moyen le plus simple de remporter la victoire, cette franchise ; l'esprit ne servait à rien pour y répondre, pas plus que les compliments courtois qu'il savait si bien tourner. Il songea à tricher, un réflexe puéril d'enfant pris au piège ; embrasser Meïryuu, commenter l'honneur avec effusion, faire taire son hésitation par un retour élégant aux affrontements verbaux qu'il leur était si facile de poursuivre. Sa fierté lui interdit la fuite. Il se peignit un sourire ; baissa légèrement la tête, embrassant le dos de la main qu'on lui abandonna.

- … Touché.

Un silence ; un sourire.

- Si j'avais su qu'il suffisait de vous complimenter pour vous faire taire...

- Allons, vous savez bien que mes répliques spirituelles vous manqueraient.

Meïryuu laissa échapper un rire, se détachant de Fairn pour s'emparer de l'une des fioles entreposées dans la cavité du bassin.

- Lavez-moi, Elrasirst ?

Fairn sourit, et s'exécuta.

Il reconnut l'odeur de la lotion sitôt qu'il en laissa couler sur ses doigts ; la senteur florale qu'avait affectionné Meïryuu jadis, légère et entêtante, un contrepoint aux dominantes de ses parfums d'alors. Le fluide épais, légèrement ambré, moussa rapidement dans les longues mèches noires, marbrant de blanc la peau doucement dorée.

Meïryuu avait légèrement gagné en muscles au cours des mois passés. Ses épaules s'étaient un peu épaissies, ses bras durcis. Des cals d'épéistes marquaient ses paumes et ses doigts. Une petite cicatrice bordait la protubérance d'une hanche, l'Okrain se tendant légèrement lorsque les doigts de Fairn s'y attardèrent ; les reliefs durs de ses abdominaux étaient moins artificiellement définis, plus organiques – conséquence de la pratique accrue de l'équitation, sans doute. Son dos n'était pas en reste, la colonne vertébrale plus enfoncée, l'arc de sa cambrure s'accentuant légèrement sous les mains du Piarain, se tendant à nouveau lorsque l'eau vint chasser les vestiges du savon.

L'Okrain se redressa pour s'asseoir sur les bords épais du bassin, offrant, en grand seigneur, un accès plus aisé à ses jambes. En bon travailleur, Fairn sut accueillir le geste avec la reconnaissance voulue ; ses gestes se firent plus lents, remontant depuis les pieds cambrés jusqu'aux courbes musclées des mollets, cerclant les chevilles fines. Quelques cals sur la plante des pieds, et le relief d'une nouvelle cicatrice sous le trait tendu d'un talon d'Achille ; la peau lisse, artificiellement glabre, de jambes longues et fines, le froid de l'air extérieur y semant un début de chair de poule. Les gestes de Fairn s'étaient fait caresses, massages, ses pouces insistants sur le relief des genoux, la naissance des cuisses ; sagement, il revint à de plus nobles attentions sitôt qu'il s'en rendit compte. Meïryuu soupira légèrement, finissant par se lever pour achever de se rincer.

- Passons à côté, voulez-vous ?

La chambre de l'Okrain était vaste, élégante, moins étudiée que les autres pièces cependant. Si le luxe de l'ameublement était indéniable, son choix obéissait moins à la recherche d'un thème ; le confort et le goût du propriétaire avaient été privilégiés, des oreillers de plume piarains posés sur le couvre-lit aux motifs de nuages complexes façon okraine, un paysage de montagnes utites surplombant une statuette de nymphe méridionale. Les rideaux lourds, rouge sombre, brodés d'or, bloquaient parfaitement la lumière de la porte-fenêtre.

Meïryuu laissa quelques instants à Fairn pour finir de se sécher avant de le pousser sur le lit, se juchant sur ses hanches avec une impudeur élégante ; ses cheveux noirs, encore trempés, s'attardaient en mèches serpentines sur les dragons peints de la serviette posée sur ses épaules.

- Dès la première fois où je vous ai vu... Dès la première fois où vous avez ouvert la bouche, j'ai su que vous me taperiez sur les nerfs ; je ne savais juste pas à quel point.

L'Okrain se pencha sur Fairn, la chaleur de ses mains contrastant avec la fraîcheur de sa chevelure humide ; leurs lèvres s'effleurèrent, le baiser juste suggéré avant que Meïryuu ne se redresse légèrement.

- Vous êtes trop intelligent pour votre bien, Elrasirst, et pour celui des autres. Vous êtes un pragmatique et un cynique que sauvent à peine de bonnes intentions soigneusement dissimulées derrière vos ambitions naturelles. Vous avez risqué votre vie pour me sauver et j'aime la fierté que vous déguisez derrière vos sourires.

Cette fois-ci, leurs bouches se joignirent, les dents de Meïryuu mordillant âprement sa lèvre inférieure. Fairn laissa l'une de ses mains se perdre dans les cheveux noirs, l'autre se lovant au creux du dos de l'Okrain et celui-ci se moula contre son corps en un long mouvement fluide. Un petit rire souleva l'arc élégant des épaules mates.

- Là ! N'êtes-vous pas charmant quand vous êtes enfin à court de mot ?

Fairn rit à son tour, sentant aussi bien que Meïryuu la pointe d'embarras qu'il avait laissée transparaître. Bon joueur – lui ? –, il reconnut sa défaite.

- Vous êtes injuste... Que puis-je répondre ?

Un nouveau rire, le souffle de Meïryuu caressant sa gorge quelques secondes avant le pincement d'une morsure.

- Est-ce à moi de vous suggérer vos répliques, maintenant ?

- Là ; je pourrais être cruel, et vous complimenter aussi.

- Vous le faites tout le temps...

- Jamais sur les choses importantes.

Une pause ; les yeux de Meïryuu croisèrent les siens sans que l'Okrain cherche à masquer sa surprise. Fairn sourit, effleurant sa gorge du bout des doigts.

- Complimenter votre beauté, c'est aussi complimenter l'habileté avec laquelle vous avez su vous mettre en scène ; mais je n'ai jamais pu adresser directement le sujet. Votre intelligence et votre ruse sont admirables. Votre volonté et votre courage sont incroyables. Dans les montagnes, lorsque vous m'avez capturé, votre refus de laisser vos émotions compromettre votre statut –

De l'acier dans les yeux noirs.

- Ne me forcez jamais à refaire ce choix. Je ne vous l'ai toujours pas pardonné.

- Je m'excuse, dit Fairn d'une voix douce. Sincèrement, réellement, je vous demande pardon.

- Réalisez-vous...

La main de Meïryuu se crispa légèrement sur son bras.

- Lorsque je vous ai vu... N'auriez-vous pas pu envoyer quelqu'un d'autre ?

- Mais vous n'auriez pas pris la peine de discuter ou de l'interroger, n'est-ce pas ?

- Non. Moins. Vous êtes quand même...

Fairn sourit.

- J'avais confiance en vous.

Il méritait, sans doute, la morsure âpre qui brûla sa gorge. Il tressaillit légèrement

- Depuis notre première rencontre jusqu'à la dernière, Elrasirst, vous m'aurez toujours contrarié. Que ce soit votre conduite insupportable, d'abord, que ce soit vos – aspects plus fascinants, ensuite...

- Que devrais-je dire ? répartit Fairn, attirant contre le sien le corps souple de l'Okrain. La première fois... Je vous trouvais juste amusant ; la deuxième, intéressant ; la troisième fascinant... Et j'ai commencé à déraper.

- Vous avez risqué votre statut pour moi. Vous êtes un irresponsable...

- Il aurait bien fallu me débarrasser de mon honoré maître un jour ou l'autre, rit Fairn.

Meïryuu éclata de rire, le son suffisamment rare pour que Fairn puisse légitimer son plaisir à l'entendre.

- Vous êtes complètement fou, Fairn ! Vous, un aigle ? Un chien fou, oui... Okre-nyn ! J'aurais aimé vous croiser jeune...

- J'étais naïf et idéaliste, répondit le Piarain avec une grimace navrée.

- J'étais sage et intelligent.

- Et fils de prince ?

Une pause surprise ; puis l'Okrain rit à nouveau.

- Méritez-vous que je réponde à votre question, Général ?

Fairn sourit :

- Nommez votre prix ?

Meïryuu fit mine d'hésiter avant de s'étirer avec une paresse calculée, sa peau chaude et douce contre celle du Piarain :

- Il faudra que j'y pense. Que craignez-vous ?

- Suis-je vraiment supposé collaborer à ma propre perte ?

- Bien évidemment, si je vous le demande. Avez-vous jamais pu résister à mes beaux yeux ?

Ce fut au tour de Fairn d'éclater de rire, l'Okrain lui faisant écho sur un ton plus doux.

- Nommez vos exigences ?

Une brève hésitation, la tension légère de la gorge sous ses doigts révélant assez la nervosité soudaine de Meïryuu.

- Laissez-moi jouer les clients, la prochaine fois.

Fairn retint un rire qui n'aurait servi qu'à vexer son compagnon.

- Est-ce supposé être un prix ?

Un haussement de sourcil surpris :

- Je vous aurais cru plus attaché à votre virilité ?...

- Virilité ? Dieux, Meïryuu, je ne pense pas que votre maquillage ou vos habits ôtent quoi que ce soit à votre valeur ; me trompé-je ?

Les yeux de l'Okrain s'égarèrent brièvement sur les draps richement brodés de brun et d'ors.

- Là... Ne tentez pas d'être si noble, vous allez m'embarrasser.

- Je ne vous savais pas si timide, s'amusa Fairn.

Un regard vicieux ; puis les longs doigts fins de l'Okrain lui pincèrent violemment les côtes, lui arrachant un tressaillement.

- Ça vous apprendra. Je me suis renseigné également sur vous, savez-vous ? Je sais que vous avez été héroïque dans votre jeunesse.

- Je n'ai prospéré qu'en devenant vieux et cynique, esquiva Fairn.

L'Okrain glissa une cuisse entre les siennes, déposant un baiser doux et bref sur ses lèvres.

- Dieux, Fairn, je ne pense pas qu'avoir une ou deux faiblesses, ou même admettre que vous puissiez vous montrer idéaliste à l'occasion, ôte quoi que ce soit à votre valeur ; me trompé-je ?

Fairn ne daigna même pas répondre, l'embrassant profondément avant de lui pincer les côtes en guise de vengeance. Meïryuu poussa un cri à mi-chemin entre l'indignation et le rire, se cambrant contre lui lorsque Fairn le plaqua sur le matelas. Sa force était surprenante, la minceur de sa carrure cachant l'énergie des muscles durs qui s'entrelaçaient sur ses bras comme il cherchait à libérer ses poignets capturés.

L'Okrain se détendit abruptement, le corps soudainement docile et détendu.

- Vous savez que j'attaquerai dès que vous me lâcherez, n'est-ce pas ? demanda-t-il d'un ton plaisant.

Fairn hocha la tête, souriant.

- Et vous savez que je ne lâcherai pas. Faisons un marché, voulez-vous ?

- Donnez toujours vos conditions... rétorqua Meïryuu sur un ton de défi.

Son attitude entière, en réalité, présentait un défi la gorge qui se tendit sous les dents de Fairn, la peau qui trembla sous ses lèvres, le corps fin qui tremblait d'impatience de trouver un moyen de se libérer.

- Si je vous lâche, vous ne m'attaquez pas. Si je vous laisse disposer de moi, vous me raconterez votre histoire.

Meïryuu fit mine d'hésiter, une moue négligente tordant ses lèvres pleines.

- Promettez de ne pas vous moquer ?

- Promis, jura Fairn avec gravité.

- Bon.

L'Okrain se redressa légèrement, rectifiant d'une main sa coiffure.

- Vous n'êtes pas de la noblesse okraine ; c'est normal que vous manquiez la ressemblance ; mais j'ai, paraît-il, le nez de l'empereur, et la finesse de ses mains.

Fairn le contempla quelques instants en silence, médusé, avant d'éclater de rire malgré lui. Le titre de l'Empereur Okrain lui revint ; Meïry-a-tensuu. Fils du Sommet et des Montagnes.

Meïryuu, Fils du Sommet, le nom tronqué à sa moitié. Bien sûr, un tel nom de famille était relativement commun parmi les familles de prêtre... Mais pour qui savait, le rappel était évident. Quelle influence la mère de l'Okrain avait-elle pu avoir pour lui éviter l'exécution ? Même isolé ainsi à Piara, à moins d'être un agent personnel de l'Empereur, son pseudonyme avait dû être connu des services secrets okrains.

Sauf, bien sûr, si Meïry-a-tensuu avait lui-même insisté pour donner son nom à l'enfant... Mais cela contrastait avec l'envoi au suicide qu'avait été l'assignation de Meïryuu, plus tard, à la tête d'une armée de va-nu-pieds.

- Ce n'est pas bien gentil de se moquer des hontes d'autrui, le réprimanda l'Okrain, un sourire ironique aux lèvres.

- Espion et fils de roi... Vous êtes un personnage de roman, Meïryuu, le savez-vous ?

Un froncement de nez élégant.

- Pensez-vous que je n'en sois pas conscient ? Ma naissance même est romantique. Plus qu'un secret, c'est un ridicule dont je me passerai bien.

- Racontez ? l'encouragea Fairn, un large sourire aux lèvres, en se redressant en position assise contre la tête de lit.

L'Okrain soupira, un sourire aux lèvres malgré tout, et se jucha plus confortablement sur ses genoux.

- Je suis né d'une courtisane très, très fière. L'Empereur l'aimait à la folie, et n'a jamais eu de fils de son épouse légitime. Vous pouvez deviner la suite, n'est-ce pas ?

- Il aurait souhaité adopter l'enfant ?

Meïryuu hocha la tête.

- S'il avait su que celui-ci existait. Ma mère aimait assez l'Empereur et apportait assez de valeur à une liaison royale pour porter l'enfant à terme, mais son orgueil lui interdisait de se laisser traiter comme une simple maîtresse. Sitôt qu'elle put confirmer sa grossesse, elle feignit une maladie assez longue pour lui permettre quelques mois de retraite sur les côtes les plus ensoleillées de notre pays... Et les plus éloignées de la capitale.

Une pause songeuse.

- Officiellement, bien sûr, j'étais le fils de sa femme de chambre… Un enfant pauvre qu'elle gardait à ses côtés pour lui apprendre, par faveur, le métier de courtisan. Mon éducation fut cependant sans reproche. Je sais lire, écrire, séduire, combattre ; j'ai une culture étendue en art, en histoire, en mathématiques même ; enfin, j'ai pu bénéficier de la compagnie régulière de ma mère, ce qui est plus bénéfique qu'on ne croirait. Malheureusement, la présence d'un homme jeune à ses côtés, fût-il supposé n'être qu'un apprenti, éveilla la jalousie de mon père...

- Et vous êtes toujours en vie?

- Ma mère était trop attentive pour n'avoir pas vu venir les signes. Elle m'envoya fonder un établissement à Piara, là où je serais moins menacé par l'Empereur, et lui exposa simplement la vérité.

Un sourire moqueur :

- Et elle est toujours en vie, même si elle dut passer quelques mois dans un cachot. Ne l'aimait-il pas avec une rare vigueur ?

– Un amour exemplaire, approuva Fairn avec le sérieux voulu.

- N'est-ce pas ? Le problème, pour lui, reposait maintenant dans le fait d'avoir un fils qui lui ressemblât assez pour pouvoir éventuellement prétendre à la succession de sa lignée, mais qui fût si féminin ; vous savez que le beau sexe peine toujours à faire valoir ses droit dans notre beau pays...

Fairn hocha la tête, laissant l'Okrain poursuivre son récit.

- Quoiqu'il en soit, il compromit en m'employant à des fins impériales. Je ne sais pas si c'était d'abord pour causer ma mort sans trop s'attirer la haine de ma mère, ou s'il espérait que mes réussites puissent éventuellement racheter assez ma féminité pour me permettre d'hériter ; c'était un homme ridiculement attaché à son sang. Je penche pour un mélange des deux ; mais j'ai même survécu à ma nomination de Général.

- Comment l'a-t-il justifiée auprès de ses conseillers ? s'enquit Fairn, intéressé.

Un sourire.

- Service rendus à la couronne. Mon... armée... était de toute façon suffisamment ridicule pour qu'ils n'aillent pas le harceler sur ce qui semblait être une mise à mort pure et simple.

- Je dois avouer que même en vous connaissant, j'ai été impressionné, admit Fairn. Des troupes de déserteurs et de condamnés...

Un rire :

- … Et n'oubliez pas les femmes. Une fine plaisanterie de feu l'Empereur, j'imagine. J'ai gardé le titre, savez-vous ? J'aurai des troupes plus conséquentes la prochaine fois que nous nous croiserons. Ma maîtresse m'est très reconnaissante pour les nombreux services que j'ai pu lui rendre.

- J'espère, sans vouloir vous vexer, éviter d'avoir à mesurer à nouveau nos forces.

- Je fais confiance à l'Empereur ; c'est, après tout, votre plus fidèle élève, n'est-ce pas ?

Élève ? Fairn n'avait pas vu la chose ainsi. Le Prince avait déjà été formé lorsque Fairn s'était plus ou moins établi comme son conseiller informel. Peut-être l'avait-il influencé en certaines choses – l'humour, définitivement, le cynisme, peut-être ; certaines remarques décochées avec un sourire assez proche de celui que Fairn surprenait parfois dans les miroirs pour que le Général reconnaisse alors, y faisant écho, que les voix indignées qui lui reprochaient son influence excessive sur le jeune souverain avaient peut-être raison... Cependant, l'intelligence, le flair politiques avaient déjà été là – et le danger demeurait le même s'il tombait jamais en disgrâce.

- Vous m'accordez trop de crédit, rit le Piarain, embrassant le dos mat d'une main fine.

- Peut-être. Je n'ai jamais trop su, avec vous, où exactement finissait le génie et commençait la folie. Commençons ? Nous n'avons pas toute la journée.

- Impatient ? s'enquit Fairn, amusé.

- M'en blâmerez-vous ?

La franchise brute de la réponse lui arracha un nouveau rire.

- Je serais bien mal avisé de me plaindre. Comment me voulez-vous ?

- Pour cette fois, comme à l'ordinaire. J'ai envie de me rappeler ce que vous valez. Oh...

La peau chaude de l'Okrain quitta la sienne, un bras mince s'étendant jusqu'à la table de nuit ouvragée qui côtoyait le lit pour ouvrir un petit tiroir. Un tintement de métal ; la main souple de Meïryuu ramena les chaînons ouvragés d'un bijou familier.

Un médaillon d'ambre encastré dans l'or rouge, le métal liseré de fleurs de safran, une hermine gravée dans l'ambre.

- Une hermine, vraiment ? lança Meïryuu, un sourire amusé aux lèvres, en nouant le bijou à son cou.

Fairn l'aida à refermer le dernier chaînon, nouant les bras autours des épaules de l'Okrain pour mieux l'embrasser.

- Fins, élégants, symboles de luxe... carnivores.

Un sourire ; Meïryuu lui mordilla la lèvre juste assez âprement pour frôler la douleur, sa peau chaude contre la sienne, ses mains douces contre ses joues.

- Je prendrai la chose comme un compliment.

- N'étais-je pas assez clair ?

Le rire de Meïryuu effleura sa gorge avant que les dents de l'Okrain ne se referment sur sa peau.

D'un commun accord, ils abandonnèrent les mots.

Le corps de l'Okrain se pressa soudain contre le sien avec une soif impérieuse, se coulant contre lui avec une grâce liquide et vibrante, les lèvres cherchant les siennes. Fairn lova une main dans les cheveux noirs, leurs langues s'effleurant, entamant la danse familière d'un baiser pendant que leurs corps se retrouvaient.

L'équilibre était à la fois vieux et nouveau ; la même élégance, la même avidité impériale, la même exigence des mains habiles... Et les Dieux savaient que ce que l'esprit avait oublié, le corps s'en souvenait, guettant les tensions, les soupirs avec une soif qui surprenait un peu Fairn lui-même – courber Meïryuu contre les draps, embrasser le creux doré d'une épaule, tracer du bout des doigts le creux de sa colonne vertébrale, savourer la chaleur de sa peau chaude, encore un peu humide, la fermeté de son corps mince...

Pourtant, quelque chose avait changé ; un mouvement, une dynamique que Fairn n'arrivait pas à nommer. Les jambes de l'Okrain s'ouvrirent pour lui, le dos souple se cambrant sous ses doigts calleux – irrationnel, sans doute, ce plaisir de sentir Meïryuu réagir aussi franchement à son contact, de simplement le sentir, chaleurs et douceurs familières d'un corps trop mémorisé, sans doute, pour que Fairn n'en sente pas un embarras aussitôt étouffé. Il n'avait pas envie de laisser des sentiments gâcher l'instant.

Alors il se perdit ; laissa l'Okrain se retourner pour l'enlacer d'un bras urgent, une main fine déjà glissée entre les cuisses fermes et dorées, les muscles du ventre mat frémissant légèrement sous la paume de Fairn – il reconnaissait cette moue aux airs de contrariété, ce froncement presque imperceptible des sourcils noirs, et le fait seul lui tordait stupidement le ventre. Il étouffa contre les lèvres de Meïryuu les mots incohérents qui lui montaient à la tête, et l'Okrain lui fit la grâce de ne pas les prononcer pour lui.

Il ne quitta le baiser que pour se lécher rapidement l'index et le majeur, les yeux de Meïryuu noirs et voilés quand ils croisèrent les siens. Un bruit léger échappa à la gorge de l'Okrain, sa main libre se nouant étroitement dans les cheveux de Fairn.

Les doigts du Piarain joignirent ceux de son compagnon et Meïryuu se cambra en une longue vague souple, frémissant légèrement contre lui, se crispant un instant avant de se détendre à mesure d'inspirations un peu chavirées. Fairn inspira profondément dans le creux de la gorge de l'Okrain, buvant son odeur et sa chaleur, sentant son corps trembler autours de ses doigts. Il commença un lent mouvement de va-et-vient, sentant les doigts de l'Okrain contre les siens suivre le même rythme – plus saccadé peut-être, un peu plus maladroit, et Fairn saisit soudain un fragment de ce qui avait changé : ils étaient sincères.

Ils l'avaient été avant, sans doute, en partie, savouré leur présence et chaleur mutuelle ; mais c'était un moyen autant qu'une fin, observer le masque brisé de l'Okrain, chercher ses limites et ses instincts ; et Meïryuu lui-même l'avait étudié en retour, cherchant à masquer autant qu'à jauger. Ils avaient échangé, discuté, calculé, cherché à modifier l'équilibre des pouvoirs ; mais maintenant, les vérités avaient été dites et ne restait plus entre eux que la distance de leurs deux corps, quelques lambeaux de réflexions, quelques paroles fugitives – un commentaire de Meïryuu, la voix vacillante :

- Cessez donc de penser, pour changer.

Fairn rit.

- Je ne sais pas si je peux...

Une crispation calculée de la chair autour de ses doigts, brûlante comme une promesse, assez claire et obscène pour faire chavirer brièvement l'esprit de Fairn ; et l'Okrain s'étira avec la paresse calculée d'un félin.

- Laissez-moi vous le prouver.

- Je suis sous vos ordres, sourit le Piarain, se laissant repousser par les mains fermes qui se posaient sur son torse.

L'Okrain le renversa, se juchant sur lui, et vola un baiser sur ses lèvres, se guidant souplement en position avant de s'abaisser avec à peine une expiration tremblante.

Fairn ferma brièvement les yeux, le cours de ses pensées momentanément interrompu.

Meïryuu resta immobile un instant, la respiration rapide, les yeux clos. Un geste agacé du poignet pour chasser la sueur qui menaçait de gêner sa vision ; puis les yeux noirs cherchèrent les siens, les saisirent et les gardèrent captifs.

L'Okrain commença à bouger à peu près au moment où les mains de Fairn se posèrent sur lui, ses muscles se tendant et se détendant sous les paumes du Piarain, ses mouvements vifs et fluides passés les premières hésitations. Ç'avait fait longtemps.

Ç'avait fait longtemps, cette chaleur, ce corps savant qui se crispait et se tordait autour de lui, vif et exigeant, réagissant à ses caresses avec une franchise toute nouvelle ; les murmures bas, entrecoupés, que l'Okrain laissait parfois échapper ; et Fairn se laissa porter par l'élan sans réfléchir davantage, renversant Meïryuu sur les couvertures. Un cri de protestation amusée parvint à ses oreilles et il rit en retour, laissant leurs mains se joindre et les jambes de l'Okrain se nouer autours de sa taille.

Un instant, le souvenir du cadavre de Shikyuu dans la neige l'effleura, faisant écho aux visages stupides, vaguement surpris, d'Agena, de son époux, de l'assassin anonyme ; souvenirs rapides, éphémères, vite effacés par le corps chaud contre, autour du sien, les bras possessifs qui l'enlaçaient, le plaisir qui lui montait à la tête en bouffées enivrantes ; le visage de Meïryuu, l'éclat brûlant des yeux noirs qu'il ne parvenait plus à quitter. Fairn lui offrit la franchise des bruits qui échappaient à sa gorge, de la crispation de ses mains sur les siennes, et de l'incohérence des paroles qu'il étouffait contre sa peau.

La chaleur qui serrait son ventre et raidissait ses membres lui monta à la tête comme un alcool violent, dissipa ses pensées en seul élan de pur plaisir. Il laissa son égoïsme prendre le dessus, accélérer le rythme de ses hanches, et Meïryuu frémit bientôt contre lui, resserrant son étreinte avec une force inattendue.

L'espace d'un instant, il cessa réellement de penser.

Fairn se laissa tomber à côté de l'Okrain, cueillant un baiser paresseux sur les lèvres gourmandes qui vinrent chercher les siennes. Meïryuu se lova souplement dans ses bras, mordant sa gorge et son épaule. Le Piarain lâcha un rire léger, caressant les longs cheveux noirs qui s'offraient à ses doigts.

- Encore une fois ? murmura Meïryuu, son souffle chaud et irrégulier contre la peau de Fairn.

- Comment refuser proposition aussi plaisante ?

- Vous avez déjà repris tout votre aplomb ? J'imagine qu'il faudra que je m'occupe de mieux vous distraire la prochaine fois.

- Que suggérez-vous ? s'enquit Fairn, amusé.

Une lueur de malice traversa les yeux noirs.

- Vous le saurez si vous êtes sage. Êtes-vous capable de résister à l'envie de faire un bon mot pendant plus de dix minutes ?

- A vous de m'éprouver, suggéra-t-il, image même de l'application sage.

Leurs rires se mêlèrent en un baiser.

Et tant pis pour le sang, les calculs, les cadavres ; tant pis pour leurs ambitions et leurs victimes. Seuls comptaient pour eux, prédateurs égoïstes, le plaisir de l'instant présent, la chaleur contre eux de l'adversaire qu'ils n'avaient pu dévorer...

Et quel mal à ça ?

L'Histoire, après tout, était écrite par les vainqueurs. Leurs victimes ne seraient bientôt plus que des noms oubliés, convenablement pleurés et enterrés. Les récits présenteraient Fairn Elrasirst et Meïryuu Solien comme les hommes admirables qui, portant l'intérêt public par dessus-tout, avaient déployé tous leurs efforts pour le bien commun de leurs deux nations.

Ainsi, les gentils avaient gagné ; les perdants seraient oubliés ; le Prince et la Princesse s'étaient mariés et sauraient sans nul doute produire beaucoup d'enfants.

Comment souhaiter fin plus idéale ? Seul un égoïste aurait pu exiger davantage.

L'homme raisonnable qu'était Fairn, lui, était prêt à s'en contenter.

FIN