Comptes de fées
Genre : romance, surnaturel, et un peu d'humour aussi
Avertissement : Cette fic décrit une relation entre un homme et un être surnaturel de sexe masculin (rien de très choquant, je vous rassure ^^)
Résumé : tous les 77 ans, les créatures magiques doivent présenter un grand bilan. Les fées, qui ne savent pas compter, se retrouvent donc obligées de kidnapper un humain, un expert-comptable, pour les aider.
Note de l'auteur : A force de voir des gens confondre "conte" et "compte", j'ai fini par imaginer cette histoire d'un comptable qui se retrouve au royaume des fées. J'espère que vous aurez autant de plaisir à la lire que j'en ai eu à l'écrire !
Bonne lecture !
Bastien avait l'impression qu'il venait tout juste de s'endormir quand il fut réveillé brusquement par un bruit sourd.
« Aïe ! Saleté de meuble ! »
« Shh, tu vas réveiller tout l'immeuble, et tu sais bien ce qu'on nous a dit ! »
« Discrétion et précision... »
« Font la réussite d'une mission ! » finirent les deux voix en chœur.
Bastien, paniqué à l'idée que des voleurs s'étaient introduits dans son appartement pendant son sommeil, attrapa le premier objet à portée de main qui pourrait lui servir d'arme, quand deux hommes entrèrent dans sa chambre.
Il laissa immédiatement tomber la bouteille d'eau minérale naturelle (riche en magnésium, garantie sans nitrate) qu'il avait attrapée pour se défendre. Il eut à peine le temps de se dire qu'il y avait quelque chose de vraiment, fondamentalement, indubitablement étrange chez ces deux créatures quand l'une d'elles tendit la main vers lui, lançant une espèce de poudre bizarre, puis...
Quand il se réveilla de nouveau, il crut d'abord qu'il s'agissait d'un rêve. Déjà, son lit n'avait jamais été si confortable, avec des couvertures douces, légères et pourtant chaudes. Et contrairement à son habitude, il n'avait pas été réveillé par son alarme stridente réglée sur 6 heures 47 minutes très précisément, mais par une douce mélodie presque irréelle.
Presque malgré lui, il finit par ouvrir les yeux. Pourtant, son rêve ne s'arrêta pas, au contraire : le lit confortable était toujours là, la douce mélodie ne s'était pas arrêté, et surtout, il se trouvait dans une chambre inconnue en présence de plusieurs... personnes ? Créatures ? qui s'approchèrent immédiatement de son lit en voyant qu'il se réveillait.
« Il a ouvert les yeux ! »
« J'ai vu, pas la peine de me prévenir ! »
« Tu crois que c'est normal d'être aussi mal coiffé ? Il est peut être cassé ? »
« Je ne sais pas, mais ses cheveux doivent sûrement souffrir d'être tirés dans tous les sens comme ça... »
« Regarde ! Il bouge la tête! »
« Silence ! »
La créature qui avait imposé le silence aux autres s'approcha de son lit. Il s'agissait d'une femme, mais elle avait des oreilles pointues, de longs cheveux roses, et surtout, elle avait des ailes. Des ailes dorées, presque translucides, qui semblaient étinceler à chacun de ses mouvements. Et chacune des créatures présentes dans la pièce présentaient exactement les mêmes singularités.
En se rendant compte que non, il ne rêvait pas, et oui, il était bien dans un endroit inconnu entouré de créatures bizarres, Bastien s'évanouit de nouveau.
Quand il se réveilla pour la troisième fois, il était toujours au même endroit, mais cette fois-ci il n'y avait plus que deux créatures dans sa chambre : la femme avec des ailes qui s'était approchée de lui un peu plus tôt, et un homme qui se tenait plus loin, lui aussi avec des ailes, des oreilles pointues et des cheveux roses, bien que coupés plus courts que ceux de la femme, et d'une teinte légèrement plus sombre.
« Vous n'allez pas vous rendormir, cette fois ? » demanda la femme d'une voix mélodieuse.
Bastien, incapable d'articuler, fit non de la tête.
« Tant mieux, » répondit-elle en battant des mains. « Je me présente, je suis Calliope, souveraine du royaume des fées. » La fée, puisqu'apparemment s'en était une, fit une révérence en se présentant.
« Des fées ? » répéta Bastien d'une voix étranglée. « Ce n'est pas... »
Calliope l'interrompit d'un signe de la main. « C'est cela, oui, le royaume des fées. Nous vous avons fait venir parce que nous avons désespérément besoin de votre aide. »
« Mon aide ? Mais je ne... »
« Nous sommes confrontés à une épreuve des plus pénible, qui est pour nous insurmontable, et vous seul pourrez nous aider. Il vous faudra pour cela faire preuve de ténacité, de patience, et de beaucoup de bravoure. »
« Mais je ne suis... »
« Évidemment, nous ne vous laisserons pas vous débattre face aux nombreux obstacles que vous rencontrerez, et l'un de nos sujets les plus brillants aura la lourde tâche de vous assister. » Elle tendit la main vers l'homme (la fée ? L'homme-fée ? Bastien n'avait aucune idée du terme qui correspondait à cette créature).
« Mais je ne suis que... »
« Bien, je vais laisser Ianthé vous expliquer ce que nous attendons de vous. Je vous remercie par avance de votre aide, sans vous nous n'aurions jamais réussi à triompher de l'épreuve harassante qui se dresse sur notre chemin. »
« Mais je ne suis qu'un comptable, pas un héros ! » réussit enfin à s'écrier Bastien, mais il était déjà trop tard, et Calliope avait disparu dans un tourbillon d'étincelles.
Il se tourna vers l'autre personne qui se trouvait dans la pièce, Ianthé, espérant que celui-ci réaliserait qu'il ne leur était d'aucune utilité et le ramènerait chez lui, vers sa vie bien ordonné, mais ses espoirs s'effondrèrent en voyant le grand sourire de ce dernier.
« Bon, la première chose à faire c'est de se lever, s'habiller, et ensuite je vous conduirais jusqu'à la caverne, » dit Ianthé. Bastien ne put s'empêcher de remarquer que ce dernier avait frissonné en prononçant le mot 'caverne', ce qui ne présageait rien de bon. Il lança un regard implorant vers l'homme-fée, dans l'espoir que celui-ci comprendrait son désarroi, mais il ne reçut qu'un grand sourire en échange, alors qu'apparaissaient sur son lit l'une des tenues qu'il mettait habituellement pour aller travailler : un pantalon noir, une chemise bleu ciel, et une cravate à rayures bleues.
Tout en s'habillant, Bastien essaya de parlementer avec son gardien.
« Écoutez, je ne sais pas qui vous pensez que je suis, mais je ne pourrais vous être d'aucune aide, croyez-moi. Jusqu'à aujourd'hui, je ne savais même pas que les fées existaient ! »
Ianthé soupira. « Aujourd'hui, il n'y a plus que les enfants qui croient en nous. C'est d'une tristesse ! Enfin, tant pis, et puis de toutes façons, les adultes ne savent plus jouer, ils sont devenus tellement ennuyeux ! » finit-il avec un grand sourire.
« Si vous trouvez les adultes si ennuyeux, pourquoi est-ce que vous m'avez kidnappé, moi ? Il n'y a pas plus ennuyeux que moi ! J'aime mon petit appartement bien rangé, j'aime faire des mots fléchés le soir, je passe une heure par jour à ranger et nettoyer mon appartement, et je suis comptable ! Vous vous êtes sûrement trompé de personne, vous êtes sûre que ce n'est pas mon frère, ou ma sœur, que vous avez voulu kidnapper ? Eux, au moins, ils ne sont pas ennuyeux, » dit-il avec amertume.
« Les mots fléchés ? Qu'est ce que c'est ? Ça a l'air amusant, comme jeu. C'est une nouvelle façon de jouer aux fléchettes ? »
Bastien le regarda d'un air incrédule. « Je vous dis que vous vous êtes sûrement trompé de personne, que je suis peut être l'être humain le plus ennuyeux de toute la terre, et vous ne retenez que le passage sur les mots fléchés ? »
« Calliope a dit que vous étiez celui qu'il nous fallait, donc il est impossible qu'on se soit trompés. Et vous avez tort, vous n'êtes pas du tout ennuyeux. Je vous trouve même très drôle, quand vous vous énervez, vous changez de couleur, et vous vous passez la main dans vos cheveux, comme si vous vouliez les arracher. Par contre, ça ne vous fait pas mal ? Non, parce que les cheveux sont très sensibles, et si vous les maltraitez, ils finissent par se venger en quittant votre tête. C'est comme ça qu'on finit chauve, vous devriez faire attention ! »
« Non, mes cheveux ne... Mais quel rapport est ce que mes cheveux ont avec tout ça ? Vous ne m'avez quand même pas enlevé juste pour me dire de faire plus attention à mes cheveux ? Et d'abord, vous êtes qui ? Les fées ça n'existe pas ! »
Il regretta immédiatement son éclat en voyant Ianthé s'approcher de lui à grands pas. Il recula, mais se retrouva très vite dos au mur, et regarda Ianthé qui s'avançait vers lui, jusqu'à se retrouver contre lui. Sa respiration s'accéléra, il n'avait aucune idée de ce que l'autre homme avait en tête, et il n'avait jamais été aussi proche physiquement d'un autre homme depuis longtemps, pas depuis que Paolo l'avait quitté, et d'habitude il prenait bien soin de toujours garder une certaine distance, mais Ianthé l'avait coincé contre le mur, et il avait pris son visage entre les mains, et il approchait son visage du sien, et...
« Aïe ! Pourquoi vous m'avez mordu ? Ça fait mal ! » s'exclama Bastien, levant la main jusqu'à sa lèvre que Ianthé venait de mordre.
Ce dernier se recula avec un grand sourire.
« Comme ça, vous savez que vous ne rêvez pas. Normalement, je crois qu'il faut pincer les gens, pas les mordre, mais c'est quand même plus marrant comme ça, non ? »
Et alors que Bastien ouvrait et fermait la bouche sans un son, cherchant désespérément ce qu'il pourrait bien répondre à cet être étrange et totalement dénué de raison, Ianthé l'attrapa par la main, et l'entraîna en-dehors de sa chambre. Alors qu'ils étaient sur le point de sortir, Bastien se libéra et attrapa sa cravate qui était sur son lit. Il n'avait aucune idée de l'endroit où il se trouvait, qui étaient vraiment ces créatures étranges, et il cherchait à se raccrocher à la moindre miette de normalité qu'il pouvait trouver. Il noua sa cravate sous le regard curieux de Ianthé, prit une inspiration profonde afin de se donner un peu de courage, puis le suivit hors de la chambre.
Une fois sorti de la chambre, il fut de nouveau pris de vertiges et stoppa net. Il se trouvait dans un couloir immense dont il ne voyait pas la fin, avec de nombreuses portes, et dans lequel courraient et volaient dans tous les sens des dizaines de fées, tous des adultes avec des ailes qui jouaient comme des enfants.
Lui qui aimait par-dessus tout le calme et l'ordre se sentait sur le point de s'effondrer face au chaos qui régnait ici. Ianthé, s'apercevant de son malaise, le prit par la main et l'entraîna vers le fond du couloir, réussissant à manœuvrer pour éviter toute collision avec les autres fées.
Pendant la traversée, Bastien réussit à saisir des bribes de conversations sans aucun sens, esquiva quelques coups de baguettes magiques, vit deux fées qui s'amusaient à changer la couleur des murs à une vitesse incroyable, jusqu'à ce qu'une troisième fée les rappelle à l'ordre.
Il fut presque soulagé quand Ianthé s'arrêta devant une porte, marquant ainsi la fin de leur traversée dans ce couloir infernal qui défiait toutes les valeurs de Bastien.
Cependant, son soulagement fut de courte durée quand il se rendit compte qu'il ne savait toujours pas ce qu'il était censé faire. D'après ce que Calliope avait laissé entendre, il allait devoir accomplir un exploit, affronter une épreuve insurmontable, mais il n'avait rien d'un héros ! Il n'était qu'un modeste expert-comptable qui se trouvait totalement désemparé dès qu'on l'éloignait de sa petite vie bien rangée, et qui trouvait du réconfort dans les chiffres, qui adorait compter, classer, trier... Il n'avait rien d'un guerrier pourfendeur de dragons ! Et puis, comment pourrait-il aider des fées, alors qu'il n'était toujours pas tout à fait persuadé qu'il ne s'agissait pas d'un cauchemar étrange !
Alors que Ianthé allait ouvrir la porte, il tenta une dernière fois de lui faire entendre raison.
« Écoutez, je vous l'ai déjà dit, je ne suis surement pas la personne qu'il vous faut, d'après ce que votre souveraine a dit vous avez besoin d'une espèce de super-héros capable d'accomplir des miracles, et vous voyez bien que je ne suis pas comme ça... »
« Mais tout le monde est capable de faire des miracles, on ne vous apprend pas ça, chez les humains ? Il suffit de trouver un miracle qui nous soit adapté. Et de toutes façons, Calliope ne vous aurait pas choisi si vous n'étiez pas le meilleur pour la tâche qui vous attend. » Sur ces mots, Ianthé ouvrit la porte.
Bastien ferma les yeux un moment, refusant de voir ce qui l'attendait, persuadé qu'il y aurait au moins un dragon dans cette pièce, étant donné le comportement et les précautions que les fées avaient prises pour en parler. Cependant, lorsqu'il ouvrit les yeux, il ne vit aucun dragon, ni même un sorcier, ou une cave sombre, ou au moins un donjon dans lequel seraient tapies d'étranges créatures inquiétantes. Non, il vit tout simplement un bureau, et une multitude de papiers, livres et cahiers.
Il se sentit soulagé un bref instant, avant de se demander si l'apparence inoffensive de cette pièce ne cacherait pas un sombre secret.
« Euh... Qu'est ce que je suis censé faire, exactement ? »
Tout en répondant, Ianthé lui fit signe de le suivre dans la pièce immense, l'entraînant jusqu'au bureau.
« Tous les euh... je ne sais plus combien de temps, c'est écrit sur un de ces papiers, quelque part, il faut faire une espèce de grand bilan général que Calliope devra présenter là-haut. »
« Là-haut ? »
« Oui, là-haut. A celui qui nous donne la magie, qui s'assure que l'équilibre soit maintenu entre les humains, les fées, les vampires et les sorciers. »
« Quoi ? Il y a... Non, en fait je crois que je préfère ne pas savoir ce qui existe en plus des fées, » marmonna Bastien en se passant la main sur le visage. D'abord, il découvrait que les fées existaient, et entendre Ianthé parler négligemment de vampires, sorciers et d'un être supérieur qui les contrôlait tous, c'en était trop pour lui. Pour éviter de s'effondrer, il s'accrocha au bras de son guide, qui lui tapota la main avec un grand sourire pour le réconforter.
« Et il faut faire le bilan général de quoi, exactement ? »
« Oh, je ne sais plus trop, c'est écrit sur un de ces papiers, » dit-il en désignant le bureau d'un geste vague. « Il me semble qu'il faut compter le nombre d'habitants du royaume, le nombre de vœux réalisés, le nombre d'humains aidés, et plein d'autres choses comme ça. »
« Et c'est pour faire ce bilan général que vous m'avez kidnappé et enlevé ici ? » demanda Bastien, incrédule.
« Oui, je sais que c'est un travail énorme, et qu'il vous faudra énormément de persévérance et de bravoure pour venir à bout de... ça, » répondit-il en jetant un regard vaguement apeuré vers les nombreux papiers, « mais on a vraiment besoin d'aide, personne ici n'est capable de venir à bout de cette redoutable tâche. »
« Mais il suffit de savoir compter ! »
« Ben, c'est un peu le problème, » avoua timidement Ianthé. « Il n'y a pas beaucoup de monde à savoir compter ici, à part Kalé, et elle n'a pas supporté de rester enfermée ici avec ces papiers. Elle a failli devenir folle, enfin, un peu plus que d'habitude, et Calliope a pensé qu'il valait mieux faire appel à un spécialiste. »
Bastien regarda Ianthé sans comprendre. Il avait été kidnappé par des fées (des fées !), on l'avait enlevé à son appartement, à ses petites manies, à sa routine bien réglée, il allait peut être perdre son emploi pour cette absence injustifiée, tout cela parce que des fées ne savaient pas compter ? Ce n'était pas possible, il devait rêver !
« Mais bon, vous êtes là, vous êtes un grand spécialiste, Calliope nous a dit que vous saviez faire des miracles avec les chiffres, alors tous nos problèmes sont résolus. Et pour vous remercier, quand vous aurez fini de régler tout ça, je pourrais exaucer un de vos vœux ! C'est formidable, non ? C'est la première fois qu'on me laissera exaucer un vœu tout seul ! » dit-il d'un ton surexcité.
« Un vœu ? Comme dans les contes de fées ? »
« Exactement ! Enfin, à quelques détails près. Par exemple, je n'ai pas besoin d'être nommé parrain pour réaliser un vœu, et la baguette magique n'est pas obligatoire, et bien sûr il y a quelques règles à respecter, on ne peut pas faire n'importe quoi non plus, sinon on risquerait de causer une catastrophe, un peu comme la fois où une fée a déclenché une guerre entre plusieurs royaumes parce qu'elle a compromis un mariage arrangé entre un prince et une princesse d'un autre pays. Et... »
Bastien le regarda, les yeux écarquillés. Il n'aurait jamais cru possible que quelqu'un puisse parler autant, aussi vite, et sans avoir besoin de reprendre son souffle. Mais peut être que les fées n'avaient pas besoin de respirer ? Après ce qu'il avait déjà vu, il commençait à se dire que tout était possible.
« Bon, Calliope a dit que je devais vous aider. Vous avez besoin de quoi ? D'une chaise, d'un fauteuil ? Vous voulez que je demande à la chorale de venir chanter ici, pour vous encourager ? Ou je pourrais demander à Kalé et Doscope de venir décorer un peu, elles adorent dessiner et colorier ! » proposa Ianthé, tout en bougeant les papiers sur le bureau, défaisant les piles, poussant un livre sur le côté, faisant tomber un cahier...
« Stop ! » s'écria Bastien. L'autre homme le regarda d'un air surpris. « Ne touchez plus à rien, vous allez tout déranger. Je n'ai pas besoin de musique, ni de dessins, j'ai besoin d'ordre et de silence ! Pour compter, il faut de l'organisation, il faut commencer par classer tous ces papiers, et pour l'instant, vous n'êtes qu'une nuisance, vous dérangez tout, vous n'avez pas la moindre idée de ce qu'il faut pour... » Il s'interrompit en voyant l'air navré de Ianthé.
D'habitude, il ne prêtait pas vraiment attention aux sentiments des autres ; après tout, les autres ne se souciaient pas vraiment de lui et de ses propres sentiments. Avec Ianthé, cependant, c'était différent : il avait semblé sincère dans son désir de l'aider, et ce n'était peut être pas de sa faute si il avait le comportement d'un enfant hyperactif. Après tout, les autres fées paraissaient avoir le même type de comportement.
« Je suis désolé de m'être énervé, c'est juste que je suis un peu... maniaque. » Il grimaça en prononçant ces paroles. Dans son cas, « un peu maniaque » était un bel euphémisme. Il était complètement obsédé par l'ordre et l'organisation, possédait de nombreux tocs et était totalement désemparé dès que quelque chose venait perturber sa routine. Un de ses collègues avait un jour dit à son sujet qu'il était « un pauvre type psychorigide avec un balai tellement enfoncé dans son cul qu'il ressortait par sa bouche », et ce n'était rien par rapport à ce qu'avait dit Paolo lorsqu'ils s'étaient séparé. Sans parler de ce que pensait sa famille...
« Non non, c'est vrai que je ne sais pas compter, et que je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il faut faire avec tout ça, mais c'est pour ça qu'on a besoin de vous, pour nous aider, » répondit Ianthé avec un sourire désolé. « Donc, vous n'avez pas besoin de musique, ni de dessins, mais une chaise, quand même ? Ou peut être un fauteuil, ce serait plus confortable ? »
« Une chaise, ce sera parfait, merci, » répondit Bastien. Ianthé, ravit, fit apparaître une chaise d'un coup de baguette magique, puis, jugeant sans doute qu'elle n'était pas assez bien, lui ajouta un coussin, puis des accoudoirs, puis régla sa hauteur pour qu'elle corresponde exactement au bureau, puis changea sa couleur pour l'assortir aux yeux verts du comptable. Finalement, il la déclara acceptable, et se tourna fièrement vers Bastien.
« Merci, cette chaise sera parfaite. »
« Tant mieux ! Alors, on peut être amis maintenant ? » demanda Ianthé avec un grand sourire.
Amis ? Bastien ne voyait vraiment pas pourquoi la fée voudrait être son ami. Après tout, ils étaient totalement à l'opposé l'un de l'autre. Ianthé était drôle, intéressant, il adorait rire et s'amuser, et lui... non. Mais après tout, pourquoi pas ?
« Oui, pourquoi pas, » dit-il timidement.
Ianthé s'approcha de lui avec un grand sourire et le serra brièvement dans ses bras. « Je suis heureux qu'on puisse être amis, » dit-il d'un ton sérieux.
Bastien, qui n'avait pas l'habitude qu'on le prenne dans les bras, et encore moins lorsqu'il s'agissait d'un homme aussi séduisant, bien que légèrement dérangé, cacha son trouble en s'approchant du bureau et en fouillant parmi les papiers qui y trainaient.
Parmi les feuilles qui étaient tombées par terre, il trouva la liste de ce qu'il fallait faire : mettre à jour le nombre de fées, recenser les richesses et répartir ces richesses en plusieurs catégories selon la façon dont elles étaient acquises, déterminer le nombre de vœux réalisés chaque année et établir un ratio entre le nombre de vœux réalisés et le nombre d'humains croyant aux fées... Et cela pour les 77 dernières années !
Il leva les yeux vers Ianthé, le regardant d'un air perdu. « Je suis censé faire comment, pour trouver les réponses à tout cela ? » demanda-t-il en agitant sous son nez la liste qu'il devait compléter. « Je dois aligner toutes les fées, et les compter une par une en leur demandant à chaque fois combien de vœux elles ont réalisé ? »
« Non, on n'aurait jamais la patience de rester immobile tout ce temps ! » s'horrifia Ianthé. « Être obligé d'attendre pendant des heures, tous alignés, sans pouvoir s'amuser, et ne parler que lorsqu'on nous pose une question, quelle horreur ! »
« Mais alors, je fais comment ? La plupart de ces papiers sont illisibles, il y a juste des chiffres qui n'ont aucun sens, je ne sais même pas à quoi ils correspondent ! »
« Oh, ça, ce n'est pas important. Non, tous les documents importants sont rangés ici, » dit Ianthé en agitant sa baguette vers le fond de la pièce.
Bastien se retourna, et vit apparaître des étagères remplies de parchemins, et de vieux grimoires. Il lui faudrait des années pour tout classer et mettre en ordre, sans parler de faire le bilan qu'on lui demandait !
Ianthé sembla comprendre son désarroi, et se hâta de le rassurer. « Rassurez-vous, tous les papiers qui sont là ne sont pas utiles non plus, la plupart d'entre eux concernent des vieux trucs, par exemple il y a le récit de la vie de la légendaire Mar' Ren, l'une des fées les plus connues, sa spécialité à elle c'était les princesses. »
Le comptable s'était déjà approché des étagères, et avait commencé à regarder les grimoires et parchemins qui s'y trouvaient. Aucun d'entre eux n'avait de titre, et pour savoir de quoi il s'agissait, il fallait lire les documents.
« Il va me falloir des années pour réussir à tout trier, et je ne sais combien de temps après pour réussir à faire ce que vous me demandez ! » s'exclama-t-il. Il était à la fois désemparé, après tout, il ne survivrait jamais des années dans ce monde de fous où, semblait-il, personne ne connaissait la valeur de l'Organisation et de la Méthode, mais il était aussi étrangement ravi. Il adorait ranger, classer, ordonner, ce qui d'habitude énervait son entourage, mais c'était exactement ce qu'on lui demandait de faire ici. Il avait l'impression d'avoir enfin trouvé le job idéal !
« C'est pour ça que je suis ici, » répondit Ianthé. Il suffit de me demander ce dont vous avez besoin, et hop! d'un coup de baguette, je vous l'apporte, » dit-il avec un grand sourire.
« Ah, oui, ce sera plus rapide comme ça, » reconnut Bastien. Il restait dubitatif sur la capacité de Ianthé à rester des heures enfermé avec lui, en silence, se contentant de lui apporter les documents dont il aurait besoin, mais il décida de lui laisser le bénéfice du doute, et s'assit au bureau pour commencer son dur labeur.
Au début, tout se passa parfaitement bien. Bastien demandait un document, Ianthé le lui apportait, et le comptable se perdait ensuite dans ses chiffres, recopiant certains, organisant, répartissant en colonnes, lignes, établissant un classement...
Pendant ce temps, la fée se contentait de l'observer d'un air perplexe. Puis, il se mit à lire certains des récits qui se trouvaient parmi les documents. Au fur et à mesure que le temps passait, ses ailes se mettaient à battre de plus en plus vite, il commençait à se dandiner sur place, incapable de rester immobile plus longtemps. Bastien ne s'en rendait pas compte, absorbé par son travail, et en arrivait même à oublier son existence, sauf lorsqu'il avait besoin d'un nouveau document, et sursauta quand Ianthé lui adressa la parole.
« On peut se tutoyer ? »
Bastien lâcha un juron en voyant le trait qu'il avait tracé à travers la feuille lorsqu'il avait sursauté, puis se retourna vers l'autre homme.
« Euh, oui, bien sûr. »
« Parfait ! Alors, tu as des frères et sœurs ? »
« Oui, mais... »
« Moi aussi, j'en avais, enfin je crois, mais maintenant j'ai juste plein d'amis. Tu t'entends bien avec ton frère et ta sœur ? Tu les vois souvent ? »
« Pas vraiment, mais je n'ai pas très envie d'en parler. »
« Pourquoi ? »
« Parce que... » Bastien se tut un moment. Il n'avait pas envie de parler de son frère et de sa sœur, qui tous les deux étaient brillants, séduisants, intelligents, menaient des vies passionnantes, et faisaient la fierté de ses parents, alors que lui avait toujours représenté pour eux une déception. Finalement, il prétexta qu'il ne souhaitait pas en parler parce qu'il était occupé à travailler, coupant ainsi court à la discussion.
Ianthé soupira, puis se rassit dans un coin de la pièce. Bastien se retourna vers ses documents, mais à peine eut-il le temps de se remettre au travail qu'il fut de nouveau distrait par Ianthé qui s'était relevé et venait regarder son travail par-dessus son épaule. La fée était tellement proche qu'il pouvait sentir son souffle dans son cou, le faisant frissonner.
« Je vais en avoir pour un moment à examiner ces papiers, » dit Bastien en désignant la pile qu'il avait entassée sur son bureau. « Si tu veux, tu peux aller t'amuser avec les autres, » proposa-t-il.
« Mais toi ? Tu ne veux pas faire de pause ? Et puis, il faut que je t'aide ! »
« Ça va, je t'assure. Je réussirais à me débrouiller pendant un moment. »
« Tu es sur ? » En voyant l'air résolu de Bastien, Ianthé finit par sourire. « Merci, » s'écria-t-il en serrant le comptable dans ses bras. « Tu es un super ami ! Et si tu as besoin d'aide, tu n'as qu'à m'appeler, j'apparaîtrais tout de suite, c'est promis ! »
Sur ces paroles, Ianthé se dirigea vers la porte et s'engouffra dans le couloir, prenant soin de fermer la porte derrière lui pour que Bastien ne soit pas dérangé par le bruit.
Le comptable resta immobile un moment, contemplant la porte. Bizarrement, il se sentait déçu que Ianthé ait choisi de partir. Bien sûr, il le lui avait proposé, et il avait même insisté, mais maintenant qu'il avait quitté la pièce, il se sentait bien seul, et regrettait presque le bruit et l'agitation. Enfin, il aurait dû s'en douter, la fée s'amuserait certainement beaucoup plus avec ses amis qu'en restant coincé avec lui. Il devrait déjà s'estimer heureux que Ianthé ne semble pas lui en vouloir d'être forcé de l'aider...
Bastien terminait juste de mettre en ordre quelques colonnes de chiffres quand Ianthé réapparut dans la pièce, les bras chargés, le faisant sursauter. Bastien ne s'attendait pas à ce qu'il revienne, il était persuadé que la fée oublierait qu'il était ici, préférant rire et discuter avec d'autres personnes.
« J'avais un peu faim, alors je me suis dit que toi aussi, sans doute, surtout que tu as passé pas mal de temps à travailler, » annonça Ianthé. Il posa sur le bureau de nombreuses patisseries, quelques bonbons, ainsi que des oranges. « Je ne savais pas trop ce que tu préfères, alors j'ai ramené un peu de tout. Je te conseille quand même les gâteaux au chocolat, c'est mes préférés, mais ceux à la framboise sont très bons aussi. Tu as bien avancé ? Tu n'es pas trop fatigué ? Je ne te dérange pas, au moins ? »
« Non, tu ne me déranges pas du tout, il était temps que je fasse une pause. Il vaut mieux s'arrêter un moment plutôt que de faire des erreurs parce que l'on n'est plus assez attentif, » répondit Bastien.
« Tant mieux, je n'aurais pas voulu t'embêter. Après tout, ton travail est vraiment compliqué, et très important, alors je n'étais pas sûr que tu aies envie de perdre du temps avec moi. Comme tu fais une pause, ça ne te dérange pas si on discute un peu ? Si ça te dérange, il ne faut pas hésiter à me le dire, il paraît que je parle trop, et des fois ça peut énerver. Enfin, c'est surtout les autres que ça énervent, les fées ça ne leur pose pas de problème, on est tous un peu pareil. Il paraît que c'est à cause de la façon dont on est élevés, mais à mon avis c'est juste des inventions, parce que les autres sont jaloux. »
Bastien répondit que ça ne lui posait aucun problème que Ianthé parle beaucoup. Après tout, lui était beaucoup plus timide, et en général il préférait écouter que de parler, alors au final ça tombait bien.
Tout en mangeant, les deux hommes discutèrent. Ianthé apprit que Bastien vivait seul, ne s'entendait pas très bien avec sa famille, ni avec ses collègues, et n'avait que très peu d'amis.
Bastien en apprit un peu plus sur ce monde étrange dans lequel il avait atterri. Il apprit que Ianthé, comme tous les autres habitants du royaume des fées, était né parmi les humains, et avait été adopté par les fées peu après sa naissance, en échange de la réalisation d'un vœu de ses parents. Il apprit également qu'ici, la règle la plus importante était de s'amuser, et que bien souvent cela avait conduit à des conflits avec les autres races surnaturelles, notamment les vampires, qui n'appréciaient pas vraiment d'être l'objet des farces des fées.
Après le repas, Bastien se remit au travail, Ianthé reprenant son rôle d'assistant un moment avant de repartir, promettant de revenir chercher Bastien à la fin de la journée.
Le soir venu, le comptable avait l'impression que sa tâche ne finirait jamais. Malgré tous ses efforts, il n'était même pas parvenu à mettre en ordre les comptes de la première année, et il lui en restait encore 76 autres, et il faudrait ensuite qu'il présente un bilan de toute cette période... Il allait lui falloir des mois pour venir à bout de tout cela !
Pourtant, en voyant arriver Ianthé, il ne put s'empêcher de sourire. La bonne humeur de ce dernier était contagieuse, et il se disait que finalement, ce n'était pas si horrible que cela d'être forcé de travailler avec un tel assistant.
Il traversa de nouveau le couloir avec son guide, un peu moins affolé que le matin. Enfin, cela s'expliquait certainement par le fait que le couloir était quasiment désert, puisque, comme le lui expliqua Ianthé, la plupart des fées étaient réunies dans la grande salle où était servi le dîner, et où des musiciens, danseurs, jongleurs et artistes en tous genres distrayaient les dîneurs.
Bastien refusa de se rendre dans la grande salle, préférant éviter toute l'agitation qui y régnait certainement, et se laissa guider par Ianthé jusqu'à la chambre où il s'était réveillé le matin.
En y arrivant, il eut la surprise de trouver une table avec deux couverts, et suffisamment de nourriture pour nourrir une famille de 6 personnes, dont au moins 4 rugbymen.
Ianthé lui fit signe de s'asseoir, puis s'installa face à lui, à la grande surprise de Bastien. Il ne préférait pas se rendre dans la grande salle, assister au dîner avec les autres ? La fée lui répondit qu'il préférait rester avec lui. Après tout, il assistait au dîner de la grande salle depuis qu'il était arrivé, il connaissait le spectacle par coeur, alors que Bastien était totalement différent et le fascinait, avec sa manie de toujours réarranger les objets qui l'entouraient, ses cheveux mal coiffés, la façon dont il ne cessait de desserrer et resserrer sa cravate...
Le comptable restait sceptique face à l'intérêt que semblait lui porter Ianthé, mais cela ne l'empêcha pas d'apprécier sa compagnie. Bien sûr, ce dernier était aussi différent de lui que possible, mais il ne le jugeait pas pour ses manies et ne lui reprochait pas d'être ennuyeux. Rien que cela faisait de lui un compagnon plus agréable que la plupart des personnes qu'il connaissait. Même Paolo, quand ils étaient encore ensemble, lui reprochait sans cesse d'être trop maniaque, trop terne, trop coincé...
Et puis, discuter avec Ianthé lui donnait l'occasion de découvrir un peu plus les habitudes de cet endroit de fous où il avait atterri.
Tout en mangeant, Bastien passa un agréable moment à discuter avec son hôte, et se trouva déçu à la fin du repas lorsque Ianthé se leva pour débarrasser la table. Il resta un moment assis, puis parcourut la chambre de long en large, inspectant une armoire qui refusait de s'ouvrir, sursautant en entendant le miroir lui annoncer qu'il était l'heure de dormir et qu'il refusait d'afficher son reflet, se cognant dans un tabouret qui s'amusait à se déplacer dans la pièce.
Finalement, épuisé par tous les événements de cette journée incroyable, il décida d'aller dormir. Il pensa brièvement que peut-être, quand il se réveillerait, tout cela aurait disparu et il se rendrait compte qu'il ne s'agissait finalement que d'un rêve étrange...
Bastien avait l'impression qu'il venait tout juste de s'endormir quand il fut réveillé brusquement par un bruit sourd.
« Aïe ! Saleté de meuble ! »
Bastien se redressa brusquement, cherchant du regard qui était entré dans sa chambre. La première chose dont il se rendit compte était qu'il se trouvait toujours dans cette chambre étrange, et non chez lui. Visiblement, les événement de la journée n'étaient donc pas un rêve.
La deuxième chose dont il se rendit compte était que l'intrus qui l'avait réveillé n'était autre que Ianthé.
« Qu'est ce que tu fais là ? Il fait encore nuit, je viens tout juste de m'endormir, et j'ai absolument besoin de mes huit heures de sommeil, donc il n'est pas question que je retourne travailler tout de suite ! Des études ont démontré que si on ne dort pas assez... »
« Tu peux te rendormir, rassure-toi, » le coupa Ianthé.
« Oui, mais ça ne me dit pas ce que tu viens faire ici, » répliqua Bastien.
« Ben, je viens dormir, moi aussi. Je sais qu'il n'est pas encore très tard, mais rester assis une bonne partie de la journée, ça m'a fatigué ! »
« Tu viens dormir... Ici ? » s'étrangla Bastien.
« C'est mon lit, où voudrais-tu que je dorme ? » s'étonna Ianthé.
« Ton lit ? Mais... tu m'as dit que je pouvais dormir ici ! Ou alors tu vas me ramener chez moi ? »
« Non, on a encore besoin de toi, tu n'as pas fini et tu as promis que tu nous aiderais. Et bien sûr que tu peux dormir ici, le lit est largement assez grand, » conclut Ianthé alors qu'il commençait à se déshabiller.
Bastien en resta sans voix. Il allait partager le même lit que lui ? Mais ce n'était pas correct ! Et si jamais pendant la nuit il se déplaçait pour se serrer contre lui, comme il avait l'habitude de faire quand il était avec son ex ? L'autre homme risquerait peut-être de le prendre mal ! Et sans parler de cela, si il se rendait compte que...
« Hey, calme-toi, tout va bien, » dit Ianthé. « Promis, je ne volerai pas toutes les couvertures, et je n'ai pas les pieds glacés, donc tu n'as pas à avoir peur que je les colle contre tes jambes. Mais si vraiment tu as du mal à t'endormir, on peut aller chercher Hjalmar, il sait comment endormir les gens, c'est lui qui était venu te chercher avec moi, » proposa-t-il.
« Non, c'est bon, je... ça va aller, » finit lamentablement Bastien. Après tout, au point où il en était, il pouvait bien dormir avec un homme extrêmement séduisant avec des ailes dorées et des cheveux roses...
« Parfait ! Alors dors bien et fait de beaux rêves, » conclut Ianthé avant d'éteindre la lumière.
Bastien se recula vers le bord du lit, afin de laisser plus de place, mais ne put s'empêcher de se crisper en sentant un bras s'enrouler autour de sa taille. Il finit par se décontracter puis s'endormir en sentant le souffle régulier de Ianthé dans son coup, et la chaleur de sa main sur son ventre.
Au cours des jours suivants, Bastien se construisit une nouvelle routine. Il se réveillait aux côtés de Ianthé, qui ne manquait jamais de lui demander si il avait bien dormi, et déposait un baiser sur sa joue « afin que son réveil soit plus doux », puis se préparait pour la journée dans la salle de bains qui se trouvait au fond de l'armoire (derrière le troisième cintre à gauche).
Il prenait ensuite quelques fruits et un croissant pour son petit déjeuner, et se rendait à son bureau accompagné de Ianthé. La traversée du couloir le mettait toujours mal à l'aise, avec toute l'agitation qui y régnait, mais il avait fini par s'y habituer plus ou moins, et prenait même le temps de saluer quelques fées qui semblaient passer leur vie dans ce couloir.
Il passait ensuite sa journée à mettre en ordre tous les comptes, Ianthé restant avec lui aussi longtemps que possible, avant de s'absenter, revenant pour le déjeuner. Ils en profitaient en général pour parler, avant de se remettre au travail. Le soir, Ianthé revenait cherchait Bastien et le conduisait dans leur chambre pour dîner. Le comptable avait bien accepté de se rendre dans la Grande Salle pour un dîner, mais il avait rapidement demandé à son ami de le ramener dans leur chambre, à cause du bruit et du chaos qui y régnaient.
Après le repas, les deux hommes se préparaient pour la nuit, puis s'allongeaient dans leur lit avant de s'endormir.
Au cours de leurs discussions, Bastien apprit que Ianthé était arrivé peu avant le bilan précédent, mais il n'était à l'époque qu'un enfant, et il en gardait donc un souvenir confus. Il apprit également qu'il avait pensé être amoureux de Kalé, mais cette dernière avait repoussé ses avances, et il se rendait compte à présent qu'il ne ressentait pour elle qu'un amour fraternel. Il lui avoua également qu'étant le dernier arrivé, il avait parfois l'impression que les autres fées le considéraient comme inférieur. Cependant, cela venait peut être aussi du fait qu'il soit un homme, après tout, la majorité des fées étaient des femmes.
Enfin, il lui avoua que la seule chose qu'il regrettait dans le fait de vivre dans le royaume des fées était de ne jamais avoir pu aller à l'école. Il avait parfois eu l'occasion d'observer les humains, en particulier les plus jeunes, ceux qui croient encore aux fées, et il leur enviait la possibilité d'apprendre tellement de choses merveilleuses.
De son côté, Bastien lui parla de Paolo, un beau brun ténébreux qu'il avait profondément aimé et qui avait détruit le peu d'estime de soi qu'il avait quand il l'avait quitté. Il lui parla également de sa famille : son frère, un sportif reconnu qui semblait avoir honte que son frère ne soit qu'un petit expert-comptable sans envergure, et homosexuel par-dessus le marché ; sa soeur, une étudiante brillante qui s'investissait dans différentes oeuvres caritatives et qui lui reprochait de ne pas se préoccuper suffisamment de l'avenir de la planète ; ses parents, qui n'avaient jamais vraiment su quoi faire de ce fils qui ne ressemblait en rien aux autres.
Ils reçurent plusieurs fois la visite de Calliope, qui venait s'informer de l'avancée du travail de Bastien, et en profitait pour s'assurer que ce dernier ne manque de rien. Elle leur parla également des affaires du royaume, et notamment des derniers démêlés qu'elle avait eu avec les sorciers. Apparemment, Hjalmar avait cru amusant d'endormir un sorcier, de modifier toutes les formules magiques de son grimoire, et de fouiller tous ses placards à la recherche d'ingrédients bizarres. Heureusement pour lui, le sorcier s'était réveillé au moment où Hjalmar avait failli se faire rôtir par le dragon domestique qu'il avait malencontreusement dérangé.
Finalement, le jour arriva où Bastien réussit à conclure le bilan demandé. Il avait mis en ordre tous les documents et effectué tous les calculs nécessaires.
Contrairement à son habitude, en contemplant les parchemins parfaitement ordonnés retraçant son travail, Bastien ne ressentait pas ce sentiment de satisfaction d'avoir réussi à dompter les chiffres. Tout ce qu'il pensait, c'est qu'il allait devoir quitter Ianthé, quitter cet endroit, pour retrouver sa petite vie ordinaire, ou du moins ce qu'il en restait, car après tout ce temps passé ici, il avait certainement perdu son emploi, et son propriétaire, lassé de ne recevoir aucun loyer, avait probablement débarrassé son appartement pour le louer à quelqu'un d'autre.
Un bref instant, l'idée de déchirer tous ces documents lui traversa l'esprit. Après tout, tant qu'il ne rendait pas son travail, les fées continueraient à avoir besoin de lui, et il pourrait rester. Il choisit cependant d'appeler Ianthé et Calliope pour les prévenir.
« Vous avez fini ? C'est parfait, merci, merci, merci ! » s'écria Calliope en frappant dans ses mains. « Je vais tout de suite organiser une fête pour demain soir ! Comme ça, vous pourrez me donner officiellement le résultat de votre travail devant tout le monde, et ça vous laissera un peu de temps pour choisir le voeu que vous souhaitez voir exaucé. Après tout, un voeu ne se choisit pas à la légère, il faut bien y réfléchir, parce que vous obtiendrez ce que vous aurez demandé. Bon, je vais vous laisser, vous devez certainement avoir besoin de vous reposer, après avoir passé autant de temps ici, » dit-elle en réprimant un frisson d'horreur à la vue des nombreux documents qui remplissaient la pièce.
Pendant le discours de la fée, Bastien avait observé Ianthé, qui semblait plus réservé qu'à son habitude. Lui qui était toujours plein d'énergie semblait abattu, découragé.
Après le départ de Calliope, au milieu d'un tourbillon d'étincelles et de murmures concernant l'organisation de la fête, Ianthé sourit timidement à Bastien avant de prendre la parole.
« Alors ça y est, tu as fini... Tu as vraiment tout compté, tu n'as rien oublié, tu en es sûr ? Après tout, ce serait dommage qu'on se rende compte après ton départ qu'il y a des chiffres qui nous manquent... »
« J'ai tout revérifié au moins trois fois, et je trouve toujours les mêmes résultats, alors je pense qu'il n'y a aucune erreur. Tu devrais être content, tu vas pouvoir retrouver ta liberté, tu ne seras plus obligé de passer tout ce temps à me regarder travailler ! »
« J'aimais bien te regarder travailler... mais bon, puisque tu as fini, tu vas retourner dans ton monde, et tu n'auras plus besoin de mon aide là-bas. Tu pourras facilement trouver des meilleurs assistants, des gens qui savent compter, au moins ! »
Bastien avait envie de dire qu'il ne voulait pas d'un assistant qui sache compter, qu'il préférait mille fois rester avec Ianthé, même si celui-ci pouvait parfois être agaçant avec sa manie de ne jamais rester en place, mais il se retint. C'était totalement stupide de penser ainsi, après tout il n'était pas à sa place dans ce monde, et Ianthé l'aurait probablement oublié dès qu'il serait reparti.
Le dîner se déroula dans une atmosphère pesante, chacun des deux hommes perdu dans ses pensées. Bastien essayait de se convaincre qu'il devrait être heureux de pouvoir enfin rentrer chez lui, il allait pouvoir retrouver ses petites habitudes, sa vie bien réglée sans aucun imprévu. Pourtant, il savait déjà qu'il allait regretter la folie qui régnait ici.
De son côté, Ianthé était loin d'afficher son insouciance et sa joie de vivre habituelles, et les quelques blagues qu'il faisait tombaient à plat. Il quitta brusquement la table, avant même d'avoir terminé son muffin au chocolat saupoudré de noix de coco, qui était pourtant son dessert préféré.
Le comptable ne put s'empêcher d'être déçu. Ianthé était donc tellement impatient de se débarrasser de lui qu'il ne parvenait même pas à passer une dernière soirée en sa compagnie ? Pourtant, ils avaient partagé de bons moments, tous les deux. Bastien ne s'était jamais senti aussi heureux, il n'avait jamais autant ri que depuis qu'il était arrivé ici, et c'était à Ianthé qu'il le devait. Il alla à contrecoeur se coucher, mais ne réussit pas à s'endormir, tourmenté à l'idée de ce qu'il allait se passer le lendemain.
Bastien avait l'impression qu'il venait tout juste de s'endormir quand il fut réveillé brusquement par un bruit sourd.
« Aïe ! Saleté de meuble ! »
Bastien se redressa en sursaut, et après un bref instant pour s'acclimater à la lumière qui régnait dans la pièce, il vit Ianthé qui se tenait la cheville en grimaçant. Qu'est ce que c'était que cette manie qu'il avait de toujours se cogner dans les meubles ?
En voyant qu'il était réveillé, Ianthé lâcha sa cheville pour se précipiter dans le lit et le serrer dans ses bras.
« J'veux pas que tu partes, j'veux que tu restes avec moi, » gémit-il contre le torse de Bastien.
Ce dernier ne répondit pas, craignant de se mettre à sangloter dès qu'il ouvrirait la bouche, et se contenta de caresser les cheveux de Ianthé.
« J'sais bien que je suis énervant pour toi, mais si tu restes, promis, je ne t'embêterai pas quand tu travailles, je serais sage, je ne bougerais plus, et... »
« Tu n'as pas besoin de changer, tu es parfait comme ça ! » s'écria Bastien.
« C'est vrai ? Tu le penses vraiment ? » demanda Ianthé en levant un visage radieux vers Bastien. Celui-ci se contenta de hocher la tête en souriant, et fut stupéfait quand la fée se releva pour l'embrasser.
« Mmm... mais... tu as bu ?! » s'écria Bastien, ayant eu l'occasion de se rendre compte de l'haleine chargé de Ianthé.
« Oui, parce que tu t'en vas, alors je voulais oublier. Et pis, j'me suis dit qu'il fallait quand même que je revienne te voir, parce que je voulais 'sayer de t'faire changer d'avis, pis t'emb... t'embara... t'embarsser aussi, au moins une fois, parce que sinon je saurai jamais, pis parce que je t'aime, aussi, plus que Kalé, pis avec elle j'avais jamais eu autant envie de l'embrasser, alors que toi c'est pas pareil, t'es pas comme les autres, t'es mieux, mais j'pensais que tu m'aimais pas vraiment, parce que je sais que je t'ev.. t'énevere, mais... »
Voyant que Ianthé allait encore s'embarquer dans un de ses longs discours sans queue ni tête, Bastien décida de le faire taire. En l'embrassant. Il avait rêvé de ces lèvres depuis qu'il l'avait mordu, le premier jour de son arrivée, alors il n'allait pas laisser passer cette chance, peut être la seule chance qu'il aurait de l'embrasser.
Ce n'était pas un baiser parfait, après tout, Ianthé était à moitié ivre, et Bastien avait tellement désiré cet instant qu'il se sentait incroyablement nerveux, et pourtant... Pourtant, c'était le meilleur baiser qu'il ait jamais connu. Ianthé avait un goût sucré, et les gémissements qu'il laissait échapper le rendait fou. Il pouvait enfin se permettre de le toucher, de le caresser, d'effleurer ses ailes qui étaient d'une infinie douceur, de parcourir son torse musclé avec sa main...
Le lendemain, la journée était déjà bien entamée lorsqu'ils se réveillèrent. Ianthé, malgré un mal de tête presque insoutenable, tenait absolument à offrir une journée parfaite à Bastien. Celui-ci lui expliqua qu'un réveil à ses côtés était suffisant pour en faire une bonne journée, ce qui lui valut de recevoir un baiser torride.
Au cours de la journée, Ianthé expliqua à Bastien la façon dont se déroulerait la soirée, ainsi que ce qu'il pouvait demander comme voeu.
« Richesse, gloire, vengeance contre un ennemi, rencontrer le grand amour... Tu peux demander ce que tu veux, la seule chose que l'on ne peut pas faire, c'est aller contre le libre-arbitre des autres personnes. Et je te promets que je ferais de mon mieux pour réaliser ton voeu, je ferais tout ce que je peux pour te rendre heureux, » promit Ianthé.
« Tout ce que je veux ? Et si je souhaite juste un peu plus de temps avec toi ? »
« Alors je viendrais te rendre visite aussi souvent que possible. Tant que j'aurais assez d'énergie pour le faire, j'irais te voir dans ton monde. »
« C'est vrai ? Tu pourrais venir ? »
« Oui, mais pas très souvent, » grimaça Ianthé. « Il n'y a pas beaucoup d'humains qui croient encore aux fées, du coup, on n'a que très peu de pouvoirs quand on vient dans votre monde. Et si on y reste trop longtemps, après on est coincés, on ne peut plus rentrer, et... »
« Et qu'est ce qu'il arrive quand une fée reste coincée dans le monde des humains ? »
« On devient mortels, et si on est déjà plus vieux que ce qu'un humain peut espérer vivre, alors, et bien... on meurt. »
« Oh ! » Immédiatement, les espoirs de Bastien s'effondrèrent. Il était hors de question que Ianthé vienne le retrouver, si cela risquait de le tuer ! Mais peut être... Il demanda à Ianthé de le reconduire dans son bureau, il souhaitait examiner quelques uns des textes qu'il y avait aperçut.
Le soir venu, Bastien se rendit avec Ianthé dans la Grande Salle. Il portait dans ses bras les parchemins sur lesquels était inscrit le bilan de l'activité féérique des 77 dernières années, et s'apprêtait à remettre le tout à Calliope.
En arrivant, il put remarquer que les fées s'étaient surpassées. Les murs étincelaient, le plafond était devenu un immense miroir, les tables semblaient sur le point de s'écrouler sous le poids des mets délicats et raffinés qui y étaient entassés, les fées présentes rayonnaient dans leurs vêtements de toutes les couleurs.
Quand il entra, la musique se tut, les conversations cessèrent, et les fées s'écartèrent devant lui et Ianthé, libérant le passage jusqu'à la reine. Celle-ci accepta gracieusement les parchemins avant de s'éclaircir la gorge.
« Bastien, vous avez droit à toute notre reconnaissance. Sans vous, jamais nous n'aurions pu venir à bout de cette tâche immense. Votre courage, votre abnégation, votre acharnement pour venir à bout de cette épreuve ont forcé notre admiration. Nous vous sommes infiniment redevables, et nous vous offrons, en signe de notre gratitude, la réalisation d'un souhait. Demandez, vous serez exaucé. »
« Euh... Je crois, enfin, d'après ce que j'ai lu, il m'a semblé comprendre que... » Bastien hésita un moment. Bien sûr, on lui avait dit qu'il pouvait demander tout ce qu'il voulait, mais est ce qu'il n'allait pas un peu trop loin ? Est ce qu'on allait lui accorder son voeu, ou est ce que les fées allaient se moquer de lui et lui demander de choisir autre chose ?
« Nous vous écoutons, » l'encouragea Calliope.
« En fait, je veux rester ici, avec Ianthé. Devenir une fée, moi aussi. »
Aussitôt, des chuchotements étonnés se firent entendre dans la salle. « il veut rester ici ? », « ça veut dire qu'il pourrait continuer à s'occuper des comptes ? », « et des archives ? », « je n'aurais plus jamais besoin de retourner là-bas? »
La reine les fit taire d'un mouvement de la main.
« Vous êtes sûr ? Vous savez que si vous choisissez de rester ici, vous ne pourrez plus retourner dans votre monde. Vous abandonnerez votre vie d'avant, vos amis, votre famille. »
« Je n'avais pas vraiment d'amis, et en ce qui concerne ma famille... Je ne risque pas de leur manquer, » grimaça Bastien. Il jeta un coup d'oeil à Ianthé qui le regardait d'un air stupéfait et ravi.
« Oui, je suis sûr. Mon voeu est de rester ici. »
« Très bien, » acquiesça Calliope avec un grand sourire. « Ianthé, à toi l'honneur. »
Ce dernier s'approcha de Bastien, prenant ses mains dans les siennes. Il approcha son visage du sien, posa ses lèvres contre les siennes avant de les entrouvrir. D'un souffle, il changea la nature même de Bastien. Ce dernier ressentit une douleur fulgurante dans le dos, puis s'évanouit.
A son réveil, la première chose qu'il vit était le visage de Ianthé penché au-dessus du sien.
« Comment tu te sens ? » demanda-t-il.
« Bien, »répondit Bastien. « Vraiment bien, » ajouta-t-il après un bref moment. Il se sentait incroyablement détendu, plus détendu qu'il ne l'avait jamais été. Est ce que c'était un effet secondaire de sa transformation ? En parlant de transformation...
« J'ai changé ? Je veux dire, est ce que ça a marché ? »
« Bien sûr, tu as même des ailes. Et de la magie, aussi, je t'apprendrais à t'en servir, tu verras, c'est vraiment amusant. »
« J'ai hâte que tu m'apprennes tout ça, » répondit Bastien avec un sourire timide.
« Tu... tu es sûr que tu ne vas pas le regretter ? » s'inquiéta Ianthé. « Après tout, tu viens de tout quitter, et je ne voudrais pas... »
« Ne t'inquiète pas, ça en vaut la peine. Tu en vaux la peine, » dit doucement Bastien en caressant la joue de Ianthé. Celui-ci le scruta du regard, puis le serra dans ses bras.
« Merci, je t'aime, je te promets que tu ne le regretteras pas, je te rendrais heureux, c'est promis, je t'aime... »
« Moi aussi, je t'aime, » répondit Bastien, avant que Ianthé ne s'empare de ses lèvres pour l'embrasser passionnément.
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