Et voici une nouvelle histoire : toujours en OS, plus courte, et un peu plus sombre.

L'inspiration m'est venue après avoir vu Valse avec Bachir, un très beau film de Ari Folman.

Je vous souhaite, encore une fois, une bonne lecture.

So Enjoy !


La Folie rouge

« Celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique »

Voltaire

Fenêtre ouverte et bruit citadin provenant de l'extérieur, jeune fille assise sur le rebord enveloppée d'un châle rouge criard, clope au coin des lèvres, teint pâle, rictus mystérieux : quel piètre tableau, si mélodramatique.

Mon sourire s'agrandit car je ne vois rien de si artistique ou de si poignant. Je fixe ces immeubles dans le fond ; cette ville, pourtant célèbre, que je ne reconnais pas. On sent que l'artiste a voulu montrer un monde vaste mais dévasté, une nature sauvage pourtant domestiquée, du béton s'étalant à perte de vue comme notre pseudo-savoir et une foule indifférente à tout qui se fond dans ce décor dérisoire.

Malgré cette envie de faire passer des émotions je ne ressens rien face à cette toile, cet univers sans vie. En réalité je ne sens plus grand chose car je suis enfermée dans un monde qui est lui-même enchainé par la peur et l'incompréhension, je suis retenue par des barrières spirituelles impénétrables. A chaque instant j'ai l'impression que tout s'emmêle et tout se floute…, que plus le temps passe et plus mon passé s'efface…, que plus le temps file et plus je l'oublie…

Ma vie a toujours été, de ce que je me rappelle, ce vaste kaléidoscope où se mêle une sorte de sentiment profond et une solitude sans fin, où le vide est omniprésent, où tout s'entrelace, où rien n'apparaît clairement : une foule de sensations, d'émotions, de ressentis mais rien de palpable, rien de concret.

C'est, en somme toute, assez simple à comprendre car comme pour le tout et le rien, l'amour et la haine, il existe une antithèse à l'hypermnésie, l'exaltation maladive de la mémoire, et elle est mon mal.

A cause de lui, je me sens exclue, incomprise des autres, ceux qui me regardent avec un jugement hautain. Des préjugés d'autant plus fort lorsque je perds le contrôle. Les médecins tentent de me guérir et m'ont suavement expliquée que mes deux esprits luttent entre eux, mon subconscient et mon conscient, pour gagner le peu de raison qu'il me reste. L'un me bloque la mémoire, l'autre cherche à ouvrir la porte et traverser ce Styx. Une troisième partie pourtant demeure en moi et subit cet affreux cataclysme dans ma tête.

Mon esprit est toujours troublé, en toute heure et en tout lieu, par une projection mentale…, un rêve qui semble me raconter un passage de ma vie antérieure et de temps à autres je ressens cette soif.

Je n'ai jamais compris ma soif, comme une envie insatiable qui me prend les tripes et me chamboule à un point de vouloir tout faire taire.

Un flash. Des rires. Des grognements. Une voix qui s'élève. Un cri de panique. Mouvement brusque. Pleurs. Hurlements. Choc. Rouge. Et le silence…, pour enfin m'amener dans un état léthargique où mon esprit est comblé.

Je me réveille à cet instant, souvent dans un lieu inconnu, et parfois je me retrouve à côté d'un corps sans vie, dans la majorité des cas nous sommes tous deux dans une mare d'hémoglobine.

Je suis toujours fascinée par ce vermeil, je lève mes mains à hauteur de mon visage, elles sont cramoisies, j'ai un couteau à la main maculé de cette couleur, plus écarlate cette fois-ci : ce grenat sèche peut-être moins vite sur du métal pur.

J'ai peur de mes crises et je tente de les stopper en fermant les yeux mais rien n'y fait, elles viennent selon leur gré et repartent quand il est temps, je sens d'ailleurs qu'elles deviennent de plus en plus fortes et violentes.

Un jour j'ai pris un dictionnaire et j'ai tourné les pages pour comprendre ce qui m'arrivait, pour mettre un sens sur des mots qui restaient vagues à mes yeux.

Tuer, ôter la vie à quelqu'un. Commettre, effectuer un acte répréhensible. Meurtre, homicide volontaire. Douleur, sensation physique ou morale pénible. Folie, trouble mental.

Ils sont, à mes yeux, comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête attendant le moment le plus tragique pour tomber et m'abattre. Mais je ne veux pas mourir car peu m'importe ces délires, peu m'importe la morale je dois continuer de vivre pour expier ce péché.

« Depuis combien de temps est-elle dans cet état ?

-Oh, de nombreuses années.

-Et il n'y a aucun moyen de guérison ?

-Vous savez, la folie n'est pas une simple maladie comme la grippe ou le rhume : il n'y a pas de traitement antibiotique ou bien d'antivirus. Il est difficile pour un sujet de guérir sans récidiver.

-Bien, donc il n'y a pas de raison qu'elle sorte, n'est-ce pas ?

-Aucune. »

L'inspecteur souffle et se presse en direction de la porte de sortie de ce lieu de fou. Il est si fier de lui car cette enquête est enfin bouclée, ce qui signifie que le dossier sera rangé dans la remise des affaires élucidées. Il n'a plus qu'à attendre qu'un autre dingue vienne déranger sa santé mentale mais pour le moment la criminelle Sans-Nom est enfermée et ne pourra plus jamais renouveler ses exploits.

Le médecin psychiatre quant à lui ouvre la porte de la chambre de cette gamine, la referme et s'assoit sur l'unique chaise blanche de cette pièce blanche face à une patiente dans un châle rouge assise sur le rebord d'une fenêtre. Il éprouve une certaine pitié pour cette enfant perdue et rechigne à lui injecter sa dose de calmant quotidienne, elle n'a jamais fait de crise jusqu'alors…

Mon regard devient à nouveau flou et des voix me murmurent, des hurlements me strient les oreilles et mon crâne semble grossir et appuyer sur les parois osseuses de ma tête.

Un souffle court, erratique. Un cœur qui bat vite. Deux mains autour d'un cou qui pressent et relâchent. Des yeux qui se révulsent, des pupilles dilatées au maximum. Une incompréhension puis un éclair de génie, une vaine tentative de se dégager. Nulle présence d'objet contondant ou tranchant, le manque d'une arme blanche faite d'argent. Un semblant de sourire se dessine puis un bruit sourd. L'air s'infiltre à nouveau dans les poumons et dans un excès de zèle un poing s'écrase sur le visage d'une enfant. Un grognement en réponse puis des serres griffent le visage du vieil homme, du sang s'écoule. La bouche s'ouvre et deux doigts vont titiller la glotte ce qui entraîne aussitôt un élan de régurgitation qui s'interrompt tout aussi soudainement. Le psy se relève dans l'espoir de retrouver tous ses moyens, il hurle pour attirer les infirmiers, mais il est tard et personne ne viendra car ils sont tous dans l'aile ouest. Seconde erreur qui lui coutera, sans nul doute, la vie. Les cris stimulent l'instinct de la gamine et l'adrénaline s'accroît dans son sang. Elle revoit ce rouge, ces visages, elle entend des pleurs et des plaintes. Il faut tout arrêter alors elle se rapproche lentement, des perles salées tombent sur ses lèvres, elle donne un coup au tibia, puis dans le ventre du médecin. Elle griffe, elle mord et pousse sur le mur cet homme qui s'époumone inutilement. Elle prend le coussin de son lit, elle joue en frappant le vieillard puis il tombe, alors elle lui saute dessus puis elle pose l'oreiller sur le visage paniqué et presse, de plus en plus fort, de plus en plus longtemps. Le corps commence à convulser, il tente de se dégager de l'emprise de la gosse mais il s'affaiblit et le souffle vient à lui manquer… Pff…

Mes membres sont endoloris, comme crispés et la cellule est striée de ce carmin si cher à ma soif, la pâleur habituelle de la pièce est alors un peu plus gaie. Je vois le docteur avec une expression figée et un corps tordu dans une position bien sordide. Pour tout vous avouer je me sens bien, en paix avec mon âme. Mon essence me pousse à tuer car je suis une tueuse, je ne me souviens de rien car je suis amnésique et je ressens cet accident, non pas comme la cause de mon problème mental, mais comme le résultat de la libération de mes consciences et de ma nature réelle. Ma mémoire s'est bloquée mais je suis certaine qu'elle ne se ferme que pour me protéger d'un mal antérieur plus grand encore. Je suis folle mais je suis certaine que ces meurtres ne sont que de vaines tentatives d'éliminer les cris et les pleurs d'un passé oublié. Ce fanatisme me pousse à faire couler ce sang qui n'est que l'ersatz du mien qui n'a pas voulu couler auparavant. Et ces victimes ne sont que des victimes, malchanceuses par leur présence, subissant les délires de mon esprit.

Je ne suis peut-être que la martyre de mon péché et mon âme se punit d'elle-même de mon crime.


La prochaine histoire que je posterai sera, s'il n'y a pas de soucis, un Boy's Love. Avec plusieurs chapitres !

i Ouhou !

Au plaisir de vous revoir !