Me revoilà et cette fois-ci avec un BL.
Titre : The Merman & the Gemstone
Résumé : A bord du Crooks un nouveau matelot vient d'arriver. Mais il ne semble pas aussi innocent qu'il veut le faire croire. Voici un récit entre mythes grecs et pirates bourrés.
Rating : M
Note de l'auteur : Je ne prétends pas à un récit fidèle à la vraie vie des pirates, loin de moi cette idée. Par contre j'affirme imaginer et idéaliser leur monde, non pas que je suis trop naïve mais leur mode de pensée était un brin en avance sur le temps. J'ai lu de nombreux documents sur eux et j'ai essayé de m'informer au maximum avant de me lancer dans cette entreprise. Parfois j'en relisais entre mes chapitres et je me retrouvais avec quelques incohérences. Mais elles n'étaient pas si grave alors j'ai préféré les laisser pour rendre la lecture agréable. Les puritains se voient à présent prévenus. ^^
Temps de parution : Pour me laisser le temps d'écrire et à ma Bêta de corriger, il y aura 1 chapitre toutes les deux semaines, les mercredis.
Nombre de chapitre : C'est une bonne question... Sûre qu'il y en aura 5 ^^
Mot de la Bêta : Elle voulait que je précise que le Capitaine n'est pas un vieux monsieur. Donc voilà... Il a vingt-cinq ans (environ) tout de même !
So Enjoy !
Dans la Mer, Chante la Pierre
Chapitre 1
L'eau entravait naturellement ses mouvements tandis qu'il se battait contre de fougueuses vagues. Il ne nageait pas depuis bien longtemps mais ses membres s'engourdissaient face à cet effort inhabituel. L'écume se perdait parfois dans sa bouche grande ouverte et une pensée furtive prenait place dans son esprit fatigué. Il s'imaginait chez lui, dans ce lieu paradisiaque, inconnu de tous, et se rappela soudainement les raisons de tout ceci. Son visage se durcit et une volonté plus forte s'empara de son âme.
Le ciel était parsemé de nuages cotonneux et toute cette ouate le fit sourire. Malheureusement, l'onde sauvage en profita pour s'infiltrer dans ses poumons, et il dut s'arrêter un temps afin de recracher l'inopportune. Si les choses persistaient dans ce sens, les requins auraient peut-être de quoi se mettre sous la dent. Un beau jeune homme dans la force de l'âge, avec toute cette chair tendre, des cuisses savoureuses et un cœur vigoureux… Par la suite, cela serait des créatures microscopiques qui s'installeraient dans son corps putréfié.
Un éclat lumineux brilla dans ses yeux et il calma ses frénétiques battements de jambes ; il se retourna afin de se retrouver le visage dirigé vers le ciel. Il banda ses muscles et les força à remonter à la surface ; il aplatit son corps et souleva ; ses fesses ses bras écartés au plus loin de son tronc, il se laissa ainsi porté par le vent et le courant marin.
Le temps passa et quelques mouettes téméraires vinrent se reposer quelques instants sur l'étrange dépouille flottante. Les étoiles apparurent au fur et à mesure, mais la lune refusa de pointer le bout de son nez. La Grande Ourse se profila sur la voûte céleste mais fut rapidement caché par un ciel voilé. Puis l'engourdissement prit ses muscles et le jeune homme s'accorda des pauses de semi-conscience. Les secondes, les minutes puis les heures se mirent à s'accélérer, pour enfin laisser place au nouveau jour.
OoOoO
Les lueurs de l'aube apportèrent avec elles quelques bonnes nouvelles. En outre, au loin se dessinait une frégate, dont les formes se faisaient encore floues. Pris d'une impulsion soudaine, il bascula puis partit en direction de ces sauveurs inespérés. Le bateau filait dans sa direction à une vitesse minable due à la rareté du vent. Pourtant, les trois miles marins qui séparaient ces deux points marins se réduisaient à vu d'œil, et ce fut plus d'une demi-heure plus tard que les traits du bâtiment se trouvèrent dévoilés.
La coque sombre couverte d'algues et de quelques crustacés ouvrait l'océan dans un mouvement majestueux. La proue était sculptée d'une manière tout à fait singulière, on eût dit un chef d'œuvre de dissuasion : un serpent d'eau ouvrait sa gueule, laissant apparaître l'emboue d'un canon menaçant. Ses dents brillaient à la lueur du soleil et le métal semblait se refléter dans l'infinité de l'onde sauvage. La poupe, d'une forme carrée, se finissait pourtant par la queue du serpent ; celle-ci pendait dangereusement vers l'océan et paraissait se mouvoir au gré de l'avancement du bâtiment. Les voiles, d'un noir délavé, n'étaient gonflées que de moitié et les cordes pendaient disgracieusement le long des mâts. Au dessus de la vigie flottait un autre drap, d'un blanc d'ivoire. Il surplombait l'ensemble et attirait l'œil de tous spectateurs puisqu'un dessin écarlate et morbide s'y dessinait, rappelant tristement des ossements humains.
La nature du vaisseau et de ses occupants fut rapidement identifiée par le jeune homme ; il rencontrerait bientôt des pirates, des hommes sanguinaires, bourrés par le rhum, avides de divertissement et d'argent. Ses zygomatiques s'activèrent, ses yeux prirent une teinte foncée et une corde fut balancée par-dessus bord. Il l'attrapa sans mal et se laissa, lentement mais sûrement, remonter vers le pont. Les pieds au sol, il s'écroula brusquement puis vida son ventre de l'eau engloutie tout au long de son court périple. La bile y passa aussi, et un arrière goût désagréable s'empara de sa bouche ; il ferma cette dernière et se força à reprendre son souffle par le nez.
Des dizaines de regards s'attardèrent sur le nouvel arrivant, l'évaluant de la plus basse des manières. Les sourires édentés montraient leur contentement ; le silence s'effaça bien vite et les voix graves amenèrent des haleines défraichies. Une grimace de la part du jeune homme plus tard, et toute la troupe des joyeux marins se sépara en deux pour laisser une allée se former. Au bout se tenait un autre gaillard, fier et droit ; il s'avança d'un pas assuré jusqu'à la silhouette écroulée. Il se pencha en avant et prit dans le creux de sa main le menton du garçon. Sa dent d'or brilla furtivement puis le capitaine relâcha soudainement le jeune homme.
-Qu'avons-nous là, un hurluberlu perdu ?
A travers cette voix grave perçait une ironie non feinte et en réponse à ses sages paroles les rires fusèrent. Il reprit un temps après :
-Alors tu viens d'où ?
-D'un bateau de commerce…
-Mais encore ?
Le jeunot n'était pas certain de vouloir poursuivre cette conversation, car si trop de mensonges s'infiltraient, il pouvait se faire démasquer immédiatement. Mais il se remémora les histoires de ses parents et des anciens.
-On s'est fait couler par une baleine.
-Les baleines n'attaquent pas sans raison.
-Nous…
Il soupira bruyamment et releva un regard incertain vers le capitaine :
-Je travaillais sur un baleinier.
-Oh, et depuis combien de temps te trimballes-tu dans l'océan ?
Tout dans l'attitude du Capitaine montrait une méfiance tout à fait justifiée.
-C'est-à-dire que je ne suis pas tout à fait sûr, mais je n'ai vu qu'un seul coucher de soleil…
-Vraiment ? Hé ! Dis-moi, Angelo, tu penses qu'il a la carrure d'un matelot à baleine ?
Un rictus dévoila à nouveau la dent d'or qui scintillait vicieusement.
Ledit Angelo s'avança d'un pas. Son corps bien bâti n'était que très peu couvert et les méfaits du soleil avait fait bronzer plus que de raison sa peau asséchée. Des cicatrices un brin plus blanchâtres recouvraient la majorité du torse de l'homme et de la sueur, ou de l'eau, coulait à torrent le long de ses poils. Son visage aux traits durs se trouvait rehaussé par une barbe brune de plusieurs jours. Un morceau de tissu maintenait ses cheveux laissant apparaître des mèches, longues d'au moins vingt centimètres, emmêlées d'une manière qu'on aurait pu qualifier d'artistique. Angelo posa rudement ses mains calleuses sur la peau du jeune homme et l'obligea à se mettre debout pour enfin le relâcher.
Fatigué, l'homme venant de la mer dut se maintenir droit car une épreuve de vie ou de mort se déroulait maintenant, et il n'aurait qu'une seule et unique chance. Ses yeux, définitivement plantés dans ceux d'Angelo, brillaient de par leur fougue et leur impétuosité. La détermination qui s'y lisait poussa le second à poursuivre son inspection. Le corps qui se tenait face à lui n'avait rien de fluet, les avant-bras, quoiqu'un peu palot, témoignaient de l'habitude du travail. Une chemise trempée se collait à son corps dévoilant une carrure de belle manufacture : aucune nervure ne trahissait des veines un peu trop saillantes et ses braies déchirées montraient des jambes longues dont les muscles se contractaient douloureusement. Non chaussé, on pouvait aussi constater qu'aucuns membres n'étaient amputés. Satisfait par sa première prise de vue, Angelo prit les mains du gamin et nota que malgré des cicatrices plus ou moins récentes aucune rugosité n'entachait leur douceur. Il relança encore son regard sur ce corps afin de prendre tout en compte, et alors qu'il allait s'en détourner il remarqua trois petites boursouflures sur chaque côté de son cou. Il voulut y poser ses doigts mais le gosse se dégagea vivement, manquant de retomber sur les fesses.
Angelo se tourna alors vers son capitaine et lui murmura quelques mots. Après un hochement de tête ce dernier pensa pendant quelques instants, évaluant la situation sous tous les angles.
Le cœur battant, le jeune homme attendit le verdict ; il laissa son regard errer sur l'environnement avoisinant et vit tous les pirates s'afférer à leur poste comme s'il n'existait plus, ou plutôt comme s'il faisait parti du décor.
-C'est quoi ton p'tit nom ?
La voix grave du capitaine trahissait une émotion encore inconnue.
La surprise fit sursauter le garçon mais il se reprit aussitôt : il savait quoi répondre, il avait imaginé ce moment des milliers de fois et la conversation qui suivrait serait un jeu d'enfant. Il connaissait tout ce qu'il fallait qu'il sût.
-Lakota…, répondit le jeune homme.
-T'es un peau-rouge ? Tu ne leur ressembles pas trop.
La suspicion repartit de plus belle ; elle se devinait à travers le tic nerveux du visage du capitaine.
-Mon père a vécu près d'une de leurs réserves, et un jour, il en a capturé un. Il lui a apprit tout ce qu'il fallait savoir sur notre peuple, une amitié s'est construite et en échange de sa liberté, l'Indien m'a donné mon nom.
-Comment tu es devenu un chasseur de baleines ?
Les deux hommes notaient chacune de ces réactions et rien ne semblait leur échapper.
-Je m'ennuyais dans mon village, alors je me suis engagé sur le premier bateau venu. J'ai commencé dans le transport et puis un bateau marchand et enfin ce baleinier.
-Tu as donc une expérience relativement polyvalente, n'est-ce pas ?
Les paroles d'Angelo sentaient la moquerie à plein nez. Le capitaine affirma un instant sa position de chef :
-Ravale ton venin un instant, il nous manque un marin. L'un des nôtres est mort la semaine dernière, alors pour l'instant nous n'allons pas jouer la fine bouche.
Le capitaine se tourna à nouveau vers Lakota et reprit :
-Alors est-ce tu as une petite idée de ce que nous sommes ?
-Au vu de cette odeur pestilentielle…
Il commençait à sentir la fatigue se faire lointaine face à cette distraction verbale d'un nouveau genre.
-Je pencherais pour un bateau de requins en manque de cul, soulés jusqu'à la moelle de rhum et de grog. Aie-je tord ?
-Tu nous pisses dessus, le gosse ?
L'épuisement rendait tout un chacun nerveux et le sang chaud d'Angelo était mis à rude épreuve.
-Je n'oserais point, j'aurais trop peur de passer par la case « planche » ; mais vous m'avez posé une question, j'y réponds.
-Mais c'est que nous avons un p'tit rebelle ! Mais je vais me faire clair, tu nous embrouilles et tu diras bonjour à de vrais requins. Angelo, tu lui montres les cales et son petit lit douillet. J'aimerais bien faire comprendre à notre ami que s'il fait un faux pas, quel qu'il soit, il passe par-dessus bord. Les affaires sont dures et nous n'avons pas besoin de petits ingrats maladroits, est-ce suffisamment clair ?
-Clair comme de l'eau de roche, mon Capitaine.
-Bien, alors je te souhaite la bienvenue à bord du Crooks.
OoOoO
L'océan faisait tanguer le bateau et, couché sur son matelas, Lakota pouvait sentir les vagues fouetter le bois ; le temps se faisait calme mais ici, tout était décuplé. Il avait envie de vomir à nouveau, son ventre vide se rappelait à son bon souvenir. Lorsque l'angelot l'avait emmené dans les fonds du bateau, il avait clairement stipulé qu'il devrait attendre le soir pour avoir le droit de se repaître. Lakota savait qu'il avait cependant réussi une partie de son travail : tout ce qu'il avait à faire pour le moment était d'attendre et d'épier, de comprendre pour mieux agir. Comme l'avait dit le capitaine, les temps étaient durs, et s'il voulait trouver ce qu'il cherchait il faudrait que les choses bougent, et rapidement si possible.
Lakota se positionna sur son côté droit et se mit à détailler la soute. Des hamacs se superposaient de haut en bas, s'empilant par trois ; les draps défaits de chacune des couchettes pendaient négligemment. L'odeur de moisissure emplissait le lieu et le sol crasseux fit remonter la nausée du tout nouveau pirate. Décidément, il n'était pas sûr de pouvoir survivre avec tous ces porcs. Bien entendu, il avait connu des scénarios difficiles mais rien ne l'avait préparé à tant de laisser-aller. Il se retourna une nouvelle fois, et aperçut des futs de vins entreposés dans un coin. Ils n'auraient sûrement pas dû se trouver près de tous ces ivrognes. Dans un élan bien mesuré, Lakota se leva et s'approcha des tonneaux, tout en se maintenant à la paroi. Là, un parfum d'alcool fort vint chatouiller ses narines et il se dit que se soûler un peu ferait peut-être passer le temps plus vite. Il prit l'une des chopes en bois, la remplit à ras bord, puis ferma la vanne. Il retourna se caler dans son lit, et par petites gorgées il fit glisser la liqueur dans son gosier. La chaleur lui apporta un peu de réconfort, et toute la fatigue accumulée sans parler de ses sens désinhibés lui permirent de se plonger dans un sommeil réparateur.
OoOoO
Une agréable sensation le transportait doucement : il ne savait pas où il se trouvait, mais il se sentait bien, en sécurité et protégé. Une mélodie traversait cet environnement, la voix d'une femme, la voix d'un homme et une flûte, une corde et des petits boums boums par à-coups. Des mots qui lui parlaient et qui l'égayaient. La douceur de l'instant s'intensifiait un peu plus, des bulles d'air remontaient à la surface de son paradis sans perturber sa vision onirique. Son corps se mouvait naturellement, d'une manière plus naturelle encore que la bipédie. Les plantes ondulaient au gré de cette évolution, la musique se taisait pour laisser place à un silence plaisant. Des mouvements d'oscillation accompagnaient ce rêve et peu à peu ramenèrent Lakota perdu dans le monde du réel.
OoOoO
Il poussa un triste soupir et s'assit dans sa couche ; il s'étira lentement en faisant dériver son regard sur le vêtement qui l'attendait au bout de celle-ci. Une culotte faite dans un coton rugueux et une ceinture avait été déposées. Il contempla une dernière fois ses vieilles braies déchirées et s'en débarrassa sans autre forme de procès. On avait sûrement jugé sa chemise comme étant encore assez peu usée pour ne pas lui en donner une nouvelle, et il ne s'en soucia guère. Sa tenue tombait sur ses hanches et Lakota dut serrer fort la ceinture, qui n'était en réalité qu'un simple cordon. Des poches profondes lui permirent de transférer ses effets personnels dans sa nouvelle culotte, une petite conque et un bracelet. Puis il se dirigea lentement vers ce qu'il pensa être les poulaines et se permit de se soulager la vessie et tout son tube digestif.
Sa besogne terminée, il monta vers le pont dans l'espoir de ne pas avoir raté le repas. Les pirates s'affairaient de-ci de-là, et des ordres fusaient de part et d'autre : le vent se levait enfin, au plus grand bonheur de tous.
Un quidam s'approcha rapidement de Lakota ; il portait sur son épaule un gros seau.
-Remonte pas si vite, princesse, t'as du boulot à faire. Tu prends ça.
Il lui fourra le récipient en bois dans les bras.
-Et tu vas graisser notre petit nid douillet. Et pis tu reviendras et tu feras pareil pour le pont, t'as compris ?
-Je suis peut-être moins râblé que toi mais j'suis pas un gringalet. Alors tu baisses d'un ton, et tu évites de me toiser de si haut, parce que j'suis pas sûr que je vais vraiment me laisser faire, t'as compris ?
Il reprenait volontairement ces termes et les appuya d'une œillade de travers.
-Tu devrais éviter de faire ton malin trop longtemps, parce que tu vas pas faire long feu très longtemps.
-Je suis peut-être un peu pédant, mais qu'y puis-je si les marins de votre calibre ne savent utiliser que leurs muscles ? Mais t'inquiète pas, j'avais saisi le message : on fait peur au p'tit nouveau pour voir s'il tiendra le coup. J'suis pas du genre à clamser si vite et je ne me laisse pas non plus m'écraser sans raison. Mais merci pour l'avertissement ; maintenant je vais étaler toute cette graisse et faire du bon boulot. Ce soir, on n'entendra plus une planche grincer et le bois sera nourri bien en profondeur.
-Tsk… Tu vas voir-…
-Amar! On a besoin de toi, le capitaine veut serrer le vent !
Sauvé par le gong ! Il s'en était fallu de peu. Lakota se mordit la langue et se flagella l'esprit : il devait mieux contrôler son côté un peu pompeux et retenir ses piques. Il ne se débrouillait pas trop mal dans un combat à la loyale, mais qu'en était-il face à ce gaillard qui se pointerait sûrement avec d'autres gars ? Ici, il était en état de faiblesse, il devait courber l'échine pendant un temps et ensuite se faire une place. Mais tout n'était pas si simple, son caractère d'emporté et sa fierté lui échauffait les sens, et sa langue fourchait plus qu'elle n'aurait dû.
Il trempa le chiffon dans la graisse de baleine et commença à frotter le sol ; son nouveau pantalon ne serait pas propre très longtemps à ce rythme. Le dos courbé, son nez était très proche du sol et l'odeur pestilentielle l'obligea vite à relever la tête. Il passa son avant-bras contre son front et se dirigea vers son lit ; il y prit ses anciennes braies et les déchira, puis il enroula le tissus autour de sa mâchoire ; il serra et espéra que la puanteur de l'océan surpasserait celle du sol. Le temps passa sans même qu'il s'en aperçoive, et la cale n'était pas aussi rutilante qu'il l'aurait souhaité, mais au moins le travail était fini.
Il remonta mais s'aperçut rapidement que tout l'équipage babillait avec, dans les mains, des bols de nourriture. Lakota lâcha son fardeau dans un bruit mat dont personne ne se soucia. Il avança tout d'abord d'un pas conquérant puis se ravisa lorsqu'il aperçut Amar. Il chercha des yeux le point de ration mais ne le trouva pas. Dépité, il se laissa choir contre l'un des mâts son ventre s'était réveillé depuis longtemps et la douleur lancinante qui lui prenait les tripes l'obligea à ramener ses jambes contre son corps dans une grimace mal dissimulée. Le menton appuyé sur ces genoux, Lakota examinait la scène qui se jouait devant lui. Son regard divaguait d'un point à un autre sans s'arrêter, dans l'espoir de trouver de quoi se mettre sous la dent, même une bougie s'il le fallait. Et là, sur une caisse, un bol, tout seul, sans que personne ne rôde autour. Il se leva lentement puis s'approcha furtivement : ses yeux tombèrent sur des restes de poissons. Il ne restait que la tête. Les yeux globuleux de la bête ne reflétaient pas grand-chose, les écailles poisseuses avaient été mal grillées, les arrêtes trempaient dans la sauce mais qu'importait ! Il avait trouvé de quoi manger et c'était amplement suffisant. Il prit à deux mains sa trouvaille et croqua dedans sans hésitation : elle avait le goût de la mer, des algues et une texture visqueuse coulait sur la langue de Lakota, mais il continua à mâcher pour enfin avaler. Son repas fut vite réglé en quelques bouchées, il se força aussi à ingérer le liquide du fond en évitant de penser aux mains qui avaient pu y traîner et à la salive qui pouvait s'y mélanger.
Des chants barbares s'élevèrent en cœur et l'alcool vint se mêler à toutes ces festivités. Lakota s'approcha de la grande troupe sans toutefois oser s'y intégrer. Il entendit des rires gras alourdis par le vin. Ces grands nigauds ne s'aperçurent même pas de sa présence lorsqu'ils commencèrent leur conversation :
-La princesse n'avait pas fini son travail quand je suis allé le voir. Le pauvre, il semblait tellement captiver par ce qu'il faisait qu'il n'a même pas remarqué que le plancher était déjà graissé.
-Non attends, tu rigoles ? J'aurais été lui, j'aurais pioncé un bon coup. M'enfin le sol brillait déjà de milles feux ! Enfin p't-être pas assez aux yeux de la princesse !
-Mais s'il est aussi idiot, ce jeunot, ça va être très simple d'en faire ce qu'on veut. Il a voulu nous rouler ? Eh bien, on va lui rendre la monnaie de sa pièce.
-Encore un de ces p'tits bourges qui pensent nous berner facilement. Un baleinier ! Quelle bonne blague, ils se font si rares ces temps-ci qu'ils vont bientôt devenir légendes et contes pour enfants !
Les paroles dérivèrent sur des sujets de moindre importance pour Lakota. Il avait la réponse à ces questionnements : il devait se faire accepter par l'équipage. Il fallait trouver le moyen de leur faire admettre qu'il valait le coup en tant que matelot, et surtout en tant que pirate. Les journées à venir s'annonçaient déjà difficiles.
TBC