Epilogue
Of him I love day and night I dream'd I heard he was dead,
And I dream'd I went where they had buried him
I love, but he was not in that place,
And I dream'd I wander'd searching among burial-places to find him
And I found that every place was a burial-place.
The houses full of life were equally full of death,
The streets, the shipping, the places of amusement,
The Chicago, Boston, Philadelphia, the Mannahatta,
were as full of the dead as of the living,
And fuller, O vastly fuller of the dead than of the living…
Walt Whitman – Of Him I love day and night
J'écris un dernier mot, je signe, je ferme le rapport. Affaire classée.
Cet homme, Samuel Laffont… On ne parle que de lui ces derniers temps. Tout son témoignage a été enregistré, réécouté. L'inspecter Bichon et moi, on a été incapables d'entendre à nouveau tous ces souvenirs, toutes ces horreurs.
Bon Dieu. Je connaissais des gars spécialisés dans les crimes de guerre, qui traquaient des lâches, des monstres. Quand cet homme a débarqué au poste, je ne pensais pas devoir être soumis à une histoire aussi morbide que douloureuse : pour lui et un peu pour nous. L'inspecteur Bichon et moi, on a essayé de ne rien laisser paraître, mais je crois qu'on était aussi ému l'un que l'autre. Même si c'était deux hommes – bon sang, après cette guerre, deux hommes, deux femmes, ou un couple normal, on en a rien à battre. Si les gens peuvent être heureux, qu'on les laisse tranquille. Qu'on ne les déporte pas, qu'on ne les gaze pas, qu'importe comment ils ont décidé de vivre. Par pitié.
On ne l'avait laissé seul qu'une demi-heure, dans la salle d'interrogatoire qui puait le renfermé. Je me souviens des premiers mots qu'il nous avait dit, quand on l'avait débarqué ici, avant même qu'il soit soumis au détecteur de mensonges : « au moins, tout le monde saura ».
C'est vrai. Dans la presse, on ne parle plus que de « Samuel le cannibale ». D'un accord silencieux et commun, l'inspecteur Bichon et moi-même, on s'est battu pour réussir à faire circuler des informations qui ne dénigraient pas Samuel. Oui, il avait mangé quelqu'un : cet acte est tellement fou que la loi ne prévoit même pas de mesure là-dessus. Personne n'aurait pu penser qu'on mangerait des hommes, un jour. Et pourtant, la guerre nous l'a démontré… Des hommes tellement affamés qu'ils s'entredévoraient. Mais son histoire était si horrible, si vraie, que malgré nous, on arrivait à le comprendre. A l'excuser. A trouver ses gestes justifiés…
On ne l'avait laissé qu'une demi-heure seul, c'est tout. Lorsqu'on est revenu, on a essayé de le sauver, mais c'était déjà trop tard.
Il y avait du sang, beaucoup de sang… Ce liquide foncé avait imbibé son pantalon, avait créé une flaque rouge autour de lui, autour de la chaise, tandis que Samuel restait là assis, inerte. Le sang dégoulinait de ses bras, qu'il s'était ouvert. Il s'est ouvert les bras avec un clou.
Les entailles étaient tellement profondes que s'il avait survécu, il aurait perdu à vie l'usage de ses membres. Les nerfs étaient sectionnés, les muscles, arrachés. De la bouillie. De la viande hachée. On ne savait même pas comment il avait réussi à s'infliger ça sur les deux bras. Il avait du souffrir atrocement, et sa vie avait du défiler, lentement.
Quand on l'a trouvé, ses yeux étaient fermés, paisiblement, et sa bouche, à peine entrouverte. Je me souviendrai toujours de cette image. A ce moment là, son cœur avait déjà cessé de battre. Il avait peut-être rejoint Nathanaël, et peut-être ne seraient-ils jamais séparés, cette fois. Peut-être étaient-ils voués à n'être éternels que dans la mort.
Samuel devait se faire enterrer dans la fosse commune, ce qu'on réservait aux « personnes de son genre ». On avait joint la famille, mais elle n'était pas décidée à lui payer des obsèques. Alors il n'avait qu'un vulgaire cercueil de bois, ses bras déchiquetés cachés soigneusement dans un costume noir, et il n'avait même pas été fleuri, par qui que ce soit. Qui fleurirait un cannibale ?
Puis, deux jours avant les obsèques, un certain Simon Laclos s'est présenté au poste. Il était assez massif, un peu potelé du visage, et bien coiffé. Des vêtements noirs de deuil avaient le rôle de l'habiller, et une expression contrariée ornait sa face. Contrariée ou douloureuse, je ne sais pas vraiment.
Il s'est présenté comme étant le cousin de Samuel, puis il m'a parlé, un long moment. Je pense qu'il cherchait davantage à se libérer de ses propres souvenirs qu'à vraiment faire excuser la personne qui l'avait poussé à se rendre ici.
« Avec ce que je lui ai fait vivre, je lui dois bien ça. Ce n'était pas quelqu'un de mauvais, finalement. On se connaissait mal. Mais j'aurais du, j'aurais du… », qu'il a dit. Je ne sais pas ce qu'il « aurait du », mais je suppose qu'il a pensé que je comprenais. C'est le principal, je crois.
Il a financé un emplacement et une pierre tombale à son cousin, qui portait les simples inscriptions « Samuel Laffont, 1931 – 1958 ». Mais c'était mieux, bien mieux que rien, et même si nous n'avons rien dit, je sais que l'inspecteur Bichon était aussi soulagé que moi.
On l'a enterré, un jour où il faisait chaud. Nous n'étions que quatre : moi, l'inspecteur, Simon et un prêtre qui lui a rendu quelques derniers sacrements et lui a accordé quelques derniers pardons. S'étant fait dans la totale discrétion, les journalistes avaient pu être tenus à l'écart, et lorsque nous sommes partis, le cimetière est retombé dans un silence de mort.
Tout n'était pas totalement fini.
Nous avions retrouvé ce qui restait du corps de Nathanaël, comme nous l'avait indiqué Samuel. Ses os reposaient dans une grande malle, soigneusement disposés dans un épais tissu de velours pourpre, et reformant à l'exactitude son squelette, allongé comme s'il reposait en paix. Pas besoin d'examens pour comprendre que ces os avaient été chéris, polis, nettoyés, adorés, comme de vieilles reliques.
Mais lui n'avait plus aucune famille pour lui financer quoi que ce soit. Ses parents étaient morts, et la femme qui s'était occupé de lui, Elisabeth, restait totalement introuvable.
Malgré moi, j'ai insisté auprès du cousin de Samuel. On ne pouvait pas laisser ses os éternellement dans une boîte de pièces à conviction, il fallait faire quelque chose. Après quelques réticences, Simon a fini par accepter. Sa pierre tombale a eu droit aux mêmes genres d'inscriptions que celles de Samuel, et il repose à présent, pour toujours, à côté du cadavre du seul amant qu'il eut jamais. Nous avons réussi à faire en sorte que Nathanaël et Samuel soient enterrés, côte à côte.
Je rouvre une dernière fois le dossier, relis quelques mots. Et je me surprends moi-même à me demander : serais-je capable de manger celle que j'aime, si celle-ci me le demandait ?
Je soupire.
Affaire classée.
/
Le mot de la fin : Hé bien, voilà… Merci d'être venu jusqu'ici, et merci d'avoir fait vivre Nathanaël et Samuel dans votre esprit. Je me sens toujours bizarre à la fin d'une fiction, particulièrement avec celle-ci qui me tenait profondément à cœur.
Je tenais à adresser un merci particulier à Leternelle Gamine, qui m'a encouragé et poussé à finir cette fiction, et qui est toujours là quand je veux lui raconter ma vie, à Lagoushka, Galie et Pinote007 qui m'ont reviewé fidèlement tout au long de cette histoire, à mon Cupcake qui me soutient et à mon Joker qui me lit de temps en temps. Je tenais aussi à remercier ma famille, mon chien, blablabla, bref, le bon vieux discours de remise d'un oscar. Je plaisante, je remercie pas ma famille.
En espérant que cette fiction vous a transporté, même vous, lecteurs anonymes, qui me suivez sans rien dire ! Vous qui m'ajoutez en story alert, author alert ou favorite story… Merci.
A la prochaine fois,
Le Chat.