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Chapitre XLIV. Alea jacta est

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Vendredi 30 août – Jour J -4

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Lucas a renoué avec les courses matinales à Rungis. Et les marchandages avec les maraîchers, sous l'œil attentif et aimant de Rémi. Depuis plusieurs semaines, son homme y a été avec Fabrice et Christophe, puis avec ce dernier seul qui, dorénavant, fera son marché avec Rose-Laure. Par plaisir, il a prolongé leur errance dans les différents pavillons, terminant par celui de la fleuristerie qu'il aborde chaque fois avec la même émotion. Appuyé contre Rémi, il a humé avec avidité la senteur inimitable des fleurs mélangées. Cette odeur qui le saisit à la gorge, au cœur, aux tripes. Est-ce le parfum des lys ou celui des roses qui domine ? Cette odeur à nulle autre pareille évoque irrésistiblement sa mère et le transporte en la boutique de son enfance. Rémi a noué leurs doigts, Lucas s'est cramponné à lui, s'est repris à son contact, ravalant ses larmes. Saura-t-il un jour...? Il craint que non.

Son compagnon l'a entraîné vers les plantes, le poussant à en choisir afin d'humaniser le service administratif. Et pourquoi pas la salle commune, avait-il ajouté. Conscient de la tendre manœuvre de diversion, il l'a suivi. Pour son bureau, Rémi lui a offert une magnifique calathéa qui l'a séduit et qu'il trouvait chère. Son somptueux feuillage, parfaitement ovale, marqué de lignes foncées, de festons clairs bordés de pourpre a la particularité de se refermer, avec un léger bruit de froissement, le soir venu et de se redéployer fièrement à la naissance du jour. Calathéa, fille de l'ombre des forêts tropicales. à la fois étrangère et familière. Il y en avait une à l'appartement qu'il a quitté à dix-huit ans sans un regard en arrière. En colère, plein d'amertume et de révolte. Il savait bien peu qu'il regretterait les vestiges délaissés.

La main sur la cuisse de Rémi, les yeux dans le vague, il traverse Paris. Il pense à Elle qui sera l'unique femme de sa vie.

— Mon amour ? s'enquiert Rémi.

— Je suis là, répond-il en souriant. J'ai de la chance, tu sais. J'ai, grâce à ma mère, quelques beaux souvenirs d'enfance. Prends la rue, là à droite, enjoint-il dix minutes plus tard. Arrête-toi ici. Tu viens ? Nous avons un achat à faire.

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Assis devant son écran, Lucas corrige ce qu'il a écrit le soir précédent. Il jette fréquemment un coup d'œil sur sa verdure en pot. Ou sur un point précis dans le jardin. Le banc de l'autre côté de la pièce d'eau. De temps en temps, un rayon de soleil y accroche un éclat de lumière indigo. Étrange.

— Danseur ? Encore sur ce site ? se récrie Sacha.

— Je relis.

— Rémi ne vient pas avec nous ?

— Il nous rejoindra là-bas. Nous n'avions pas terminé l'approvisionnement chez les grossistes. Il nous ramènera vers treize heures pour accueillir les vidéastes. Ton père et Helmut surveilleront les jeunes.

En effet, leur ami tient à découvrir au fur et à mesure l'univers de Lionel et a voulu l'accompagner.

— Toi, tu es allé à Rungis, soupire Sacha.

— J'apprécie ça, Sashka. Réellement.

— Te lever à quatre heures du matin aussi ?

— Il y a malheureusement un envers et un endroit aux choses, se moque Lucas tendrement. Merci d'être là, de t'inquiéter de moi.

— Les plantes que tu as ramenées sont très belles. Les palmiers dans le hall apportent une touche légère et élégante. Celle-là est étonnante. Magnifique mais étonnante. Elle a une sorte de sensualité. C'est con de penser ça d'une plante, grogne Sacha en contemplant la calathéa.

Le changement de sujet est trop brusque pour paraître naturel. Que se passe-t-il ?

— Elle est spéciale, tu verras. Elle n'est pas difficile. Pas de soleil, pas de courant d'air et le terreau toujours humide, résume Lucas. C'est tout.

— On va prendre un café ? La plupart des élèves sont en train de déjeuner à la cafétéria. Le car est prêt et n'attend plus que ses passagers. Tu as mangé ?

Lucas ne proteste pas et se laisse entraîner. Dans le parc, une petite fille aux boucles cuivrées tourne autour d'un vélo bleu rutilant appuyé contre un banc.

— C'est toi ? interroge Sacha.

— Chut..., murmure-t-il en souriant.

Son enlacement le prend par surprise. Sacha le serre contre lui avec fougue, le visage en son cou. Lucas sait maintenant que les tiraillements dans son couple le blessent et que cela, ajouté au stress actuel, fait qu'il a besoin de lui. Il referme ses bras, lui rend son étreinte avec la même ardeur, caresse son dos, ses épaules, passe les mains dans ses cheveux.

— Tu es exceptionnel, mon Sashka. Tu sais que sans toi..., chuchote-t-il tout contre la peau blonde.

— Et moi, je ne vis pas sans toi, souffle-t-il. Je ne danse pas.

— Je serai toujours là.

— Dire qu'elle croit que je ne t'aime pas, raille-t-il les deux mains sur sa nuque, son front contre le sien.

— Elle a sept ans. Viens.

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Depuis treize heures trente, ils sont envahis par l'équipe de Yann le Gac. Il n'y a pas un coin qu'ils n'aient exploré. Les salles, les classes, les bureaux, la salle Jorge Donn avec son foyer, les coulisses et les loges. Puis le parc, les ateliers... Il est plus de seize heures, ils n'ont pas fini. Les élèves rentrent fatigués du stage, pourtant les vidéastes veulent les voir répéter sous sa direction. Il se plie à leur désir. Ils ont la volonté de bien faire les choses, autant en profiter.

Lucas a planifié le shooting photos à dix-sept heures croyant qu'ils seraient partis depuis belle lurette. Les deux vont se chevaucher. Pour les élèves manquants, une seconde séance est prévue mardi tôt. Florent a amené son associé, ils ne seront pas trop de deux en effet. Déjà, ce matin, ils ont fait une importante série de clichés à l'académie Fratellini. L'atmosphère qui règne là-bas a séduit Lucas. L'application, la recherche de la perfection, dans une dérision perpétuelle. Avec des rires, de la musique entraînante. Oui, il a aimé. Il a discuté des étudiants avec les artistes de cirque. Diego notamment qui les a guidés pour les acrobaties et viendra les aider à mettre au point celles de la scène de La quête. Leurs conclusions sont à ajouter au dossier de Michel Gascard. Avant même de travailler avec eux, il a une sorte de portrait robot de chacun qui ne sera qu'indicatif. Une analyse impartiale est la bienvenue, mais il se forgera sa propre opinion au fil du temps. S'il s'était fié à ce que Gil pensait de Matte, il ne serait pas parmi eux.

Entre photos et vidéos, ils ne savent pas où donner de la tête. Cela crée une sacrée pagaille. Soudain, lui vient un trait de génie. Après une courte répétition de Fleur de R'âge sous l'œil bienveillant de Jorge Donn, divinité tutélaire des salles de l'école, il rassemble son petit monde, titulaires, stagiaires et élèves, dans la grande salle du premier étage.

— Programmes libres !

Malgré que ce soit inattendu, la plupart se précipitent vers leurs sacs, d'autres vers la sortie. On les entend dégringoler les escaliers quatre à quatre ou courir vers le dortoir à la recherche de leur musique. Sa marotte est maintenant archiconnue. Il en tire de tels bénéfices qu'il n'est pas disposé à y renoncer de sitôt. Il faut, pour le site, des photos en solo. Lors d'une séance ultérieure, les deux compères transformeront une classe vide en studio pour des poses glamour. Très sages, ont-ils précisé. Enfin, en extérieur, avec la complicité de Dorian et Arnaud dont ils porteront les créations, ses danseurs se métamorphoseront en mannequins de mode. Les jardins avec la pièce d'eau, la chapelle et les majestueux bâtiments de l'hôtel des Perrière à l'arrière plan feront un décor de rêve, ont déclaré les artistes. Pourquoi pas. Il veut voir. Ici, ce seront uniquement des instantanés de mouvements. Les cinéastes, eux, y trouveront un autre cadre et, espérons-le, des prises de vue originales. Yann, qui excelle autant en audiovisuel qu'en danse, supervisera le montage. Il lui fait entièrement confiance. À raison de deux minutes en moyenne par exécutant, ils en ont pour un long moment. La facture sera en conséquence. Assis en tailleur sur le sol, il regarde les danseurs mordre à belles dents dans des univers bien différents. Cette richesse l'enchante.

Naïma l'attendait à son retour de l'académie. Elle apprécie l'enseignement reçu, les extraits des ballets entraperçus. L'ambiance détendue lui est on ne peut plus agréable et elle est prête à fournir des efforts dans le but de demeurer parmi eux. Eric Vu-An se tenait à ses côtés alors qu'elle débitait ces diverses amabilités. Il n'a rien à lui reprocher autre que les éléments dont il était au courant dès le départ. Avait-il le choix ? Si Sacha n'approuve pas, lui a son idée. Cependant, prendre une décision contraire à son avis ne l'enchante guère.

Il étudie Naïma pendant qu'elle évolue sur une chorégraphie de Julio Arozarena qu'elle a certainement préparée avec Eric. Oui, cela pourrait marcher. Il y tient à son tableau sur "Better Days". Il l'a créé en songeant à Etienne, il fera les modifications indispensables pour qu'une femme s'y sente à l'aise. En principe, les improvisations sont terminées. Il ne reste que Sacha et lui. Pourtant, ce n'est pas ainsi qu'il l'entend.

— Gabriel ! À toi !

— A moi ? s'exclame stupéfait l'adolescent qui les a accompagnés toute la journée. Mais...

— Chut ! Tu as une musique préférée ?

— J'aimerais essayer ce que tu dansais ici. Tu sais, Queen...

— D'accord, tiens ! répond-il en fouillant dans son sac et en lui tendant une clef USB. Admire, souffle-t-il.

Gaby s'approprie "Bohemian Rhapsody". Réalisation difficile due aux changements de rythmes et d'univers. Freddy Mercury était un sacré bonhomme. Gabriel a noté une partie de la chorégraphie qu'il a imaginée. Une partie seulement. Guidé par la musique, il dérive rapidement en son propre monde.

— Sashka ? murmure-t-il.

— Déjà la relève ? interroge ce dernier avec une grimace.

— Ce solo, je le crée pour toi. Pour quelle circonstance ? Je l'ignore. J'en avais la nécessité hier soir après que tu sois parti. Peut-être à cause de ma mère et de ce que dit cette chanson. Rungis, c'est ça aussi. Avant même de m'y rendre, les souvenirs m'assaillent. Suis-je devenu celui qu'elle aurait voulu ? continue-t-il alors que Sacha, la mine grave, l'attire vers lui.

— Elle aurait été fière de toi, mon Lucas. N'en doute pas. Tu es un être magnifique.

Un bref instant, il s'appesantit contre le corps blond, pose son front sur l'épaule solide.

— Intrigué par le raffut à cette heure tardive, Gaby est venu me regarder faire et en a retenu une partie. Ne me fais pas la gueule, Sashka, chuchote-t-il. Surtout pas en ce moment. Tu étais réticent pour Naïma et, de mon côté, j'étais coincé. Passons à autre chose, veux-tu ? Il nous faudra des danseurs. De grands danseurs. Observe-le. Nous sommes là tous les deux afin d'enseigner. Ensemble. Il n'a que seize ans. Son interprétation traduit toute la force, toute la couleur du monde avec une poésie incroyable, s'exalte-t-il. Il est extraordinaire. Tu le sais.

Son voisin soupire.

— Je sais, admet-il. Je sais aussi que tu n'es pas rentré dormir malgré ta fatigue et que tu t'es levé tôt alors que tu m'as promis d'être prudent. Rapport ? Aucun je suis d'accord avec toi mais ça me plaît moins encore que l'engagement de Naïma.

Comme personne ne l'interrompt, Gabriel danse les six minutes que dure le morceau.

— J'avais besoin de prendre du recul, avoue Lucas. Créer m'a fait du bien. Superbe, Gabriel. Tu deviendras un merveilleux interprète, lance-t-il au garçon qui tourne vers eux un visage incertain. À nous.

D'autorité, il saisit la main de Sacha, le tire à sa suite. Il avait l'intention de tenter seul une valse composée par Angel Cabral, "Que nadie sepa mi suffrir", reprise des années plus tard par Edith Piaf sous le titre français "La foule". Il ressent le besoin qu'a son flamboyant d'un échange, d'une communion. Oui, c'est vrai que lui aussi... La mélodie arabe les envahit. Ils vivent "Les illuminations" en symbiose pour la première fois devant la troupe, les étudiants, des vidéastes et des photographes. Lorsqu'il veut arrêter, Sacha le retient et ils vont jusqu'au bout. Ils le dansent depuis maintenant presque un an. Pas souvent, c'est vrai. Peu à peu, ils ont modifié certains enchaînements dans l'idée de le présenter un jour. Ils sont prêts. En harmonie. "Boléro" est à Rémi, "Les illuminations" à Sacha. Sacha qui a uni leurs doigts à la fin et les serre, ainsi qu'il le fait en représentation. Qu'il soit danseur ou chorégraphe, toujours, Lucas salue la main nouée à la sienne.

— Tu me manques, murmure Sacha avant de l'abandonner.

Pourquoi croit-il qu'il crée pour lui ? Il est con parfois. Ils avaient pris l'habitude d'être perpétuellement l'un avec l'autre. Depuis lundi, conscient qu'ils s'étaient rapprochés encore plus depuis son malaise, Lucas s'est éloigné, à contrecœur il est vrai, afin de laisser plus de place à Matte. Décision unilatérale qui, manifestement, n'est pas du goût de Sacha. Rémi a accordé sa confiance à Christophe, ce qui lui a permis de lui consacrer du temps, au détriment même du Motus. Après les ateliers cirque, Matte a renoncé à sortir seul avec les élèves pour être souvent collé à Sacha. Il y a eu les leçons, cette histoire des divers déménagements, le début des répétitions. Il a essayé de créer. Bref, ils se sont beaucoup croisés sans vraiment passer du temps ensemble.

— Toi aussi, répond-il à voix basse alors que son soliste ne peut plus l'entendre.

Sacha se retourne, leurs regards s'accrochent. "Je suis là".

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Samedi 31 août – Jour J -3

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Il fallait décompresser, ils sont de sortie. La semaine précédente, harassés, ils s'étaient contentés de prendre un verre à leur propre terrasse avant d'aller sagement se coucher. Ce soir, ils se cantonnent au Dean's. Besoin de cohésion. D'un endroit familier. Rassurant. Les élèves ayant choisi d'aller dans des clubs à la clientèle plus jeune, à la musique plus puissante ou plus infernale selon les goûts les rejoindront ici après une orgie de décibels.

La nouvelle compagnie a vécu leçons et répétitions dans le calme. Le calme avant la tempête. Lucas n'a jamais été autant fébrile. Aussi incertain. Pourquoi ? Mardi n'est qu'une date symbolique. Le ciel ne leur tombera pas sur la tête. Ce qui n'a pas été fait aujourd'hui, le sera demain. Après tout, ils sont pratiquement prêts. La peur d'être encore en travaux, de ne pas avoir organisé les bureaux est dépassée. Tout le monde a fait de son mieux. Il faut positiver. Les pensées affluent mais il a beau se raisonner, tenter de faire bonne figure, ça ne marche pas.

Oui, c'est vrai, ce n'est que le début de l'aventure, perspective à la fois exaltante et effrayante. C'est l'assurance d'être soutenu qui l'apaise. Il a vingt deux ans, bon sang. A-t-il les épaules assez larges ? Pourquoi là se sent-il à ce point vulnérable ? Il effleure la main de Rémi du pouce, jette un coup d'œil vers Sacha qui discute avec John, Matte blotti en son étreinte. Est-ce la proximité immédiate d'Eric Vu-An qui le tient éloigné ? Ou simplement le recul que lui a imposé. Lucas entreprend de satisfaire la curiosité de son voisin niçois sur l'itinéraire de la tournée.

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Entre les bras de Rémi, il danse un slow, joue contre joue selon l'expression consacrée. Corps contre corps serait plus juste. La bouche de son chéri cherche la sienne. Malgré son état d'esprit inquiet, ses baisers l'émeuvent comme au commencement de leur relation. Il se presse sur lui et son bas-ventre réagit. Rémi rit doucement de ce rire bas, un peu rauque qui traduit son désir et le bouleverse, son souffle vient chatouiller son oreille et chamboule ses certitudes. Sûr de ses caresses, de son pouvoir sur ses sens, quelle attirance son homme exerce sur lui.

— J'aime ton envie, mon amour. Mais nous ne sommes qu'au milieu de la soirée. Comment vas-tu attendre ? chuchote-t-il en palpant audacieusement le creux de ses reins.

— Je vais en draguer un autre, se moque Lucas avec un détachement qu'il est loin d'éprouver.

A la fin du morceau, après un dernier câlin, un sourire provocant, il le quitte.

— Viens danser.

— Lucas ! Non ! Je...

— Chut. Laisse-moi faire. Tiens ton fauteuil d'une main et moi de l'autre. Change lorsqu'il le faut. En ce qui concerne le reste, fais moi confiance. OK ?

Il lui a fallu longtemps pour décider Joffrey à les accompagner au Dean's. Depuis son accident, il s'est transformé en ermite. Il ne l'a eu qu'à l'usure. Il désire que ça se passe bien. Il a visionné plusieurs vidéos de danse en chaise roulante, examiné sous toutes les coutures la "carriole" de l'informaticien ainsi qu'il la surnomme lui-même, il ne veut pas commettre de bêtises et le mettre dans l'embarras. Il y va prudemment au départ, se sert des accoudoirs, des poignées du dessus afin de le diriger ou le faire tourner. Son pied sait toujours où est le frein. Quand il le peut, il pose une main sur son épaule, son bras, sa nuque. La danse est avant tout un contact humain. Le jeune paraplégique d'abord crispé semble se détendre peu à peu.

— Tu vois, lui glisse-t-il en se penchant, c'est possible. Dans peu de temps, on dansera le rock ensemble, tu verras. Je suis fou de cette chanson, s'exclame-t-il lorsque les premières notes de "Wicked Game" de Chris Isaak retentissent. Ce sera Notre chanson..., plaisante-t-il.

— Tu es complètement fou, mais je t'adore, s'écrie le webmaster.

Lucas éclate de rire.

— Tu me fais du bien, Jo, assure-t-il gravement. Après, on se met à la rumba.

C'est pourtant une ancienne bossa-nova que Keza programme ensuite. Sur le rythme brésilien, il se familiarise avec l'encombrante chaise. Avec le sourire. Pas question que Joffrey pense que c'est pénible.

— Quelle manie de monopoliser les beaux garçons, gronde une voix basse. Chacun son tour !

Lucas serre l'épaule de Joffrey et lui adresse avec un clin d'œil.

— Je te laisse en de bonnes mains, commente-t-il.

Manu prend la relève.

— Joffrey est gay ? interroge Naïma quand il se rassied.

— Non, rétorque-t-il en se demandant l'importance de la chose. Simplement, il aime danser. Pourquoi s'en priver ? Différent, c'est vrai, mais mieux que rien. Il aura moins l'impression d'être sur la touche. Ce n'est pas évident d'apporter l'impulsion au fauteuil quand c'est un peu rapide, encore moins de le retenir lorsqu'il a pris de l'élan. C'est plus aisé pour un homme.

Naïma lève les yeux au ciel. A travers les quelques conversations qu'ils ont eues, il a noté qu'elle est une féministe convaincue. Sa remarque doit l'agacer.

— Si tu veux t'y essayer, la défie-t-il.

Son expression dit qu'elle n'y manquera pas. Gagné. Il rit. Elle fait la moue.

— Tu es quelqu'un de spécial, Lucas, constate Eric en posant une main amicale sur son épaule. Tu es l'une des plus belles rencontres que j'aie faites.

Rémi l'a attiré à lui dès qu'il est revenu. Il le sent se raidir. Ses doigts, telle les serres d'un oiseau de proie, agrippent sa taille au point de la meurtrir. Il sursaute sous la douleur.

— Plaisir réciproque, Eric, répond-il avec sincérité. Je comprends que Patrick, Manu ou Lionel soient contents de te retrouver sur la tournée. Tu te montres parfois un tantinet trop sérieux, raille-t-il, mais j'apprécie infiniment ta générosité dans le partage. Tu as une carrière, une expérience que tous t'envient et tu es resté fidèle à toi même. J'espère que j'y arriverai.

— Autant que Patrick, j'ai commis des erreurs, Lucas, qui m'ont enseigné l'humilité. Je crois que je vais faire danser ce jeune homme moi aussi. Avant que Ménier m'étripe, souffle-t-il en se baissant vers lui afin que Rémi ne l'entende pas. Tu as le chic pour susciter la jalousie chez tes hommes.

Ses hommes... Quelle blague. Lucas soupire avant de se dégager de l'étreinte de son chéri et de se diriger vers les toilettes. Le miroir offre le reflet de ses cernes sous les yeux, de sa peau fatiguée, de sa bouche maussade. Il y a des soirs où rien ne va. Il s'appuie contre le lavabo. La porte s'ouvre, se referme derrière lui.

— Tu vas trop loin, murmure-t-il sans relever la tête.

— C'est le mec de trop, proteste Rémi. Je vois ta tendresse, les sentiments forts que tu éprouves envers Sacha. Il ne cache ni l'amour inconditionnel qu'il te voue, ni sa jalousie lorsque quelqu'un t'approche. Après l'épisode de Michel et sa tentative d'assassinat à la salle Jorge Donn, le monde entier est au courant qu'il est prêt à sacrifier sa vie pour toi. Je n'en supporterai pas plus. Je refuse d'ajouter Eric Vu-An à l'équation.

— Bon sang, Rémi, je ne suis pas une sirène que je sache. Je n'attire pas tous les marins qui voguent à proximité. Il a suffi d'une stupide provocation lancée il y a des mois pour m'amener les pires soupçons. D'accord, ce n'était pas malin, mais tes réactions sont disproportionnées. C'est ridicule. Dès qu'Eric est dans les parages, tu te mets en position de défense. Il a quelqu'un dans sa vie depuis des années. Qu'il aime. Auquel il est fidèle. Est-ce anormal ? Doit-on supposer que tout le monde trompe tout le monde ? Les sentiments que j'ai pour toi n'ont donc aucune valeur ? Mes serments pas plus ? Si ? Alors pourquoi ?

— Lucas ?

— Oui, Joffrey ?

— Tu peux m'aider ?

— Bien sûr. Tu surveilles qu'on soit tranquille ? demande-t-il à Rémi.

Le Dean's n'a pas de toilettes pour handicapés moteurs. Il y en a dans très peu d'établissements. Heureusement, la porte permet le passage du fauteuil, ce n'est pas le cas partout. Il le soulève sans grande difficulté, Jo n'a pas un gabarit de catcheur et Lucas a l'habitude de porter les danseuses. Au service administratif de la compagnie, ce n'est pas la première fois qu'il lui épargne d'aller jusqu'à la salle Jorge Donn pour ses besoins. Les sanitaires adaptés seront finis début de la semaine. L'opération terminée, il conduit ensuite le fauteuil à côté de l'évier pour en faciliter l'accès.

— Tu t'amuses ?

— Oui et je te le dois. Vos histoires ne me regardent pas mais j'ai surpris, sans le vouloir, vos dernières phrases. Vous avez énormément de chance de vous être trouvés. Ne la gaspillez pas. La vie est courte. Tes gamins viennent d'arriver, achève-t-il en se pivotant vers lui. Une belle femme m'a invité à danser, il faut que j'y aille...

— Naïma est lesbienne, Jo.

— Je sais. Je ne suis pas prêt, tu sais. Je reprends à peine le cours de ma vie. Mais, même si j'apprécie tes déhanchements, le popotin d'une femme, c'est... Enfin, tu vois. Et celui-là est particulièrement appétissant. Allez, on m'attend.

— Lucas.

Il soupire avant de se tourner vers Rémi.

— Je suis désolé. Je crains de te perdre. Il y a, là, tant d'agitation dans nos vies. Des gens qui y entrent et y prennent de la place. Énormément de stress. Cela n'aide pas à prendre du recul.

— C'est valable des deux côtés. Tu es toujours aussi séduisant, toujours aussi charmeur. Et malgré que nous soyons ensemble, tu aimes toujours autant plaire. Je ne suis pas aveugle mais j'ai confiance. Mes craintes sont ailleurs. J'ai peur d'être mardi, Rémi. Peur de l'avenir. Crois-moi, j'ai autre chose en tête que te tromper. Et avec Eric, en plus !

— Je sais. Je connais l'importance qu'ont les promesses pour toi. Nous, si fusionnels, nous nous sommes un peu éloignés et je crois que je l'ai mal vécu.

Son Rémi est mal à l'aise, chagriné. Lui n'est pas vraiment en colère. Plutôt las. Il ne sait comment sortir de cette situation. D'habitude, en entendant les compliments d'Eric, son compagnon aurait levé les yeux au ciel et poussé un grognement agacé. Un malaise transparaît en ses propos. Il ne croit pas l'avoir négligé. Il a accompli sa tâche.

— J'ignore quoi te dire, avoue-t-il. Nous ne nous sommes pas éloignés, non, nous avons été surchargés de travail. Simplement. Au Motus, la période des vacances et ses touristes t'ont tenu derrière tes fourneaux. Parallèlement, tu t'es consacré à la mise en place de la cuisine de la cafétéria. De mon côté, il y avait la naissance du Béjart Ballet Paris à préparer. La présence imprévue des élèves à gérer. Nous savions que ce ne serait pas facile. Peu à peu, tout revient à la normale. Nous étions si bien ces derniers jours, si contents de nous retrouver. Il y aura encore des moments d'intense activité. Lorsque nous allons nous regrouper avec les compagnies extérieures pour la neuvième de Beethoven, par exemple. Tu ne me perdras pas. Je t'aime. Au contraire, ton soutien me sera nécessaire plus que jamais. Je fais mon possible afin de te seconder au Motus, tu le sais. Cela ne suffit pas, semble-t-il. Il y a longtemps déjà, je t'avais mis en garde contre ta jalousie excessive.

— Excessive ? Toi aussi, tu vas trop loin, se récrie Rémi. Tu en fais une affaire d'état ! Peu ont la muse de leur mari au milieu de leur couple. Peu sont conscients de devoir partager l'homme de leur vie. J'admets ta relation avec Sacha, différente, oui, mais étroite, crois-moi, ce n'est pas facile à vivre. Votre complicité, votre tendresse, votre forme d'entente implicite, d'intimité même. A ma place, l'accepterais-tu ? Je suis certain que non. Je le supporte pour toi, parce que tu en as besoin à tes côtés dans la danse. Tu peux bien oublier ce petit mouvement d'humeur. Une simple réaction épidermique. Non ? Serais-je l'unique à faire des efforts afin que nous ayons un devenir commun ?

Les rares disputes qu'ils ont eues, quasi toutes dues à la possessivité, l'ont marqué. Il a horreur que son amour élève la voix. Il ne le reconnaît pas. C'est un étranger qu'il a devant lui. Un étranger rebutant. Rémi doit s'en apercevoir car il se calme immédiatement et l'enlace. C'est le souvenir d'une envie d'un baiser lors d'un bal costumé qui referme son étreinte sur lui. S'il ne méritait pas sa vindicte ce soir, il n'est pas innocent. Que serait-il arrivé si Sacha n'avait pas fui ? Il ne veut pas y songer. Il s'alanguit sur le corps aimé, écrase sa bouche sur la sienne en un baiser plein de rage et de passion.

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Les étudiants ne sont pas venus seuls. Une bande de garçons et filles les accompagne. Étienne enlace ostensiblement une jeune tanagra mince, aux traits fins, aux formes androgynes. Très jolie en son genre. T'en fais trop, mon grand, pense-t-il avec affection. Il surprend sur lui le regard de Sacha et sourit. Son complice plisse les yeux, il s'inquiète. Une fois de plus. C'est vrai, il y a entre eux une relation unique. Sacha comprend directement lorsqu'il est mal. Il aura cette fois droit à un interrogatoire en règle, mais c'est tellement mieux que de l'indifférence. C'est valable pour son homme aussi qui le tire à lui. Faute d'espace libre, il s'assied sur ses genoux, se niche entre ses bras. Rémi le serre fort, Lucas pose ses lèvres sur les siennes. Si tous les deux ressentent encore une gêne à cause de l'algarade trop récente, ils l'occultent afin de ne pas gâcher la fin de la soirée. Son chéri caresse son visage du bout du nez, amoureusement. Il...

— Qu'est-ce que vous buvez ?

Est-ce que Matte le fait exprès ?

— Si j'attends que vous ayez fini, j'en ai pour un moment, rétorque-il à la question informulée qu'il a dû lire sur sa figure. Vous êtes perpétuellement collés.

Il en a du culot celui-là.

— C'est vrai que toi, tu te tiens à dix mètres de Sacha. Un jus d'orange.

Il a sous-estimé la capacité de répartie de son soliste.

— Je profite au maximum du peu que tu me laisses, lance-t-il.

Quelle soirée de merde. C'est une pression du bras de Rémi sur lui qui le retient de répliquer vertement.

— Ne cherche pas un affrontement dont tu ne sortiras pas vainqueur, beau diable. Sacha est un homme qui assume ses propres choix, affirme Rémi. Il est présent, prévenant. Vous vivez ensemble...

— Non ! Nous ne sommes pas seuls ! proteste-t-il. Il refuse de parler de l'avenir, de faire le moindre projet de vie à deux.

— Joaquin et Anh font partie de votre quotidien, oui. Sacha ne s'est jamais attaché à personne avant toi. Si tu veux avoir une chance de construire une vie commune, accorde lui le temps de découvrir qu'il tient à toi.

C'est dit sur un ton gentil, mais c'est dit. Il est étonné que son compagnon le défende après leur scène. Il noue leurs doigts. Rémi porte sa main à ses lèvres qui en effleurent la paume. Il frémit sous la caresse et, ému, en reste muet.

— Un problème ?

La voix de Sacha est rauque. Il a vu le geste sans l'ombre d'un doute et, après les baisers échangés devant lui, est certainement blessé de l'intimité étalée.

— Non, Sashka, répond-il alors que son cœur se gonfle de tendresse. Nous discutions du programme de demain. C'est au fond le dernier round avant la naissance du Béjart Ballet Paris. Lundi chacun jouira de son jour de congé. Tu es loin ce soir, ne peut-il s'empêcher de lui reprocher ce qui n'est pas, il le reconnaît, la plus intelligente des choses à dire en ces circonstances.

— Je suis toujours à tes côtés, déclare-t-il gravement avant de fixer Matte, d'un air déterminé.

Manifestement, Sacha n'a pas cru sa version.

— Tu peux te libérer après-midi ? reprend Lucas comme s'il n'avait rien vu. J'aimerais avoir ton avis. J'ai créé un tableau pour Étienne, un pour Victoire et je vais voir ce qu'apporte Naïma à "Better Days".

— Je m'en occupe. Je pense que ce n'est pas une mauvaise idée si tu trouves les mots justes pour lui faire partager ton état d'esprit.

— Merci.

Il le remercie non de les convoquer mais d'oublier qu'il a engagé Naïma malgré son opposition. Ils s'adressent un regard de chaude complicité. Il soupire de soulagement.

— Tu as la commande de tout le monde, chéri ? s'enquiert Sacha auprès de son petit-ami. On y va.

— J'ai sans cesse l'impression qu'il me manque des données quand vous bavardez Sacha et toi, constate Rémi.

— Tu l'as entendu jeudi. Hier, j'ai fini par prendre Naïma dans la compagnie. Contre son avis. Ses raisons étaient un peu minces, il faut l'avouer. J'avais peur qu'il me fasse la gueule. Pour le moment, je n'ai vraiment pas besoin de ça.

— Il t'aime bien trop pour t'en vouloir, bougonne son chéri. Viens danser.

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Dimanche 1er septembre – Jour J -2

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Avec un soupir de félicité, Rémi s'étire contre le flanc nu de son amant. Ils sont rentrés à l'aube, comme d'habitude le dimanche. Sachant qu'ils pourraient se lever tard, ils se sont aimé longuement avant de s'endormir. Il a tenu à se faire pardonner son attitude impulsive, a déployé sa science amoureuse pour la volupté de son chéri et en a tiré aussi beaucoup de jouissance.

Peut-être, ainsi que l'a insinué Lucas, a-t-il une part de responsabilité dans leur manque de symbiose des dernières semaines. Une période plus calme débute au Motus, aussi a-t-il décidé qu'ils se passeraient de lui au service de ce midi. Dès demain, il devra être pleinement assidu dans sa cuisine puisque Patricia et Renaud seront en vacances. L'absence de Sébastien et Nicolas va créer un fameux vide en salle. La présence de Lucas sera nécessaire. Travailler avec Flo qui remplace Nicolas lui fera certainement plaisir. Il a pris note des reproches cachés derrière les phrases de Lucas. Il fera son possible afin d'être souvent à ses côtés au bar. Il caresse une hanche, la rondeur d'une fesse. La peau, moite de sommeil, est douce à ses paumes.

Christophe sera livré à lui-même dès mardi. Aujourd'hui, la cafétéria est fermée, son équipe au complet sera aux fourneaux du Motus ce soir. Le jeune cuisinier a énormément à apprendre cependant il apprécie son travail et a à cœur de s'améliorer. Il comprend vite et a de l'imagination pour renouveler ses plats.

— Tu as terminé de gigoter ? se plaint son chéri. Quelle heure ?

— Midi dix.

— Déjà !

Pourtant Lucas l'entoure de ses bras, de ses jambes, niche sa tête en son cou et s'apprête à continuer son somme. Il effleure le creux de ses reins, ses épaules, écoutant sa panthère pousser de légers ronronnements de contentement. Dieu, qu'il l'aime. Il lui accorde encore quelques minutes, après il leur restera juste le temps de s'habiller, de manger une chose ou l'autre avant d'aller à l'hôtel des Perrière. Lucas a rendez-vous à quatorze heures avec les élèves. Et Sacha.

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Sous le regard impavide de Jorge Donn, Rémi retrouve avec satisfaction la salle de danse de l'école. Non le plancher sous ses pieds, mais les gradins sous son postérieur. À ses côtés, son compagnon, une main posée sur son genou. Sa fonction de cameraman l'attend. Lucas a raison, peu à peu tout reprend sa place. À commencer par lui.

— Victoire. Tu feras le tableau avant le final. Un solo sur une musique de Mychael Danna, extraite du film "Transcendance". Je l'ai choisie dans une version orchestrale, au violon électrique. Je voudrais que tu y exprimes la joie de vivre, le plaisir de recouvrer la liberté. Le rythme est rapide et c'est une chorégraphie comportant multitude de pas compliqués qui exigent de la précision, de la vivacité, de la grâce. De beaux sauts également. Tu t'en tireras à la perfection. On va voir ça de suite après.

— Seul ? s'enquiert l'adolescent qui semble effaré par la nouvelle.

— C'est un solo, Victoire. C'est rarement à plusieurs, se moque gentiment Lucas.

— ...

— Étienne. Kevin. Pour vous "Adventure of a Lifetime" de Coldplay. Un pas de deux que vous danserez ensemble. Créature magique en voie de disparition, Étienne, tu es le passé, Kevin symbolise l'évolution et ton futur. Un futur que tu repousses avant de l'accepter dans la douleur parce qu'inévitable. Beaucoup de portés. Beaucoup de sauts jumelés et simultanés. Il me faut une entente parfaite, de belles attitudes, de la vigueur et du sentiment.

Rémi aperçoit Kevin esquisser un sourire ravi qu'il ravale promptement de peur qu'Étienne le voit et l'interprète à sa façon.

— Avec un garçon ? s'étonne ce dernier.

— En effet. De nombreux grands duos sont masculins. Bien qu'ils soient moins aériens, cela demande plus de force au niveau des portés. Cela te convient ?

— Oui, murmure Etienne qui, pour une fois, a perdu sa gouaille.

— Naïma. "Better Days" de Supertramp est à toi si tu te sens concernée par la lutte suggérée : le combat pour un avenir meilleur. Je veux percevoir la volonté, l'enthousiasme. C'est un rôle de rebelle, de chef de file, pas de femme soumise. La chorégraphie impose du dynamisme, presque de la hargne. Tu auras tous les étudiants derrière toi. Anh et Joaquin compléteront le nombre de garçons. Trente personnes.

La soliste hoche la tête.

— Tu m'as vite cernée, constate-t-elle.

— Je suis loin d'avoir tout découvert. J'espère que tu vas t'évader de ce carcan britannique qui t'encombre. Tu dois te révéler, t'épanouir. Je vous ai envoyé vos musiques. Vivez avec elles. Du petit déjeuner au coucher.

— Tu me montres un petit bout ? implore Victoire.

Ce métis de dix-sept ans est un garçon adorable. Serviable, très sociable, toujours gai. On pourrait même le croire insouciant. Là, il a l'air tellement désorienté. Il le voit, son Lucas en est tout attendri.

— J'ai créé chaque pas pour toi. Pas pour moi, raille-t-il.

Cependant, il se lève avec un clin d'œil à Victoire, se plonge en son carnet pendant que Sacha s'occupe de la sono. La démonstration était prévue. Lucas s'accroupit devant le plus jeune de la troupe et le rassure.

— Victoire. Je ne réclame pas l'impossible. Parfois, vous n'êtes pas conscients, vous-même, de ce que vous avez en vous. Je t'ai vu danser plusieurs fois. Cet emploi tu peux l'endosser sans aucun doute. Tu devras le travailler bien sûr mais tu y seras exceptionnel. Regarde. Vas-y, Sashka.

Un feu follet traverse la salle de danse. Rémi filme son compagnon qui danse la joie. D'autres élèves et danseurs sont venus s'asseoir et observent ébahis la prestation de Lucas.

— Si Vic y parvient, moi je suis Napoléon, grogne derrière lui Charly.

— Achète-toi le bicorne dès maintenant, se marre Kei. Il y réussira.

— C'est toi son parrain ? questionne Rémi.

— Oui. Avec son empathie habituelle et, tout en tenant compte des rôles déjà confiés dans le but de faciliter les répétitions, Lucas a choisi les apprentis qui répondent à notre caractère et nous au leur. Un vrai tour de force. Vingt-deux danseurs titulaires pour vingt-huit pupilles. Les moins aguerris n'ont qu'un novice en charge, les plus chevronnés, dont je fais partie, deux. Sacha et Lucas n'en ont pas pris. Ils dirigeront le travail par groupes avec Patrick, Jan et Lionel. J'ai justement Charly, précise-t-il en en se retournant vers lui en souriant, et Victoire. La liste sera affichée dans le couloir B et dans la salle commune. Ainsi que les horaires des cours, des répétitions, avec les locaux prévus. Lucas a tout calculé à la seconde près, se moque-t-il. L'itinéraire complet et définitif de la tournée figure lui dans le hall du service administratif.

— Il y en a du boulot avant de partir, grommelle un des derniers arrivés dont il a occulté le prénom.

— Oui, tu as raison. Nous débuterons par "Fleur de R'âge", "Le voyage du Maître", "Mozart-Tango", énumère Kei. Sans oublier "Boléro" dont vous dansez le rythme. Nous avons un mois pour être prêts. Les ballets suivants doivent être au point en mi-décembre seulement. Si Lucas a des idées pour la distribution des rôles, hormis ces trois tableaux, ils ne seront attribués que lorsqu'il aura vu tout le monde, ce qui est logique. Nous aurons alors au programme "La quête", "Concert de danse" et "L'âme du poète". Il a ajouté "Brel et Barbara" pour la tournée en Belgique. Le plus difficile : la neuvième de Beethoven au printemps à Vienne avec les danseurs de Manuel Legris. Puis l'ouverture à Avignon, les spectacles dans le midi de la France avec le ballet de Nice, à Marrakech avec l'opéra de Paris. Nous serons plus d'une centaine à chaque fois. Du jamais vu pour un aussi jeune chorégraphe.

— Étienne, c'est qui son mentor ? interroge Philippe, l'un des six.

— Benoît.

— Et moi ? s'enquiert Hermine.

— Manuel, ricane Kei.

Rémi retient un gloussement intempestif. Avec Manu, elle n'aura pas l'occasion d'arborer de grands airs ou de lancer des remarques déplaisantes, il la remettra à sa place avant même qu'elle s'y ingénie. La gamine s'apprête à protester puis se tait tout en lançant vers son homme un coup d'œil furibond. Le morceau s'achève par un passage plus posé, presque lent mais qui met en évidence toute la sensualité et l'anticonformisme de la création.

— Superbe. Quatre minutes quarante-cinq seul, c'est énorme, commente Léonard lorsque Lucas termine. Pourquoi ris-tu ?

— Parfois, c'est plus simple seul que dans un trio où tu dois trouver une harmonie avec des partenaires, rétorque Kei. J'ai entendu Lucas et Sacha évoquer un certain tango où tu remplacerais Loïs qui a beaucoup à faire dans les ballets de la saison prochaine et crois-moi, lui succéder sera ardu. Sous la direction de Lucas, il s'est vraiment épanoui. Il est singulier, exceptionnel. Tes associés : Jimmy et Bernard.

Léonard ouvre la bouche, la referme, l'ouvre à nouveau. Il a tout de la carpe qui tente de respirer en dehors de son étang.

— Tu seras suivi par Bernard, poursuit Kei. Notre Belge n'est pas bavard et te laissera parler tout ton soûl.

Emily adresse un regard en coin à son compagnon et, devant son air dépité, éclate de rire.

— Tu sais pour moi ? se renseigne Kevin.

— John.

— Yes ! s'écrie le garçon qui semble ravi.

— Et moi ? fait Amandine.

— Lisbeth, je crois. Désolé, je n'ai pas tout retenu. Le duo. Je me demande où Lucas désire en venir avec Étienne.

Que veut-il dire ? Sacha se plonge dans le carnet, discute avec Lucas, reprend la lecture des notes. Il opine de la tête. Son chéri fait des gestes, une pirouette. Sacha acquiesce.

— Incroyable. Ils vont essayer sans jamais avoir répété, constate Kei. Ces deux là ensemble sont extraordinaires...

Une rengaine agaçante que Rémi commence à connaître par cœur. Il voit Sacha lever les yeux au ciel puis enfin sourire devant la véhémence de Lucas.

— Kevin, continue Keisuke. N'oublie pas que tu prendras le rôle de Lucas. N'en perds pas une miette. Il vous enverra une copie de la vidéo que tourne Rémi mais rien ne vaut le direct.

— Lucas ?

— Sans l'ombre d'un doute, Lucas a confié la partie d'Étienne à Sacha, il lui correspond morphologiquement, certifie le soliste. Il se débrouillera mieux avec les portés qui ne sont pas la spécialité de Lucas.

La musique de Coldplay emplit la salle. S'il y a des hésitations, ils s'en tirent au début. Lucas donne des indications au fur et à mesure. Sacha rate plus ou moins un porté et Lucas, après avoir retrouvé le sol ferme cahin-caha, lui tape sur le crâne en riant. Cela devient de plus en plus laborieux et finit par ne ressembler à rien.

— Ils vont recommencer. Voyons le résultat. Réellement mieux, approuve le Japonnais.

En effet. Autant au niveau danse qu'au point de vue sentiments exprimés. Ils remettent ça encore. Là, nul ne souffle mot.

— Trois malheureuses fois, s'exclame Kevin à la fin. Regarde ce à quoi ils arrivent.

— Lucas rend parfaitement l'ambiguïté qu'il veut conférer à son personnage, je suis d'accord avec toi et Sacha la réticence du sien. Pourtant, malgré l'habitude qu'ils ont d'évoluer de concert, ça manque de fluidité. De cohérence. Tu as vu vendredi lorsqu'ils dansent "Les illuminations" ce que signifie le mot harmonie. Il y a un monde de différence. Chaque élan va au devant de l'autre. Il y a une alchimie entre eux magique sur une pièce très compliquée puisqu'elle a été créée par Jorge Donn seul. C'est la perfection vers laquelle vous tendrez, Étienne et toi, intervient John.

— Mon rôle est difficile, proteste l'Anglais.

— Les deux s'équilibrent. Les sauts de la fin, hauts, larges requièrent d'Étienne un regain d'énergie alors qu'il sera fatigué. A ce moment, tu devras toi forcer l'émotion afin de ne pas disparaître aux yeux des spectateurs. On travaillera ça.

— De qui étais-tu parrain la saison passée ?

— Noémie et Jimmy, répond le danseur étoile. Cette année ce sera toi et Mehdi que je n'ai pas encore vu.

— Étienne ? Kevin ? appelle Lucas. Qu'en pensez-vous ?

— Qu'on va devoir se lever tôt, plaisante le Normand qui a récupéré son bagout.

— Si on fait abstraction du contexte de La quête dont nous ignorons les détails, c'est un duo de séduction, juge Kevin qui paraît ravi de son après-midi. D'abord de la retenue, ensuite de la fougue après l'entente.

— Bien vu. Et beaucoup de sensualité, surtout de ta part. C'est pour ça que je t'ai choisi. Tu as de beaux gestes, Kevin. Le devenir d'une espèce se fait à travers les deux genres. Il faut percevoir en toi le yin et le yang, le féminin, le masculin. Un personnage plein d'ambivalence. John ?

Celui-ci opine de la tête. Il y veillera. Un léger sourire apporte une expression douce sur le visage de Kei. Qu'a-t-il vu qui lui a échappé ? Quoi que ce soit, à son habitude, le Nippon le garde pour lui.

— Naïma. À nous deux. Je ne demande pas une copie de ce que je viens de faire, explique-t-il après le morceau de Supertramp. Je le re-fu-se, scande son chéri avec fermeté. Tu es toi. Bien sûr, la chorégraphie est faite pour être respectée mais vous devez vous approprier les rôles. Je les ai créés pour des interprètes particuliers. Ils sont à vous. C'est valable pour tous. Je veux retrouver votre âme étalée sur scène, insiste-t-il. Vous et nul autre. Offerts en pâture au public.

— Ce solo a été imaginé pour Étienne, non ? l'interpelle Lu.

Quelle sale petite peste, se dit Rémi in petto.

— A la base, oui. Je ne le connaissais pas suffisamment. Dès que je l'ai vu danser "Ibiza Bar" de Pink Floyd j'ai réalisé mon erreur. Eh oui, je suis humain, j'en commets. Je tenais à ce tableau. L'un n'étant pas l'autre et encore moins une, je l'ai entièrement retravaillé pour Naïma. Demain est votre ultime jour de liberté, raille son homme. Profitez-en au maximum, après vous ferez partie d'une compagnie exigeante. Mardi, à dix heures précises, je veux voir tout le monde dans la grande salle de danse, au rez-de chaussée du bâtiment de la compagnie. Oui, vous aurez droit aux sempiternels discours et recommandations d'usage, dit-il alors qu'ils échangent des regards agacés. On essayera de faire court. Du moins moi. Exceptionnellement, il n'y aura pas de cours en matinée. Elle sera consacrée à une prise de contact avec vos professeurs, avec votre parrain ou marraine. Les élèves absents vendredi dernier poseront pour les photos pour le site internet dès neuf heures. Après un léger buffet, les répétitions, elles, auront bien lieu l'après-midi. Nous n'avons pas de temps à perdre. Avez-vous des informations sur vos camarades manquants ?

— Ils sont en chemin, répond Emily qui semble en contact avec la plupart, exceptés Serena et Steven qui prennent un vol Barcelone-Paris à l'aube. Rocca a pris un train en début d'après-midi de Bourges, Dieudonné celui de nuit de Marseille et est déjà à Paris. Où, je l'ignore. C'est un électron libre. Pas individualiste, non. Juste indépendant. Il sera là à la nuit de toute manière. Les parents de Mehdi vont le déposer ainsi que Nathan dans une heure environ dit son message, achève-t-elle en consultant sa montre. Asmaa et Camelia, pas de nouvelles.

— Le service au Motus ne va pas m'attendre. J'aurais voulu les voir à leur arrivée, grogne Lucas. Pour le logement du couple notamment.

— Je vais m'en occuper, décrète Sacha. Chut, le coupe-t-il en voyant que Lucas va protester. Fais ce que tu dois, je suis là. Dès que j'ai terminé, je viendrai au Motus avec ou sans eux.

Rémi voit la figure de Matte s'allonger. Ce n'était certainement pas ce qu'ils avaient prévu de faire de leur soirée. Il comprend pourtant la décision de Sacha ou celle de Lucas qui accepte d'un léger signe de tête. Accueillir les élèves est indispensable. Ce n'est pas non plus inhabituel. En un an, il peut compter sur le bout des doigts les soirs où Sacha n'est pas venu au moins prendre un café au Motus lorsqu'il était à Paris. Même absent, il s'arrangeait pour envoyer des textos ou discuter via internet, parfois brièvement, avec Lucas.

— Tu as fini les présentations ? demande Sacha à celui-ci.

— Heureusement. Soixante six, cela n'a pas été sans mal. Joffrey mettra en ligne les photos prises dès qu'il les recevra. Florent a promis de retoucher immédiatement les clichés qu'il prendra mardi. Son fameux shooting mode se déroulera vendredi prochain. Tu as vu Pascal et Akiji à la billetterie ?

— Oui. Ils ne jouent pas dans le même registre que notre jeune bimbo, hein ?

Lucas éclate de rire devant la mimique de Sacha qui bat des cils de façon exagérée, tout en ébouriffant d'une main sensuelle sa crinière de sable. Ils échangent un regard complice avant de se tourner vers lui. D'accord, Sacha est au courant de la drague de la demoiselle et de sa jalousie. Une fois de plus. Ils se confient vraiment tout, ces deux là, pense-t-il avec humeur.

— Ils ont l'air très bien. Aimables, apparence soignée. Très sérieux à la fois. Quand j'y suis allé, ils étaient en plein boulot, encodant toutes les informations de la saison dans des tableurs. Va, mon Lucas. Tout se passe très bien, le tranquillise Sacha qui l'attire à lui et pose un baiser sur sa tempe, ce qui le fait grincer des dents.

On dit que fondamentalement les gens ne changent pas. Ils font seulement des efforts, avant de retourner très vite au naturel. Sacha a-t-il toujours eu, caché en lui, ce côté roc qu'il lui découvre au fur et à mesure et sur lequel peut s'appuyer son homme ? Lorsqu'ils l'ont connu, il l'a jugé futile et égoïste. Avec un côté froid. Ayant plus d'envies sexuelles que de sentiments. Alors qu'il n'y a pas plus attentionné envers Lucas pour un sourire duquel il déplacerait des montagnes. Ce qui ne fait pas son affaire. Le soliste est trop attachant.

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Le second service est entamé quand Sacha pénètre au Motus avec dans son sillage quatre jeunes gens très différents physiquement : un Sud-Américain, un Togolais, un Français, un Berbère. Lucas a rédigé les portraits sur le site avec les renseignements qu'il avait sur leur parcours, sur leurs origines ou leurs études. Il complétera ou modifiera si nécessaire. Michel Gascard dans son dossier a complété chaque fiche d'une photo de carte d'identité qui ne rendait pas justice notamment au charme de Mehdi. Des yeux bleus limpides et des courts cheveux très blonds offrent un contraste étonnant avec la peau brune qui dénonce son ascendance berbère. Les traits de son visage ont la perfection des statues grecques antiques. Moulée dans un haut noué au dessous de la poitrine, exhibant une large bande de peau nue et un pantacourt taille basse resserré sous le genou, sa silhouette élancée est parfaite. Et provocante.

— Lucas !

Sacha le rappelle à l'ordre. Il rit en voyant son expression courroucée. Où a fui sa tendresse habituelle ?

— Bonsoir les garçons. Bienvenue à Paris, lance-t-il. Possessif ! Rassure-toi, le miroir magique te dira éternellement que tu es le plus beau, souffle-t-il à Sacha pas assez bas pourtant pour que Mehdi qui a noté son coup d'œil admiratif l'ignore car il lui adresse un clin d'œil.

D'accord, le garçon veut plaire en plus. Il sent que la saison ne sera pas de tout repos.

— Vous vous êtes déjà installés ? s'enquiert-il auprès des élèves qui acquiescent.

— Nathan et Mehdi dans un des appartements libérés. Dieudonné et Rocca au dortoir, confirme son ami.

— Tu as perdu Matte en route ?

— Avec John et Karol, nous devions aller manger une pizza chez Lisbeth pour fêter son emménagement. Je lui ai téléphoné afin qu'elle excuse mon absence. Matte y a été seul. Enfin, seul... En compagnie de Anh, Joaquin et les élèves avec lesquels il traîne.

— Désolé, Sashka. Tu aurais dû...

— Chut ! Il se passe très bien de moi et moi, j'aime être ici. Allez la troupe, on va s'asseoir. La table 7 est Notre table comme vous le voyez. Celle des danseurs, celle qui est surveillée par les blogueurs à longueur de temps, se moque Sacha. On t'appelle à la 16, mon Lucas.

— Tu t'entends bien avec Bayot, dis-donc ! raille Mehdi alors que lui se dirige vers les dîneurs qui veulent certainement l'addition.

— Plutôt, oui, répond Sacha d'un ton amusé. Non, tu n'en sauras pas plus. Venez, tous vous attendent. Lucas viendra auprès de nous avec Rémi dès qu'ils auront terminé. Nous dînerons avec eux.

— Tu n'as pas l'air de l'apprécier, Rémi ?

— Si. Beaucoup. Il est très gentil et...

Il n'écoute pas la fin de la phrase. C'est inutile. Lui sait ce que Sacha reproche réellement à Rémi. Sans sa présence en sa vie, il serait sans aucun doute avec le blond. Tous les trois en sont conscients et se taisent. Drôle de situation.

— Tu es trop proche de lui, critique Floriane quand il la rejoint derrière le comptoir.

Il ne demande pas de qui elle parle. C'est une évidence. Elle ne pouvait pas mieux choisir son moment. Il soupire.

— Flo, laisse tomber.

— Seule la distance d'un baiser sépare l'amour de l'amitié..., assène son amie sentencieusement.

De l'amitié, elle est bien bonne celle-là, songe-t-il.

— ...

— Ne me foudroie pas, loukoum. C'est pour ton bien.

— ...

— Un jour, Rémi en aura marre. Tu cours à la catastrophe.

— Flo. Arrête, grommelle Lucas tout en s'activant.

— Tu es peut-être très égoïstement heureux ainsi. Mais eux ?

— Tu crois qu'ils le seraient plus sans moi ? On les interroge ? la provoque-t-il, agressif.

Il n'entend que son silence.

— Tu me juges, la blâme-t-il. Tu me penses égoïste, égocentrique même, continue-t-il avec véhémence. Oui, j'ai le meilleur. L'un est mon compagnon dans la vie, l'autre mon complice, mon inspiration dans la danse. Ils font ma vie. J'ai besoin d'eux et je prends tout ce qu'ils m'offrent. Mais je ne triche pas. Ils le savent. Je donne l'essentiel de ce que j'ai en moi à chacun. Ils sont ma vie, martèle-t-il. Le sujet est clos. Définitivement.

Flo se renfrogne et ils poursuivent le travail enfoncés dans leur mutisme, chacun ruminant les arguments qu'il aurait voulu placer et qu'il a retenu par devers lui de peur d'aller trop loin.

— Ma puce ? s'inquiète Rémi qui, d'un coup d'œil, a deviné son humeur chagrine.

Lucas sourit, l'attire à lui, caresse sa taille d'un geste tendre, familier. C'est bon.

— Tu es déjà douché et changé, note-t-il. Nous dînons maintenant ?

— Il n'y a plus grand monde, Christophe et son équipe ont pris le relais. En salle, les renforts du week-end sont là. Profitons de la fin d e soirée avec les danseurs avant la reprise. D'autant qu'ils ont l'air joyeux. Matte ?

— A la pendaison de crémaillère chez Lisbeth.

— Cela ne s'améliore pas entre eux, constate Rémi.

— J'ignore où ils en sont, reconnaît Lucas. C'est le genre de sujet que nous abordons rarement. Si demain je me dispute avec toi, je me confierai à n'importe qui excepté à Sacha qui n'a aucune envie de me conseiller en notre vie privée. Il n'est pas non plus désireux que je me mêle de la sienne et je dois admettre que ça me va parfaitement. Nous décodons le langage du corps, des regards, des silences lorsque l'autre va mal. Parfois, il n'y a rien à voir. Là, l'attitude versatile de Matte demeure un mystère, dit-il en haussant les épaules.

— A mon avis, sur la suggestion de l'un ou l'autre, notre beau diable s'essaye au jeu du chat et de la souris. Malheureusement pour lui, aux jeux de l'amour, Sacha possède une expérience qu'il n'a pas. Et le plus épris des deux est sans nul doute notre Milanais. Menu poisson ?

Content d'écarter le sujet, il acquiesce. Les turbots qu'ils ont acheté à Rungis n'avaient pas une tête bien sympathique. Avouons-le, ils ont carrément un faciès plutôt grognon, pourtant, découpés en filets, servis avec un sabayon de champagne, ils ont de la gueule. Et du goût. La soupe de crustacés et coquillages crémeuse et safranée qu'il a vue défiler fréquemment le tente pareillement.

— La soupe et le turbot, spécifie-t-il.

— Je sais. J'ai vu tes yeux les suivre avec avidité. Allons voir ce que les arrivants souhaitent manger.

Les garçons semblent mal à l'aise à la demande de Rémi.

— Laissez-vous faire, se moque gentiment celui-ci. C'est votre cadeau de bienvenue. Pour les autres soirs, j'ai un arrangement avec les danseurs et...

— Sacha nous a mis au courant, précise Dieudonné manifestement pour lui épargner de répéter ce qu'ils savent déjà.

— Si vous avez des difficultés pour quoi que ce soit, vous nous en parlez à Sacha et moi. Cela restera entre nous. Nous sommes vos assistants sociaux. Nous avons préféré investir afin que vous soyez bien plutôt que de multiplier le personnel inutile. Du coup, nous cumulons les emplois, raille Lucas.

— C'est vrai que l'école est impressionnante. Même avec une moitié en chantier. Nous n'avons pas vu la salle Jorge Donn, les autres disent qu'elle est superbe, déclare Rocca avec un accent chantant.

— Tu as distribué les rôles ont-ils dit ? questionne Mehdi.

— Quelques uns. Oui.

— Ce n'est pas juste, proteste l'apollon avec une moue. Ils ont fait pas mal d'activités dont un stage au cirque alors que nous n'étions pas là. La rentrée, c'est mardi.

— Il fallait les occuper. Leur présence était inattendue, nous n'avions rien prévu, nous avons fait au mieux. Pour les rôles, ça peut paraître injuste. Cela ne l'est pas. En comptant Boléro, il y a neuf ballets cette saison. Deux que j'ai chorégraphiés, sept de Maurice Béjart et non des moindres. Neuf. C'est énorme. Vous croulerez sous les rôles, qui vous seront distribués après que je vous aie vu travailler. Ceux déjà attribués l'ont été pour des tableaux destinés à des danseurs particuliers.

— Lucas crée sans arrêt, l'appuie Sacha. Dès qu'il a envie de mettre un danseur en avant, un pas de deux ou un solo naît.

— Nous n'avons qu'une saison avec le Béjart Ballet Paris, insiste Mehdi.

— En principe, oui. Pourtant, nous aurons besoin de stagiaires. Dès l'année prochaine, Lionel et Vera se consacreront à la direction de l'école. Plusieurs vont devenir professeurs : Manu, Yvan, peut-être Benoît. Il faudra qu'ils soient remplacés. Un second répétiteur sera indispensable, explique Lucas. Cette tournée sera très chargée. Très éprouvante. Elle exigera une motivation de tous les instants. Y aura-t-il des départs ? Je suppose que oui. C'est une nouvelle compagnie. Nous devons nous faire connaître, équilibrer notre budget. Nous ignorons ce qui va se passer. Obtiendrons-nous des subsides ? Ce sont des interrogations auxquelles nous n'avons aucune réponse en ce moment.

— La priorité sera accordée aux élèves pour succéder aux danseurs qui s'en iront, souligne Sacha. Comme partout. Le Béjart Ballet Lausanne aura aussi des disponibilités. Vous êtes le sang neuf. A vous de postuler en temps voulu, si ça vous intéresse.

— Chéri, ce sera froid, intervient Rémi.

En effet, son homme accaparé par la discussion n'a pas encore goûté sa soupe de coquillages.

— Qu'en penses-tu ?

— Légèrement moins épicée que la tienne, mais fidèle à ta recette, juge Lucas. Il y a une petite différence mais je n'arrive pas à identifier le problème.

— Délicieuse, affirme Sacha qui en a pris une aussi. Tu t'es vraiment impliqué afin que Christophe parvienne à ce niveau. Nous ne pouvons faire dans le banal, commente Sacha avec un sourire.

— Dans le banal ? s'étonne Lucas.

— Tu as déjà vu une cafétéria gastronomique ? raille le soliste. Pour des danseurs qui sont perpétuellement au régime ?

— Bah ! Le tout est de choisir la bonne personne. Rémi fait ça à merveille.

— La preuve. Je t'ai choisi, toi ! rétorque son compagnon du tac au tac.

— Un vrai coup de génie, se moque Lucas.

— Je suis assez satisfait de moi sur ce coup là.

— Moi, beaucoup moins, lance Sacha.

Ils se fixent stupéfaits de la réplique spontanée qui a échappé au soliste, avant d'éclater de rire. Lucas sent monter en lui une houle de tendresse alors qu'il le contemple. Si Rémi faisait la bêtise de lui poser un ultimatum qui l'obligerait à un choix entre eux deux, pour la première fois, il se pose la question de savoir ce qu'il répondrait. Sacha c'est Sacha, oui, mais c'est aussi la danse. Heureusement, son ange n'est pas stupide. C'est également pour ça qu'il l'aime.

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Lundi 2 septembre – Jour J – 1

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Lucas est rassuré, les élèves sont enfin là. Steven et Serena ont débarqué il y a peu. Les vacances espagnoles ont l'air d'avoir soudé le couple et ils n'ont pas hésité une seconde à prendre un logement ensemble. Ils occupent l'appartement avec Nathan et Mehdi. Camelia et Asmaa ont loué un studio à Montmartre en colocation avec une infirmière, amie d'enfance de la première. Installées à Paris depuis quinze jours, elles sont venues, il y a quelques minutes à peine, consulter les consignes et se familiariser avec les lieux. La compagnie est au complet.

Avec Rémi, il punaise sur le tableau d'affichage du hall les divers avis rédigés : horaires des cours, classes et professeurs, liste des parrains et marraines avec leurs pupilles, rappel des ballets de début de saison et programme des répétitions. Des renseignements généraux : les heures d'ouverture des bureaux administratifs, de la salle de repos, des salles de danse, de la cafétéria, du service médical hors urgences. Les numéros de téléphone indispensables en cas de souci pressant. Tout y est, semble-t-il. Dans la salle de détente, ils ajoutent le règlement du dortoir et les conseils d'utilisation des équipements. Au local des sanitaires, trônent quatre lave-linge et autant de séchoirs mis à la disposition des étudiants.

A l'approche de la grande salle, la mélodie de Bohemian Rhapsody et la voix de Freddie Mercury s'amplifient. Hier, Sacha a demandé ses notes. Il est en train de répéter ce qu'il a créé pour lui. Il aurait aimé le voir travailler mais avec Rémi à ses côtés, ce n'est pas l'idée du siècle. Celui-ci lui adresse d'ailleurs un coup d'œil interrogatif. Les quatre salles en sous-sol donnant sur le parc sont accessibles à tous de sept à vingt deux heures. Les autres sont fermées. Lorsqu'il crée ou danse, il est pratiquement le seul à avoir adopté celle du premier étage ou celle aménagée en l'ancien salon de réception du bâtiment latéral. Seul avec Sacha qui, comme Patrick, Jan ou Lionel, a tous les codes d'ouverture de l'hôtel.

— Sacha ! Qu'il y ait cours ou pas ensuite, que ce soit lundi ou pas, il répète seul ici. C'est sa manière de se ressourcer. De décompresser, explique-t-il dans le but de combler la curiosité de Rémi.

— S'éveiller en un lit déserté. Agréable réveil pour son partenaire, ricane son compagnon.

Lucas ne dit rien. La danse, son flamboyant en a fait sa raison de vivre. Elle a la suprématie sur tout. Sur Matte aussi. Lui a beaucoup de tendresse envers le jeune Italien mais peut-être pas assez pour sacrifier les moments privilégiés qu'il vit avec Sacha dont c'est le choix. Il aime retrouver ce dernier le matin, l'admirer alors qu'il danse, discuter avec lui, devant une tasse de café, de la journée qui les attend ou des événements précédents. Il ne délaisse pas Rémi. Son compagnon passe avant tout. Au saut du lit, il prend sa douche, puis son petit-déjeuner avec lui. Savoure chaque instant vécu en couple. C'est vrai que leurs horaires vont changer. Il pressent qu'il ne va pas apprécier ça du tout.

— Lucas ?

— ...

— Mon cœur ? insiste Rémi.

— Je vais moi aussi me lever tôt. Je dois assister à la leçon de Patrick régulièrement, grogne-t-il. Il y a cette satanée paperasse qui me poursuit...

— Nous nous lèverons aux aurores ensemble, rectifie son chéri en plaisantant. Lorsque tu viendras ici, j'irai au Motus, ainsi je me libérerai tôt afin d'être avec toi l'après-midi. Nous déjeunerons, ferons une sieste ou regarderons un film. Peu importe. Nous irons à l'hôtel des Perrière. Je rejoindrai ma cuisine vers dix-sept heures trente. Puis la soirée, lorsque tu en auras terminé avec les répétitions, nous serons tous les deux au Motus. J'ai mis une annonce pour engager un commis supplémentaire en cuisine. Je serai plus fréquemment en salle. Là, je néglige et ma clientèle et mon homme. Le lundi sera dorénavant mon jour de congé pour être avec lui.

Rémi sourit du soupir de satisfaction de Lucas.

— Tu es content, constate-t-il. Pourquoi n'as-tu rien dit ?

— Oui. Tu en doutais ? Parce que simplement tu fais ce que tu aimes.

— Il me semblait bien avoir perçu vos voix !

Vêtu en tout et pour tout d'un collant sans pied, le torse luisant d'une légère couche de sueur, le visage échauffé par l'effort, la crinière en bataille, Sacha a surgi de la salle de danse. Sa figure rayonne du plaisir de voir Lucas. Il est beau. Ce que lui n'est pas. Tout au moins pas de cette façon évidente. Triomphante. Rémi sait qu'il a du charme. Sa vie l'affirme. Il l'a utilisé souvent, bien ou mal. Il met son corps sans défaut en valeur, soigne son apparence. Quand les yeux amoureux de Lucas sont sur lui, il est beau, oui.

— Pas de congé pour le directeur de la troupe, se moque son Lucas en embrassant son ami familièrement.

— Ils ont dit vers quelle heure ils livreraient les flight-cases ?

— En fin de matinée. Florent doit passer avec les cadres du couloir. L'acrylique pour le hall a été apportée tôt. Pas moyen de dénicher Abdel. Emballée dans son carton et posée contre le mur, je ne sais pas trop à quoi elle sert, grommelle son petit mari.

— Il y a au moins une douzaine d'ouvriers en permanence dans les bâtiments, raille Sacha, on va bien en trouver un qui accrochera ce tableau. Une minute, mon Lucas !

— Sashka ! lance ce dernier à l'autre qui s'éloigne déjà. Habille-toi !

— D'accord, réplique le soliste hilare en revenant sur ses pas. Matte ? répond-il au téléphone qui devait sonner dans la salle depuis un moment. J'ai à faire. Je cherche un volontaire afin d'achever la décoration des bureaux, l'entendent-ils dire par la porte entrouverte. Assurément, il y a encore du travail. Qu'est-ce que tu crois. Lucas, Rémi, Joffrey sont ici aussi. Mon père va arriver et...

.

Lucas est assis sur un des bancs du parc devant la pièce d'eau. Un papier en main, il est abasourdi par ce qu'il y lit. Rémi a envie de rire et se retient.

— Voilà, j'ai mis les carpes koï et les ides mélanotes bleus dans l'eau. Je peux lâcher les oiseaux ?

— Oui, acquiesce Rémi à la place de son compagnon qui paraît frappé de mutisme.

L'homme ouvre les cages de transport grillagées et en tire plusieurs canards colorés.

— Ce sont quatre couples de sarcelles, précise-t-il. Elles ont été éjointées à la naissance et ne volent pas. Vous n'aurez pas grand chose à faire. Votre bassin est abondamment fourni en plantes aquatiques. Il y a des joncs, des nénuphars, des lentilles d'eau qui doivent héberger des tas d'insectes, des graines, bientôt des œufs de poissons. Donner en complément des granulés une fois par jour sera suffisant. Les gargouilles, le jet d'eau ne les troubleront pas. Pour les nids, il y a des cachettes parmi les roseaux, les massettes et les iris sur les abords. Il leur faudra un refuge pour l'hiver. Une maisonnette en bois surélevée, sur la terre ferme ou dans l'eau, fera l'affaire.

— Éjointées. Des nids ? s'enquiert son Lucas, un peu perdu.

— On leur a coupé une phalange d'aile afin de les empêcher de s'envoler. Vous aurez au printemps prochain une ribambelle de canetons, affirme l'éleveur.

Lucas a esquissé une moue de dégoût à la mention de la mutilation des animaux pourtant indispensable.

— Et voilà, le magnifique. Votre ami y tenait énormément. C'est, en son pays, l'emblème de l'incorruptibilité de l'âme et la dualité psychique de l'Homme, m'a-t-il dit.

Il soulève une trappe sur le côté de la plus grande mue et en fait sortir un superbe paon.

— Il y a deux paonnes pour que monsieur ne se sente pas seul, complète-t-il. Ce sont des paons spicifères ou paons verts. Plus rares que les bleus, ce sont de vraies merveilles.

— Il est fou, gémit son Lucas.

— C'est splendide dans un parc, s'indigne l'homme.

— Je n'en doute pas, admet son chéri. Mais qui va s'en occuper ?

— Un peu de grain. Un ou deux arbres, quelques arbustes ou broussailles, un abri avec de la paille en cas de gel, c'est ce qu'ils désirent.

— Danseur ? interroge Sacha qui de toute évidence les cherchait.

L'animalier est reparti. Lucas est toujours au même endroit, en train de froisser le bordereau de livraison entre ses doigts. Il fixe le paon et ses femelles qui s'éloignent dans l'allée. Sur la pièce d'eau, deux sarcelles voguent tranquillement.

— Amin, grogne-t-il. Après la fontaine en zellige, les palmiers et les bambous de la salle de repos... Ça !

— Il t'offre des cadeaux pour lui précieux, mon cœur.

— La paon symbolise la beauté. C'est un animal sacré dans bien des pays et admiré partout, le relaye Sasha qui a immédiatement réalisé le problème. Il est signe de pérennité parce que chaque année sa queue se renouvelle.

— Avec les poissons et les sarcelles, il doit y en avoir pour une fortune, renchérit Rémi.

— Cela ne fait pas prétentieux ? questionne Lucas avec une grimace. Nous ne sommes pas un califat des Abassides.

Un quoi ?

— Mais non. Depuis quand te préoccupes-tu de l'avis des gens ? répond Sacha qui s'embarrasse peu d'histoire et de géographie.

Il y a toute la tendresse du monde dans le ton de ce dernier qui découvre l'incertitude de Lucas.

— Des canards ! s'exclame une petite voix enthousiaste.

— Voilà ta réponse, se moque Rémi.

Jeudi, Christophe a fait le nécessaire à l'école d'Épinay sur Seine pour la radiation dès qu'Alice, qui se charge des locations de WLB Immo, lui a fourni un justificatif de domicile. Puis il a été à la mairie régler les formalités. Il a eu beaucoup de chance que les employés, peu consciencieux, ne lui aient pas, au vu de la situation carcérale du père, créé de difficultés. Cette famille atypique composée d'un jeune homme de vingt trois ans, d'un adolescent et d'une enfant n'a ému nulle bonne âme. Aujourd'hui, il devait l'inscrire dans l'établissement désigné.

— Alors ta nouvelle école te plaît ?

— Non ! Elle est moche !

Rémi reste coi devant la véhémence de la gamine.

— Elle a été affectée à l'école fondamentale des Tournelles, expose Christophe. L'ancienne était située dans un contexte verdoyant. Il y avait des balançoires et un toboggan, des arbres et des fleurs dans la cour. La rue des Tournelles est calme et ce n'est pas loin. Environ un quart d'heure à pied. Bien que le bâtiment soit vieux, il a du charme. La cour est vaste mais traditionnelle. Cela ne suffit pas à satisfaire mademoiselle.

— Tu as un grand jardin pour jouer quand tu rentres, développe Sacha. Regarde maintenant, il y a des animaux. Des poissons, des canards et même des paons.

— Tu peux faire du vélo en toute sécurité, ajoute Rémi. Très vite tu connaîtras tous vos voisins et je suis certain que tu seras gâtée par tous.

— Et Megan ?

Qui est Megan ?

— Tu la reverras lors de ta leçon de piano. On demandera à ses parents qu'elle passe de temps en temps un week-end chez nous.

Étonné, Rémi fixe Christophe. Ainsi, malgré la précarité, il s'est débrouillé pour que sa sœur continue son hobby.

— Et tu te feras de nouvelles copines, déclare Sacha.

— Je n'en veux pas, se révolte la fillette. C'est ma meilleure amie.

— Bien sûr que tu l'aimes. Si, à l'école, une autre petite fille ou un garçon, pourquoi pas, te propose son amitié, tu vas lui faire la peine de refuser ? Tu vas la ou le rejeter sous prétexte que tu as déjà une amie ? Tu vois, moi, j'ai plusieurs amis, expose son homme avec patience. Je les aime tous énormément. On a de la place dans le cœur pour différentes personnes.

Concentrée, Clara examine les arguments.

— Alors je peux avoir un chat ? Je l'aimerai aussi.

Rémi éprouve une soudaine envie de rire qu'il réprime de son mieux.

— Un chat ? répète misérablement son Lucas encore sous le choc provoqué par l'arrivée des volatiles. Il faut obtenir la permission de ton frère.

— Tu auras bien du travail, dit Sacha. Parce que si tu acceptes, tu auras la responsabilité de nourrir les canards, les paons et les poissons.

— Ils sont nombreux ?

— Huit canards et trois paons. Les poissons, je ne les ai pas comptés. Ils mangent une fois par jour. Des graines et des granulés. Au printemps, tu devras surveiller les canetons, embraye Lucas. A cause du chat.

— Des canetons jaunes ?

— Des canetons qui se dandineront derrière leur maman, affirme Rémi avec le sourire, peu sûr de la coloration des jeunes sarcelles.

Pour un instant, la petite a relégué l'école moche et sa copine Megan dans un coin de sa mémoire. Elle tourne autour des gros sacs d'aliments qu'a fournis l'éleveur. Son Lucas s'accroupit, ouvre un sachet, lui fait voir la mesure pour évaluer la quantité de grain.

— On transforme le parc en zoo ? claironne la voix moqueuse de Matte qui se colle contre Sacha dont le bras machinalement l'entoure.

— Amin a offert à Lucas, pour la naissance de la compagnie, des animaux d'ornement, réplique son petit-ami. Ils sont très beaux.

Dans le ton du soliste, il perçoit une mise en garde. Pas question de blesser Lucas.

— Je peux leur donner à manger maintenant ?

— Il est préférable de le faire tous les après-midi à la même heure, conseille Lucas. Ainsi ils t'attendront et dès qu'ils te verront, ils accourront. Viens, on va chercher les paons. Ils ne doivent pas être bien loin. Il faudra que tu leur trouves des noms et...

Sacha éclate de rire en les regardant s'éloigner, la main de la gamine dans celle de Lucas.

— Ils vont bien s'entendre ces deux là, raille-t-il.

— Oui, confirme Rémi.

— Malgré le déracinement brusque, elle semble s'acclimater facilement, reconnaît Christophe. Elle passe beaucoup de temps au jardin. Le vélo, franchement, cela m'a touché. Je ne sais quoi dire. Lucas avait attaché une étiquette dessus : « J'appartiens à Clara ». Elle est sur sa table de nuit. Il a refusé que je le remercie, comme pour tout le reste.

— Ses propres souvenirs d'enfance lui sont très précieux. Il a voulu que ce changement en devienne un heureux pour Clara, explique Rémi. En tout cas, elle a oublié Megan et Lucas a découvert une utilité aux cadeaux d'Amin. Bon. Combien coûtent des maisonnettes en bois sur pilotis ?

— Cela m'étonnerait que notre architecte ait négligé ce point. Attends un peu. Ah ! Voilà certainement les flight-cases, s'exclame Sacha en partant à la rencontre d'un livreur.

— Où est Lucas ? Il paraît que je dois accrocher un cadre. Il est grand ? Lourd ?

Un massif ouvrier à la peau bistre se tient devant Rémi. Mustapha est un cousin d'Amin. Il est le contremaître du chantier. Il répond toujours présent quand Lucas a besoin de quelque chose. Si pour Amin, Lucas, c'est la famille. Alors, pour lui aussi.

— Grand et lourd, admet Rémi. C'est une acrylique sur bois. Je vais vous montrer.

.

Après un déjeuner de pizzas apportées par un resto italien voisin, ils se sont remis au boulot dans le bureau de Lucas et Sacha. Les tableaux sont au mur, les encombrants bagages rangés dans la réserve aux costumes, les volatiles vagabondent. Patrick, aussi sérieux qu'un ministre, peaufine son discours de demain Sacha explore et teste toutes les fonctions du site Charly met en ligne les photos communiquées par Florent ; Lucas corrige la version anglaise du site de l'école ; Lionel dresse un bilan des goodies enfin reçus le matin même afin de les ajouter à la boutique Rémi établit la liste du matériel indispensable et des denrées à acheter pour la classe de nutrition. Les deux ateliers qu'il a organisés concernaient l'un l'utilisation des épices, le second les méthodes de cuisson, ils avaient nécessité peu d'ingrédients. Matte, ne tenant pas en place et se jugeant inutile, a préféré s'éclipser.

La musique berce le travail. Dans les salles, des danseurs, des élèves se retrouvent autour de leur passion commune.

— Au secours ! Nous sommes envahis par des canards ! s'écrie une voix féminine provenant du jardin.

— Ils sont tout mignons ! rétorque une deuxième. Pleins de couleurs.

— Je sens qu'on sera bien ici, estime une troisième, masculine cette fois.

— Le jardin s'anime. Une enfant qui fait de la bicyclette, des animaux... La vie s'épanouit. C'est beau, commente une autre rêveuse avec un léger accent britannique.

— Toi, la chochotte, reprend la première, tu t'extasies sur une fleur ou un papillon.

— Ferme la, Lu. Tu n'as aucune sensibilité, pas plus dans la vie que dans la danse. Être amoureuse d'un ectoplasme, quelle foutaise !

Rémi reconnaît Étienne qu'il n'a jamais entendu prendre ce ton tranchant comme un couperet.

— Calme-toi. Tu ne la changeras pas.

— Fous-moi, la paix, toi. Ne l'écoute pas. Viens, on va répéter le pas de deux.

Ils s'éloignent. Il jette un coup d'œil à Lucas qui sourit.

— Dans l'ordre : Lu, Chiara, Mehdi, Kevin, Lu, Étienne, Charly, Étienne à nouveau, énumère-t-il.

— Étienne qui défend Kevin, précise Sacha. C'est un pas en avant.

Lucas lui adresse un clin d'œil complice. Ainsi, c'est là où il veut en venir. Son chéri croit qu'Étienne le séducteur est dans le déni de son homosexualité et a décidé de le soutenir. L'idée l'en avait effleuré. Mais monde de la danse et homophobie sont des termes franchement contradictoires, ce qui facilite l'épanouissement d'une sexualité divergente. Pourquoi Étienne éprouverait-il là le besoin de dissimuler ?

— Pourquoi ?

— Tous n'ont pas le courage de faire leur coming-out à seize ans ainsi que tu l'as fait. Peut-être est-il, lui même, le frein à ses propres aspirations, suggère Lucas.

— ...

— Admettre sa dissemblance n'est pas aisé. Je le sais, continue son compagnon.

Il se replonge dans sa paperasse peu enclin de poursuivre sur le sujet.

— Quel a été le déclencheur pour toi ? questionne malgré tout Joffrey.

Lucas baisse les paupières un instant avant de fixer l'informaticien. Au passage, il a lancé un bref regard à Sacha. Déclarer là, devant eux, que ce dernier est à l'origine de tout ? De tout ce qu'il est : danseur, chorégraphe, gay. Mais aussi de son union avec Rémi. Et les blesser. Impensable.

— Je l'ai repoussé longtemps. Jusque vingt et un ans. Arrive un jour où cela devient tellement fort que l'on ne peut plus nier ce que l'on ressent. Il faut vivre avec. Ou pas. Le choix t'appartient. Malgré le refus, on sait que c'est là et rien n'est plus pareil, explique-t-il.

— ...

— On a peur de l'opinion de ses proches. Peur de les perdre. Peur de leur honte à eux. On s'aperçoit que certains le savent déjà. Ils sont encore là. Ça aide à franchir le cap.

— Être amoureux ? propose Joffrey.

— Ce n'est pas si simple. Aimer les hommes, aimer un homme, c'est différent et l'un ne va pas sans l'autre. Le jour où cet homme s'en ira, on n'en sera pas moins homosexuel.

En un geste spontané, Rémi pose sa main sur la sienne, la serre. Il lui sourit. Oui, il connaît son amour. Mais l'avenir ?

— De toute manière chacun a son histoire, son vécu. Plus ou moins douloureux. Le désir charnel joue un rôle important dans la découverte de son orientation sexuelle, intervient Sacha en le fixant lui. Primordial, dirais-je. Une fois ce désir pour une personne du même sexe admis, le reste n'est qu'une évidence. Après, comme tu le dis, il faut vivre avec. L'univers de la danse est tolérant. On y trouve de nombreux couples gays. D'aucuns pensent même que c'est la norme, se marre-t-il. Mais en dehors, ce n'est pas le cas. Il est nécessaire d'avoir l'estomac bien accroché pour digérer, jour après jour, les moqueries, les remarques pleines de fiel. C'est ce qui nous unit tous. Tu as terminé, danseur ?

— Je crois.

— Tu es sûr ? Tu n'aurais pas omis un tout tout petit détail dans la présentation de l'école ? Minuscule..., insiste-t-il avec un sourire narquois.

— Hum ?

— Préciser que les études sont entièrement gratuites ?

Son Lucas ouvre des yeux démesurés, clique fébrilement sur la page concernée et relit son texte.

— J'ai oublié ! Pourtant, je l'avais noté, grommelle-t-il. Tu as vu autre chose ?

— Il serait peut-être bon de mettre plus en exergue nos partenaires ? Je...

C'est reparti. Rémi les observe. Ils discutent, avancent leurs arguments. Son chéri fait des concessions autant que Sacha. Ils finissent toujours par tomber d'accord sur la suggestion de l'un ou de l'autre. A aucun moment, Lucas ne fait sentir que le directeur, c'est lui. Ils agissent en parfaits associés qu'ils ne sont pas.

— Je figure parmi les professeurs de danse suppléants ? s'étonne le blond.

— J'avais une place à remplir, grogne son compagnon. Ma colonne était trop courte par rapport à celle des professeurs réguliers. Ça faisait désordre.

Sacha en demeure bouche bée, s'apprête à protester, puis sourit et se replonge dans l'étude du site. Nul ne s'intéresse à ce qu'ils font, ils sont habitués à leur entente.

Rémi a enfin fini sa liste et commande chez les divers fournisseurs. Tout sera livré demain. Jonas et lui entameront les cours complémentaires mercredi et jeudi. Ils ont été déplacés de neuf à onze heures afin de lui permettre d'être au Motus pour le service de midi. Ce sera le cas tout le mois de septembre. Les élèves formeront deux groupes : quatorze chez Jo pour la capoeira, quatorze en nutrition. Le lendemain, ils inverseront les groupes. Même système pour le théâtre et le chant des vendredi et samedi. Le cours de percussion de dimanche sera lui dispensé à tous : élèves, stagiaires et danseurs. Il souhaite bien du plaisir à Joe avec ses soixante six participants. Ses deux premiers cours, Rémi les utilisera à créer avec eux un emplacement pour chaque objet, chaque ingrédient, leur enseignant au passage les propriétés et l'emploi coutumier des aliments, l'usage des ustensiles avec démonstrations et l'importance ensuite d'un rangement immédiat, d'un nettoyage soigneux des appareils, des plans de travail. Il a pu constater lors des ateliers que ce ne sera pas superflu. La propreté en cuisine est essentielle. Et, avouons-le, il n'a pas envie de se transformer en plongeur après leur départ.

— Tu y es, mon ange ? souffle Lucas.

— Plus qu'un mail à envoyer.

— On va boire un pot tous ensemble ? suggère Patrick.

— Veillée d'armes ? se moque Lionel.

— Désolé. Le Motus nous attend, répond Lucas avec un sourire que Rémi juge forcé.

— Alors nous le prendrons chez vous. Sans toi, cela n'aurait pas de sens, rétorque Sacha en haussant les épaules.

Les tables 7 et 8 se retrouvent donc bondées. Après une très belle après-midi, la température est douce et la terrasse est assaillie par les plus jeunes. Les danseurs, les élèves sont là pour la plupart. Les professeurs de chant, de théâtre, de yoga, des sympathisants comme Yann, Nicolas et sa femme, Brigitte, Laurent Hilaire et même des danseurs de l'opéra qu'il ne connaît pas ont tenu à manifester leur soutien. Il en est touché. Il est conscient du fait qu'il n'aperçoit que le bon côté des choses. Ceux que la naissance du Béjart Ballet Paris et de l'école Donn-Bayot fait grincer des dents ne sont pas là. Le retour de flammes viendra plus tard.

Le lundi, en général, est calme. Les clients qui ont réservé sont un peu perdus dans la masse joyeuse des artistes. Les multiples lumières de flash des blogueurs troublent leur quiétude. Lucas, de table en table, explique le pourquoi, présente des excuses lorsqu'il discerne un peu de mécontentement. Plus souvent, les dîneurs l'interrogent, le félicitent.

Du coin de l'œil, il voit Sacha se lever et se diriger vers l'entrée afin d'accueillir un visiteur inattendu. Il le rejoint aussitôt.

— Alors gamin, demain le grand jour ?

Il enlace avec enthousiasme l'oncle René, ému de le voir là. L'étreinte bourrue qui l'enveloppe est forte, solide et le réconforte.

— Lucas est une vraie boule de nerfs depuis plusieurs jours. Oh, tu essayes de me le cacher, raille Sacha, mais je te sais trop bien.

Lucas soupire.

— C'est écrasant. Je n'ai que vingt deux ans, lâche-t-il enfin.

— Raison de plus pour penser que tu as gagné. Ce à quoi tu es parvenu en un peu plus d'un an et demi est exceptionnel, danseur.

— Tu n'es pas impartial, lui reproche-t-il tendrement.

— Et toi, tu voudrais que je te rassure encore et toujours. Ne fais pas cette tête. Non, tu n'es pas difficile à vivre. J'en supporterais bien plus. Le service, mon Lucas, lui rappelle Sacha.

— Oui. Le devoir..., bougonne-t-il.

Il reprend son poste auprès de Flo, l'aide à préparer les commandes déposées par Oli entre-temps et laisse Sacha gérer l'oncle René. Il sait qu'ils s'apprécient l'un l'autre. Bien qu'ils ne le diront aucun des deux. L'ombre de Rémi plane entre eux. Si peu à peu la partie restauration se vide, le bar, la terrasse ne désemplissent pas. Il n'a pas une minute à lui. Le lundi, ils ont peu de personnel, là, il doit faire face à une affluence hors norme. C'est un véritable soulagement quand Rémi arrive. Il lui désigne le vieil homme qui rit des facéties de Matte.

— Je reviens de suite, Honey, s'exclame Rémi qui a, d'un coup d'œil, envisagé le nombre de clients.

Il acquiesce de la tête et se consacre à ses divers cocktails. Glace pilée. Vermouth. Whisky. Secousses du shaker. Cerise à l'eau de vie. Champagne, curaçao, rondelle d'orange. Champagne, liqueur de karkadé, fleur d'hibiscus. Verre givré, glace, gin... Ses mouvements sont rapides et précis.

— Lucas ? Tu pourrais nous envoyer quelqu'un ?

Il lève les yeux. Mehdi.

— Sois gentil. Apporte moi la commande de votre table. Nous sommes un peu débordés, achève-t-il avec une grimace.

Un sourire ultra blanc lui répond. Il lui tend un bic et un carnet. Il est déjà reparti. Lui s'applique aux consommations de la table 11. Cafés et pousse-café.

— Voilà !

— Merci.

— Je peux les prendre, si tu veux. J'ai l'habitude, explicite Mehdi en s'asseyant sur un tabouret qui vient de se libérer. Avant Rudra, je servais le week-end dans une brasserie sur Bruxelles. Cela ne s'oublie pas, lance-t-il avec un clin d'œil.

Tous ses danseurs, élèves y compris, l'appellent par son prénom, le tutoient. Contrairement au personnel de bureau pour lequel il est, selon le souhait de sa sœur, "Monsieur le Directeur". Tout au moins devant elle. Là, il perçoit plus. Il discerne dans l'attitude de Mehdi la volonté de ne pas être tout le monde et d'établir un lien privilégié. Quel qu'il soit.

— On a engagé un nouveau garçon ? s'enquiert son homme qui l'a rejoint.

— Pour un instant très court, se moque-t-il. J'étais débordé et eux semblaient pressés.

— Il connaît le métier, constate son chéri.

— C'est ce qu'il dit.

— Voilà !

Le plateau retourne à sa place et lui suit le balancement des hanches du jeune homme qui s'éloigne. Eh, merde.

— Superbe cul !

Bien qu'il l'ait pensé aussi, avec toute l'indignation ressentie, il toise son amant qui le fixe d'un air goguenard.

— Oui, reconnaît-il malgré tout. Il doit faire des ravages. Sur sa fiche, il est dit qu'il a un besoin perpétuel de reconnaissance.

— Il sait qu'il est beau et a peur de n'être vu qu'à travers ça.

— D'un autre côté, il aime plaire, être remarqué. Explique-moi cet imbroglio, grogne Lucas.

— Il y a l'homme, il y a le danseur.

— Gascard le juge sensible, ce qui en fait un très bon interprète. Lorsque nous sommes allés à Lausanne, il était blessé. Je ne l'ai pas vu danser. Ce sera une complète découverte demain. Espérons qu'elle soit bonne.

— Tu verras dans l'avenir. Beaucoup de monde décidément, mentionne son Rémi en voyant quelques arrivants s'installer, malgré l'heure tardive, à la table 9.

— Beaucoup de danseurs, de blogueurs. Des curieux aussi. Je pensais que nous irions jusque chez Helmut, on peut oublier, râle-t-il.

— Il n'y a pire que l'indifférence, mon amour, chuchote Rémi en effleurant sa main.

— Je sais, admet-il. Je suis content que l'oncle ait fait tous ces kilomètres pour être là. Que beaucoup soient passés boire un pot en signe de soutien. Bizarrement, il y en a que je n'attendais pas. Et d'autres qui sont manquants.

— Comme ceux-là ? ricane Rémi en montrant Manu, Yvan, John et Karol qui entrent d'un pas peu assuré.

Ils échangent un regard agacé.

— J'ai l'impression qu'ils ont déjà bien arrosé ça, ironise Sacha, lorsqu'il apporte leur commande à la table 7.

— Mon bébé ! C'est le grand jour demain. Longue vie au roi Lucas ! s'exclame Manu en vidant son verre cul sec.

L'autre s'est levé. Il se retrouve saisi dans son étreinte, soulevé dans les airs par un Manu surexcité et incertain sur ses jambes. Sa bouche s'est posée au coin de la sienne – il en fait une habitude, ma parole – ils tournoient ensemble sous les applaudissements des danseurs qui les entourent et scandent son prénom. Les flashs des appareils photos crépitent. Misère, ça fera le tour de la toile. Il touche le sol ferme trop brusquement. Il rit. Jaune, mais il rit. Que pourrait-il faire d'autre ?

Déposés par Flo de façon vive, plusieurs seaux contenant des bouteilles de champagne atterrissent sur les tables. Elle est en colère. Encore. Pourquoi ? Ahmed l'interroge des yeux, elle détourne la tête l'ignorant. Olivier la suit avec un plateau garni de flûtes et fait le service. Sacha a un sourire en coin qui lui dit qu'il n'est pas étranger à la chose et que c'est la raison de la rancœur de son amie.

— À toi, mon Lucas, articule silencieusement son flamboyant en levant son verre vers lui.

— À nous ! déclare-t-il de la même façon.

Le bras de Rémi encercle sa taille. Il s'alanguit sur sa poitrine.

— Toujours aux petits soins envers son boss, raille son ange qui a tiré les mêmes conclusions que lui.

Les élèves que Matte a été chercher à la terrasse les envahissent, le dispensant de répondre. De toute manière, il n'a rien à dire. Carpe Diem. Sacha fait mettre un verre de champagne aux clients des tables restantes. Un adolescent vient les féliciter, se mêle à eux, pose une main intrusive sur son épaule. Un clic d'appareil photo. D'accord. Il n'a jamais refusé de prendre un cliché avec qui que ce soit et n'approuve pas le procédé. Ce n'est pas non plus un crime de lèse-majesté, il retient Sacha d'un coup d'œil, Rémi d'une caresse sur l'avant-bras. Le garçon a vu les réactions et est mal à l'aise. Sa présence ici, justement ce soir, ne doit pas être un hasard. Être soutenu par de jeunes inconnus, voilà qui le comble.

— Il suffisait de demander.

— Désolé, grommelle-t-il.

— Vincent ? Qu'est-ce que tu fais là ? Lucas ?

— Pas de problème, Gaby. Il nous remerciait pour le champagne. Un ami ?

— Il est en terminale section danse au même lycée.

Les yeux de Gaby brillent. Manifestement, le Vincent en question ne le laisse pas indifférent. Ce qu'il comprend tout à fait. Il est mignon. Ah, les amours juvéniles. Un léger coup de pouce ne nuirait pas à leur grand oisillon.

— Si cela l'intéresse, tu peux l'amener avec toi à la leçon de samedi.

— Vrai ?

Il rit. Ce mot est un véritable tic chez Gabriel. Il l'emploie cent fois sur une journée.

— Oui.

Vincent semble enchanté et remorque son condisciple vers la table 14 où sont installés deux couples d'adultes et trois enfants. Ils le voient gesticuler, pousser Gaby devant lui tel un trophée. Hier, s'apercevait-il seulement de l'existence du gamin – il a minimum un an de moins que lui, n'est-ce pas – qui entre en première ?

— Le cachottier ! se marre Sacha en lui adressant un clin d'œil. Tu sais qu'il n'a que seize ans. On va en voir défiler une tripotée. Il a vu le site de l'école ?

— Personne ne l'a vu. Joffrey a eu une idée de génie. Je tiens à conserver la surprise. J'ai bien entendu requis de Christophe la permission d'utiliser l'image de Gabriel. Merci, chéri, dit-il à Rémi qui remplit sa flûte, avant d'en faire de même avec celle de l'oncle, de Matte et Sacha.

— On a des nouvelles pour les vendanges ? interroge Sacha.

— Pas encore. J'espère que ce sera après le 21, commente Rémi. Le Motus ne saurait se passer de nous avec tout le monde en vacances.

— Elles seront très tardives, soupire l'oncle. Fin septembre. Début octobre. Oui, pas avant, confirme-t-il en voyant leur étonnement. La température trop fraîche a retardé la floraison, les nombreuses pluies ont perturbé le mûrissement des grappes. Étant donné l'exposition du vignoble de la Pierre-Plate, ce sera, pour vous, une récolte peu abondante mais une bonne année, voire très bonne. En ce qui concerne le cépage de la Roche Blanche, c'est différent, juge-t-il, beaucoup de grands vins blancs continuent actuellement de se "nourrir", de s'affiner sur lies, dans les fûts et ils ne seront mis en bouteille que dans six à dix mois selon l'évolution alors peut-être en serons nous satisfaits, malheureusement j'en doute. Ce devrait être un millésime correct, sans plus.

— Pour les vins de Chamont ? s'enquiert Rémi.

— Pour les coteaux sud, ce sera un très bon millésime. Pour les autres, je vais prendre le risque de démarrer la cueillette le plus tard possible dans le but d'obtenir un vin plus charnu, plus gourmand.

— Le risque ? s'informe Matte.

— Si le climat se détériore brusquement et que le raisin n'est pas rentré, ce sera une catastrophe. En général, on fait les vendanges de tout le domaine en deux jours, maximum trois. Ici, on l'étalerait sur une dizaine.

Ils se regardent, atterrés.

— Quand exactement ? s'inquiète Lucas.

— Si le temps reste clément, on commencerait le 27 septembre par la Pierre Plate et on terminerait le 5 ou le 6 par l'est de Chamont.

— La saison sera entamée, déplore Lucas consterné.

— Du 5 au 15 octobre, nous sommes en représentation ici à la salle Jorge Donn, énonce Sacha. Il faut répéter avant.

— Nous pouvons être là du 27 au 2. Plus tard, c'est impossible, précise Lucas.

— Par contre, je peux libérer Oli dès notre retour pour te seconder, suggère Rémi.

— Nous verrons ça, les garçons. Ce n'est qu'une estimation. Si la météo s'en mêle, nous serons contraints de presser les choses.

— Amin fera un saut à la maison de la Pierre Plate dans le but de dresser un état des lieux et chiffrer le montant des travaux, explique Rémi. Ici, il est venu arpenter le sous-sol et le Motus afin de déterminer où placer l'accès de la salle de dégustation. Nous devrions avoir un projet en peu de temps.

— A la première visite, il semblait déjà avoir une idée claire de ce qu'il allait nous proposer. Lors de la deuxième, il a pris des mesures et des photos. Jamais deux sans trois, raille Lucas.

— Cela ne va pas tarder, annonce Ahmed. Sortir des sempiternels bureaux et studios lui plaît. Vous lui lancez chaque fois de nouveaux défis qui le passionnent.

— Excellente nouvelle, s'exclame l'oncle René. Je suis vraiment content de voir vos rêves à tous les deux se réaliser. Vous avez bien mérité d'être heureux.

— Lucas. Nicolas et sa femme ont offert à leur tour du champagne, lui chuchote Oli.

Il se lève pour aller remercier les étoiles. S'initie alors une soirée très arrosée. Les bouteilles commandées par les uns et les autres se succèdent. Ah ! Les bulles. Il aime ça. Lorsqu'il se rassied parmi eux, il est légèrement gai.

— Mon Lucas. Vas-y mollo, souffle Sacha alors qu'il tend la main vers son verre. Inaugurer la compagnie avec la gueule de bois, ça ne le fera pas.

En catimini, il pose un bisou sur son épaule qui est à sa portée avant de revenir à sa discussion sur les mérites du vin champenois qu'il défend de l'attaque sournoise des vins bourguignons soutenus par l'oncle René. Son flamboyant rit.

— Je ne t'ai jamais vu comme ça ! se moque-t-il.

— Je me sens léger. Léger.

— L'atterrissage va être rude, Honey, commente son Rémi avec tendresse.

Pffft ! Des empêcheurs de tourner au rond. Il noue ses doigts à ceux de son chéri et repart au combat armé d'arguments loufoques pour le plus grand plaisir de l'oncle. L'assiette de mignardises et le café que dépose Sacha devant lui le troublent un court moment. Il s'émeut de son attention et ne proteste pas. C'est la sagesse. Il cherche Matte du regard et tombe dans les lacs limpides de Mehdi. S'y noie un instant. Ce dernier les observe. Beaucoup. Le discret Nathan perpétuellement à ses côtés, Mehdi parle peu, ne boit que du jus d'orange ou du soda. Il les écoute. Beaucoup. La main posée sur le poignet de son petit-ami, Matte discute avec Joaquin, Noémie, Anh et Jimmy. Et quelques élèves. La bande qu'il fréquente. De temps en temps, distraitement, il jette un coup d'œil vers eux. Il change. Avant, il serait resté la nuit contre Sacha à l'admirer, intervenant avec sa fougue et son impertinence habituelles afin d'appuyer son petit-ami. Il s'affirme. S'affranchit. Sacha en est-il conscient ?

— Lucas ? s'étonne le Milanais qui le surprend en plein matage.

— Rien. Je pense que tu mûris. Je te revois tel que la première fois, en train de faire le fou sur les escaliers du palais Beaulieu. Je t'avais vu danser lors des démonstrations, j'ai eu un vrai coup de foudre artistique. Pas question de te laisser là. Je te voulais avec nous. Tu connais la suite... Ton visage perd la délicatesse de l'enfance, tes lèvres oublient d'esquisser ce sourire en coin que j'aime tant, tes traits sont plus accusés, plus masculins. Tes yeux magnifiques sont plus émouvants et plus graves. Ta silhouette aussi a évolué. L'adolescent devient homme. Bientôt, tu ne demanderas plus notre tendresse, tu la refuseras même. Tu ne seras plus notre beau diable, mais notre beau ténébreux, raille-t-il gentiment.

— Ce n'est pas demain la veille, rétorque Matte visiblement bouleversé. Je t'aimerai malgré tout. On ne commande pas ses sentiments.

Le "malgré tout" se résume à un prénom, celui de son petit-ami. Et les "sentiments" à ceux que tous ils éprouvent. Les uns envers les autres.

— Tu as raison sur ce point, reconnaît-il. C'est une certitude universelle.

Ce que le café de Sacha n'a pas réussi, cet échange avec Matte y parvient, il reprend pied dans la réalité. Terminé le délire un peu euphorique. L'étreinte de Rémi sur sa main se fait plus ferme. Il soupire. L'arrivée d'Helmut crée une diversion opportune.

— Alors, mon poussin ? Prêt ? dit-il en l'accolant avec chaleur.

— Oui. Je crois qu'on a fait ce que l'on pouvait, du mieux que l'on pouvait. Tu as délaissé le Dean's ?

— Je tenais à être là. Joël est un grand garçon, un lundi, il se débrouillera.

Lionel a accueilli son compagnon avec un verre de champagne. Le bras d'Helmut est venu encercler la taille du quinquagénaire. L'interrogation qu'il lit dans les iris bleu marine amène un léger sourire aux lèvres de l'aîné. Lionel acquiesce d'un imperceptible mouvement de la tête. Oui, il est bien. Pas de problème. Ils sont de plus en plus unis, attentifs aux besoins de l'autre. Ce couple mature, symbole qu'un renouveau est possible, est infiniment touchant.

Et cela met en évidence une de ses erreurs. Comment tous vivent-ils cette échéance ? Obnubilé par la création de la compagnie et les soucis qu'elle amenait, il s'en est peu préoccupé. Et voilà qu'il le regrette. Bien sûr, ils forment une équipe soudée et il n'a rien imposé. Est-ce une excuse à son indifférence ? Mieux vaut tard que jamais. Il fait le tour s'installant avec les uns et les autres. Il s'inquiète de leur état d'esprit, les remercie d'être à ses côtés, d'avoir donné de leur temps alors même qu'ils devaient être en congé, d'avoir souvent dépassé leurs domaines de compétences afin de le soulager. Il s'attarde auprès de Jan et Benoît, puis auprès de Patrick Dupond. Si lui est une des plus belles rencontres d'Eric Vu-An, Patrick est une des siennes. Il a autant d'admiration envers l'homme qu'il en a envers le danseur. Il sait avoir en lui quelqu'un sur qui il peut compter dans l'adversité, mais qui, comme Lionel ou Manu, n'hésitera pas à lui dépeindre la vérité, sans pommade, sans ménagement. Il revient peu à peu à son point de départ et s'apprête à s'asseoir en face de Sacha.

— Non !

Ce mot à la bouche de celui-ci s'accompagne d'un regard empreint d'un amour indicible.

— Je n'en avais pas l'intention, le rassure-t-il.

Pas de merci entre eux. Et en ce qui concerne ses états d'âme, il n'a nulle nécessité de le mettre sur la sellette. Il ose pourtant un geste qui trahit sa pensée, il frôle du bout des doigts le pendentif que Sacha ne quitte pas, cadeau personnel offert à son anniversaire. Réminiscence. Il le lui a attaché au cou à Vienne lorsqu'il lui a proposé d'être directeur artistique à ses côtés. Un mince sourire étire les lèvres de son vis-à-vis. Il le devine. Ils savent tous les deux qu'ils avanceront côte à côte dans l'aventure. Ou pas du tout. Et cette dernière hypothèse est inconcevable.

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Mardi 3 septembre Jour J.

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La température est agréable. Malgré l'heure matinale, le soleil est présent. Sur la table de la minuscule terrasse, entre les verdures en pot et les fleurs odorantes, Rémi dispose une nappe en lin et dessus un petit-déjeuner d'amoureux. Croissants feuilletés, brioches à la crème et aux raisins, miches et fromages, gelée de groseilles, jus d'oranges frais, petit bouquet d'alstromerias tout ce que son chéri préfère est là. Il désire que sa journée soit parfaite. Ainsi, faut-il bien la commencer. Ils sont rentrés à l'aube et son amour dort encore. Dans quelques minutes, l'horrible son aigrelet du réveil-matin, dont il déteste tout autant la cacophonie qu'au premier jour, l'arrachera des bras de Morphée.

Ils se laveront ensemble. Il enduira sa peau du gel aux agrumes que Lucas apprécie. Il imagine son plaisir. Lorsqu'il savonnera le creux de son dos, Lucas se cambrera, se pressera sur lui. Sa virilité frottera la sienne, le faisant frémir. Il l'embrassera à n'en plus finir. Lucas adore ça, les baisers. Il y met son âme. Il le sentira trembler de passion. D'impatience. Puis, des lèvres, de la langue, il caressera ses tétons, son ventre, puis son pubis, enfin il lui fera la meilleure pipe de sa vie. C'est ainsi qu'une bonne journée doit débuter. Avec l'orgasme qui bouleverse le corps. Avec des gémissements, des cris de volupté. Avec, au palais, le goût de la liqueur séminale de son amant. C'est la seule prière qu'à genoux dans le bac de douche, il veut adresser à l'avenir. Être avec Lucas. Toujours. Apaisés, en cette atmosphère complice, légère qui les unit si bien, les yeux dans les yeux, ils savoureront leur repas et le doux bien-être qui succède à la jouissance, ensuite...

La poitrine qui s'appuie sur son dos, les bras qui le ceinturent le surprennent en sa rêverie.

— Où es-tu, mon ange ? demande Lucas qui butine son épaule.

— Je rêvais ton éveil et notre douche. C'était tellement bien que je ne t'ai pas entendu te lever, grommelle-t-il dépité.

Son homme éclate de rire.

— Viens !

Avec empressement, Lucas le tire vers le canapé, s'y roule en boule et produit un léger ronflement.

— Bêta ! s'exclame Rémi.

Amusé, il se prête au jeu et couvre son corps de baisers tout en le dévêtant. Ce qui est rapide puisqu'il ne porte qu'un boxer. Son prétendu dormeur grogne, soupire, s'étire, offrant à sa bouche, à ses mains un maximum de peau nue avec complaisance. Lucas ne reste jamais très longtemps passif. Déjà, il s'affaire à rendre le plaisir qu'il lui procure. Un jour, il l'attachera afin de l'avoir entièrement à sa merci. Pieds et poings liés, songe-t-il amusé. Il prendra son temps afin de lui donner la jouissance, de lui faire perdre ses repères, ses moyens. Il lui fera oublier jusqu'à son nom. Seul le sien sera sur ses lèvres. Alors, Lucas n'aura qu'un but : lui appartenir. Il aime le posséder, que son Lucas soit tout à lui, qu'il proclame son amour haut et fort. C'est sa revanche sur les autres. Tous les autres. Malheureusement, là, ils sont pressés. Il effleure l'intérieur des aines, s'approche de son membre puis s'en éloigne et revient à des attouchements sages.

— Rémi ! s'indigne-t-il.

Il répond par un de ses rires bas et sensuels qui émeuvent Lucas à chaque fois. Depuis qu'il l'a constaté, il en abuse fréquemment.

— Dans mon songe, tu étais moins fébrile, murmure-t-il.

— Fébrile ? Vraiment, chuchote Lucas contre sur son oreille ce qui le fait frissonner.

De l'extrémité de l'index, Lucas suit le contour de sa bouche. Sans cesser de l'observer, Rémi le happe, le mord tendrement avant de le lécher, mimant la fellation en gestes érotiques, tandis que du dos de la main il frôle à peine son sexe. Les yeux clairs suivent sa langue. Inconsciemment, son Lucas humecte ses lèvres, halète doucettement. Sous l'effet du désir, ses pupilles se sont agrandies. Il est magnifique ainsi. Rémi n'est pas très vieux mais il a vécu ce passé sulfureux que lui reprochent les médias. Eu pas mal d'amants ensuite. Des hommes qui aimaient faire l'amour, en prenaient le temps et le faisaient bien. Aucun n'a chamboulé ses sens comme celui-là. Le sien. Celui qui fait sa joie et pourrait le briser d'un mot. Celui dont il est fou, dont il accepte des choses impensables. Parce que son bonheur à lui est tout.

— Mon âme, ma vie, soupire-t-il en baisant son visage, ses paupières.

Lucas le dévore des yeux. Du bout des doigts, Rémi taquine son cou, sa poitrine, son ventre plat, son phallus. Il remonte jusqu'à l'aisselle parfaitement épilée. Il aime le satin de sa peau, la mouillure du bas de son dos qu'amène l'envie. Sa bouche voyage sur son corps, il en connaît chaque perfection, chaque défaut. Il mordille son cou, lèche la jugulaire où il sent battre la vie, avant de chercher ses lèvres. Les mains de Lucas parcourent son dos et le bas de ses reins, massent ses épaules et accentuent leur prise sur sa nuque. Le baiser s'enflamme, devient quasi violent. Baiser de feu.

Lui a un but. L'orgasme de Lucas. Il se dégage de son étreinte et envisage sa séduisante nudité. Il gratifie le nombril de quelques légers coup de langue humides, souffle doucement dessus. Il perçoit ses frémissements. Ses mains maintiennent ses hanches, la joue posée sur son pubis, il aspire les gouttes d'ambroisie qui perlent au bout du gland, puis sa bouche s'empare de celui-ci de façon avide, de son pouce et son index formant un anneau, il caresse sa hampe. Il lèche enfin sur toute la longueur la virilité, avant de revenir à son sommet. Lucas geint son plaisir. De sa seconde main, il palpe délicatement les bourses gonflées, les faisant rouler sous ses doigts. Quand il le sait près de la volupté, il l'abandonne, générant une vaine protestation. Lui aussi a des besoins qu'il n'arrive plus à occulter. On est loin de la fellation prévue.

Il aime le regard extatique de Lucas qui se noie dans la volupté qu'il lui procure. Il s'arrache à cette vision enivrante afin de lécher à nouveau son sexe pendant qu'il effleure l'intérieur de ses cuisses, les plis chauds des aines, il cajole le scrotum et enfin la barrière de son intimité du bout des doigts la massant pour la distendre. Il remplace ses phalanges par sa langue pour la feuille de rose et provoque chez Lucas ce feulement rauque de félicité qui le bouleverse à chaque fois.

— Viens, viens...

Son empressement l'émeut.

— Chut, mon tout-beau, laisse moi faire ! murmure-t-il en enduisant ses doigts de salive, dont deux le pénètrent et il reprend sa caresse buccale le long de la virilité.

Le bassin de Lucas devance les mouvements des envahisseurs qui explorent son intimité. Il en ajoute un troisième. Sa respiration se fait erratique et une mélopée de geignements accompagne ses élans saccadés.

— Rémi...

Il l'appelle. Le réclame. Il recueille du bout de la langue le precum qui glisse sur son gland de belle façon, remonte le long de son corps et en partage à sa bouche le goût unique de l'excitation. Les chevilles de Lucas sur ses épaules, il se positionne à l'entrée de la rosace relâchée puis force le fin barrage, plongeant dans le fourreau brûlant avec un râle de volupté. Son homme avec fougue vient au devant de lui avec un cri impatient. Il commence de lents aller-et-retour, approfondissant le contact, trouvant le bon angle pour atteindre son centre du plaisir. Il voit les pupilles de son Lucas s'agrandir de jouissance. Il se mord les lèvres pour ne pas crier sa victoire de le voir perdu dans ses délices, arqué vers lui, ses ongles labourant le creux de son dos.

— Plus vite, plus fort, gronde-t-il.

Il exauce son souhait. Ses va-et-vient se font frénétiques, presque violents. Tel une houle, le plaisir le submerge peu à peu, il se sent au bout de son endurance, il caresse alors le sexe de son amant pour que son bien-être soit complet.

Quand approche l'orgasme, ils ne se lâchent plus des yeux multipliant les voluptueuses sensations par la vue de celles de l'autre et quand la sève monte dans le membre érigé et la semence en jaillit sur sa main, il accueille la délivrance avec un ahan irrépressible tandis que l'anneau de chair de Lucas se resserre autour de sa virilité augmentant l'extase qui le fait défaillir. Et Lucas clame son plaisir, son amour.

Apaisés, ils restent là, avachis sur le canapé trop court, trop étroit, calmant leur souffle.

— Je t'aime, dit son Lucas comme si le fait de l'avoir gueulé dans la volupté ne comptait pas.

— Si je n'en étais pas persuadé, je ne serais pas là, mon cœur, chuchote-t-il. Je t'aime aussi. Plus que tout.

A-t-il la moindre idée de l'érotisme qu'il dégage alors qu'assouvi, Lucas s'étend sur lui avec lascivité ? Il repousse les longs cheveux sombres qui couvrent son front et y pose les lèvres.

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Pour ne pas être en retard, ils marchent d'un bon pas. C'est le problème des tête-à-tête amoureux, sans qu'on le réalise, ils se prolongent plus que de raison. La main de Rémi, posée dans le creux de son dos, ne le quitte pas, tenant à lui montrer son soutien. Avec son réveil très sensuel, son petit-déjeuner, ses mots d'amour, il l'a comblé. L'a-t-il été également ? Il lui jette un coup d'œil en coin. Rémi s'en aperçoit, sourit, l'attire à lui tout en avançant et l'embrasse tendrement. Tout est bien. La rue des Archives. Déjà.

L'hôtel des Perrière semble désert. Nulle agitation dans les jardins, nul élève à la cafétéria. Seul Sacha le guette. D'un même élan, ils s'étreignent.

— Tu es prêt, danseur ?

— Oui. Toi ?

— Pareil. Allons-y.

Il a tenu à assister à la séance photos des étudiants absents vendredi. Ceux-ci patientent dans la grande salle. Le cœur de l'école Donn Bayot. Florent est en train d'effectuer ses réglages, seul. Par contre, il a la surprise de retrouver assis sur le banc, sa caméra à ses côtés, Fidelio, l'un des vidéastes de Yann. Voilà qui n'était pas prévu.

— Yann a dit que nous n'avions pas filmé tous les élèves. Je n'avais pas énormément de choses à faire ce matin. J'ai pris une heure sur cet emploi du temps inexistant afin de terminer le boulot, l'informe-t-il avec le sourire. Ce qui est fait, n'est plus à faire.

— Prêts ? crie à ce moment Florent. Qui se lance ?

Les huit se regardent en chiens de faïence. Nul ne se décide.

— Asmaa, à toi, tranche Lucas en s'asseyant tout contre Rémi qui enclenche son caméscope.

Les révélations se succèdent. Camelia sur un extrait de la cinquième de Beethoven est étonnante. Il a déjà vu évoluer sur la sixième ou la neuvième. Le compositeur a aussi écrit des musiques pour danser la polonaise, la valse ou le menuet. Très loin de ses symphonies qui contiennent une indubitable violence. La cinquième en est le parfait exemple, il fallait oser. Steven est lumineux et Dieudonné félin. Pourtant c'est sans conteste le couple Mehdi et Nathan qui leur procure le plus beau des frissons. Tous les deux dansent sur des standards du groupe allemand de hard rock, Scorpions. Nathan débute par "Send me an Angel", cède la suite à Mehdi sur une autre ballade, le succès planétaire : "I'm still loving you". Ils reprennent ensemble en un pas de deux infiniment sensuel. Le plus impressionnant est qu'ils ne se sont pas contenté d'improviser, ils ont créé une belle alchimie musicale et chorégraphique où les deux chansons se répondent à plusieurs reprises. Tout y est : la technique, des gestes superbes, une émotion palpable. Sauf l'improvisation. Instinctivement, il espérait beaucoup de Mehdi qui paraît avoir une personnalité complexe, il n'est pas déçu. Par contre, le taiseux Nathan est une véritable découverte que ne laissait pas présager l'avis de Michel Gascard.

— Wouaw, s'exclame-t-il. Très chouette.

— Ils ont tenté de nous en mettre plein la vue, ricane Sacha.

— C'est réussi. Ils sont bons, approuve Patrick qui les a rejoints entre temps.

— Plus que ça, murmure-t-il alors que Mehdi tombe aux genoux de Nathan, puis s'effondre à ses pieds sur les dernières paroles : I'm loving you... Je vais les enchaîner au BBP, ces deux là.

Il surprend l'air narquois de son homme. Oui, il ne peut garder tout le monde, c'est sûr. Le Berbère se tourne vers lui en quête de son verdict. Il leur adresse un signe approbateur de la tête et leur demande d'approcher.

— La chorégraphie ?

— Nathan, réplique Mehdi en désignant son compagnon décidément peu causant.

— Tu as chorégraphié l'entièreté des morceaux ? l'interroge-t-il.

— Oui, rétorque le garçon.

De toute évidence, il n'obtiendra pas de commentaires plus développés. Il en sourit.

— J'aimerais voir ça à l'occasion.

Les deux jeunes gens échangent un regard satisfait et s'éloignent main dans la main. Après quelques mots à Florent et Fidelio, ils se dirigent vers le bâtiment de la compagnie pour le baptême de celle-ci. Malgré la présence de Rémi, Sacha passe un bras autour de son cou, pose un baiser sur sa joue.

— On y est.

Lucas acquiesce de la tête. Il serre fort la main de Rémi qu'il n'a pas lâchée.

— Sois heureux. C'est ce que tu voulais plus que tout, poursuit Sacha.

— Je le suis ! se récrie-t-il. Tu ignores à quel point. Mais ému aussi. Et paniqué à la perspective de ce qui nous pend au nez alors que nous sommes novices.

— Sois plus optimiste. Tu sais le verre à moitié vide et le verre à moitié plein, se moque-t-il. Nous ne sommes pas seuls. Réfléchis à ce que nous avons comme atouts pour réussir. A commencer par la meilleure des équipes, qui va finir par s'impatienter si tu continues à ralentir le pas, plaisante Sacha.

Lucas lui adresse une grimace qui le fait rire. La salle de danse bruisse. De légers rires en conversations discrètes, elle prend vie à l'image de la compagnie. Il rejoint son staff rassemblé à côté de la console de sons. Manu lui jette un coup d'œil un peu penaud. Une grande première.

— Ça remue sur internet, l'informe Joffrey. Ça twitte énormément. Le "Longue vie au roi Lucas ! " remporte un franc succès, se moque-t-il.

Il lève les yeux au ciel. Il s'y attendait. Les blogs ne seront pas en reste. Les photos de la soirée au Motus ne vont pas tarder à circuler. Abdel s'avance vers eux, le cherchant manifestement.

— Ah, te voilà, monsieur le directeur. Où dois-je déposer les plantes et les fleurs qui sont livrées ?

La manie du concierge de le tutoyer alors qu'il l'affuble d'un titre ronflant l'amuse une fois de plus. Sa question, par contre, l'embarrasse. Voilà un cas de figure qu'il n'avait pas prévu.

— Sur les tables de la cafétéria, pour le moment. Nous nous occuperons de les répartir ensuite dans les différents locaux, répond Rémi à sa place.

Lucas frappe dans ses mains afin d'obtenir le calme. Quand il faut y aller... Son allocution ne consiste qu'en quelques mots. Il s'est refusé à faire un discours grandiloquent. La naissance du Béjart Ballet Paris, la rentrée de l'école Donn-Bayot doivent être une fête. Il résume leur histoire très brièvement, parle de leurs ambitions et dresse un court portrait de l'avenir. Il termine en les encourageant à ne pas baisser les bras durant la saison plus que chargée, puis cède la place à Patrick Dupond nettement plus bavard que lui. C'est un habitué, il en a fait des déclarations lors de sa présidence à l'opéra de Paris. En tant que directeurs de l'école, Lionel et Vera lui succèdent.

L'assemblée, soûlée de mots pompeux, en une joyeuse cohue, se précipite vers la vaste table où sont disposés verrines, canapés, sandwichs, mini quiches, plateau de fromage, fruits, petits gâteaux et boissons non alcoolisées. Ils font honneur au buffet préparé par Christophe et son équipe. Pendant ce temps, Joffrey pianote allègrement sur son clavier. Florent a déjà transmis les photos qui ne nécessitaient pas d'être retouchées. Le CSS est conçu pour les redimensionner directement. Elles sont quasi prêtes. Les sites également.

Il se faufile auprès de lui et de Sylvain installés derrière un des bureaux du service administratif qu'ils ont déménagés pour les besoins.

— Vous y êtes ?

— Je les bascule en ligne dès que tu veux.

Blotti contre Rémi qui le ceinture, la main de Sacha sur son épaule, Lucas inspire profondément.

— Vas-y, lance-t-il à l'informaticien.

— Voilà. Tu peux y aller.

— Encore une minute d'attention, crie-t-il sans beaucoup de succès.

— Silence ! hurle Sacha avec un bien meilleur résultat.

— Aganno, sors de ce corps, souffle Lucas.

Sacha éclate d'un rire où il perçoit une certaine nervosité. Tiens donc. En réalité, Monsieur Ménier fait le fort afin de le soutenir. Il lui sourit.

— Pas de compagnie digne de ce nom sans une identité médiatique, déclare-t-il. Sans une image internet. Je vous invite à découvrir la nôtre. Nos sites, celui de la compagnie, celui de l'école sont en ligne. Sylvain, à toi.

Sur l'écran que le jeune ingénieur a fait déployer et dans un silence religieux commence l'exploration du site de la compagnie. C'est Joffrey qui se charge de la présentation et de répondre aux interrogations que suscite peu à peu la projection.

— Et celui de l'école.

Sur le fond entièrement noir du site, danse une silhouette. On n'en voit que le contour qui semble dessiné à la craie blanche, pourtant, l'élégance, la grâce, la pureté des mouvements sont parfaitement rendues.

Peu à peu, la silhouette se transforme, les contours se remplissent. De translucide, le danseur devient tangible. De plus en plus réel. Alors que les traits blancs s'amenuisent peu à peu pour enfin disparaître complètement.

— Superbe, murmure Rémi.

— Gabriel ! C'est toi ! s'exclame Emily.

— Mais oui ! C'est toi, confirme Charly. Tu es magnifique.

Les exclamations se succèdent alors que s'achève l'introduction et que s'ouvre le site. Très entouré, Gabriel paraît tétanisé.

— Lucas, je..., bafouille-t-il enfin. Je ne mérite pas ça.

Il s'attendait à toutes les réactions, excepté celle-là.

— Tu as un don exceptionnel, Gaby. Tu représentes idéalement les talents que nous espérons aider à l'école Donn-Bayot. Le mérite, c'est le travail que tu fourniras dans le but de perfectionner ta technique qui est ton point faible. Si même, tu ne te présentes aux auditions que pour la saison 2015-2016, ce qui te permet d'avoir ton bac, tu incarneras toujours pour moi le premier élève de cette école. Sa mascotte.

Il ne sait pas trop de quelle manière ils en sont arrivés là mais il serre entre ses bras un Gabriel sanglotant, qui s'épanche ensuite dans l'étreinte de Sacha, puis de Rémi, avant de se faire cajoler par toute la troupe.

— Revenons au site de la compagnie ! les rappelle à l'ordre Joffrey. Lucas a rédigé une présentation de chaque professeur, chaque danseur, chaque élève. Outre votre biographie qui sera modifiée au fil du temps, il y a au moins une dizaine de photos pour chaque portrait et ce n'est pas terminé. Vous avez encore des shootings prévus avec Florent. Si vous faites le compte nous en sommes déjà à plus de sept cent cinquante clichés. Ce n'est que le début. Je ne vous les montrerai pas tous. J'en laisse pour vos loisirs...

Il clique sur l'onglet Les danseurs. Les miniatures s'affichent, il clique sur celle de Lisbeth. Le portrait s'avance en s'agrandissant, un second clic sur la flèche apparue, le texte, les photos prises avec le Béjart Ballet Lausanne, lors de la tournée de la saison précédente, ici à l'hôtel des Perrière défilent. Même démonstration pour John avec en sus des clichés à l'opéra de Paris. Il continue par deux rudristes.

— Comme vous le voyez, bien que les élèves soient regroupés en dessous, Lucas a veillé à ce qu'ils aient un descriptif pareillement détaillé et autant de photos que nous en possédions de bonne qualité.

— Les shootings organisés servent à ça, intervient Lucas. C'est un choix, coûteux il est vrai, que nous avons fait afin de nous associer au public. J'y tenais. Vous voir, connaître votre parcours, le rapprochent de vous. Provoquent leur engouement. Les blogueurs, les spectateurs apprécieront cela. Les sites n'arrêteront pas de s'étoffer. Au fur et à mesure, ils s'enrichiront d'images, de vidéos.

— Il y a en déjà plusieurs dans la galerie. Une des lieux : les salles, les bureaux, les ateliers, la cafétéria, les jardins, la salle Jorge Donn. Une de la répétition de vendredi. Celles des programmes libres suivront. Les derniers ont été filmés ce matin. Il y a un petit film qui met en évidence la billetterie, tourné avec la complicité d'Akiji et Pascal, il explique comment acheter des goodies, réserver des places, des déplacements ou des voyages sur la tournée. Sur celui de l'école, les photos prises à l'académie du cirque sont déjà en bonne place. Ainsi qu'une vidéo des salles de danse, des classes, du service médical et de la salle de relaxation. Nous sommes également sur twitter et facebook. Bref, vous découvrirez ça.

— Tout de suite, rectifie Sylvain. Il y a de l'animation sur les réseaux sociaux.

— En effet, confirme Joffrey. La veillée d'armes au Motus a fait grand bruit. La mise en ligne des sites avait été annoncée pour midi. Ils étaient, semble-t-il, très attendus. Les commentaires affluent.

— Ton travail est encensé, Joffrey, remarque Rémi qui, une main passée autour de la taille de Lucas, l'autre sur son épaule s'appuie contre le dos de son homme pour lire les divers avis. On trouve tous les superlatifs imaginables.

— « Un site qui fait bien les choses, à l'image de Lucas Bayot... », cite Lionel.

— « Original et innovant, il nous entraîne directement dans le monde du Béjart Ballet Paris... », lit Manu à son tour.

— « Une introduction exceptionnelle... »

— « Un organigramme prétentieux mis en exergue dans le but d'en jeter plein les yeux... », lit à son tour Patrick d'un ton mécontent.

— L'organigramme est un fidèle reflet de notre équipe. Moins prétentieux signifierait-il tronqué ? grogne Sacha.

— On ne peut pas faire l'unanimité, raisonne John.

— Dans l'ensemble, les avis sont élogieux. C'est encourageant, résume Lucas. Je suis content. Les détracteurs, les jaloux nous ne pouvons les éviter. Le principal étant qu'ils n'ont rien de tangible à nous reprocher.

— C'est quoi un organimachin ? s'enquiert l'oisillon.

Aussitôt Joffrey pianote, quittant les tweets, il affiche la liste des personnes qui composent le Béjart Ballet Paris.

— Voilà !

Il s'appuie plus lourdement sur Rémi, cherche le regard de Sacha.

— Alea jacta est, murmure Lucas.

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Béjart Ballet Paris

ORGANIGRAMME

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DIRECTION

Président de la Fondation Béjart
Jean Pierre PASTORI

Directeur

Lucas BAYOT

Directeur artistique
Patrick DUPOND

Directeur artistique adjoint

Sacha MENIER

Directrice administrative
Amélie BAYOT

Directeurs de l'Ecole-Atelier Donn-Bayot
Vera MENIER

Lionel ARCHAMBEAU

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ADMINISTRATION

Secrétariat de Lucas BAYOT
Françoise FONTAINE

Comptabilité & Ressources Humaines
Nicole UZOT

Responsable WLB IMMO – Location

Alice VERNIER

Responsable Salle Jorge Donn

Pascal NEUJEAN

Presse & Communication
Cornelia RAMIREZ
communication_at_

Web Designer

Joffrey FERAC

Billeterie – Organisation de voyages
Pascal JOURET

Akiji MISUNI

Catering
Rémi WIAME

Contact :
DonnBayot_at_...

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DANSE

Assistant à la direction artistique et Maître de ballet
Patrick DUPOND

Répétiteur
Jan VERMEER

Enseignement de la danse
Patrick DUPOND (classique)

Lionel ARCHAMBEAU (contemporaine)

Vera MENIER (répertoire de Maurice Béjart)

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Danseuses
Lisbeth NIEDERMANN

Lise MAYOTTE

Anissa VARGA

Katherine SOUVOFF

Arsiana LENZI

Julie NYSSEN

Sofia KOLAJCZAK

Naïma KALEMBA

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Danseuses stagiaires
Noémie BLOMBERG

Falila AMASSI

Maude CAPRASSE

Susan WEISS

Tania FALISE

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Élèves

Maria SCOLETTI
Lu-Pan WU
Chiara DABASI

Serena VILLUEVA

Emily BLAIR

Hermine BERTRAND

Laurine GASPARD

Amandine COLLARD

Lina DUBANSKI

Firouze AL-BAGHDADI

Asmaa FACHETTI

Camelia MASSANI

Petia SKOUROV

Miguela ABANA

Cassandra MINAUD

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Danseurs
Sacha MÉNIER
Yvan YORGEFF
Manuel INEIRO

John FELLERT

Keisuke NASUNO

Benoît CAVIER

Mathias ZULCA
Karol LIPISKY

Bernard JAUNET

Gabriel ELSEFFE

Sven IGAR

Jérôme HERMANN

Loïs de VALMONT

Frédéric PARISI

Philip GLATES

Lucas BAYOT

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Danseurs stagiaires

Jimmy DANJOUTIN

Sean HODGKIN
Alexeï KASSOF

Anh Dũng QUANG

Joaquin VIAMONTE

Robin MARCELOT

Maxime BOULANGER

Karl SCHMITZ

Xavier BONTEMPS

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Élèves

Dieudonné ABLI_BOUYO

Rocca DORREGO
Nathan GERARD
Mehdi EL AMAWI

Léonard COLLIN

Steven VAN CAUWEN
Étienne NOBLET

Charly MORAY

Victoire FÉROU
Kevin ALLISTER

Mikael KAUT

Ramon BORGEZE

Philippe LOUVOIS

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TECHNIQUE

Secrétariat technique
Carole LECARE

Physio-osthéopathe
Giovanni PASSANI

Ahmed LARBI

Responsable lumière
François VANDERMEEREN

Régie compagnie & plateau
Sylvain LATOUR

Création et réalisation effets spéciaux
Sylvain LATOUR

Costumiers
Dorian DEVILLE

Arnaud MALLET

Coiffeur

Samuel LEFEVRE

Maquillage

Caroline BLANCHET

Linda CASSANE

Chef cuisinier
Christophe VERNIER

Cafétéria
Lorenzo DI MARIA

Concierge
Abdel FARAJ

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École-Atelier DONN – BAYOT

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DIRECTION

Vera MENIER

Lionel ARCHAMBEAU

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Saison 2013-2014

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Professeurs de danse

Patrick DUPOND (Classique, pas-de-deux, pointes et technique)
Lionel ARCHAMBEAU ( Danse moderne)
Vera MENIER (Répertoire Maurice Béjart)

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Professeurs de danse suppléants

Manuel INEIRO (Danse contemporaine)

Yvan YORGEFF (Danse classique)

Sacha MÉNIER (Danse contemporaine)

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Professeurs cours complémentaires

Jonas MAYONGA (Rythmes & percussions)
Jonas MAYONGA, Lucas BAYOT, Jérémie FASSOTTE (Capoeira)

Laura MAEVIA (Chant)

Rémi WIAME (Nutrition, cuisine diététique)

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Professeurs invités

Brigitte LEFÈVRE (Danse classique)

Laurent HILAIRE (Danse classique)

Eric VU-AN (Répertoire Martha Graham)

Nicolas LE RICHE (Répertoire Rudolf Noureev)

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Partenaires

Académie Fratellini

Cours Florent

Adventure Line Productions

Florent VIGNEAU Photographie

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Contact :
DonnBayot_at_...

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F I N

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Voilà. Les rêves de Lucas et de Rémi sont réalisés. J'aurais pu en rester là. Ce n'est pas le cas. A la suite de nouveaux héros, vous retrouverez la majorité des personnages principaux dans une nouvelle aventure qui se déroule deux ans après la naissance du Béjart Ballet Paris. Merci de tout cœur pour m'avoir suivie lors de ce long périple qui a duré presque cinq ans. J'espère vous retrouver sur le tome 2 : Le tango des Perrière.

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Merci à toi Nanne de ta fidélité ! Avec ce chapitre tu as la réponse à certaines de tes questions. Pour d'autres, il faudra attendre le début de la suite (je n'ai pas encore trouvé de nom... pfffffft ! c'est compliqué, les noms...). Quant à Gabriel, je crois bien qu'on va le retrouver, oui... ;) Gros bisous !

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