Et voici le 2ème et dernier OS original de cette nuit du FoF du 1er mars 2013, qui avait pour thème foyer, et qui... est encore une side-story du Transfuge. Pardon.
Cet OS prend place après la fin de l'histoire alors... spoiler en vue pour ceux qui n'ont pas lu ! /o/

Début : 02h06

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Lorsque Joshua était entré en foyer d'accueil, il avait quatre ans – certainement la période de sa vie dont il se rappelait le moins. Contrairement à d'autres enfants, qui avaient atterri là parce qu'ils était orphelins, les parents de Joshua étaient encore vivants quand il était arrivé aux Pâquerettes. Enfin… probablement vivants. En ce qui concernait son père, en tout cas, il en était sûr. Pour sa mère, par contre, c'était un peu plus hasardeux.

Joshua ne se rappelait pas de son visage. Elle avait, d'après ce qui l'assistante sociale lui avait raconté des années après, quitté la maison quand son fils avait deux ans – ce qui n'avait pas eu l'air de troubler particulièrement son père, qui passait déjà toutes ses journées assis devant la télé à boire du whisky. Le père de Joshua était un homme très stoïque – même les hurlements de son fiston, qui avait besoin qu'on lui change sa couche, le laissaient de marbre.

Les services sociaux n'avaient pas tardé à s'intéresser à cette étrange famille, et peu avant le quatrième anniversaire de Joshua, deux agents vinrent réclamer au père de placer l'enfant en maison d'accueil – où, selon eux, il s'y sentirait beaucoup mieux.

Joshua en avait très peu de souvenirs, mais ce dont il se rappelait, c'était que son père n'avait même pas daigné bouger son cul pour regarder son enfant partir. Joshua avait demandé pourquoi son papa ne partait pas avec lui, et on lui avait répondu que c'était parce qu'on l'emmenait dans un endroit où seuls les enfants avaient le droit de s'amuser – et Joshua qui, à quatre ans, n'était pas encore du genre contrariant, se contenta d'accepter l'explication sans broncher, et dit à peine au revoir à son père lorsque vint le moment de partir.

Ce fut la dernière fois qu'il le vit, et par la suite, il n'eut jamais vraiment envie de le revoir à nouveau. Celle qui lui manquait, parfois, c'était sa mère, dont il avait de vagues souvenirs, mais même ce manque disparut bien vite, parce que le foyer était un univers totalement nouveau pour lui, et qu'il y avait des tas de choses à découvrir, et des tas de copains à se faire.

Rétrospectivement, la vie de Joshua au foyer n'avait commencé à se compliquer que lorsque Gabriel y avait fait son apparition ; mais avant ça, il s'y plaisait plutôt bien. Il avait des copains, il régnait sur sa petite bande, et à tout prendre, la vie était plus douce à l'orphelinat que chez lui, là où son père oubliait une fois sur deux de lui donner à manger.

Puis Gabriel était apparu, et à partir de là, les choses avaient doucement commencé à dégénérer. Pourtant, le premier jour où il l'avait vu, il avait eu une sorte de coup de foudre. Qui avait vite (très vite) tourné au négatif, mais Joshua se rappelait parfaitement bien que, le jour de son arrivée, quand Gabriel avait intégré l'orphelinat et qu'il avait été présenté aux autres, il avait été ébloui. Il s'était même dit, rapidement, qu'il aurait bien aimé être ami avec lui. Le petit avait l'air d'un ange, et Joshua aurait bien aimé qu'il soit le sien.

Bon, l'ange s'était rapidement avéré être un démon, qui lui cassait ses jouets, qui lui volait ses copains, et pire, qui renversait un verre d'eau dans son lit après la sieste pour faire croire à la maîtresse qu'il avait fait pipi dedans, et moins de deux semaines après son arrivée, Joshua avait déjà commencé à le détester. À partir de ce moment, la vie à l'orphelinat s'était révélée nettement moins agréable. Le petit démon Gabriel semblait pourvu d'une imagination à toute épreuve quand il s'agissait de faire des bêtises et d'en accuser les autres – et si les autres, ça pouvait être Joshua, c'était encore mieux. Le petit brun ne savait pas ce qu'il avait fait pour devenir sa tête de turc, mais il était évident que Gabriel prenait un certain plaisir à le martyriser en particulier. Quand il y pensait, maintenant, Joshua se disait que c'était peut-être parce que, tout comme il avait éprouvé une sorte de coup de foudre pour Gabriel, le blond en avait eu un pour lui aussi.

Bon, sauf que si ça avait vraiment été le cas, quelques années plus tard, il aurait dû se rappeler de son existence avec un peu plus de netteté – mais bon, ce n'était pas interdit de rêver.

Par conséquent, quand on y pensait, Joshua ne s'était que rarement senti chez lui. Ses quatre premières années, il s'en rappelait à peine, et on ne pouvait pas réellement dire qu'il était attaché aux souvenirs qu'il conservait – d'ailleurs, au collège, quand l'assistance sociale lui avait appris que son paternel, devenu SDF, était mort d'une cirrhose, il avait eu l'impression qu'elle lui parlait de quelqu'un d'autre, et la nouvelle ne l'avait absolument pas ému.

Certes, entre quatre et sept ans, il s'était bien amusé, à l'orphelinat, mais on ne pouvait pas vraiment dire que c'était chez lui. Et quand Gabriel était arrivé, c'était encore pire. Par la suite, il avait vécu à l'internat du collège, à l'internat du lycée, et le premier appartement dans lequel il avait habité, ce n'était même pas le sien ; c'était celui de son copain de l'époque, chez qui il squattait par commodité.

Puis, il avait enfin pu louer son appartement à lui, mais il ne s'y sentait pas réellement bien. C'était juste un endroit où dormir et où poser son cul quand on était fatigué, simplement… Rien d'autre. Ce n'était pas non plus comme si ça avait de l'importance à ses yeux – n'ayant jamais eu de foyer dans lequel il se sentait véritablement bien, Joshua ne mesurait pas vraiment ce qu'il ratait.

Mais ça, c'était avant. Avant que Gabriel ne lui propose d'emménager avec lui.

- Mais j'ai trouvé cette petite maison à louer sur un site, vraiment pas cher ! Bon ok, c'est pas en centre-ville, mais on s'en fout, j'ai une voiture maintenant, je pourrai aller bosser au bar en voiture. Ou en métro, tiens ! C'est sur la ligne rouge. Et puis on sera plus près du studio d'Olivier comme ça.

Le blond n'avait pas ménagé ses efforts pour le convaincre. Et Joshua, qui n'avait jamais vraiment réussi à oublier cette noire, cette horrible période de sa vie où Gabriel sortait avec lui en donnant l'air de s'en foutre, n'avait pas non plus mis longtemps à accepter, heureux, au fond, que l'autre se sente prêt à un tel niveau d'engagement avec lui. Certes, la Période Noire datait déjà de deux ans, mais Joshua aurait préféré passer une vie entière en enfer que d'en revivre un seul instant.

Le déménagement avait mobilisé toutes leurs forces et tous leurs amis – et Gabriel avait eu du flair, la maison était vraiment une affaire en or. Un rez-de-chaussée, un étage, une petite cour avec un minuscule jardin, une petite allée devant pour se garer, et on s'y sentait vraiment bien. Le voisinage était calme, la petite vieille d'en face, qui s'était prise d'amitié pour eux, n'arrêtait pas de leur offrir des tartes aux prunes faites maison (et terriblement acides), et surtout, Joshua avait acheté un canapé moelleux qui était certainement, après le cul avec Gabriel, ce qui se rapprochait le plus du paradis.

- Bon, Joshua ! Tu comptes bouger tes fesses de ce canapé bientôt, ou je dois t'en chasser à coup de balai ? C'est à toi de faire la vaisselle !

- Dans une minute, marmonna Joshua, un magazine à la main, allongé de tout son long sur son paradis n°2.

- Non, maintenant !

Gabriel, l'air furieux, se tenait debout à côté de lui, et Joshua n'eut qu'à lui faire un petit croche-genou et à tendre la main pour l'attraper et le faire tomber sur le canapé avec lui.

- Dans une minute, répéta-t-il en serrant Gabriel contre lui. Ou deux.

- Crétin…

Mais Gabriel glissa ses jambes entre les siennes, et lorsqu'il posa la tête sur son épaule, Joshua sut qu'il avait gagné. Avec un sourire, il glissa ses mains dans ses cheveux, tout en songeant avec satisfaction que son blond, son canapé et cette maison, constituaient le seul foyer où il se soit jamais senti chez lui.

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Fin : 02h57.