Disclaimer : Cette histoire a été écrite pour un concours organisé sur le site de Charlie Audern, à partir d'un univers de sa création, dans lequel j'ai casé mon intrigue et mes personnages. Double copyright, donc ! N'hésitez pas à aller faire un tour sur son site ou chercher les autres chouettes textes qui ont été fait à partir de cet univers !

Notes en tout genre :

Merci à tous ceux qui ont pu prendre un peu de leur temps pour me laisser une review, et à tous les autres qui sont revenus une dernière fois pour découvrir la fin de l'histoire ! ^^

Elle a eu un peu de retard à cause du bug de fictionpress, mais la voila enfin. :p

J'espère que ce dernier chapitre vous plaira, et je vous souhaite une bonne lecture !


Incubus

6. De la joie de porter une paire de bas neufs

L'esplanade commerciale était noire de monde, en ce jour qui pour la plus grosse partie de la population était une journée de repos. A travers les énormes baies vitrées, de gros nuages cotonneux se découpaient dans la brume orange de la fin de l'après-midi, entre les silhouettes massives des tours voisines.

Du haut d'une passerelle, accoudé à la rambarde, Lyxem observait la foule qui grouillait comme dans une fourmilière. Les magasins ne désemplissaient pas, malgré la présence peu rassurante de troupes armées qui sillonnaient le niveau et contrôlaient aux hasards les individus qu'ils croisaient.

Le jeune garçon finit par se désintéresser de la situation en contrebas et s'adossa à la rambarde pour observer la passerelle. Là aussi, il n'y avait que des magasins et leurs clients surexcités, agglutinement d'anonymes qui se croisaient sans se voir.

Il avait été un peu étonné de voir que son ancienne chambre n'avait pas été relouée. Il soupçonnait Yanto d'avoir continué de payer le loyer sans l'en avertir, pensant que Lyxem viendrait se refugier là bas s'il tentait de fuir son appartement. Il y avait de nombreux messages laissés sur son ordinateur principal, pour la plupart de ses anciens clients ou de collègues prostitués qui demandaient de ses nouvelles. Et un, entre tous, qu'il avait reconnu comme l'un des pseudonymes qu'utilisait son contact des Architeks.

Lyxem avait répondu de la même façon que lui, détournée et discrète, presque un message codé, pour lui proposer un rendez-vous dans la semaine. Il n'était pas certain que son contact s'y présenterait ; le message de ce dernier datait de plusieurs jours et un tel silence avant une réponse tardive de la part de Lyxem allait peut-être l'inquiéter.

Néanmoins il espérait tout de même que l'appel marcherait, et il continuait de balayer la foule du regard, le cœur gonflé d'attentes et d'espoir. Il n'était pas encore tout à fait l'heure.

Quand le moment arriva, il quitta son poste d'observation et se faufila d'un pas chaloupé dans les allées plus discrètes, déboutonnant son gilet pour dévoiler son nombril aux courbes sensuelles.

Si son contact avait bien prévu de venir au rendez-vous, il aurait certainement repéré le jeune homme, et eu à loisir le temps de vérifier qu'il était venu seul. A présent, comme un prostitué qui commençait sa nuit de travail, Lyxem s'engouffrait dans les allées plus sombres de la zone franche, là où officiaient les garçons de petites vertus en quête de clients plus agréables que dans la fange.

Son cœur battait à tout rompre et il ne se sentait pas vraiment fier. A force de vivre avec Xanthe et Yanto, de ne plus avoir à écarter les cuisses devant le moindre frustré venu, il avait presque oublié ce que ça faisait de n'être qu'un morceau de viande à la disposition des regards concupiscents.

Mais s'il devait en passer par là pour enterrer définitivement son ancienne vie, il ne reculerait pas.

Il avait loué une toute petite chambre dans les allées étroites de la zone franche, connues pour être le quartier des plaisirs miniature de la tour, à deux pas des grands magasins et de leurs belles lumières. Plusieurs petites chambres se succédaient, échoppes d'un autre genre pour les promeneurs en mal d'affection, où les produits s'exposaient sur le seuil à défaut de vitrines.

Les places étaient d'ordinaire assez chères et la police veillait au grain, refusant que les querelles entre prostitués ou proxénètes puissent semer le trouble dans les chemins commerciaux à deux pas d'ici. Mais avec un compagnon officier, Lyxem n'avait eu aucun mal à dénicher une place pour la nuit.

Il trouva sa porte et se planta devant dans une pose aguicheuse, sous l'un des nombreux néons rouges qui éclairaient la rue, plongée perpétuellement dans l'obscurité tant elle était étroite et basse de plafond.

Il était encore un peu tôt, et ses collègues d'un soir le jaugèrent un instant du regard avant de se désintéresser de lui pour tenter d'appâter les rares clients qui trainaient. Lyxem, lui, pria plutôt pour qu'aucun ne réclame ses services, de peur de rater le seul homme qu'il attendait vraiment.

Il n'eut heureusement pas à attendre bien longtemps. Une dizaine de minutes plus tard, une silhouette encapuchonnée émergea au coin d'une rue. Les autres firent la moue en l'apercevant, craignant le pire quant à la créature qui pouvait bien se cacher en dessous de cet amas de tissus, comme souvent avec ce genre d'accoutrement. Lyxem, lui, sentit son cœur battre plus fort et se redressa légèrement.

L'homme prit pourtant son temps avant d'arriver vers lui. Il fit mine d'examiner les autres, fit un tour complet de la rue, sembla même la quitter pour aller voir un peu plus loin. Il revint pourtant peu de temps après, comme un client qui avait fait son choix, et arriva paresseusement jusqu'à lui pour le jauger une dernière fois.

- Combien ? demanda la voix étrangement grave, qui rappelait des souvenirs étranges à Lyxem, vestige d'une vie qu'il avait presque oubliée.

Ce dernier étira un large sourire et inclina malicieusement la tête, persuadé que c'était bien son contact, à la seule façon qu'il avait de s'adresser à lui.

- Ca dépend de ce que tu caches là dessous... et de ce dont tu as envie... susurra-t-il d'une voix douce en laissant glisser ses doigts le long des boutons de son manteau. Si tu rentrais pour qu'on en discute ?

Comme à chaque fois, ce fut aussi simple que ça.

La chambre était encore plus petite que son ancien logement. Il y avait juste la place d'y faire rentrer une couchette et un petit meuble de rangement rempli de serviettes et de draps jetables, le strict minimum pour une nuit de travail dans le monde du plaisir.

Son contact en fit succinctement le tour pour vérifier qu'il n'y ait pas de micros et déconnecta le panneau de contrôle. Puis il s'assit sur le bord du lit et fixa longuement Lyxem, sans rien dire.

Ce dernier se sentit un brin mal à l'aise dans son short sexy et ses bas affriolants, reboutonnant un peu son gilet, se dandinant d'un pied sur l'autre.

- Alors ? se lança-t-il subitement, pour engager la conversation. Vous avez quelque chose à me proposer ?

Mais l'autre resta immobile, silhouette sale et grise sous la lumière passée de l'ampoule du plafonnier. Un frisson désagréable traversa l'échine de Lyxem. Il n'aimait pas être fixé de la sorte par ce corps sans visage, scruté à travers d'épaisses lunettes aux verres fumés. C'était encore plus déplaisant que de faire le trottoir en petite tenue.

Puis il le vit glisser sa main gantée sous les épaisses couches de tissus qui le recouvraient, plongeant sous son écharpe et le col de son manteau, pour finir par détacher un petit boitier de déformation vocale qu'il déposa sur le matelas.

- C'est un piège, n'est ce pas ? demanda-t-il calmement, d'une voix infiniment plus douche et chaude que son timbre grave habituel.

Lyxem fut tellement abasourdi qu'il sursauta. Il sentit la panique le gagner soudain et balbutia vaguement sous la surprise, incapable de réagir, l'estomac noué.

- Je m'en doutais, continua son contact en déroulant lentement l'écharpe qui lui enserrait la gorge. En fait, je l'espérais même un peu. Ca devait bien finir par arriver, et je suis content que ce soit grâce à toi. Je pourrais te parler un peu avant qu'ils me trouvent.

Les yeux dorés de Lyxem restèrent écarquillés de stupeur. Devant lui, assis juste sous ses yeux, son contact était en train de se dévêtir lentement, retirant une par une toutes les couches de tissus destinées à le faire passer pour un Innommable de la fange, à cacher son identité.

Qu'est ce que cela signifiait ? Pourquoi il se dévoilait à lui, surtout maintenant, alors même qu'il savait que les forces de l'ordre pouvaient débarquer d'une minute à l'autre ? Il ne semblait pas inquiet le moins du monde d'avoir été trahi de façon si grossière. Pire encore, cela semblait même... le soulager.

- Si tu es là, ça veut dire que mon plan a marché, continua-t-il d'un ton incroyablement posé. Et que tu as fini par faire le choix que j'espérais que tu ferais.

De plus en plus perturbé, Lyxem restait tétanisé, collé contre le mur crasseux de la petite chambre exigüe. Son souffle s'amenuisait à mesure que son interlocuteur se dévêtait.

Et puis soudain, ce dernier abaissa sa capuche et retira lentement les verres noirs qui cachaient son visage.

Lyxem se serait attendu à tout sauf à ça. Il aurait pu tout envisager, même le pire, plutôt que de penser retrouver ce visage familier à cet endroit là, à ce moment là, cette figure qu'il connaissait tant et en même temps, découvrait pour la toute première fois.

Les yeux dorés de Lanska semblaient être exactement les mêmes que les siens, comme s'ils étaient sortis du même moule. L'autre Incubus était pourtant plus âgé que lui, d'une dizaine d'année environ, de la même génération que Xanthe et Yanto.

Il était la réplique exacte du robot qui hantait l'appartement des deux jeunes hommes. Sa peau de miel et ses traits doux, ce petit air mélancolique sur ses lèvres gourmandes, jusqu'à ses cheveux argentés, coupés exactement de la même façon que l'androïde.

Lyxem fut d'ailleurs légèrement surpris en réalisant ce détail au cours de sa longue observation stupéfaite. Un petit engrenage trouva sa place dans son esprit et il commença peu à peu à comprendre.

- Tu sais qui je suis, n'est ce pas ? s'enquit Lanska avec un petit sourire triste. Ils t'ont parlé de moi...?

L'ancien prostitué mit un temps fou à trouver la force de lui répondre, déglutissant avec difficulté, calmant progressivement les battements effrénés de son cœur.

- Oui... et il y a... le robot, aussi...

- Ah oui, le robot... Alors il fonctionne toujours...

Lanska ferma doucement les yeux à son évocation, comme rêveur. Lyxem, lui, reprenait lentement du poil de la bête et se détacha progressivement du mur.

- Yanto lui a coupé les cheveux... Exactement comme... les tiens... hésita-t-il en mimant de la main la petite longueur de mèches argentées collées sur la nuque de Lanska, derniers vestiges d'une très longue chevelure aujourd'hui drastiquement raccourcie.

L'Incubus parut surpris par cette nouvelle, battant des cils sous l'étonnement, avant d'étirer un sourire amusé.

- Ca fait des mois qu'il me traque. La dernière fois, il a presque failli m'avoir... Il a dû couper les cheveux de la copie pour qu'elle ressemble plus à l'original...

Dans quel but, il l'ignorait. Sans doute pour que l'objet de sa haine, dont il avait chaque jour un avatar sous les yeux, soit plus ressemblant à celui qu'il détestait vraiment

Lanska redressa lentement son regard doré.

-Mais tu t'en doute, n'est ce pas ? Que c'était moi qu'il cherchait depuis tout ce temps, en prétextant chasser les terroristes…

Lyxem hocha lentement la tête en guise de réponse.

Il avait toujours trouvé étrange que Lanska ait pu disparaitre comme ça alors que Yanto lui avait trouvé des papiers, permis de construire une vie et trouver le bonheur. Avec son grade d'officier, le blond pouvait accéder à toutes les vidéos, toutes les données des panneaux de contrôle du district 02 tout entier. Alors comment Lanska avait-il pu disparaitre du jour au lendemain et ne plus jamais donner de signes de vie ? Pourquoi est-ce que Yanto ne l'avait jamais retrouvé, ne semblait même pas avoir tenté de le chercher, laissant Xanthe sombrer dans des espoirs vains et des rêveries inutiles ?

En réalité, il n'avait dû avoir de cesse de le traquer, sans relâche.

Seulement le pouvoir de Yanto s'arrêtait en dessous du niveau 50. Une fois dans la fange, tout devenait bien plus difficile et incontrôlable pour les Légaux, et il était incroyablement facile pour un Incubus de se fondre dans la masse.

Il avait dû frôler Lanska de peu un nombre incalculable de fois, augmentant toujours un peu plus sa hargne et sa colère contre cette bête de laboratoire qui avait osé briser le cœur de Xanthe. D'où la haine de l'officier et son zèle incroyable quand il s'agissait de traquer les terroristes et de les exterminer. Oui, à vrai dire, ce n'était pas les Architek qu'il voulait arrêter. C'était un Architek.

- Mais pourquoi... ? souffla Lyxem alors que la peine l'envahissait. Pourquoi t'es parti... ? Pourquoi t'as laissé Xanthe... ?

Lanska baissa les yeux vers le sol, posant les mains sur ses genoux. Il avait achevé de retirer son manteau, qui tomba autour de lui comme la corole d'une fleur. Il portait en dessous de simples vêtements de civils, presque les mêmes que ceux qu'arboraient le robot qu'il avait construit à sa propre image.

- Tu as vu ce qu'ils lui ont fait, murmura-t-il simplement. Tous ces cauchemars, ces traumatismes qui le hantent... Il fallait qu'ils payent pour ça. Que le gouvernement assume ce qu'il lui avait fait. Je voulais le venger... Même si ça signifiait l'abandonner.

Tout simplement.

Pas par rancune personnelle, parce que Lanska n'était lui même qu'une expérience miraculeusement sauvée d'un laboratoire obscur, ayant échappé de justesse au massacre pur et simple. Pas par frustration contre cette société injuste qui martyrisait les gens comme lui, qui opprimait les pauvres et les malades, rejetait les gens trop différents.

Juste par amour pour Xanthe. Par affection pour cet homme qui l'avait sauvé, et qui payait chèrement le prix de ses années passées à servir la Métropole.

- Mais il s'en est jamais remis... se navra Lyxem en dévisageant son interlocuteur. Ton départ... ça lui a brisé le cœur...

La tristesse se peignit sur le visage de Lanska alors qu'il refermait les paupières sur ses yeux dorés, comme pour fuir le regard désolé de Lyxem.

- Je sais, répondit-il à mi-voix. Et Yanto ne me l'a jamais pardonné. Il a juré qu'il me tuerait, pour ce que j'avais fait à Xanthe.

Il échappa un tout petit rire, presque nerveux. Il semblait incroyablement las, fatigué de cette vie de fuite et de faux semblant, perpétuellement obligé de se cacher pour survivre et mener à bien les missions qu'on lui confiait.

- Il va bientôt réussir, on dirait... mais avant, j'aurai pu me faire pardonner...

Il releva lentement son regard et contempla Lyxem sans rien dire, durant un long moment.

Ils se comprenaient étrangement bien. Ils étaient semblables après tout, même s'ils n'étaient pas sortis du même laboratoire, n'avaient pas traversé les mêmes déboires. Sauvé tout de suite après avoir été tiré de sa prison clandestine, Lanska n'avait pas connu la vie dans la fange et la survie quotidienne, sans but et sans avenir, comme l'avait vécu Lyxem.

C'était aussi pour cela qu'il était d'autant plus persuadé à présent d'avoir fait le bon choix. Son existence auprès de Xanthe et Yanto n'avait pour lui été que douceur, au détriment du bonheur de ses deux compagnons. Lyxem, lui, saurait surmonter les difficultés, faire abstraction de sa propre personne pour les soulager de leurs peines.

Lanska, de son côté, ne pouvait plus faire cela qu'en se sacrifiant lui même pour la vengeance de son ancien amant, devenu terroriste par amour, non par conviction. Lyxem secoua la tête.

- La dernière mission que tu m'as confié... C'était une fausse, n'est ce pas ? Le collier ne contenait rien... tu m'as juste mis sur la route de Yanto... Tu savais qu'il voulait sortir ce soir là…

Leur dernière rencontre en Enfer qui avait sans doute dû attirer Yanto dans les parages, l'explosion de la gare qui avait réclamée l'intervention de la police, la fameuse sortie au Darkside, que Xanthe et Yanto avaient planifié juste sous les yeux de leur robot, certainement utilisé d'une façon ou d'une autre par le vrai Lanska pour pouvoir avoir des nouvelles de ses anciens compagnons.

Tout lui semblait à présent calculé, étudié, travaillé pour que hasard ait semblé le catapulter tout à fait miraculeusement dans les bras de ses nouveaux amants.

- Oui, avoua Lanska avec un petit sourire. A notre première rencontre… j'ai été très surpris de découvrir qu'il y avait d'autres Incubus encore en vie. Alors je me suis renseigné sur toi, de loin... et tu étais la personne parfaite... exactement ce qu'il leur fallait… pour réparer mes torts...

Il échappa un autre soupir, baissant à nouveau les yeux.

- Tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour Xanthe... Même si j'ai fait des erreurs, des mauvais choix... Je ne regrette de rien. Ca m'est égal s'ils me haïssent jusqu'à la fin de leurs jours. Moi, je n'aurai aucun regret. J'espère juste que toi, tu me pardonneras...

A nouveau il releva le visage et leurs yeux dorés se fondirent les uns dans les autres, comme une même partie d'un seul être, un pont, un lien indéfectible entre leurs deux âmes et consciences.

Mais l'émotion finit par gagner Lyxem et il sentit ses propres yeux s'embuer de larmes, qu'il refoula autant qu'il le put.

Tant de gâchis... Il se sentit stupide, mais les mots dévalèrent quand même.

- Tu m'as permis... d'apprendre à vivre... avoua-t-il d'une voix qui menaçait de se briser à chaque instant. Tu m'as permis de prendre ta place auprès d'eux... Comment tu veux que je puisse t'en vouloir... ?

Lanska ferma les yeux une dernière fois et sourit doucement, comme apaisé. Serein.

Il avait accompli sa mission. En tant que terroriste, pour venger Xanthe, faire trembler ce gouvernement qui les faisait ployer sous sa botte en se croyant invulnérable. Et en tant qu'ami, en trouvant quelqu'un capable de le remplacer, bien plus qu'un simple substitut temporaire comme le robot qu'il avait fabriqué. Lyxem saurait rendre Xanthe et Yanto heureux. Il saurait leur apporter la paix et le bonheur dont ils avaient besoin, à tous les deux, et pas seulement grâce à ses capacités d'Incubus.

Lui, il n'avait jamais été capable de leur apporter autre chose que la satisfaction charnelle, puis la jalousie dévorante, et une horrible sensation de manque.

C'était pour cela qu'il avait disparu, au risque de faire perdre à jamais à Xanthe sa joie de vivre.

Mais à présent... il savait que l'ancien soldat finirait par la retrouver, et même plus encore.

Alors il était heureux.

La porte claqua comme un coup de tonnerre.

Yanto était là, aussi beau que d'habitude dans son bel uniforme noir, incarnation parfaite de l'ordre et de l'autorité, du respect des lois et de la sécurité. Ses traits étaient durs et froids, presque sans expression, comme un envoyé mystique venu accomplir sa mission sans le moindre état d'âme.

Sa main était serrée sur un revolver qu'il leva sans hésitation en direction de Lanska, droit entre ses deux yeux dorés qui le fixaient comme si de rien n'était.

Les prunelles de l'Incubus restaient étrangement impassibles face aux tâches d'encres des yeux de Yanto. Ils étaient tous deux silencieux et immobiles, mais des tas de choses semblaient circuler entre eux par ce lien invisible, une conversation muette, par la simple force de leurs regards.

Puis Yanto fit un léger mouvement de tête.

- Lyxem, sort d'ici. Ca ne te regarde plus.

Le jeune garçon se mordit la lèvre, l'esprit vide et les jambes cotonneuses. Il les observa une dernière fois, sous la lumière tremblotante de l'ampoule, figés comme deux statues. Il s'attarda longuement sur Lanska, si doux et résigné à cet instant, gravant son image à tout jamais dans sa mémoire.

Puis il sortit, sans un mot, et la porte se referma comme un tombeau.

A deux doigts de suffoquer, il se laissa tomber contre le mur et ferma les yeux aussi fort qu'il le pouvait. Le petit bâtiment était entièrement cerné par les forces spéciales, cohortes de soldats en uniformes noirs qui pointaient leurs armes en direction de la porte, empêchaient les prostitués de sortir voir ce qu'il se passait et bloquaient l'accès de la rue aux badauds. Il s'agissait pour la plupart de cyborgs, qui obéissaient au doigt et à l'oeil aux ordres de Yanto, les appliquant sans réfléchir ni se poser de question. L'attentat qu'avait essuyé le blond lui avait bien trop couté moralement pour qu'il reprenne de si tôt la tête de véritables soldats, faits de chair, de sang et de chaleur.

Mais Lyxem se fichait complètement de ce qui l'entourait.

Il se courba légèrement et plaqua les deux mains sur ses oreilles.

A l'intérieur, dans la petite chambre, tout allait bientôt être terminé.

Yanto allait se venger. Se venger de Lanska, qui non content de lui avoir volé Xanthe, d'avoir pris dans ses beaux yeux vert la place la plus importante, avait ensuite brisé son cœur en disparaissant du jour au lendemain. Se venger pour tout le mal que l'Incubus avait fait en tant que terroriste, tous les attentats, les bombes qu'il avait aidé à placer, toutes les vies qui avaient été arrachées par sa faute, pendant les longues années qu'avait duré sa disparition.

Effacer à jamais Lanska de leurs vies. Rayer son nom de la liste des disparus, pouvoir le considérer comme mort, définitivement. Permettre à Xanthe de tirer un trait et de se reconstruire, sans lui, sans son souvenir qui le hantait, sans l'espoir naïf que peut-être, un jour, il reviendrait.

Faire entrer inexorablement Lyxem dans leurs vies, pour prendre cette place qui serait alors véritablement vacante.

Le coup de feu résonna longtemps, même à travers l'épaisseur des murs, même avec la porte close.

C'était terminé.

oo

Yanto avait obtenu un tramway privé pour leur retour à l'appartement.

L'appareil plongé dans le noir filait sans un bruit entre les tours, et seules les lumières qui perçaient les rares baies vitrées de la Métropole éclairaient la cabine, dans un silence de plomb.

Lyxem était couché sur son siège, la tête posée sur les cuisses de Yanto, les yeux ouverts mais ne fixant rien de précis dans la pénombre, contemplant le vide.

Yanto, lui, observait la fenêtre comme s'il pouvait y avoir quelque chose à regarder à l'extérieur, les yeux obstinément rivés sur le côté, tandis que sa main caressait avec délicatesse les longues mèches écarlates de son jeune amant.

Il l'avait entrainé dans la navette sitôt après être sorti de la petite chambre, laissant les robots soldats s'occuper du reste, sans rien dire. Il avait simplement ordonné qu'on efface définitivement la mémoire des cyborgs une fois qu'ils auraient exécuté les derniers ordres qu'il leur avait donné.

Lyxem supposait que cela voulait dire qu'ils allaient s'occuper de déplacer le cadavre, nettoyer la chambre et effacer toute trace de ce qu'il s'y était passé. Yanto n'avait sans doute pas le droit d'exécuter aussi sommairement un présumé terroriste, surtout alors que les forces de l'ordre étaient à l'affut de la moindre piste pour remonter leur trace. Mais une fois la mémoire des robots soldats effacée, il ne subsisterait plus la moindre preuve de ses actes, de l'existence de Lanska, de sa disparition définitive à l'abri de tous les regards. Personne ne pourrait même vraiment savoir avec certitude si Lanska n'avait pas été épargné dans un ultime geste de pitié, n'avait pas réussi à s'enfuir par un passage secret, au tout dernier moment. Personne ne serait capable d'affirmer si l'on n'avait pas subtilisé le corps sans vie pour le transporter ailleurs au lieu de le détruire, le vendre comme jouet à un scientifique détraqué, le jeter du haut des tours, ou n'importe quoi d'autre de plus horrible ou de plus secret.

Personne d'autre sauf Yanto.

- J'ai juste fait ce que j'avais à faire, avait simplement dit ce dernier à Lyxem, devant le regard vide de l'ancien prostitué.

Le jeune homme ne se sentait ni vraiment triste, ni vraiment soulagé non plus. Il avait envie de rire et de pleurer en même temps, de frapper Yanto et de le serrer dans ses bras. Un tas d'émotions contradictoires se mélangeaient dans sa tête sans qu'il ne parvienne à les démêler, sans qu'il ne réussisse à trancher sur ce qui était bien ou mal, bon ou mauvais.

Alors il faisait simplement le vide et ne pensait à rien, comme à son habitude.

- C'est mieux comme ça.

oo

Lyxem se réveilla tout juste à l'aube et s'extirpa aussitôt du lit, fuyant les bras assoupis de Yanto et la place restée vide et froide de Xanthe, qui ne les avait pas entendus rentrer.

Couché directement après être revenu, il portait encore ses vêtements de la veille. Sans un bruit, il prit la peine de se changer, retirant ses vêtements de prostitué, les laissant tomber au sol sans le moindre regret.

Il enfila une nouvelle paire de bas bleus, ceux que Xanthe lui avait acheté quelques jours plus tôt, une jambe après l'autre, amoureusement. Puis il fouilla dans leurs affaires éparpillées, chipa un caleçon trop large au brun, un haut trop grand au blond, et sortit sans un bruit.

L'appartement était baigné par la lumière chaude de l'aube, brillant d'une couleur étrange, presque dorée. Il était orienté plein sud, constamment offert aux rayons du soleil. La grande pièce était vide et silencieuse, comme d'habitude, excepté la silhouette de Lanska sur le canapé.

Le robot restait là toute la nuit, une fois qu'il avait terminé ses tâches domestiques. Il passait en mode veille, rigide comme un piquet, assis le dos droit et les mains sur les genoux. Ses yeux étaient alors grands ouverts mais complètement éteints, la nuque raide et le regard rivé vers un point invisible en face de lui, fixe et immobile.

Dans la lumière du matin, il semblait à Lyxem que le robot avait les cheveux coiffés différemment par rapport à la veille, comme si sa coupe était très légèrement différente, ou plus ébouriffée. Mais c'était peut-être tout aussi bien l'œuvre de Xanthe, qui avait trouvé le temps long et s'était occupé en retouchant quelque peu le cyborg.

A vrai dire, Lyxem n'avait encore jamais vu le soleil se lever dans l'appartement. Il se réveillait toujours trop tard, ou trop tôt, en vrai flemmard qui adorait trainer au lit ou devant son petit déjeuner.

Ses pensées étaient toujours aussi emmêlées que la veille, mais le voile cotonneux du sommeil les maintenait pour l'instant à distance, ne laissant en lui qu'un bien être et une détente agréable. Ses pieds nus ne faisaient presque pas de bruit alors qu'il s'approchait du canapé, grimpait sur la banquette, tout à côté de Lanska.

Le robot ne broncha pas, semblant contempler fixement la baie vitrée et le disque d'or du soleil qu'ils voyaient se lever entre les tours, comme si l'appartement avait soigneusement été construit dans cette orientation précise, dans l'attente de ce jour là.

Lyxem imita le cyborg et se plongea dans la contemplation de ce spectacle. Il se coucha sur le flanc, étendu sur le sofa, et posa la tête sur les genoux de Lanska tout comme il l'avait fait avec Yanto dans l'obscurité du tramway, pas plus tard que la veille.

La cuisse sous sa joue était agréablement ferme et chaude, invitant à la détente et à la décontraction, ce qu'il s'empressa de faire alors que le soleil se levait sur une nouvelle journée.

Puis, gracile comme une plume, la main de Lanska vint se perdre dans la chevelure rouge étalée sur sa jambe, et un doux sourire apparut en même temps sur leurs visages.

Leurs deux regards dorés se croisèrent, espiègles et complices.

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oOoOoOoOoOo

Et voila, c'était le dernier chapitre qu'il me restait à poster !

Si vous avez encore quelques petites minutes, n'hésitez pas à me laisser un petit mot pour me dire ce que vous en avez pensé. Surtout pour ce chapitre, j'avoue que j'ai un peu peur de l'accueil qu'il va recevoir ( je sais pas pourquoi :D). Idem, si vous avez des questions sur la fin, n'hésitez pas non plus ! C'est une histoire sur laquelle j'avais passé beaucoup de temps et qui encore maintenant me tient beaucoup à cœur…

Alors j'espère que vous aurez pris autant de plaisir en la lisant que moi en l'écrivant ! Je vous remercie d'avoir lu cette histoire jusqu'à la fin, et j'espère vous revoir bientôt !