Et voilà... je me lance !

Lectrice assidue des fictions yaoi, je décide enfin de partager mes modestes écrits. J'espère que ça vous plaira. Et tous les commentaires sont les bienvenus !

Cette fiction est en cours d'écriture, et raconte l'accession au trône du prince héritier, Calith. Aidé de ses fidèles conseillers, il va tout mettre en oeuvre pour sauver le royaume du gouffre dans lequel l'Imposteur l'a plongé. Mais s'il ne doutait pas de la difficulté de l'entreprise, il ne pensait pas que ce serait si compliqué que ça.

Cette fiction met en scène des relations entre hommes, si ça vous dérange, passez votre chemin. Je vais tenter d'atténuer au maximum les scènes les plus violentes, mais elles sont, pour moi, indispensables. Vous êtes prévenus.

Bonne lecture !


Un cri d'agonie et son adversaire s'effondre au sol, le corps transpercé par l'épée. Ils ne sont plus qu'une dizaine, maintenant, à le séparer de Lombeth. L'Imposteur. Il ne le quitte pas des yeux tandis que son épée entame sa danse macabre. Du sang, des cris, l'agonie. Pour rétablir la justice. Pour rétablir la paix. Du sang pour laver l'affront qui a été fait à sa lignée.

Le monde semble s'être arrêté de tourner quand il engage enfin le combat avec son ennemi. Les yeux du tyran, d'un bleu glacial, le toisent tandis que la carrure imposante de redresse, comme pour le défier. Lombeth a tout d'un géant et des muscles si volumineux qu'ils tendent ses vêtements comme s'ils souhaitaient s'en échapper, mais Calith n'éprouve aucune peur. Il ne ressent plus que la poignée de son épée, la force des coups qu'il assène, les parades qu'il met en place face aux déploiement de technique dont fait preuve Lombeth. C'est un combattant redoutable et expérimenté, et ils enchaînent les passes et les esquives sans parvenir à se départager. Le sol est glissant, les carreaux de marbre blanc ont disparu sous le sang versé. Les lames s'entrechoquent à vitesse surhumaine, simples éclairs de métal, et résonnent entre les hautes colonnes de marbre blanc. La salle du trône, souillée par la simple présence du fourbe.

Et puis, soudain, comme une ironie du sort, Lombeth perd l'équilibre. Glisse dans le sang qu'il a fait couler. Et Calith en profite pour porter le coup fatal. La tête de l'imposteur roule jusqu'au bas des marches du trône, avant de se figer, un air surpris gravé à jamais sur le visage.

Elihus s'approche de lui et pose doucement sa main sur son épaule. Les deux hommes s'observent un instant, avant de se sourire. Elihus est un homme robuste, malgré son âge. Plus vraiment jeune, pas encore âgé, il était l'un des bras droits du père de Calith. Une barbe fournie soigneusement entretenue, des cheveux noirs coupés très court, il inspire à la fois la crainte et la sympathie.

Et puis, mû par le tact qui lui est si cher, Elihus fait signe aux hommes encore présents de se retirer. Et il se retire à son tour, laissant Calith seul dans la vaste salle du trône. Ce dernier s'écarte rapidement du massacre, pour déambuler lentement entre les hautes colonnes. Des riches tapisseries qui réchauffaient le marbre, des tableaux somptueux, des ornements précieux dont il garde le souvenir, il ne reste rien. L'imposteur a dépouillé toute richesse, toute vie de cette salle. Et pourtant, Calith voit encore son père sur le trône, vêtu de ses plus beaux atours, le front noblement ceint de sa couronne royale.

Certes, il restait un homme, avec ses failles et ses erreurs, mais Calith peut dire, sans avoir peur de faire preuve de trop de subjectivité, qu'il était un bon roi. Aimé par ses hommes, par son peuple. La preuve ? Ils sont restés nombreux, fidèles à la lignée, à comploter et à prendre des risques pour rendre le trône à l'héritier légitime. Et le voilà, maintenant, l'héritier légitime du royaume de Pieveth, debout dans cette salle du trône déserte, souillée de sang. A se demander si son père peut le voir, d'où il est. Et s'il est fier de lui.


Un bruit de lutte dans le couloir lui fait reprendre pied dans la réalité. Il secoue doucement la tête, sachant que ces pensées ne changeront rien à la situation, et se dirige d'un pas résolu vers les lourdes portes de bois sculpté, semblables en tout point à ses souvenirs. La lutte dans le couloir n'était qu'une escarmouche, et les traitres ont rejoint leur maître dans l'éternité. Très vite, les ordres fusent, de la part d'Elihus. Et pendant que les serviteurs s'affairent à nettoyer la salle du trône et à préparer un festin pour la soirée, les comploteurs se retrouvent dans l'ancien bureau d'Elihus, pour peaufiner leur plan.

Elihus observe, une moue contrariée sur le visage, le dépotoir qu'est devenu son bureau. Puis c'est Loundor, le général de l'armée rebelle, qui entre dans la pièce, son épée soigneusement nettoyée mais lui-même dégoulinant de sang. Des cheveux aussi noirs que la suie, mi-longs, une mâchoire carrée, une carrure proprement effrayante. Un loup-garou. Vient ensuite Nala, ombre féline qui se faufile dans le bureau. Elle est magnifique, grande et élancée. Aussi dangereuse que belle. Elle gère les espions et les francs-tireurs, ombres de l'armée. Les autres sont restés loin du château, n'attendant qu'un signe pour les rejoindre. Trop dangereux pour eux de se retrouver au cœur de la mêlée.

Très vite, ils se mettent d'accord. Elihus s'occupe d'organiser le retour du roi légitime, invitant les nobles à présenter leurs serments de loyauté. Il a sous ses ordres trois personnes plus que compétentes, qui doivent s'occuper des nombreuses questions pratiques qui régissent la vie du royaume. Loundor, lui, s'occupera de rallier les soldats à sa cause. Et Nala, la douce et vénéneuse Nala, s'occupera de traquer les traîtres et de les éliminer jusqu'au dernier.

Ils n'hésitent pas, connaissent déjà leur rôle. Calith, lui, se retire dans ses nouveaux appartements. Il a besoin d'un peu de solitude. Un des soldats l'accompagne, par crainte qu'un homme à la solde de l'Imposteur ne leur ai échappé et cherche à se venger. Sans dire un mot, il l'aide à le débarrasser de tout ce qui fut le mobilier royal. Puis Calith fait mander des esclaves pour qu'ils apportent de nouveaux meubles.

Indifférent à l'agitation, ignorant la présence du soldat posté à trois pas de lui, il reste immobile devant l'étroite fenêtre. Il n'arrive pas à réaliser. Six ans. Six ans que son père a été assassiné, sous ses yeux, par l'infâme. Six ans d'exil forcé, de fuite perpétuelle, de traque sans merci. Six ans pour préparer sa vengeance, ourdir complots sur complots pour rallier à leur cause des hommes et des femmes prêts à risquer leur vie pour voir l'héritier sur le trône. Six ans à préparer son retour, à s'entraîner sans répit pour ne pas faillir le moment venu.

Le plan était simple : s'infiltrer discrètement dans le château. Se débarrasser un à un des gardes en patrouille, des serviteurs trop zélés. Puis prendre d'assaut le repaire de l'Imposteur.

Et maintenant qu'il est là, enfin vainqueur, il redoute de ne pas être à la hauteur. Il a tant de choses à faire ! Et être le fils de son père ne fait pas de lui un roi exceptionnel. Il devra faire ses preuves, gérer au mieux la situation plus que délicate. Car du haut de ses vingt-cinq ans, il comprend parfaitement qu'il lui faudra des épaules solides.

Le royaume est à l'agonie. Lombeth a tant élevé les impôts que le peuple meurt de faim. Il a promulgué de nombreux décrets, visant à réduire toujours plus la liberté de la population. Et surtout, a exacerbé la haine qui persiste entre les peuples. Car Pieveth est composé d'humains, bien sûr, mais aussi de mages, de loups-garous, de farfadets et de vampires. Et puis, il y a les draugar, ces spectres qui hantent les villages malgré leur apparence parfaitement humaine. Ainsi que les margotines, ces fées champêtres qui fertilisent la terre. Calith n'ignore pas que ces peuples se côtoient sans réel plaisir. Il y a de nombreuses escarmouches, très régulièrement, malgré les tentatives du Roi pour les éviter. Et Lombeth s'est fait un plaisir d'attiser les tensions : diviser pour mieux régner. Elles sont sans doute nombreuses encore, les créatures qui se tapissent dans l'ombre sans révéler leur véritable nature. Ça viendra peut-être, avec le temps. Et avec un roi capable de se montrer juste et conciliant avec toutes.

Et puis, il faudra déployer des trésors de diplomatie pour se réconcilier avec les royaumes limitrophes qui ont été provoqués plus qu'à leur tour. L'Imposteur se faisait un plaisir de les titiller et de bafouer leurs traditions. A Calith de montrer qu'il ne veut pas la guerre, et qu'il souhaite reprendre les échanges commerciaux. Car si le royaume s'en sort plutôt bien en autarcie, il est des produits qui ne peuvent pas être créés, même avec toute la magie du monde.


Le soleil s'approche déjà dangereusement de l'horizon. Laissant ses préoccupations, le prince héritier observe le paysage qui s'étend sous ses yeux. Le château est situé non loin d'une vertigineuse falaise. Au sud du château, d'immenses champs permettent un approvisionnement régulier de nourriture et fournissent du travail aux paysans qui vivent à l'intérieur des murs, et s'étendent jusqu'aux remparts, là-bas, presque à l'horizon. Le château et la ville qui s'étend autour s'étend sur toute la largeur disponible, et nombreux sont les murs qui se dressent à la limite même de la roche. Et au nord, alors que la terre forme une pointe naturelle, s'étend une vaste forêt. Mais la forêt elle-même est encerclée de hauts murs, et un portail de fer forgé en barre l'accès. Car c'est au milieu des arbres que les loups-garous laissent libre court à leur nature, et qu'ils galopent, les soirs de pleine lune, sous leur forme animale.

Calith sourit en repensant aux longues leçons que lui a donné Elihus sur les différents peuples de Pieveth. Et lorsqu'il a été question de loups-garous, c'est Loundor qui s'en est chargé. C'est sans doute pour cette raison qu'il respecte tant le général, et qu'il le considère quasiment comme un confident. Leurs différences n'ont jamais empêché qu'ils se parlent franchement et qu'ils se fassent confiance. Un toussotement le fait sursauter. Le soldat, gêné, lâche du bout des lèvres :

- Le dîner est prêt, Votre Majesté.

- Bien. Allons-y.

Calith ne regarde que très brièvement l'état des appartements nouvellement décorés, puis se rend dans la salle du trône. Ce soir, c'est encore le prince héritier qui va dîner avec ses amis. Pour célébrer le succès de leur mission.

La salle du trône est propre et chaleureuse. Quelques tapisseries ont retrouvé leur place sur les murs. Une multitude de chandelles répandent leur lueur et, dans l'âtre, les flammes crépitent joyeusement. Quelques musiciens jouent doucement, complétant ce tableau festif. Les hommes qui ont combattu à ses côtés ont déjà pris place autour de la table. Ils discutent bruyamment, éclatent de rire. L'heure est à la joie. Les tracas des jours à venir ne les concernent pas vraiment. D'un geste de la tête, Elihus lui fait savoir que sa volonté a été respectée : si seuls les membres actifs de la rébellion ont l'honneur de partager la table du futur roi, tout le personnel du château est à la fête et s'est vu proposé un festin digne de ce nom. Car, malgré l'exil et la fuite, ils n'ont jamais perdu le contact avec les serviteurs, véritable âme du château. Et ils n'ignorent rien des privations, de la violence qu'ils ont dû subir durant ses six ans. Et si la chute de l'Imposteur a pu avoir lieu, c'est aussi en partie grâce à eux.

Le prince héritier s'installe en tête de table, entouré de ses plus fidèles alliés. Et bientôt, la profusion des mets et des boissons leur font définitivement oublier les difficultés qu'ils ont rencontré. Les discussions vont bon train et bien souvent, les éclats de rire recouvrent complètement les notes enjouées des instruments de musique. Ce soir, ils fêtent leur victoire.

Et ce n'est qu'au milieu de la nuit que les convives regagnent d'un pas incertain leurs appartements.

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Le réveil, le lendemain, est bien plus sobre. Un petit-déjeuner frugal, pour faire passer le mal de crâne et les courbatures des combats de la veille, et le prince héritier se réfugie dans la bibliothèque. L'Imposteur n'a pas daigné souiller les lieux. Une épaisse couche de poussière recouvre le bureau ainsi que les étagères ployant sous le poids des ouvrages. Malgré l'état d'abandon évident de la pièce, Calith ne peut s'empêcher de revoir son père, assis dans le fauteuil près du feu, plongé dans la lecture d'un traité de guerre quelconque. Et le jeune Calith s'approchait tout doucement, et s'asseyait sur l'épais tapis. Dans un sourire, son père reprenait la lecture à voix haute, n'hésitant jamais, même lorsqu'il s'agissait de récits de massacres sanglants.

Les portraits de sa famille ont été brûlés lorsque l'Imposteur est monté sur le trône. Le visage de sa mère et de sa soeur, elles aussi massacrées lors de l'attaque, s'effacent peu à peu de son souvenir. Les traits deviennent flous. Et leurs voix ont tout simplement disparu. Mais le visage de son père, il en garde un souvenir précis. Il est son portrait craché, en réalité, et chaque fois qu'il se voit dans un psyché, c'est son père, plus jeune, qu'il dévisage. Les mêmes cheveux, châtains, trop clairs à son goût. Des cheveux indisciplinés, qu'il ne peut garder trop longs, sous peine de ressembler à un épouvantail. Des yeux d'un vert surprenant, sombres mais indéniablement verts, de la couleur des sapins. Un nez trop fort, trop anguleux, qui fait tâche dans son visage aux traits réguliers. Des mâchoires à la courbe douce, des lèvres fines. Non, personne ne pourrait douter qu'il est bien le fils de son père. La même taille que lui, 1m80 et une carrure de guerrier, forgée au fil des combats et des entraînements avec Loundor. Le fils de son père. Puisse-t-il être aussi bon monarque que lui.

Dans un soupir, le prince héritier se détourne. Tout ceci appartient au passé, désormais. Mais alors que ses yeux parcourent les tranches des volumes sur les étagères, une voix douce le fait se retourner :

- Je vous cherchais, Votre Majesté.

- Oui ?

C'est une frêle jeune fille, qui se tient dans l'embrasure de la porte. A peine formée, elle est vêtue d'une chaude robe d'un bleu très clair, qui fait ressortir la blondeur de ses longs cheveux. Elle s'empourpre, comme si le simple fait d'avoir l'attention du futur roi l'intimidait. Et bredouille :

- Je m'appelle Alima, Votre Majesté. Et je suis à votre service.

Elle s'incline gracieusement avant d'attendre les ordres, immobile. Lui n'a toujours pas bougé. Évidemment, il aurait dû s'y attendre. Elihus ne le laisserait jamais sans serviteur attitré. Par ces simples mots, la jeune fille vient de lui annoncer qu'elle sera son ombre, qu'elle veillera à chacun de ses besoins. Et même si une armée d'esclaves l'aide dans l'ombre, elle sera l'interlocuteur privilégié du roi. Elle lui semble jeune, pourtant, mais qu'importe. Il la devine tremblante et il n'en ignore pas la raison : bien souvent, les puissants estiment qu'elle entend, par service, tous les services, mêmes les plus … intimes.

- Bien. Je veux faire de cette pièce mon bureau. Qu'elle soit propre dans une heure. Fais savoir à Elihus que je l'attends ici, avec tous les dossiers qu'il a réuni, dans une heure. En attendant, fais-moi préparer un bain.

Elle se courbe précipitamment et s'éloigne rapidement. Il en profite pour faire un dernier tour des lieux avant de se rendre dans la salle d'eau royale. Il ne se presse pas, prend le temps de flâner dans les couloirs et de saluer les serviteurs qu'il croise. Il ne veut pas la prendre à défaut dès maintenant.

Pourtant, lorsqu'il rentre dans la salle d'eau, le bain est déjà prêt et l'attend, fumant doucement, répandant une douce fragrance. Un esclave est présent : son collier et ses bracelets de métal ne permettent aucun doute quant à sa condition. Comme les autres asservis, il porte une simple tunique de laine blanche autour des reins, tenue par une boucle grossière. Seuls les hivers les plus rigoureux permettent aux esclaves mâles d'avoir le torse couvert. Il ne se présente pas, il n'a pas à le faire. Et il ne croise jamais le regard du souverain, il n'en est pas digne.

Calith pousse un soupir de bien-être en se glissant dans l'eau chaude. Les excès de la veille marquent encore son corps. Il n'aurait sans doute pas dû tant boire, mais à situation exceptionnelle...

L'esclave s'affaire dans son dos. Il tente de ne pas y prêter attention. C'est qu'il n'a guère eu l'occasion, ces six dernières années, de se faire servir de la sorte. La traque et l'exil ne le permettaient tout simplement pas. Certes, Elihus a tout fait pour qu'il soit parfaitement bien traité, privilégié même, par rapport aux autres, mais c'était bien loin du faste de ses années d'enfance, lorsqu'il était le prince héritier galopant dans les couloirs, faisant tourner en bourrique les serviteurs et les esclaves.

Lorsqu'il sort de la baignoire, l'esclave se précipite pour le sécher et pour l'aider à enfiler ses vêtements propres. Puis, à peine est-il sorti de la salle d'eau que c'est Alima qui lui emboîte le pas.

- Votre bureau est prêt, Votre Majesté.

- Bien.

Il s'y rend d'un pas résolu, agacé par la présence de la jeune femme sur ses talons. Il va falloir se ré-habitué à être toujours accompagné, systématiquement surveillé pour que ses moindres désirs soient satisfaits dans la minute.

Il a à peine le temps de s'installer derrière le bureau parfaitement propre, aux douces odeurs de cire, qu'Elihus fait son apparition. Les bras chargés de dossiers, il avance à grands pas jusqu'au bureau, hochant la tête comme pour approuver le choix de la bibliothèque.

- Bonjour Majesté.

- Bonjour Elihus. Bien dormi ?

- Peu, mais bien. Et toi ?

- Bien également, merci. Je suppose que je n'ai pas le choix, concernant Alima ?

- Effectivement. Tu n'as pas le choix. Tu es roi maintenant, mon garçon. Enfin, presque. Justement, à ce sujet...

Calith s'enfonce dans le fauteuil en retenant un soupir. L'ancien bras droit de son père se lance dans un long monologue, lui annonçant que son couronnement officiel aurait lieu le lendemain midi. Les invitations pour les nobles sont déjà lancées, et ceux qui ne seraient pas présents pour affirmer leur loyauté au roi seraient immédiatement classés dans la catégorie ''traitres potentiels''. Puis, posant un par un les dossiers sur le bureau, il lui parle des difficultés des paysans en ce début d'hiver, des décrets à annuler ou à modifier, des problèmes diplomatiques avec les autres royaumes, des soucis de gestion courante du château.

Si Calith l'écoute avec attention, il n'en attend pas moins l'heure du déjeuner avec impatience : ces dossiers ravivent son mal de crâne. Mais Elihus est bien déterminé à faire preuve d'aucune pitié. C'est donc un couple d'esclave qui apportent les plateaux du déjeuner dans le bureau avant de disparaître comme ils étaient apparus.

- On gagnera du temps ainsi.

Elihus semble si satisfait de sa décision que le prince n'ose pas lui reprocher quoique ce soit. Et pourtant... La liste des problèmes à régler s'allonge à mesure que l'après-midi passe. Bien sûr, Calith savait que ce ne serait pas de tout repos. Mais à entendre ainsi, les problèmes mis bout à bout semblent insurmontables.

C'est finalement la masse de muscles de Loundor qui met fin au supplice. Lorsque le colosse entre dans la pièce, Elihus se tait enfin, offrant un silence bienvenu. Le regard acéré du général ne rate pas le soulagement visible sur le visage du prince, et lui sourit avec chaleur.

- Majesté.

- Loundor.

Nul besoin de salutations plus mielleuses pour prouver leur attachement. Le loup-garou s'installe dans un fauteuil, découvre les dents en direction d'Elihus et prend la parole :

- J'ai passé la journée à faire le point. L'Imposteur a monté une armée si nombreuse qu'on croirait qu'il projetait d'envahir le monde entier.

Le cœur de Calith se serre en entendant ces paroles. Car si les espions de Nala n'ignoraient rien de ce qu'il se passait dans le royaume, les intentions réelles de Lombeth restaient mystérieuses. Ils sont en paix, plus ou moins relative, avec leurs voisins. Et ils n'ont certainement pas besoin d'une guerre en ce moment, surtout sans motif valable. Le général poursuit :

- J'ai établi la liste des hommes ayant une famille à charge et qui ont été enrôlés de force. De même, j'ai demandé à tous les capitaines de s'assurer que leurs soldats sont là de manière volontaire. Lorsqu'ils auront terminé, et avec ton accord, je demanderais à ce qu'ils soient renvoyés chez eux.

- Tu n'as pas besoin de mon accord. Leurs familles ont bien plus besoin d'eux. Avec plus d'hommes dans les champs, et avec les semences nécessaires, le printemps devrait permettre de faire plus de réserves pour l'hiver prochain. Par contre, je voudrais qu'ils continuent l'entraînement, ne serait-ce qu'une journée par semaine : en cas de guerre, nous aurons besoin d'eux.

- Une fois par semaine sera suffisant pour une aide ponctuelle, Calith. Il y a un autre sujet dont je voulais te parler. L'Imposteur a fourni énormément de nourriture pour l'armée, afin de nourrir tous les hommes. J'aimerais qu'une part de la nourriture reparte en même temps que les hommes dans leurs familles. Tu n'es pas sans savoir que la famine fait des ravages. L'armée, avec moins d'hommes, a besoin de moins de nourriture.

- En effet. J'approuve ton idée.

- Bien. Et maintenant, Majesté ou pas Majesté, c'est l'heure de ton entraînement.

Un sourire de soulagement vient éclairer le visage de Calith. Elihus se relève en pinçant les lèvres :

- Je suppose que je n'ai plus qu'à me retirer désormais.

- Merci pour tout, Elihus. On se verra après le dîner, pour régler les derniers détails pour demain.

- Bien Majesté.

Elihus quitte la bibliothèque, laissant les dossiers posés sur la table de bois. Calith et le garou échangent un regard amusé, avant de se rendre dans les appartements du futur roi. L'esclave présent lors du bain royal est dans les appartements et s'affaire pour lui préparer sa tenue d'entraînement. Si Loundor reste dans la pièce, il demeure silencieux, attentif aux gestes de l'esclave.

Lorsqu'il est prêt, ils descendent au terrain d'entraînement, situé à l'arrière du château, côté forêt.

Calith est un mage-guerrier, don hérité de ses parents. Depuis son plus jeune âge, il a suivi les cours donnés par le mage officiel du château. Mais ce dernier fut tué le même jour que le roi, sous l'épée impitoyable de l'Imposteur.

Calith connaît une poignée de sorts guérisseurs, qui pourraient lui sauver la vie en cas d'urgence, ou sauver un de ses proches. Mais c'est normalement le rôle des mages guérisseurs. Il n'en a appris que les rudiments, pour les situations les plus désespérées. Ses pouvoirs à lui sont à l'opposé : blesser, neutraliser, maîtriser, tuer, anéantir. Ces sorts, il les a répété jusqu'à les avoir gravés sur la langue, jusqu'à ce qu'ils deviennent réflexe lorsqu'on l'attaque.

C'est donc Loundor qui se charge de l'entraînement de l'héritier, et ce depuis sa plus tendre enfance. Développer la puissance musculaire, assouplir le corps et aiguiser ses réflexes, puis apprendre le maniement de l'épée, les passes, les feintes et les esquives. Tant d'heures douloureuses passées en compagnie de Loundor ont peu à peu modifié ce rapport de maître à élève en réelle et profonde amitié. Et c'est avec plaisir qu'il enchaîne les mouvements contre son général, qui ne le ménage plus depuis longtemps. Mais la donne est faussée par la nature même de Loundor : plus vif, plus endurant, plus fort, Calith doit déployer toute sa puissance pour espérer s'en tirer sans trop de déshonneur. Cette fatigue physique est la bienvenue et lui permet d'oublier, l'espace de quelques heures, toutes les responsabilités qui pèsent sur ses épaules désormais.

La nuit est tombée depuis longtemps lorsqu'ils s'arrêtent enfin. Calith a le souffle court et le corps en sueur, et jette un regard noir au loup-garou qui semble aussi frais que s'il venait d'arriver. Après de rapides ablutions dans la salle attenante au camp d'entraînement, la faim les pousse jusqu'aux appartements royaux, où l'esclave a préparé les vêtements propres de Calith.

Dans la salle du trône, une immense table de bois accueille les nobles, les bourgeois, et les soldats. Ils n'ont pas attendu le futur roi, mais ce dernier ne s'en formalise pas : c'est ainsi qu'il en a toujours été. Les gens vont et viennent, se nourrissent, discutent, attendent parfois le roi, parfois non. Et rien n'oblige Calith à dîner ici, il pourrait bien se faire apporter son repas au calme, dans ses appartements. Elihus est déjà reparti et le jeune héritier ne peut s'empêcher de pousser un soupir de soulagement : les dossiers attendront bien le lendemain. Mais c'est une féline toute en sensualité qui vient le rejoindre et qui s'assoit entre Loundor et Calith : Nala. Elle ne parle pas travail, elle vient juste partager un instant de convivialité avec les autres, sous le regard parfois admiratif des hommes présents.

Lorsque Calith est enfin rassasié, il quitte la table en saluant les personnes présentes, laissant Loundor en pleine conversation avec l'un de ses colonels. Nala le suit jusque dans ses appartements, chasse sans ménagement l'esclave qui s'apprêtait à s'occuper de Calith et lui résume ses investigations dans un murmure.