Et voilà le premier chapitre de mon histoire principale. L'histoire se déroule dans un univers alternatif où la magie est omniprésente. Sorcière, médium, créature fantastique se croisent et se côtoient. J'en profite également pour lancer un appel à la beta lecture :P Si vous êtes intéressés, vous savez ce qu'il vous reste à faire ! Merci de prendre le temps de lire et de laisser un commentaire :)
CHAPITRE 01
Londres, XIX siècle
Clay tira une énième fois sa montre à gousset, héritage de sa mère, et regarda l'heure en soupirant. Le temps n'était pas clément ce soir, il faisait plutôt froid et son ami était encore en retard. Le jeune homme trépigna d'impatience, essayant de se réchauffer en se frottant les mains et en soufflant dessus mais rien n'y fit, le vent glacial en provenance de la Tamise venait sans cesse caresser sa peau nue sous sa chemine, le faisant frissonner. Même sa veste ne semblait pas pouvoir retenir la chaleur de son corps mince. Se balançant d'un pied sur l'autre, le jeune homme s'abrita sous un porche. On pouvait encore entendre au loin le bruit de quelques rares fiacres martelant le pavé. Il était tard et il ne restait plus grand monde dans les rues. Encore dix minutes d'attente et après il s'en irait.
— Clay !
Il se retourna et vit avec soulagement son ami courir vers lui, toujours affublé de son horrible casquette parisienne, souvenir d'un de ses voyages en France et qu'il ne quittait plus depuis. Son camarade arriva à sa hauteur, le souffle court. En temps normal Gunter le dépassait d'une bonne tête, l'intimidant presque. Mais en le voyant ainsi plié en deux, cherchant avec difficulté sa respiration, Clay fut tenté de le frapper à l'arrière du crâne pour lui montrer son mécontentement. Tenté seulement. Le bougre ne se contentait pas d'être plus grand, il était aussi plus imposant et bien plus fort que lui. Aussi se contenta-t-il de râler.
— Bordel Gunter, qu'est-ce que tu foutais ?
— Excuse-moi, grommela-t-il en haussant les épaules, c'était bondé au bar et j'ai pas vu l'heure passer.
— C'est bon va ! Tu as trouvé ce que je t'avais demandé ?
— C'était pas facile mais heureusement que j'connais du monde !
Gunter sortit de sa poche une petite fiole contenant une fine quantité de poudre bleuté. Une poudre d'une rare qualité, très difficile à trouver et forcément très chère. L'homme à la casquette ne devait pas connaitre les effets d'un tel produit mais après tout, tant qu'on le payait, il n'avait pas à poser de questions ! Clay glissa discrètement quelques shillings dans la main de son ami et fit disparaître le flacon dans sa poche. Il lui avait donné l'équivalent d'une semaine de travail chez un ouvrier, une fortune pour Gunter.
— Hey ! Tu viens faire une partie de poker chez Mary ? Paraît que William sera là. Tu auras p'têt l'occasion de reprendre ton argent.
— J'sais pas… Me reste pas grand-chose. Si je veux pouvoir manger je n'ai pas intérêt à jouer.
— D'accord, dit-il d'un air déçu. C'toi qui vois après tout.
Clay passa une main dans ses mèches blondes, mal à l'aise. Il savait qu'en suivant son ami, il passerait une nuit de débauche, mêlant jeux d'argent, boisson et femme. Une nuit où il oublierait tout et où seul compterait son plaisir. Mais de l'autre côté, il sentait sa bourse désespérément vide au fond de sa poche. Sa tante ne lui donnerait plus rien jusqu'à ce qu'il trouve un travail. Et son père… Il le ferait revenir manu militari à la maison s'il apprenait que Clay dilapidait son argent en boisson et en prostituée. Le jeune homme tenta de résister mais la tentation était trop grande.
— On n'a qu'une vie après tout ! finit-il par céder.
— Pour sûr ! répondit son ami en lui tapant l'épaule et en l'entraînant avec lui vers d'autres ruelles plus étroites.
Alors que les enfants des rues, dans l'espoir de gagner quelques pièces d'argent, commençaient à allumer les lumières des lampadaires marquant ainsi le début de la nuit, les deux amis se dirigèrent vers Whitechapel, là où les attendaient sagement Mary et sa maison de jeu.
Comme à son habitude, Clay avait abusé de la boisson. C'est à peine si le jeune homme arrivait à marcher droit, riant seul dans la rue déserte. Il avait une nouvelle fois perdu sa maigre fortune au jeu et n'avait même plus de quoi prendre un taxi. De toute façon, rares étaient les fiacres à passer à proximité de Whitechapel à une aussi heure tardive !
Ah Margaret ! Il serait bien resté toute la nuit au chaud avec elle mais il n'avait de quoi la payer que pour une heure ou deux. Au moins, pensa-t-il en riant, il avait su profiter des quelques pièces qu'il avait sauvées. Demain il regretterait sûrement de n'avoir su résister à l'invitation… Mais pour l'heure, il était trop occupé à essayer de rentrer chez lui. Il n'avait pas envie de passer le reste de la nuit à décuver dans le fossé !
Un cri.
Clay sentit son sang se figer et il se redressa de toute sa hauteur, les sens en alerte. Il resta planté là, au beau milieu de l'avenue, se demandant si l'alcool ne lui jouait pas des tours. Puis il l'entendit à nouveau. Le cri d'une femme. Un cri d'effroi qui le dégrisa momentanément. Sans réfléchir, il s'élança. L'alcool le fit trébucher à plusieurs reprises et sa vision était quelque peu floue mais une femme était en danger, en tout bon gentleman qu'il était, il ne pouvait pas rester immobile ! S'il ne lui restait pas grand-chose de la stricte éducation de son père, l'honneur était une vertu qu'il chérissait. Il dépassa une ruelle, puis deux, puis trois… Sans jamais s'arrêter. Le cri semblait provenir d'encore trop loin à son goût. Arriverait-il à temps ?
Plus aucun bruit.
À bout de souffle il s'arrêta au milieu d'une rue mal éclairée, tendant l'oreille à l'affût du moindre chuchotement, du plus petit bruissement de robe. Il chercha encore. Mais rien. Par où devait-il aller ? Il regarda avec frénésie autour de lui, chercha encore mais rien… Avait-il vraiment eu une hallucination ?
Un autre cri tout près de lui le fit sursauter. Un cri de terreur d'un homme, cette fois. Clay s'élança à nouveau. Au détour d'une ruelle, il bouscula un homme, manquant de le faire tomber par la violence du choc. Il retient un juron, en lui jetant un regard noir. Un par-dessus sombre, la tête engoncée dans un bonnet, il semblait faire demi-tour, comme pour s'éloigner de la scène. La scène de quoi ? Du crime ? Sans réfléchir, Clay l'agrippa pour l'empêcher de partir. Alors qu'il allait lui ordonner de rester sur place, il fut pris d'une violente douleur à l'arrière du crâne. Une migraine éclair d'une puissance rare. Clay s'effondra par terre tandis que l'inconnu continuait de marcher calmement comme si rien ne pouvait l'atteindre.
— Attendez ! Partez p…
La phrase s'évanouit dans un souffle alors que le jeune homme perdait connaissance…
Une dame, d'une beauté gracile et délicate, sortit d'un fiacre avec lenteur. D'une démarche élégante, elle traversa la foule d'un pas léger. La majorité des hommes se retournaient sur son passage mais personne n'aurait eu l'idée d'aller l'aborder ou l'embêter ! Non, elle était trop distinguée pour ça. Un peu comme si elle était là sans l'être vraiment, comme si elle n'appartenait pas à ce monde. Ses cheveux blonds flottaient dans le vent, dégageant la fragrance subtile et parfumée des boutons de rose. Elle semblait tout droit sortir d'une œuvre d'art. Comme sublimé par cette atmosphère irréelle.
Clay la regarda descendre la rue en virevoltant. Il était subjugué par sa prestance mais ne parvenait pas à bouger. Il la vit s'engouffrer dans une ruelle plus sombre et l'instant d'après il était sur ses pas. Elle n'était pas seule. Un homme, vêtu d'un pardessus sombre et d'un chapeau en feutre, semblait l'attendre. La gorge de Clay se serra. Cet homme… Il ressemblait à celui qu'il avait bousculé avant de… Avant de quoi ? De s'évanouir ? Pourquoi ne pouvait-il pas voir son visage ? Pourquoi se trouvait-il là ? Et comment y était-il arrivé ?
La jeune femme se tourna alors vers lui en riant, posant délicatement son index contre ses lèvres rosées.
— Tu te poses trop de questions !
La femme avait parlé d'un ton moqueur, comme si la situation l'amusait au plus haut point. D'un geste lent mais sûr, il tira un couteau de sous son manteau, tout en s'approchant de la jeune femme. Avec des gestes d'un flegme excessif, il posa la lame contre la gorge frêle de sa victime tandis qu'il agrippait, de sa main libre, sa délicate épaule. Clay voulut crier, la prévenir qu'il était derrière elle, qu'il allait lui faire du mal. Mais ses lèvres restèrent désespérément closes.
La jeune femme lui sourit, tandis qu'avec passion, l'inconnu derrière elle lui ouvrait la gorge. Le sang se répandit bien vite sur ses vêtements immaculés sans qu'elle ne cesse de sourire. Une scène surréaliste se déroulait sous ses yeux mais Clay était comme bloqué dans son propre corps. Impuissant, il la regarda se vider de son sang. Sa peau déjà pâle fut bientôt aussi blanche que sa robe.
Soudain, la femme cria. C'était le même cri que le jeune homme avait entendu plus tôt dans la soirée. Sa vision se brouilla, les murs des immeubles aux alentours se referment sur eux et il eut l'impression de s'évanouir une deuxième fois.
Clay ouvrit les yeux douloureusement. Il était toujours allongé par terre, près du caniveau, et avec un sacré mal de tête. Se remettant difficilement debout, il aperçut une foule de badaud se pressant à l'entrée de la ruelle en face de lui. Au bruit qui lui parvenait, Clay comprit que les policiers étaient aussi présents et tentaient de repousser la foule. Personne ne semblait s'intéresser à lui, trop loin de la scène, puant l'alcool… Les passants devaient sûrement le prendre pour un ivrogne en train de décuver son vin.
Encore titubant à cause de la boisson, Clay s'approcha de l'endroit qui semblait être devenu un lieu extrêmement populaire alors que, d'ordinaire, cette partie de la ville était délaissée au profit des gamins des rues et des sans-abris. Grâce à sa petite taille, il se faufila tant bien que mal au cœur la foule jusqu'au cordon de sécurité. Il n'avait pas besoin d'avancer plus… : devant lui se tenait la dépouille d'une belle et gracile jeune femme dont les cheveux blonds et la robe blanche étaient souillés de sang. L'accumulation de traces rouges sur sa gorge et sur sa poitrine montrait qu'elle avait été égorgée comme dans son… Dans son quoi au juste ? Rêve ?
La plaie béante qui parcourait son cou n'était pas la seule marque d'agression. Une autre estafilade lui barrait le visage, la faisant sourire comme une démente sous son voile de mariée que les policiers avaient relevé. Assise par terre, un bouquet de roses rouges sur les cuisses, la jeune femme avait été mis en scène de manière grotesque.
Un policier lui vociféra quelques ordres qu'il ne compris pas. Prit d'un haut le cœur et repoussé par l'officier, Clay rebroussa chemin. Il avait envie de vomir ! Cet homme qu'il avait bousculé… Était-ce le tueur ? L'avait-il vu ? La réponse à ces deux questions était sans aucun doute positive ! Bordel, pensa-t-il. Que devait-il faire ? Aller voir la police ? Pourquoi ? Il n'avait rien vu d'essentiel et il ne serait pas capable de décrire le tueur de toute façon. Et il n'allait certainement pas parler de son rêve…
Hagard, le jeune homme décida de repartir vers Whitechapel. Il avait bien besoin d'un peu de compagnie féminine pour se remettre de ses émotions et la belle Margaret aurait bien pitié de lui, même s'il n'avait plus un sous. Elle avait toujours apprécié ses beaux yeux bleus et son visage pâle mais semblait désespérée par sa coupe de cheveux qui, il fallait bien l'avouer, ne ressemblait pas à grand-chose. Des mèches plus longues sur les côtés, une légère frange et des épis récalcitrants… Non il n'avait décidément pas l'allure d'un homme distingué, au grand dam de son père… Mais n'en déplaise à Margaret, Clay se trouvait très bien ainsi. Même si pour une fois il regrettait de ne pas avoir un physique plus ordinaire afin de se fondre dans la masse et se faire oublier…
Clay se réveilla en sursaut, ses mains agrippant les draps avec frénésie. Encore ce rêve ! En sueur, le jeune homme peinait à retrouver son souffle. À ses côtés, le corps nu d'une femme se soulevait et s'affaissait en rythme. Elle, au moins, n'avait pas de problème pour dormir. Margaret n'avait posé aucune question en voyant débarquer Clay, perdu, quelques heures plus tôt. Elle ne lui avait même pas réclamé d'argent. Au contraire, elle l'avait pris par la main, et emmené dans sa chambre quelques étages plus haut, comme si elle avait compris à quel point le jeune homme était bouleversé. Pendant un moment au moins, il n'avait plus pensé qu'à la jeune femme, sa douce peau rougie sous ses doigts, son corps alanguit sous le sien.
Les premières lueurs du jour vinrent caresser la silhouette endormie de Margaret, rappelant à Clay qu'il devait rentrer chez lui avant midi. En silence, il se rhabilla sommairement, ramassa ses vieilles chaussures et sortit. Dehors, l'agitation n'était toujours pas retombée. Il y avait beaucoup plus de monde qu'à l'accoutumé, sûrement déjà au courant du meurtre et voulant vérifier de leurs propres yeux les rumeurs qui circulaient déjà à travers le quartier. Ils pourraient ainsi se vanter d'en connaître les détails les plus sordides et d'avoir vu « le lieu du crime » !
Lui, au contraire, ne voulait qu'une chose : fuir et oublier cette histoire avec une hâte à peine dissimulée. Avec un peu de chance, le tueur ne l'aurait pas bien vu et il pourrait reprendre une vie normale, loin de cette agitation. Enfin… Une vie normale ou presque !
Ce fut en tâtonnant sa poche que Clay se souvint à quel point il était fauché. Ses problèmes d'argent lui semblaient tellement dérisoires tout en étant primordiaux… Travailler semblait lui être de plus en plus inévitable. Peut-être pourrait-il adoucir sa tante en lui racontant son histoire… Non, il valait mieux oublier. La vieille femme le forcerait à témoigner et il n'avait aucune envie que le tueur n'en sache plus sur lui.
Clay héla un fiacre qui passait par là, et, avec ce qui lui restait de ses pauvres économies, en grande partie emprunté sur la table de chevet de Margaret, il demanda à être déposer à Charing Cross où l'attendait la douce tante Aliénor. Douce était un euphémisme. Il vivait à ses crochets depuis maintenant une douzaine d'années. Et même si aujourd'hui il occupait une petite chambre de bonne à l'étage de l'immeuble, elle lui était gracieusement payée par sa tante depuis ses vingt ans. Clay n'avait pas besoin de plus et, vu l'état dans lequel était sa chambre, c'était très bien ainsi !
Aliénor avait toujours été très patiente avec lui, peut-être un peu trop. Et voilà qu'aujourd'hui, le jeune homme passait son temps à boire et à s'adonner aux charmes des filles de petites vertus quand il ne dormait pas le reste du temps. Oh, bien sûr, il travaillait de temps en temps, mais jamais assez longtemps, jamais assez pour s'attacher aux gens. À vingt-quatre ans, c'était le signe qu'il avait déjà raté sa vie. Depuis sa tante lui avait coupé les vivres pour lui apprendre la dure réalité de la vie. Son père, lui, avait abandonné depuis plusieurs années déjà…
Ce que personne ne comprenait, c'était à quel point Clay était un jeune homme spécial. Il faisait des rêves ! Mais pas le genre de rêve reposant et réparateur d'une bonne nuit de sommeil ! Non ! Dans ses rêves à lui, le jeune homme voyait des choses qu'il n'était pas sensé voir. Des choses qui se révélaient être réelles. Ainsi, des bribes de souvenirs appartenant aux personnes qu'il avait côtoyées venaient hanter ses nuits, lui faisant ainsi redouter l'instant où il fermerait les yeux. Il avait su bien avant tout le monde que la vieille voisine de sa tante allait mourir. Tout comme il savait que le mari aimant et fidèle en face de chez lui entretenait des fantasmes des plus douteux. Ou encore que la jeune servante, rencontrée la veille, dérobait l'argenterie de ses maîtres. Il savait tout ça sans l'avoir demandé. Tout comme il avait vu la jeune femme mourir hier, quelques minutes après sa mort.
C'est pour cela qu'il ne gardait jamais le même travail. Fatigué, au courant des secrets qu'il n'aurait jamais dû connaître, Clay se pensait maudit. C'était peut-être pour cela que son père l'avait envoyé chez sa sœur il y a maintenant bien longtemps. Peut-être pour cela qu'il n'avait pas vraiment d'amis… Sa famille le prenait pour un fou, et en dehors de Gunter, il ne c'était plus lié à quiconque depuis des années.
— Ma tante ! cria-t-il en entrant dans l'appartement.
La vieille femme, d'une cinquantaine d'années, l'attendait tranquillement assise sur son fauteuil de velours bleu, lisant quelques derniers poèmes à la mode. Elle avait l'habitude maintenant de voir son protégé découcher toute la nuit. Elle ne s'inquiétait même plus à vrai dire. C'était devenu un jeune homme vigoureux, bien qu'un peu frêle. Elle s'inquiétait plutôt de savoir quand est-ce que, enfin, il ramènerait une bonne épouse ! Les jeunes d'aujourd'hui ne pensaient plus à l'avenir. Sa mère s'en serait retournée dans sa tombe si elle avait vu ce qu'il était devenu. Il n'était pas bien méchant mais ne cherchait jamais à s'investir. Que ce soit en amour, au travail ou pour n'importe quel autre aspect de sa vie. Il n'avait que très peu d'affaires, très peu d'amis… Comme s'il était prêt à partir, à fuir à tout moment…
— Tu es en retard.
Ce n'était pas un reproche, juste une constatation. Ils avaient passé l'âge tous les deux de se disputer pour des futilités. Depuis le temps, Aliénor avait bien compris que son neveu ne changerait pas. Elle nota cependant ses traits tirés.
— Tu m'as l'air bouleversé. Quelque chose ne va pas ?
— J'ai encore perdu l'argent que vous m'aviez confié.
Il avait répondu sous le ton de la raillerie, comme si ce n'était pas important mais Aliénor pouvait déceler la petite lueur d'inquiétude danser dans ses yeux. Il ne voulait pas en parler ? Soit.
— Ton père est passé hier.
— Ah ? Qu'a-t-il dit ?
— Il était déçu de ne pas te voir.
Clay s'assit sans cérémonie sur le deuxième fauteuil de velours, en face de sa tante. Il fit tourner une mèche de ses cheveux blonds cendrés autour de ses doigts, pensif.
— A-t-il dit autre chose ?
— Il espérait te voir trouver du travail. Il a un ami, qui pourrait t'embaucher et si tu travailles bien...
— Merci mais ça ira !
Bien qu'il n'ait pas voulu être impoli en lui coupant la parole, son père et le travail étaient deux sujets très délicats pour lui. Que son père ait voulu lui en trouver un était encore plus agaçant !
— Clay, tu sais bien que tu ne pourras pas continuer comme ça toute ta vie. Je ne serais pas toujours là.
— Je ne le sais que trop bien ma tante ! Ne vous en faites pas pour moi, je sais me débrouiller.
Voyant qu'elle ne paraissait pas satisfaite, il rajouta :
— Je vous promets d'accepter le premier poste qu'on voudra bien me confier, même si pour cela je devrais nettoyer la Tamise. Mais s'il vous plaît… Pas mon père !
— Je te laisse un mois. Ensuite, tu devras te défaire de ton père tout seul.
— Merci ma tante !
Le plus dur était passé. Clay se leva et embrassa tendrement la joue fraîche de la vieille femme avant de monter dans ses appartements où il passerait le reste de la journée à lire et à flâner, si le sommeil ne l'emportait pas avant.
Debout devant son lit encore défait, Clay fit lentement glisser son pantalon en toile le long de ses cuisses. Doucement, il défie les boutons de sa chemise un à un, songeant avec angoisse au rêve qu'il ferait pendant son sommeil. Dire qu'il avait pensé avoir connu le pire… Maintenant, il donnerait tout pour rêver à nouveau du mari volage ou de la putain du bas de la rue. L'angoisse lui torturait l'estomac. Il avait repoussé tant qu'il pouvait l'heure du coucher mais il était fatigué et la nuit était tombée depuis plusieurs heures déjà…
Clay se glissa dans ses draps froids, sentant l'odeur du tabac et de la transpiration. Avant de fermer les yeux et de s'endormir, il tâtonna à la recherche du petit flacon de poudre bleue récupéré la veille et, en soupirant, le porta à sa bouche. Au moment même où la drogue entra en contact avec ses lèvres, Clay sentit un immense sentiment de bien-être, comme si son esprit se détachait de son corps. Il ne pensait plus à rien, son cerveau avait arrêté de fonctionner, pendant un moment au moins. Délicatement, le jeune homme sombra dans un sommeil profond, réparateur et dépourvu de rêve…
Pendant un moment seulement…
Une femme, brune cette fois. Elle portait la même robe que celle retrouvée morte. Tout était flou. Clay avait beau cligner des yeux, la rue tournait autour de lui, l'oppressait. La femme recula, tout en le fixant, jusque dans un coin sombre. Sortant de la noirceur de la ruelle, un homme, que Clay ne pouvait que reconnaître, s'avança lentement vers lui.
Avec élégance, la femme porta son index devant ses lèvres, intiment le silence puis, paisiblement, le pointa au-dessus de sa tête. Clay plissa les yeux, essayant de distinguer l'objet dans la pénombre de la nuit. Une plaque gravée du nom d'une rue : Kensington. Le son d'une cloche résonna soudainement, vrillant les tympans du jeune homme. Un coup, deux coups, trois coups. Il était trois heures !
Clay se réveilla en sursaut. Quelle heure était-il ? Avait-il dormit longtemps ? Les mains encore tremblantes à cause de l'adrénaline, le jeune homme s'assit sur son lit et chercha le petit bloc note sur sa table de chevet. Il y griffonna deux mots : Kensington et trois heures. Reprenant sa respiration, il posa sa tête contre ses genoux qu'il avait ramenés contre sa poitrine. Il avait de nouveau rêvé de cet homme… Que devait-il faire ? Les mains tremblantes, Clay tâtonna par terre à la recherche de sa montre à gousset. Celle-ci indiquait treize heures.
À contre cœur, Clay décida de s'habiller et de se rendre à Kensington. Effrayé mais convaincu que c'était là la seule chose à faire. Dehors, l'air, encore plus froid que la veille, lui gifla le visage, comme si quelqu'un l'avertissait d'un mauvais présage…