Un fils de passage

Auteur : Pilgrim67 (Nathalie Bleger) et Nicolina

Petit mot :

Voici notre nouvelle fiction, faisant suite au dernier chapitre bonus de « Mon ciel dans ton enfer » sortis récemment sur le site de The Book Edition et « Le mot de passe » que nous avons écrit il y a quelques années déjà.

Pour ceux qui auraient lu les deux histoires, il peut y avoir des incohérences de temps, et dans le déroulé, mais c'est totalement voulu.

L'histoire qui va suivre met en scène les enfants de Thomas et Samuel, nous espérons que vous l'apprécierez.

Nous vous souhaitons bonne lecture.

Chapitre 1

RAPHAËL

Arthur doit m'attendre devant la fac, je sais qu'il pleut à verse, j'espère qu'il s'est mis à l'abri. Voilà, maintenant un mois qu'il a emménagé avec moi. Il a mis un temps fou à se décider et je crois que c'est parce qu'il avait peur de me déranger. Quant à moi, j'étais plutôt ravi de trouver un nouveau colocataire et je n'ai pas perdu au change, déjà parce que je le connaissais et surtout parce que j'ai découvert que vivre avec lui était des plus agréable. Il est facile à vivre, dit oui à tout ce que je dis, ce qui peut paraitre énervant à la longue mais tout à fait adorable quand on le connait. Il est anglais, ne fréquente personne à part moi. On a eu la chance de se retrouver, nos pères se connaissant déjà.

Son père Thomas Barnett est un écrivain célèbre, mon père, Samuel Gregor, son éditeur en France. J'ai toujours pensé qu'il s'était passé quelque chose entre eux, surtout après les avoir vus s'embrasser dans la cuisine. Je ne les espionnais pas, je suis juste arrivé au mauvais moment et je pense qu'ils n'ont jamais vu que j'étais là.

Quoiqu'il en soit, j'ai été ravi de retrouver Arthur et quand j'ai vu la chambre qu'il louait sous les toits, j'ai été encore plus content de le ramener avec moi. J'ai été surpris qu'il ait pu survivre aussi longtemps comme ça. Mais, comme il me le disait, tant qu'il avait un toit, internet et des pains au chocolat, ça lui suffisait pour vivre. C'est un philosophe, je ne sais pas si j'aurais été capable de vivre comme ça. J'avoue que j'ai eu de la chance de trouver un trois pièces dans Paris et je peux remercier le compagnon de mon père, David d'avoir des connaissances sur la région.

Le cours s'éternise et je n'arrête pas de regarder mon portable. J'écoute vaguement le prof, même si le sujet me semble intéressant. Pour l'instant, j'ai plutôt envie d'être dehors. Je tape un SMS discrètement pour prévenir Arthur que je serai en retard et reprends le fil du discours de Monsieur Lance qui n'en finit plus de parler. Il est historien et archéologue, et l'histoire est un sujet qui le passionne plus que tout. Il ne vit que pour ça, il a à peine trente ans et il ne s'intéresse qu'à sa passion, si bien qu'il n'est toujours pas marié et à mon avis, il n'est pas prêt de l'être.

Après plusieurs minutes interminables, il termine enfin et je soupire de soulagement. J'ai failli faire une syncope à force d'attendre et il fait terriblement chaud dans cette salle. Comme il fait hyper froid dehors, ils mettent le chauffage à fond, ce qu'ils oublient c'est qu'il y a aussi une quarantaine de personnes qui transpire dans cette salle ce qui rend l'air irrespirable.

Je me lève avec bonheur, range mes affaires vite fait et les jette dans mon sac sans ménagement. Je descends les marches de l'amphi, mais alors que je m'apprête à passer la porte, j'entends prononcer mon nom. Je regarde cette porte qui me lorgne, qui se moque de moi, alors que les autres peuvent sortir et je soupire de désespoir alors que le professeur Lance s'approche de moi. J'espère qu'il ne m'a pas vu utiliser mon portable. Il n'aime pas ça et la dernière fois qu'il a vu un étudiant s'en servir, il l'a foutu dehors et lui a dit de ne plus jamais remettre les pieds dans son amphi. La sanction s'est vérifiée au cours suivant, quand il a renvoyé une deuxième fois le pauvre garçon qui avait eu le malheur d'utiliser son téléphone.

Je me tourne vers lui, un peu mal à l'aise. Il n'est pas plus grand que moi et je suis assez petit pour mon âge. J'envie toujours David d'être super grand, et quand je vois mon père, je sais de qui j'ai hérité ce gène.

-Je peux faire quelque chose pour vous ? Demandais-je à Monsieur Lance en essayant de paraître le plus calme possible.

-Raphaël, vous êtes un élève sérieux et vous avez les meilleures notes dans ma matière.

-Heu… oui, dis-je sans comprendre ce compliment.

-Je me demandais si vous seriez intéressé par l'éventualité de faire des fouilles.

-Des fouilles ? Demandais-je bêtement.

-Oui, j'organise un atelier avec d'autres personnes dans la région Bourgogne et je me demandais si vous seriez intéressé. Vous qui vous spécialisez en archéologie, je suis persuadé que ça pourrait vous apporter un plus dans vos études.

-Vous êtes sérieux ? Demandais-je.

-Très sérieux, dit-il en me fixant de ses yeux noirs. Je ne vous ai pas choisi par hasard.

Je reste abasourdi, moi qui croyais me faire disputer à cause de mon téléphone, il me propose au contraire une chose à laquelle je rêvais le plus au monde. Je ne sais même pas quoi lui répondre. Ca fait tellement longtemps que j'attends ça.

-Vous avez encore un peu de temps pour vous décider, dit-il. Le stage commencera durant les vacances de pâques.

-Je vous remercie, Monsieur, d'avoir pensé à moi.

-Réfléchissez bien, dit-il. C'est une occasion à ne pas rater. Parlez-en à vos parents et vous me donnerez votre réponse un peu plus tard.

-Oui, d'accord. Merci, Monsieur. Au revoir.

-Bonne soirée, Raphaël.

Je sors de l'amphi, trop heureux de ce qui m'arrive. C'est inespéré. Je sais déjà ce que mon père et David vont dire. « Fonce, tu ne peux pas rater une occasion pareille ». C'est sûr que c'est ce que j'ai toujours voulu faire. Je sors de la fac et c'est là que je vois la silhouette d'Arthur, trempé par la pluie, m'attendant sagement dans un coin. Je m'approche de lui et soudain, toute mon euphorie s'est envolée. Il m'a attendu aussi longtemps sans broncher. Je pose une main sur son épaule pour lui montrer que je suis là.

-Tu as fini ? Demande-t-il. J'ai vu des étudiants de ton cours sortir.

-Excuse-moi, le prof m'a retenu.

-Ah oui ? Pourquoi ?

-Il voulait me demander quelque chose.

-Il voulait te demander quoi ?

-Rien de bien important, dis-je en souriant.

Je ne sais pas pourquoi je ne lui dis pas, mais j'ai l'impression que ce n'est pas le bon moment. Quand il me parle avec son petit accent anglais, j'avoue que je suis submergé par une émotion indescriptible. Il me semble si fragile et pourtant il est loin de l'être. Il est indépendant et sait ce qu'il veut, mais je ne peux pas m'empêcher de vouloir le protéger, c'est plus fort que moi. C'est sans doute pour ça que je préfère retarder le moment de lui dire ce qui vient de m'arriver.

-On rentre à la maison ? Tu vas attraper froid, si tu restes comme ça. Excuse-moi d'avoir tardé.

-Ce n'est pas grave.

-Tu aurais dû aller m'attendre à la bibliothèque.

-J'ai pas osé t'envoyer un message. Tu avais Monsieur Lance, non ? Il n'aime pas trop les portables en classe.

-C'est vrai, dis-je un peu gêné. Mais, j'ai au moins pu t'envoyer un message sans qu'il ne le voie.

Nous prenons le chemin de l'appartement et arrivé à destination, je soupire de bonheur quand je m'affale sur le canapé. Lui, n'ose pas s'asseoir et je devine pourquoi. Je me redresse et cours dans la salle de bains, alors qu'il enlève sa veste et ses chaussures et pose son sac sur une chaise du salon. Je reviens avec une serviette et lui pose sur la tête délicatement, comme on le ferait pour une enfant qui vient de sortir du bain. Il se laisse faire, mais je sens qu'il est tendu.

-Tu devrais enlever tes vêtements, dis-je.

-Hein ? Demande-t-il un peu surpris alors que je relève la serviette pour voir ses yeux surpris.

-Tu vas attraper froid avec tes vêtements mouillés.

-Ah ! Oui, bien sûr.

Il me prend la serviette des mains et va dans sa chambre, prendre des vêtements avant de s'enfermer dans la salle de bains. C'est moi, ou il était tout rouge ? J'entends l'eau de la douche couler et je me dis que moi aussi, j'aimerais bien prendre une douche. Pourtant, je sais que ce n'est pas pour maintenant, je vais devoir ressortir pour aller travailler dans moins d'une heure.

Mon téléphone vibre soudain dans ma poche et je décroche, sachant très bien qui est au bout du fil.

-Vous êtes bien sur le portable de Raphaël, je ne suis pas là pour le moment, merci de laisser un message après le bip. Bip !

-Raph, arrête tes conneries, dit la voix de mon meilleur ami.

-Désolé, Raphaël ne peut vous répondre, il est actuellement hors service.

-C'est ça, tu préfères que je te passe ma sœur. Elle sera ravie de te faire tourner en bourrique.

-C'est bon, ça va, Sébastien. Je plaisantais.

-Avoue, que tu as eu peur que je te passe Anaïs.

-Horriblement, répondis-je en rigolant.

-On se voit, ce soir ? Demande Sébastien.

-Je travaille.

-Allez, demain c'est samedi, dit la voix d'Anaïs en fond.

-Elle a entendu ce que j'ai dit ? Demandais-je à Sébastien.

-Et tu crois que ça l'arrête ? Demande mon meilleur ami.

-Sans doute pas. Qu'est-ce qu'elle dit là ?

-Elle veut voir Arthur.

-Pas moyen, dis-je. Qu'elle le laisse tranquille.

-Et pourquoi ? Dit la voix claire d'Anaïs après l'avoir entendu arracher le téléphone des mains de son frère.

-Il est timide et tu le mets mal à l'aise.

-C'est lui qui te l'a dit ?

-Non, mais, c'est pas difficile à deviner. Et puis, je travaille ce soir, pas moyen que je m'use encore plus la santé.

-Allez, de toute façon, je suis sûre que tu viendras. On t'attend au même endroit que d'habitude et avec Arthur.

J'entends à nouveau un bruit dans le combiné et c'est à nouveau la voix de Sébastien que j'entends.

-L'écoute pas, fais comme tu veux. Tu me préviens, ok ?

-Ok ! A plus tard.

-A plus tard, Raphaël.

Je raccroche et c'est le moment que choisit Arthur pour sortir de la douche, habillé d'un pantalon en toile et d'une chemise. C'est marrant, même à la maison, il a du mal à se détendre, on dirait qu'il va sortir, alors que ce sont ses vêtements pour la maison.

-Tu étais au téléphone ? Demande-t-il.

-Oui, avec Anaïs et Sébastien. Ils veulent qu'on les rejoigne au bar, ce soir.

-Tu leur as dit quoi ?

-Que je travaillais.

-Ah !

-On pourrait rester tranquille ce soir, tous les deux, pour une fois ? Demandais-je. Après mon boulot, on pourrait se faire un film tranquille à la maison.

-Oui, pourquoi pas, dit-il sans me regarder.

-C'est marrant, on dirait que je te gêne, dis-je en souriant.

-Non, dit-il brusquement. Ca me va, le film. C'est bon.

-Ok ! Alors, je vais me préparer pour aller travailler.

Il acquiesce, toujours la tête basse. Adorable, c'est le mot qui le qualifierait le mieux en cet instant. Je m'approche de lui et pose une main sur sa tête avant de la laisser glisser et entrer dans ma chambre. Je m'habille rapidement avec cet uniforme qui m'insupporte parfois et ressors enfin de la chambre.

Arthur est assis à la table de la salle à manger et je crois qu'il est en train de réviser, enfin il me semble. Il écrit frénétiquement sur un cahier, je m'approche lentement de lui et regarde ce qu'il fait dans son dos.

-Qu'est-ce que tu écris ? Demandais-je alors qu'il sursaute en cachant son cahier.

-C'est rien, dit-il. Des bêtises.

-C'est pas des cours ?

-Non, dit-il en refermant le cahier. Juste des bêtises, des trucs écrits à la va vite.

-Des nouvelles ? Un roman ? Des poèmes ? Demandais-je.

-Des trucs débiles, dit-il en laissant sa tête reposer sur ses bras pour éviter que j'attrape le cahier. Je ne suis pas aussi doué que mon père.

-Tu as déjà fait lire ce que tu écris à quelqu'un ?

-Non, jamais, dit-il. Et ça me gêne.

-C'est dommage. Tu me feras lire un jour ?

Il ne répond pas et je crois qu'il n'est pas prêt de me montrer ce qu'il écrit. Je regarde la pendule, il est temps que je m'en aille. Le temps que je fasse le trajet et j'arriverai juste à l'heure au boulot.

-Je dois y aller, dis-je.

-Ah oui, dit-il en se redressant.

-Tu choisis un film sur la VOD et on se la regarde quand je rentre, ok ?

-Oui, d'accord.

-A tout à l'heure.

-A tout à l'heure, répond-il en tournant la tête vers moi.

-Eh Arthur ? Dis-je avant de passer la porte.

-Oui ?

-J'espère que tu me feras lire un jour ce que tu écris.

Je n'attends pas sa réponse et ferme la porte derrière moi. Arthur est vraiment très mignon, j'adore ses expressions timides, j'espère vraiment qu'il va se détendre un peu plus avec moi, seul l'avenir me le dira.

Il n'y a pas beaucoup de monde ce soir, sûrement parce qu'il pleut et je n'ai qu'une seule hâte : rentrer à la maison. J'ai envie de retrouver mon lit douillet et passer une soirée tranquille devant un bon film avec Arthur. Mais, le temps ne passe pas et le dernier client que j'ai servi a mis plus de dix minutes à choisir son menu et le pire c'est que ça n'a même pas provoqué de queue au comptoir. Pauvre de moi, les gens ont disparu de la surface de la terre ou quoi ?

-C'est calme, ce soir, dit un de mes collègues.

-Trop. C'est encore plus fatigant que quand il y a du monde.

-C'est vrai, dit-il en rigolant.

-Dire que je pourrais être tranquillement chez moi, mais je suis là.

-Tu paies tes études, c'est ça ?

-Oui et non, répondis-je. J'essaie de limiter les frais à mon père, être indépendant, c'est parfois pas facile.

-Je te comprends, moi je suis parti de chez moi après le bac et tu vois où j'en suis.

Il s'éloigne du comptoir. Il est sans doute plus à plaindre que moi. Mon père, Samuel, n'a pas vraiment de problème d'argent, mais depuis qu'il a monté sa maison d'édition, je n'ose pas le déranger avec ce genre de problèmes. Il m'a pourtant affirmé qu'il pouvait régler mes dépenses, mais je préfère garder mon indépendance. Je crois qu'Arthur est comme ça, son père écrivain vient d'une famille aisée, si j'ai bien compris, il n'a jamais manqué d'argent et pourtant il a préféré une chambre sous les toits, plutôt qu'un appartement luxueux. Ca me contente dans l'idée que c'est un gars bien.

La porte du Fast-Food s'ouvre enfin, mais je m'aperçois que je connais les personnes qui viennent d'entrer, je les connais un peu trop bien d'ailleurs. Je soupire, les seuls clients que j'aurai ce soir, ce sont eux ? Et quelque chose me dit qu'ils ne sont même pas venus pour consommer. D'après la tête de Sébastien, je suis sûr que c'est sa sœur qui l'a traîné de force, ici, certainement pour me convaincre de venir au bar ce soir.

Alors qu'ils s'approchent, je fais mon sourire que je réserve à tous les clients comme s'ils venaient commander quelque chose.

-Qu'est-ce que je vous sers ? Demandais-je avec un air pincé.

-Je veux bien une glace, dit Anaïs.

-T'es sérieuse ? Demande Sébastien. Et ton régime, alors ? Tu me saoules déjà avec ça suffisamment.

-T'es pas sympa, dit Anaïs en lui donnant un coup dans le bras.

-Sérieux, dis-je. C'était pas la peine de venir jusqu'ici, je ne viendrai pas ce soir. J'ai déjà prévu ma soirée.

-Et tu compte faire quoi ? Demande Anaïs. Passer ta soirée devant la télé ?

-Tout à fait, dis-je sérieusement. Je me fais une soirée ciné avec Arthur, dès que je rentre.

-On peut venir ?

-Anaïs, soupire Sébastien. Je t'avais dit que ce n'était pas une bonne idée. Il n'a pas envie de venir et il ne veut pas qu'on s'incruste non plus. En plus, j'ai envie de passer une soirée tranquille, pour une fois.

-Tu vois, dis-je l'air triomphant, même Sébastien ne veut pas sortir. Et j'ai envie de passer ma soirée avec Arthur, je lui ai promis. Il m'attend.

Anaïs hausse un sourcil. Tel que je la connais, je suis sûr qu'elle se fait des idées. Vite, changer de sujet. Les clients n'ont pas l'air de vouloir venir, alors j'ai un peu de temps devant moi.

-Au fait, j'ai eu une proposition intéressante aujourd'hui, dis-je pour détourner la conversation.

-Quel genre de proposition ? Demande Sébastien, intéressé.

-Mon prof d'archéologie m'a proposé de participer à un stage de fouille, ce sera durant les vacances de pâques.

-C'est super, dit Anaïs.

-Vous êtes les premiers au courant.

-Tu ne l'as pas encore dit à Arthur ? S'étonne ma meilleure amie.

-Je n'ai pas encore abordé le sujet, dis-je un peu gêné. Je vais le faire, je ne sais pas encore ce qu'il fait durant les vacances.

-Tu as peur de le laisser tout seul ? Demande Anaïs avec un sourire que je n'aime pas. On peut s'occuper de lui, si tu veux.

-Je n'ai jamais dit ça, dit Sébastien. Mais, il faut que tu lui dises, au cas où.

-Je sais, je vais le faire. De toute façon, je pense qu'il rentrera chez son père, pendant cette période.

-Et tu en as parlé au tien, au moins ?

-Ca ne date que de cet aprèm, dis-je sur la défensive, j'ai pas vraiment eu le temps d'appeler. Je le ferai ce week-end. Vous devriez être flattés que ce soit vous les premiers.

-Mais on l'est, dit Anaïs. Bon, on va te laisser puisque tu n'as pas envie de nous voir ce soir.

-Mais on s'est déjà vu ce soir, je lui fais remarquer.

-Ne joue pas avec les mots. On y va, Seb ? A plus tard, Samuel.

Sébastien soupire et moi aussi. Il faut vraiment la suivre. Ca fait longtemps que je la connais et j'ai toujours autant de mal, je ne sais pas comment Sébastien fait avec elle.

Le reste de la soirée se passe de façon aussi monotone qu'au début et je rentre avec soulagement à l'appartement, trempé jusqu'aux os, regrettant de ne pas avoir pris de parapluie alors que je savais qu'il pleuvait. Mon uniforme est trempé et je jette une partie de mes vêtements par terre après avoir fermé la porte. L'appartement est à peine éclairé et l'espace de quelques secondes, j'en oublie presque qu'Arthur est là. Il ne fait aucun bruit, alors que la télévision est allumée, seule lumière dans la pièce.

Arthur s'est retourné et je me rends compte de ce que je viens de faire. C'est vrai que je ne vis plus seul, je ne peux pas jeter mes vêtements par terre comme ça, de plus je sais qu'Arthur est quelqu'un d'ordonné. Je me rappelle d'un matin où j'ai retrouvé une de mes chemises sagement pendu à une chaise dans ma chambre alors que je me souvenais l'avoir jetée sur le canapé la veille. Du coup, je fais un peu plus attention, maintenant. Mon autre colocataire n'était pas aussi soigneux et l'appartement ressemblait souvent, eh bien, à un appart d'étudiant. Je dois dire qu'avec Arthur, je n'ai pas de problème de désordre, parfois, j'ai honte d'être aussi bordélique.

Je ramasse donc mes affaires, un peu gêné et m'approche de lui. Il n'a pas détourné la tête, ses yeux bleus me suivent et soudain, il détourne la tête comme pris en faute. S'il ne faisait pas si sombre, je jurerais qu'il rougit.

-Tu as choisi un film pour ce soir ? J'espère que tu n'es pas trop fatigué, il est tard.

-Non, c'est bon, dit-il. Et puis, c'est le week-end. Ton travail s'est bien passé ?

Toujours cet accent incroyable qui le rend adorable. J'en rougirais presque, tellement il est mignon.

-Je vais me changer, prendre une douche et j'arrive.

Je pars m'enfermer dans la salle de bains et après plusieurs minutes j'en ressors, frais, dispo et changé, pour regarder un bon film avec mon colocataire anglais, qui vit à Nassau. Je vais m'asseoir à côté de lui et il semble gêné par la proximité, car je le sens se tendre.

-Je ne t'ai même pas répondu tout à l'heure. Le boulot s'est bien passé. Il n'y avait pas beaucoup de monde. J'ai juste vu Sébastien et Anaïs qui ont essayé de me kidnapper pour aller au bar.

Je le vois qui fronce les sourcils et je comprends que j'ai parlé trop vite. Parfois, ça m'arrive et je suis obligé de répéter. Même si j'aime son accent, j'en oublie parfois qu'il ne comprend pas toujours tout ce que je dis, surtout quand je parle si rapidement. Je répète plus lentement et il semble enfin comprendre.

-Excuse-moi, dis-je. Je ne me rends pas compte que je parle comme ça.

-C'est pas grave, c'est l'habitude. Si tu venais à Nassau, tu aurais sans doute le même problème.

-Probablement, parce que j'ai un mal fou avec l'anglais. Ca me posera certainement un problème, en archéologie, puisque les fouilles se font dans le monde entier. J'ai pu me débrouiller jusqu'ici, mais j'ai peur que ça ne suffise pas.

-Si tu veux, je pourrais t'aider à t'améliorer ?

-Sérieux ? Demandais-je avec enthousiasme.

-Oui, dit-il.

-Ce serait super gentil.

-Tu m'aides aussi beaucoup avec le Français.

-Je ne m'en rends pas trop compte, tu sais ?

-Pourtant, le fait que tu répètes plus longtemps pour que je comprenne, c'est déjà beaucoup. Tu fais attention à moi.

-Je me demande qui ne pourrait pas faire attention à toi ? Dis-je sans m'en rendre compte. Hum… Et ce film, tu as choisi quoi ?

Il ne répond pas, mais je vois ses doigts vagabonder sur la télécommande pour chercher le film qu'il veut regarder. Il s'arrête sur Die Hard et je suis étonné qu'il aime ce genre de film d'action, je l'aurais plutôt imaginé dans un genre plus philosophique, dramatique. Ca me plait, cette nouvelle facette de lui. Il met le film, toujours en silence et après avoir pris de quoi grignoter, nous restons une bonne partie du film, assis l'un à côté de l'autre, sans bouger. On dirait qu'il n'arrive pas à se détendre et pendant la seconde partie du film, mon regard tourne résolument vers sa silhouette si fine. Il n'a pas l'air de se rendre compte que je l'observe, plongé dans le film comme il est, alors que son corps semble prêt à réagir au moindre bruit.

Le film se termine et je n'ai regardé que les dix dernières minutes finalement. Arthur semble se détendre et il tourne enfin la tête vers moi.

-Ca t'a plu ? Demandais-je.

-Oui, beaucoup.

-Tu l'avais déjà vu ?

-Oui, dit-il avec gêne.

-Combien ? Demandais-je avec défi.

-Je compte plus, dit-il avec sincérité.

Vraiment mignon et adorable. Comment ne pas tomber sous le charme de ce blondinet aux yeux bleus ?

-Tu es fatigué ? Demandais-je.

-Pardon ? Dit-il un peu surpris.

-Je te demandais si tu étais fatigué.

-Oui, un peu.

-C'est vrai qu'il est tard et moi aussi, je suis crevé. Allons, nous coucher.

Je me lève et il me suit. Après être passé par la case salle de bains, lui avant moi, nous nous retrouvons chacun devant notre chambre.

-Hum ! Good Night, dit-il.

-Bonne nuit, Arthur.

Pris dans une impulsion, je m'approche de lui et l'embrasse sur la tempe. Il se raidit et je m'éclipse rapidement pour ne pas voir son visage écarlate, au cas où il lui prendrait l'idée de me frapper, même si je doute qu'il soit comme ça.