Un fils de passage
Petit mot :
Et voici le dernier chapitre de cette longue histoire riche en rebondissement. Nous espérons que vous avez pris plaisir à la lire, malgré la situation entre nos deux personnages. Merci à tous ceux qui nous envoyé leurs impressions au fil des mois.
Réponses aux reviews :
Guest : Eh oui, c'est le dernier chapitre. Pauvre Arthur, tu as raison, il a bien souffert. Pas facile pour lui. Merci de nous avoir suivi jusqu'au bout.
Nous vous souhaitons bonne lecture.
EPILOGUE
RAPHAËL
Cinq ans déjà, le temps a passé si vite. J'ai passé mon temps entre la France et le Japon, jusqu'à m'installer au Japon avec Ryûichi et travailler à distance pour mon père. Il n'a rien dit bizarrement, quand je lui ai donné mes intentions. Tant que je travaille correctement, il ne me fait pas de remarque. Je suis toujours étonné de voir que ce métier me plaît alors que je pensais être fait pour l'archéologie. A mes heures perdues, je fais quelques fouilles et je trouve ça beaucoup plus intéressant ainsi.
Aujourd'hui, Ryûichi et moi allons à un vernissage, qu'il ne pouvait absolument par rater et pour l'occasion, nous avons fait le déplacement jusqu'à New-York. Il est souvent pris par sa passion, peut-être trop parfois, passant des heures devant ses toiles, mais dans ces moments-là, je trouve qu'il est magnifique, concentré, les yeux plissés, réfléchissant à ce qu'il va faire. Je le regarde souvent en cachette, parce qu'il n'aime pas qu'on le regarde lorsqu'il peint. Il m'arrive parfois de rester près d'une heure à l'observer sans qu'il s'en rende compte, trop concentré par son travail.
-Raphaël, on va être en retard, dit-il.
-Du calme, l'expo ne va pas s'envoler. On a tout le temps de la voir, non ?
-J'ai promis au directeur de passer le voir avant, ça fait tellement longtemps que je ne suis pas venu à New-York.
-Ca te manquait ? Demandais-je avec une petite moue.
Il revient vers moi avec un sourire amusé sur le visage, trop content de voir que je suis jaloux. Eh oui, nous sommes dans le pays d'Oliver, ça, je ne peux pas l'oublier. Ryûichi a souvent fait des voyages à Paris, avec moi, mais est très peu retourné à New-York, donc je comprends qu'il soit nostalgique, même si je sais qu'il ne regrette pas d'être rentré à Matsumoto.
Je lui prends la main, ce qui le fait sursauter, pour le gêner un peu. Nous sommes en pleine rue, il y a du monde autour de nous et je sais qu'il n'aime pas ça. Moi non plus, je n'aime pas trop m'afficher, mais c'est juste pour le faire enrager.
-Raphaël… dit-il en retirant sa main.
-Ai Shiteru.
Il ne dit rien, mais rougit avant que l'on reprenne notre route, jusqu'à l'exposition. Arrivés sur place, je suis surpris par le monde et je me sens particulièrement mal à l'aise dans ce genre d'endroit. Ce n'est pas trop mon « monde », mais Ryûichi tient toujours à ce que je l'accompagne, comme lui, m'accompagne souvent lors de mes fouilles. Je le vois gambader à travers les gens, complètement à l'aise jusqu'à ce qu'il voit une personne à qui il fait signe. Je le laisse retrouver son monde avant de circuler parmi les amateurs d'art, essayant de me fondre dans la masse, en vain. Décidemment, je ne m'y ferai jamais.
J'avance entre les invités, un peu mal à l'aise, ne sachant pas vraiment où aller, si bien que je finis par heurter quelqu'un sans le vouloir. Je recule, confus et je mets un certain temps à me rendre compte que c'est Arthur qui est en face de moi.
-Tiens, bonjour, fait Arthur, confus.
-Salut, je réponds gêné. C'est drôle de se rencontrer ici.
Drôle, en fait, je ne sais pas si c'est le bon mot, mais rien d'autre ne m'est venu à l'esprit. Je l'observer quelques secondes avant qu'il ne me réponde.
-Oui. Tu vis à New-York maintenant ?
-Oh... heu... non, non. Pas du tout. Je suis juste venu voir l'exposition, dis-je en regardant les autres invités.
Je ne sais pas trop quoi faire, quoi dire. J'hésite à le regarder. Ca fait tellement longtemps qu'on ne s'est pas vu. Je ne m'attendais vraiment pas à le rencontrer ici. Pourtant, je ne devrais pas être surpris de le retrouver dans ce milieu. J'essaie de reprendre contenance, avant de continuer.
-Et toi ? Tu habites toujours ici?
-Oui, un peu plus loin dans Tribeca. Je suis surpris de te voir mais j'aurais dû m'y attendre, puisque Ryûichi expose.
-Oui, il m'a trainé ici, mais je ne m'y sens pas très à l'aise. C'est très loin de mon univers. Mais je voulais lui faire plaisir alors je suis venu. Mais comme, tu le vois, il est parti vers d'autres horizon, dis-je avec un petit rire gêné
-Donc vous êtes toujours ensemble, fait Arthur avec une petite grimace. Je pense que je dois te féliciter... Vous habitez à Paris ?
-Oui... on est toujours ensemble, dis-je mal à l'aise. On habite au Japon, à Matsumoto, en fait.
-Vraiment ? Chapeau... et tu fais quoi là-bas ?
Arthur essaie de paraitre aimable en me posant des questions, mais j'ai la sensation qu'il est aussi mal à l'aise que moi. Faire semblant, ce n'est pas son genre et j'ai bien l'impression qu'il n'avait pas très envie de me revoir ce qui est compréhensible. J'imagine qu'il se sent obligé d'être poli.
-Je travaille comme éditeur et négociateur dans la maison d'édition de mon père. Et toi, tu travailles maintenant ?
-D'après Marcus, non, fait Arthur en souriant. En fait je gère la galerie de sa mère, sur Broadway. Je ne sais pas si tu t'en souviens mais j'avais fait un stage, là-bas. En fait c'est là que je devais travailler ce fameux été, quand on devait partir ensemble à New-York. Enfin, je ne sais pas si tu t'en souviens...
-Si, si, je me rappelle. Tu m'en avais parlé. Et Marcus, c'est... ? Hum... non, oublie.
Je n'ai pas pu m'empêcher de lui poser cette question, mais c'est idiot, ça ne me regarde pas. Arthur rougit, avant de se retourner, semblant à la recherche de quelqu'un. Peut-être l'attend-t-il justement ?
-C'est l'homme avec qui je vis. Il doit être quelque part par là, dans la foule. A moins qu'il soit en retard...
-Ah d'accord. C'est bien... que tu te sois trouvé quelqu'un.
Je regarde la foule et aperçois Ryûichi au loin, en compagnie d'Oliver. Je croyais qu'il devait voir le directeur de la galerie, pas retrouver son ex. Je fronce les sourcils, un peu jaloux. C'était couru d'avance qu'on le rencontrerait ici. Je ne dis rien pour éviter de montrer mon malaise à Arthur, mais je n'en pense pas moins. Ca m'énerve de les voir ensemble tous les deux, même si je sais qu'il ne se passe rien.
-Oui, je me suis trouvé quelqu'un, comme tu dis, fait Arthur en soupirant. C'est plutôt lui qui m'a trouvé, mais bon...
-Ah, c'est bien pour toi, je suis content que ça aille pour toi, dis-je sans quitter Ryûichi des yeux.
Je sais que c'est mal élevé de ma part, mais je ne peux m'empêcher d'observer Ryûichi en compagnie de ce mec.
-Tiens, le couple infernal s'est retrouvé dirait-on, dit Arthur avec une petite grimace. Je me demande ce qu'ils se racontent...
Je me tourne vers Arthur, un peu gêné par mon comportement et pourtant, je ne peux m'empêcher de bouillonner.
-Oui, on dirait bien, dis-je froidement.
-J'ai essayé de dissuader Oliver de venir mais il adore toujours les œuvres de Ryûichi. En fait je crois qu'il adore toujours Ryûichi tout court. Tu ferais bien de te méfier, Raphaël...
-J'ai confiance en Ryûichi, même si je sais que tu vas me dire le contraire, vu ce qui s'est passé. C'est pas très grave, je me doutais qu'on le croiserait de toute façon. Bon, Arthur, il arrive quand ton prince charmant que tu me le présentes?
Je sais que c'est nul de ma part de détourner le sujet, mais il ne vaut mieux pas qu'on continue à parler d'Oliver, sinon je crois que je vais me montrer désagréable.
-Ma foi, je suis incapable de répondre à cette question, Raphaël, fait Arthur avec une petite grimace. On est un peu en froid, en ce moment. Et c'est loin d'être un prince charmant. En fait, mon prince charmant a filé avec la Belle au bois dormant depuis longtemps...ajoute-t-il en baissant les yeux.
-C'est une étrange façon de voir les choses, dis-je gêné.
Je jette un nouveau coup d'œil à Ryûichi. Même si je sais que je ne devrais pas, je ne peux m'en empêcher. Les paroles que j'ai proférées partent rapidement en fumée, mais je dois me montrer plus fort. Ryûichi tourne la tête vers Arthur et moi, avant de se diriger dans notre direction. C'est là, que je me dis que… je ne suis sans doute pas le seul à me poser des questions, à voir le regard de Ryûichi à mon égard.
-Oui, sans doute. Pardon, ça doit être l'émotion...commence Arthur.
-Oh, voyez comment nos tourtereaux se sont retrouvés ! Lance Oliver. Tu es très élégant, Raphaël. Et ça te va très bien, les cheveux courts...
-Merci Oliver, tu n'as pas changé on dirait, dis-je en souriant. Mais vous vous êtes bien retrouvés aussi tous les deux.
Je jette un œil à Ryûichi qui rougit, pourtant son regard se retourne vers Arthur quelques secondes. Et quand je vois la jalousie dans ses yeux, ça me rassure quelque part. Il est autant gêné que moi par la situation.
-Oui, je reconnaitrais un tableau de Ryûichi au milieu de mille, répond Oliver. Son style a mûri, il est encore plus flamboyant qu'avant, tout en restant délicat. Si je m'écoutais j'achèterais toutes ses œuvres…
-Oliver, arrête, dit Ryûichi avec désapprobation.
-Il a raison, dis-je d'un ton sec. Tu es bien meilleur qu'avant.
-C'est l'amour, fait Oliver en levant son verre de champagne en direction de Ryûichi. Merci de le rendre heureux Raphaël, comme ça il nous rend heureux aussi grâce à ses œuvres...
-Oui, tout à fait, dis-je en me rapprochant de Ryûichi.
C'est une guerre entre Oliver et moi. On dirait bien que son ex n'a pas digéré sa défaite et il me le fait bien sentir, mais je ne fléchirais pas.
-Vous êtes ridicules tous les deux, dit Ryûichi mécontent et gêné.
Il observe Arthur un moment, mal à l'aise, comme s'il se sentait coupable de cette situation. Arthur semble lui, cacher son émoi et tout en buvant son verre de champagne, fait un pas en arrière, gêné. Je me rends bien compte qu'Oliver et moi sommes ridicules, mais c'est plus fort que nous.
-Tu exagères Oliver, fait Arthur à voix basse.
-Pas du tout ! Je suis sincère. Il faut savoir rester beau joueur et je me félicite d'être ton plus grand fan, Ryûichi. De toute façon nous ne sommes rien, par rapport à toi. Des vers de terre...
Pour qui il se prend celui-là et avant que je n'ai pu dire quelque chose, c'est Ryûichi qui intervient, agacé.
-Arrête ça, Oliver, dit Ryûichi. Si c'était pour dire des trucs pareils, j'aurai mieux fait de ne pas venir te voir.
-Oh, parce que tu es venu à New York pour me voir ? C'est plutôt moi qui suis venu dans cette galerie pour te voir, à la base. Ok, excuse-moi si mes paroles te paraissent disproportionnées, tu me connais, non ? Je me cache toujours derrière un humour débile, comme avant. Quoi qu'il en soit je suis heureux de te voir. De vous voir, rectifie-t-il en regardant Raphaël.
-Tu as un drôle d'humour en tout cas, dis-je. Enfin, peu importe, Arthur tu ne dis pas grand chose.
-Je... je ne sais pas quoi dire. Je suis content de vous voir si heureux et épanouis, vraiment... fait Arthur en rougissant. Je me rends compte que moi je n'ai pas fait grand chose, pendant ce temps-là...
-Ah, tu n'as pas vraiment changé, on dirait, dis-je en soupirant. Toujours à te dévaloriser, c'est bien dommage, parce que tu es quelqu'un de bien. Ne te compare pas à nous, du moment que tu vives la vie que tu entends c'est le principal. Et j'espère que c'est le cas.
-Non, pas du tout, intervient Oliver. Figurez-vous que cet imbécile a complètement laissé tomber ses études et n'écrit plus ni ne dessine plus... Quel gâchis !
-Oliver, s'il te plait, murmure Arthur. Ca ne regarde personne, mêle toi de tes affaires s'il te plait. Et la galerie fonctionne bien, très bien.
Je les regarde tous les deux, un peu surpris, même si bizarrement, je ne suis pas étonné par le comportement d'Arthur, c'est bien dommage.
-C'est dommage que tu n'écrives plus, dis-je contrarié. Tu as tellement de talent. Je suis d'accord avec Oliver, c'est du gâchis. Tu as écris de très belles choses...
-Non, ce n'est pas vrai, bafouille Arthur en rougissant. C'étaient des enfantillages...
-Pas du tout, fait Oliver. Cet idiot a tout détruit l'année dernière ! Tu n'aurais pas gardé sa lettre, par hasard, Raphaël ? Il parait qu'elle était très belle...
-Oliver ! Grogne Arthur.
-Hum... Je... je bafouille en rougissant.
Qu'est-ce que je pourrais lui dire ? Je l'ai déchirée parce que je voulais tout oublier ? C'est cruel, je sais, et de toute façon, mon silence en dit long sur ce que j'ai fait. Je jette un œil à Ryûichi qui me jette un regard compatissant, pourtant, je sais très bien qu'au fond de lui, il voulait lui aussi que je ne la garde pas.
-Bien sûr que Raphaël ne l'a pas gardée ! Je suis désolé Ryûichi... fait Arthur en se mordant la lèvre.
Je suis surpris par ses paroles, mais je sens sa déception. Je sais qu'il aurait voulu que je la garde, mais… je ne m'en sentais pas capable. Même si je me souviens encore de son contenu, ça me fait mal d'y penser.
-Tu n'as pas... à être désolé, Arthur, dit Ryûichi sans le regarder.
-Non, c'est à moi de m'excuser, dis-je avec sérieux. C'est vrai que je ne l'ai pas gardé, parce que je savais ce que cette lettre représentait. J'ai préféré m'en séparer, mais pour autant, je me souviens parfaitement des sentiments qui y étaient exprimés. Et c'était magnifique. Tu as tort de tout laisser tomber, mais j'imagine que je ne suis pas le mieux placé pour te faire la leçon. Je trouve ça quand même dommage.
Arthur hausse les épaules un peu tristement et je me dis que je l'ai vraiment déçu, mais je ne vois pas comment me rattraper. Il est trop tard pour ça.
-Oui, peut-être. Mais je n'arrive pas à dessiner ou écrire pour personne, tu comprends ? Il me faut le regard et le soutien de quelqu'un, sinon je doute trop. Je suis sûr que Ryûichi me comprend, lui qui peint si bien depuis qu'il est avec toi...
-Et Marcus ? Je demande. Même pour lui... tu ne veux pas retenter l'expérience ?
-Marcus est un commerçant dans l'âme, intervient Oliver. Il a déjà de la chance d'avoir trouvé quelqu'un qui gère gratuitement la galerie de sa mère…
-Oliver, tu vas arrêter, oui ? Mes relations avec Marcus ne regardent que nous, ok ? Je ne parle pas de ta vie privée, moi !
-On ne va pas se disputer, intervient Ryûichi.
-Ryûichi a raison, dis-je un peu surpris par la tournure des évènements. Désolé Arthur. J'aurai aimé que ça se passe mieux pour toi.
-Mais ça se passe bien ! Très bien ! Je n'ai aucune raison de me plaindre, je vous jure. Tous les couples traversent des moments difficiles... Vous aussi, non ?
-Oui, bien entendu, dis-je avec un petit sourire gêné pour essayer de le rassurer. On a nos moments de disputes bien entendu, comme tous les couples. J'espère que ça s'arrangera entre vous.
-Merci, fait Arthur. A propos... j'aimerais beaucoup pouvoir exposer tes œuvres, Ryûichi, mais notre galerie n'est pas aussi réputée que celle-ci. Est-ce que... tu accepterais ?
Ryûichi reste un moment interdit et moi aussi. Je ne pensais pas qu'il lui ferait ce genre de propositions après ce qui s'est passé.
-Heu... Oui, bien sûr. Pourquoi pas, dit Ryûichi, surpris. Ca ne me gêne pas. Je n'expose pas pour l'argent de toute façon, sinon je ne peindrais plus je crois.
-J'adorerais voir tes dernières œuvres, Ryûichi, murmure Oliver avec sérieux. Tu ne peux pas savoir à quel point j'aime tes œuvres. J'en ai racheté une bonne partie de celles que tu avais peintes chez moi, tu sais ?
-Je sais, dit Ryûichi gêné. Pourtant, certaines n'étaient pas très réussies, tu n'étais pas obligé.
Leur complicité m'énerve, et pourtant je sais qu'Oliver est le plus à même d'apprécier les œuvres de Ryûichi, mais ça m'énerve quand même. C'est comme s'il avait une partie de Ryûichi chez lui et ça, j'ai du mal à l'accepter. Pour autant, j'évite d'en parler à Ryûichi, parce je sais que ça l'agacerait et qu'il me dirait qu'Oliver aime simplement son art. Et pourtant, on sait tous les deux que ce n'est pas tout à fait pour ça.
-Si, j'étais obligé, pour continuer à vivre, fait Oliver avec amertume. Et tu l'as dit, l'argent n'a aucune importance.
-Oui, ça n'a jamais été le moteur de ma vie, dit Ryûichi. Alors juste... merci.
Un silence gênant s'installe et je me sens un peu plus agacé. J'essaie de regarder ailleurs. Tout en continuant de siroter notre coupe de champagne, un homme brun, plutôt beau vient vers nous et passe la main dans le dos d'Arthur. J'imagine que c'est Marcus.
-Tu nous présentes ? Fait-il en souriant.
-Marcus ? Je ne t'espérais plus...
-J'ai été retardé, désolé.
-D'accord, Marcus, je te présente Raphaël et Ryûichi. Mes amis, je vous présente Marcus, le propriétaire de la galerie où je travaille.
-Oui, je connais Ryûichi, bien sûr, fait Marcus avec assurance. Un artiste que nous avons exposé longtemps. C'est donc vous, Raphaël, ajoute-t-il en plissant les yeux.
Je n'aime pas trop son ton et ses manières. J'avoue que j'ai du mal à comprendre comment Arthur a pu s'éprendre de ce gars. J'ai l'impression que c'est son type, ou alors je dis ça parce que je suis un peu jaloux quand même. Quoiqu'il en soit, il ne me plait pas. Il se donne de grands airs qui ne me plaisent pas.
-Oui, c'est moi, dis-je avec un sourire froid. Et vous vous devez être le nouveau prince charmant.
-Pardon ? Fait Marcus en ouvrant de grands yeux. Moi ?
Ca me plaisait de faire cette blague, mais ça n'a pas l'air d'être du goût d'Arthur, qui détourne le regard mal à l'aise. Sûrement repense-t-il à ce qu'il a dit tout à l'heure. Trop tard pour revenir en arrière, de toute façon.
-Non, ce n'est définitivement pas toi, Marcus, lance Oliver avec un rictus. C'est une erreur de casting.
-Je ne vois pas ce que tu veux dire, rétorque Marcus froidement. C'est l'hôpital qui se fout de la charité. Pardon pour cet aparté, Messieurs. Ravi de vous rencontrer... Vous êtes de retour à New York ? fait-il en fixant Ryûichi.
-Seulement le temps de l'expo, dit Ryûichi. Après nous passons par la France avant de rentrer au Japon.
-Dommage. Je ne vous imaginais pas du tout comme ça, reprend-il en fixant Raphaël
-Comme quoi? Demandais-je en grinçant des dents.
C'est clair, je ne l'aime vraiment pas. Bon sang, mais c'est qui ce gars ? Oliver a l'air d'un gentilhomme à côté.
-Oh, si... enfin, comme vous êtes, quoi. Français. Quand Arthur parlait de vous j'avais l'impression que vous étiez…
-Un prince charmant ? Complète Oliver avec un petit sourire.
-Désolé d'être français et de ne pas être un prince charmant. On vous a mal renseigné je crois.
Je suis agacé et ça se voit. Ryûichi me lance un regard afin que je me calme, mais ça me semble assez difficile avec un gars pareil. Pour qui il se prend celui-là ?
-Marcus, tu vas me chercher un autre verre de champagne s'il te plait ? Demande Arthur.
La phrase salvatrice. Marcus s'éloigne et je sens Arthur perturbé.
-Je suis désolé Raphaël, murmure-t-il, il est parfois un peu.. .brut de décoffrage. Très Américain. Ton père va bien ?
-T'en fais pas, dit Raphaël. Il est honnête au moins. Oui, mon père va bien, David aussi si tu veux savoir.
Arthur ferme brièvement les yeux et semble vaciller, puis il se reprend. Je crois que ma dernière phrase l'a ébranlé, finalement il pense toujours à David, sans doute plus qu'à moi, on dirait. Je me demande s'il n'était pas vraiment tombé amoureux de lui.
-Je ne pense pas souvent à la France mais je n'oublierai pas David... souffle-t-il en baissant les yeux.
Je reste un moment silencieux. Je crois… que ça me rend un peu jaloux d'entendre ça, même si je m'en doutais.
-C'est gentil pour lui, dis-je finalement. Il serait ravi de l'entendre
-Tu le lui diras, quand tu le verras, hein ?
-Dire quoi à qui ? Intervient Marcus en ramenant un verre.
-Je parlais de quelqu'un que tu ne connais pas, Marcus, réplique Arthur.
-Un de plus ? Charmant...
De plus en plus antipathique, ce gars. De quoi se mêle-t-il ? Est-ce simplement de la jalousie de sa part ou bien… ? Je ne sais pas il y a quelque chose qui cloche entre eux. La façon dont il parle à Arthur et la réponse froide de ce dernier. On ne dirait vraiment pas qu'ils sont ensembles.
-C'est pas ce que vous croyez, j'interviens. Il parlait de mon beau-père, qui l'a aidé dans les moments difficiles, c'est tout.
-Oh, je vois. C'est vrai qu'Arthur a eu pas mal de moments difficiles avant de me connaître, d'après ce qu'il m'a raconté, répond Marcus. Il a toujours été trop sensible.
-C'est vrai, sans doute trop, dit Raphaël. Il n'a pas eu une vie facile. Mais j'espère que ça va changer, n'est-ce pas Arthur ?
Je... je ne sais pas, répond Arthur gêné.
Je ne vois pas pourquoi ça changerait, dit Marcus. On est parfaitement heureux, hein Arthur ?
-Bien sûr, murmure Arthur en finissant son verre. On est très riches tous les deux.
Eh bien, Arthur cache bien sa joie, parce qu'à voir son visage, on ne dirait pas qu'il est heureux et ça m'inquiète. Et ça dernière phrase me fait comprendre qu'il y a quelque chose qui ne va pas.
-Riche, je répète en fixant Arthur.
Arthur se mordille la lèvre, les yeux humides, puis me regarde longuement sans répondre, alors que Marcus et Oliver discutent peinture. Ca ne va vraiment pas. Je me demande vraiment pourquoi il est avec lui. Ca se voit tout de suite qu'ils ne sont pas heureux ensembles et surtout… on ne voit pas d'amour entre eux. Ca m'inquiète pour Arthur.
-Arthur... dit Raphaël en détournant le regard. Tu...
Je jette un œil à Ryûichi et je sais qu'il m'a compris. Pas besoin de mots pour qu'il me comprenne.
-Je suis désolé, je m'éclipse, il faut que j'aille voir quelqu'un, dit Ryûichi avec une petit sourire entendu.
Arthur le regarde s'éloigner surpris, et fait un pas vers Raphaël.
-Arthur... je ne comprends pas, dis-je Raphaël contrarié.
-Tu ne comprends pas quoi ?
-On dirait, je sais pas... que tu subis la situation.
-Oh, Marcus a aussi des bons côtés tu sais, il ne faut pas se fier aux apparences. Il a de l'humour et il supporte mes crises de blues. Et puis la galerie marche bien, c'est l'essentiel. Je n'en demande pas plus, tu sais, conclut Arthur en baissant les yeux.
-Pas plus... d'accord. Si ça te va c'est l'essentiel. J'espère que ça se passera bien pour toi.
Pourtant je sais qu'il y a quelque chose qui ne va pas. Ses paroles ne sont pas sincères, on dirait qu'il dit ça, juste pour se rassurer.
-C'est que je...
-Que tu quoi?
-J'ai fait le deuil du prince charmant et du bonheur, tu vois... mais ce n'est pas de ta faute, hein ! C'est la vie qui est comme ça, c'est tout.
Je ne suis pas surpris par ses paroles, mais je commence à comprendre ce qui se passe. Il n'est pas heureux ça se voit. Je sais très bien que c'est de ma faute ce qui lui arrive. Je lui ai fait perdre l'espoir, mais je n'ai pas envie que ça se finisse comme ça. Il ne peut pas avoir perdu tout espoir, ce n'est pas possible.
-Je ne pense pas que ce soit une raison pour ne plus y croire. Arthur... tu mérites d'être heureux. Et j'espère que tu le seras et que tu feras ce que tu aimes.
Je regarde Arthur un moment, mais sa mine triste me perturbe un peu plus. Sous l'effet d'une impulsion, je le prends par le poignet et l'emmène hors de la galerie. Il ne se confiera pas s'il a l'impression que tout le monde nous écoute. Je ne peux pas le laisser comme ça. Ce n'est pas possible. Son poignet entre mes doigts fait ressurgir en moi tellement de souvenirs. C'est à cause de moi, tout ça, alors je ne le laisserai pas tomber.
-Arrête de faire cette tête, dis-je. On va prendre un peu l'air.
ARTHUR
Je suis surpris que Raphaël me prenne par le poignet et m'emmène au dehors de la galerie, c'est le soir et le jour commence à tomber. Par habitude ou par confiance je le suis sans résister.
-D'accord, dis-je simplement, étonné.
A travers la vitrine éclairée je vois Marcus qui discute avec animation avec Oliver, personne ne semble prêter attention à nous. La circulation commence à se densifier mais nous sommes proches l'un de l'autre, Raphaël n'a pas lâché mon poignet.
-Je comprends pas. Si t'es pas heureux, pourquoi tu supportes tout ça ?
Je hausse les épaules, troublé, il me semble que je rougis, peut-être parce que la main de Raphaël est douce sur mon poignet. Que dire ? Je n'ai pas envie de me faire plaindre, d'ailleurs je ne suis pas à plaindre, sûrement pas. Les piétons nous bousculent parfois mais nous sommes seuls au monde, pour quelques instants, sur ce trottoir.
-Je ne sais pas.., dis-je avec résignation. C'est quoi être heureux ? Je vis agréablement, je travaille, j'ai de l'argent... c'est quoi être heureux ? Ca veut dire quoi ?
-Tu ne respires pas le bonheur en tout cas, à voir ton visage. On dirait que tu subis la situation. Vivre, travailler, gagner sa vie, c'est déjà bien, mais il y a plus...
Je crois que je souris tristement, le cœur lourd.
-Oui, mais le "plus", ce n'est pas pour moi je crois. Tu es gentil de t'inquiéter pour moi mais je n'y crois plus, tu sais. Je n'y crois plus...
Je ne sais pas trop quoi lui dire de plus. Je n'ai plus d'illusions, depuis longtemps. Ma vie me convient bien, bon an mal an. Raphaël se rapproche et pose sa main dans mon cou, je ferme brièvement les yeux.
-Pourtant je sais que tu y as droit toi aussi, fait-il doucement. Si seulement je pouvais faire quelque chose. Mais je sais que c'est ma faute si tu n'y crois plus. Je m'en veux de t'avoir privé de ça.
-Je... je suis très touché par ce que tu me dis. Tu n'as pas à t'en vouloir Raphaël, je sais que je ne suis rien à côté de Ryûichi. Tu sais, j'ai toujours eu la certitude que je ne valais pas la peine d'être aimé, alors je n'essaie même plus, ça m'évite des désillusions, je murmure au bord des larmes.
Je m'en veux d'être aussi sensible, je dois avoir l'air ridicule, sur ce trottoir. Pourtant c'est exactement ce que je ressens : la certitude de ne pas être assez bien pour être aimé, depuis tout petit. Depuis la mort de ma mère. J'ai un peu mal au cœur soudain, l'attitude de Raphaël vient troubler ma tranquillité, mes certitudes.
-Je ne sais pas quoi te dire. Je n'aime pas te voir comme ça, dit-il tristement. Est-ce que tu aimes Marcus, au moins ?
-Je... je l'aime beaucoup, oui. On passe de bons moments ensemble, parfois. C'est un bon amant, je réponds en m'embrouillant un peu. C'est sûr que je ne l'aime pas comme... enfin, bref, je conclus précipitamment.
J'ai failli lui dire que je ne l'aimais pas comme je l'avais aimé, lui, Raphaël, mais heureusement je me suis retenu à temps. Ca aurait été une énorme connerie, je ne veux surtout pas qu'il me prenne en pitié.
-Et ça te suffit ? demande-t-il visiblement gêné et troublé. Tu ne veux pas essayer d'avoir plus ? Tu l'aimes beaucoup et c'est tout ? Tu vas vraiment te contenter de vivre un demi bonheur ?
Une voiture klaxonne, je ferme les yeux douloureusement et prends la main de Raphaël dans la mienne, sans réfléchir.
-A côté de toi rien n'a de goût, rien n'a de sens... Je crois que... je ne t'ai pas vraiment oublié, Raphaël. Je n'arrive pas à passer à autre chose, c'est idiot. Alors je n'ai pas envie de plus, ni d'autre chose. Je suis désolé de te dire ça en face... mais rassure-toi, je ne me fais aucune illusion, d'aucune sorte, dis-je en reculant d'un pas.
-Je suis vraiment désolé. Si j'avais su... il aurait mieux valu qu'on ne se revoie pas. Enfin, c'est pas comme si on l'avait fait exprès, dit Raphaël avec un sourire triste en lâchant ma main. Je me rends compte que ma présence te fait du mal. Je ferais mieux de te laisser, Ryûichi doit me chercher, à moins qu'il ne discute encore avec toute la galerie. Enfin c'est pas grave, je ne veux pas te troubler d'avantage.
Mince, Raphaël va partir, je lui ai fait peur, exactement ce que je ne voulais pas. Il va disparaître et je ne saurai jamais la vérité sur nous. Même si ça n'a plus d'importance, si c'est trop tard de toute façon.
-Non, reste, fais-je en rattrapant ses doigts fins. Je voudrais juste savoir, avant que tu partes... Est-ce que tu m'as aimé un peu ? Je veux dire, vraiment aimé ? Marcus me soutient toujours que vous vous êtes bien foutus de moi, à l'époque. Que je me suis monté un film de notre histoire. Alors c'est important pour moi de savoir si... si un jour, j'ai compté pour toi.
-Je t'ai vraiment aimé Arthur, répond Raphaël en me regardant droit dans les yeux. Ca n'avait rien d'un film, j'ai vraiment ressenti des sentiments pour toi. Ils n'étaient probablement pas aussi forts que les tiens, mais ils étaient là.
Je me force à sourire pour ravaler mes larmes et je lâche la main de Raphaël avec regret, le cœur pétri de sentiments mêlés. Il m'a vraiment aimé alors, même s'il m'a aimé moins que moi. Ce que j'ai toujours su, au fond.
-C'est vrai ? Tu me jures que c'est vrai ?
-Oui, je te le jure, dit-il en me regardant droit dans les yeux. Tu sais bien que je ne suis pas du genre à mentir. C'est d'ailleurs à cause de ça qu'on en est arrivés là.
-Je ne voulais pas que tu me mentes, je voulais juste... oh, je suis idiot, fais-je en secouant la tête. Ca s'est passé si vite que je n'ai pas compris ce qui nous était arrivé, vraiment. Il nous est arrivé quoi, Raphaël ?
-Je ne sais pas, je crois que nos vies ont pris des chemins différents et qu'on n'a pas réussi à se retrouver.
Je hoche la tête, pensif, et souris. Tout a été si rapide que je n'ai pas compris comment son amour pour moi a pu s'évanouir en quelques semaines mais il est trop tard pour chercher des coupables, j'imagine. Je me redresse pour reprendre contenance, je dois avoir l'air pathétique, à chercher des preuves d'amour longtemps après. Il faut penser à l'avenir, plus au passé, alors je reprends bravement :
-Je ne regrette pas de t'avoir revu en tout cas. Si tu me dis que notre histoire a vraiment existé, que tout n'est pas que mon imagination, ça me redonne un peu de courage pour l'avenir. Peut-être que… peut-être que j'ai une chance encore d'aimer et être aimé. Non ?
-Bien sûr que c'est possible. Ca ne fait aucun doute. Je te souhaite vraiment d'être heureux, dit-il avec douceur, une douceur qui me tue.
A l'idée d'être heureux sans lui je cache mon visage dans mes mains pour masquer mes larmes puis je souffle :
-Je suis trop bête, je ne sais vraiment pas pourquoi je pleure. Je crois que j'avais ça sur le cœur depuis trop longtemps. Tu dois me prendre pour un imbécile, hein ? Marcus me dit tout le temps que je suis trop sensible, il a raison.
-Sur ce point, il n'a pas tort, tu es trop sensible, mais c'est adorable aussi. Et puis, tu n'es pas un imbécile, tu es quelqu'un de bien à qui il est arrivé des tas de mauvaises choses. Mais, crois-moi, un jour, tu auras toi aussi ta contrepartie et tu seras heureux. D'ici là, ne fais pas trop de bêtises. J'espère que si on se revoit, tu auras un visage rayonnant comme celui que tu me montrais autrefois.
Parler d'autrefois et de notre bonheur trop bref me fait souffrir mais je n'en dirai rien. Je ne veux pas le lasser ni le culpabiliser, je dois me reprendre, absolument.
-Je vais essayer, oui..., fais-je en séchant mes larmes. Merci d'être aussi gentil et compréhensif avec moi, Raphaël. Oh là là si Marcus voit que j'ai pleuré il va me faire une scène pas possible...
-Hum... Ca a l'air d'être un drôle de gars, ton copain. Allez, il est temps que l'on retourne dans la fausse aux lions, je vais essayer de me frayer un chemin parmi la foule. Je me demande comment tu arrives à supporter tout ce monde, dit-il avec un sourire. Moi, j'ai vraiment du mal.
-Boh, moi j'ai l'habitude et ça ne me fait plus rien. Tout le monde joue un jeu ici, tout le monde essaie de paraître le plus heureux et épanoui possible mais la plupart sont seuls, au fond. Comme moi...
Après un instant d'hésitation je me dirige vers l'expo et Raphaël me suit, il y a toujours autant de monde et de bruit de verres, l'ambiance est tout autre, mondaine. Nous nous dirigeons vers Oliver et Marcus qui discutent toujours avec animation.
-Ah, te voilà ! Fait Marcus en m'apercevant. T'étais où ? T'as vu la tête que t'as ? Oh mais je comprends, ajoute-t-il avec mépris en voyant Raphaël. Ton chéri a encore réussi à te faire pleurer ? Vraiment, t'as pas beaucoup de fierté mon pauvre ami.
-Plus que tu ne le crois, je rétorque en redressant la tête. Assez pour arrêter de jouer la comédie avec toi en tout cas. J'en ai marre de toi, marre de tes sarcasmes, marre de faire semblant.
-Mais...
-C'est fini entre nous, Marcus, fais-je en rebroussant chemin.
Je ne sais pas ce qui m'a pris, un courage soudain ou la présence de Raphaël mais je n'ai plus envie de faire semblant et de me contenter des miettes, ça fait trop longtemps que notre couple est un couple de façade et qu'il me méprise ouvertement. Trop longtemps que je n'espère plus rien, que je me raccroche à des apparences. Alors mieux vaut en finir, et tout de suite. Je m'éloigne sous l'œil sidéré d'Oliver et Raphaël qui n'ont pas bougé. Si je reste je vais faire un esclandre, c'est inutile. Autant garder un peu de prestance.
-T'es ridicule Arthur ! Crie Marcus dans mon dos.
-Vous n'avez vraiment rien compris, lui répond Raphaël d'une voix ferme. On ne dirait vraiment pas que vous l'aimez sinon vous vous seriez demandé pourquoi il pleurait réellement. Sur ce au plaisir de ne pas vous revoir.
Depuis le fond de la pièce je vois que Raphaël s'éloigne pour me rejoindre, ce qui me rassure. En chemin, il croise Ryûichi et s'arrête, je suis leur conversation à distance, en lisant sur leurs lèvres.
-Ca va ? Lui demande Ryûichi, étonné.
-Oui, ne t'en fais pas. Mais tu peux me laisser encore quelques minutes? Répond Raphaël en lui prenant la main.
Ryûichi acquiesce et Raphaël se dirige dans le coin où je me suis réfugié, au fond de la galerie. Je suis heureux de le voir revenir vers moi et qu'il ait pris ma défense, cette fois je souris sans me forcer.
-Est-ce que ça va aller? Me demande Raphaël, inquiet.
-Oui, dis-je en me rendant compte que je tremble sous le coup de l'émotion. Oui, ça va aller. Tu sais quoi ? Je me sens mieux déjà à l'idée de ne pas le revoir. Je serai mieux sans lui, je redeviendrai peut-être moi, le vrai Arthur. Peut-être même que je réécrirai, qui sait ? Je crois que je vais partir, quitter New-York pour me ressourcer, faire le point, respirer. Rêver même...
-C'est un bon début. Les rêves peuvent se réaliser, il suffit d'y croire. Je pense que tu as pris une bonne décision. Ce Marcus n'avait aucun respect pour toi. Sans soutien, il est difficile d'avancer. Sache que contrairement à ce que tu as dit tout à l'heure, tu n'es pas seul. Tu as ton père, Julian. Et puis moi, je serais toujours là si tu as besoin. Et puis David aussi. Alors n'oublie pas que tu as des personnes qui tiennent à toi et le moment venu, tu auras ce que tu souhaites.
-Merci Raphaël, merci du fond du cœur. Je... je tremble, je suis incroyablement ému, excuse-moi, fais-je en le fixant avec émotion. C'est grâce à toi, tu sais. C'est grâce à toi que j'ai trouvé la force de le quitter et c'est grâce à toi que j'ai découvert l'amour, le vrai amour. Merci pour ça..., j'ajoute en baissant les yeux.
Je n'en dirai pas plus, c'est inutile. C'est vrai que sans soutien je n'existe pas, j'ai tendance à me laisser aller. Pourtant je sais aussi que je suis et resterai seul, et que c'est en moi que je devrai trouver la force de vivre. Pour moi.
-Je suis content d'avoir pu t'aider, dit Raphaël avec un sourire attentionné. Je vais te le répéter encore, mais tu es quelqu'un de bien Arthur, ne l'oublie jamais. Dans la mesure du possible, évite les relations compliquées où tu ne pourras pas t'en sortir. Mais, c'est déjà un grand pas que tu as fait. Maintenant, il faut continuer sur ta lancée. Bien, je crois... qu'il va falloir que j'y aille. Ryûichi doit m'attendre, ajoute-t-il en reculant.
-Hum, il va m'en vouloir, non ? Je te souhaite le meilleur, Raphaël, j'ai été très heureux de te revoir, vraiment... Au revoir mon ami, et... je... je ne...
Je hausse les épaules et m'embrouille, j'ai trop de choses à lui dire et je suis déjà bouleversé, je ne veux pas me remettre à pleurer comme un imbécile. S'il me connaît bien il sait déjà ce que je ressens, les mots sont superflus, il est trop tard.
-A bientôt, murmure-t-il dans mon dos même si je sais que nous ne nous reverrons pas.
RAPHAËL
Notre retour au Japon s'est fait dans le calme. Un petit tour par Paris et Sénon et nous voilà, rentrés à la maison. Pour autant, je n'oublie pas ce qui s'est passé lors du vernissage à New-York. J'ai vaguement expliqué ce qui s'était passé à Ryûichi qui n'a pas trop compris le pourquoi du comment, mais qui n'a cependant pas posé de questions. J'imagine qu'il croit que ça ne regarde qu'Arthur et moi, ce qui n'est pas faux en soi.
J'ai au moins pu lui dire au revoir correctement cette fois et je me sens beaucoup plus serein, en pensant qu'il a fait le bon choix cette fois. Je sais que ce n'était pas mes affaires, mais je n'aurais pas supporté de voir Arthur avec un mec qui le traite aussi mal. Il mérite bien mieux que ça. J'espère maintenant qu'il va pouvoir mener la vie qu'il entend.
-Tu as l'air perdu dans tes pensées, dit Ryûichi alors qu'il pose son sac dans notre salon.
-Pardon ?
-Oui, c'est ce que je pensais, dit-il en souriant.
Je reste un moment interdit. Il semble amusé et je ne vois pas très bien pourquoi. Je m'approche de lui et je le prends dans mes bras, après avoir lâché brutalement mes bagages.
-Envie de câlins ? Demande-t-il.
-Moui, dis-je.
-Tu pensais à quelque chose de désagréable ?
-Non, non, dis-je en m'éloignant légèrement de lui. Je pensais…
-Oui ?
-A Arthur.
-Sympa, dit-il en me repoussant.
-Non, c'est pas ce que tu crois, dis-je en le reprenant dans mes bras de force et en l'embrassant dans le cou. Je suis juste content de ce qui s'est passé au vernissage. Il était malheureux et il a pris la première décision qui va faire évoluer sa vie. Ca me rassure.
-Parce que tu te sentais coupable, c'est ça ? Demande-t-il en se serrant un peu plus dans mes bras.
-Oui, c'est à cause de moi qu'il a passé cinq ans avec un homme qui ne le rendait pas heureux. Parce qu'il pensait qu'il ne pouvait avoir mieux. Mais, j'espère sincèrement que ça va changer pour lui et qu'il se trouvera quelqu'un de bien.
-Tu es vraiment gentil Raphaël, dit Ryûichi en m'embrassant. Trop sans doute.
-Tu sais bien que non, mais je n'aime pas les injustices. Arthur, lui, est gentil. Il se dévalorise trop, mais j'espère que la personne avec qui il fera sa vie, lui fera comprendre à quel point c'est une personne exceptionnelle.
-Tu es encore amoureux, on dirait.
-Je l'aime beaucoup, je ne vais pas te mentir. Mais, c'est de toi, dont je suis amoureux, c'est certain, dis-je en regardant Ryûichi droit dans les yeux. J'ai compris ce soir-là que j'avais beaucoup de chance de t'avoir à mes côtés. Je me suis senti jaloux quand je t'ai vu avec Oliver.
-Et moi, que crois-tu que j'ai ressenti en te voyant avec Arthur ? Demande Ryûichi.
Je ne dis rien. Je comprends très bien ce qu'il a ressenti et je ne peux m'empêcher de sourire. Je me penche pour l'embrasser, le serrer contre moi, le toucher. Je ne pensais pas trouver quelqu'un qui m'aimerait autant que lui, mais il est pourtant là, dans mes bras et je ne le laisserais jamais m'échapper.
ARTHUR
Je fixe les vagues au loin, tenant encore crispée dans ma main la lettre qui vient de France, arrivée ce matin. Les courriers sont rares ici et je ne l'attendais presque plus, habitué au doux train train de la vie dans mon île. Ca fait bientôt six mois que je suis revenu vivre chez mon père, à sa grande surprise, et nous partageons un quotidien agréable sous les tropiques, une routine salvatrice.
J'ai quitté New York rapidement après l'esclandre avec Marcus, il n'y avait plus rien à dire, à sauver. J'avais vécu avec lui faute de mieux, persuadé de ne pas mériter mieux. Persuadé qu'il n'y aurait personne d'autre que Raphaël, jamais. Une histoire difficile à oublier, j'étais comme resté bloqué à cette rupture, même longtemps après. Comme si le temps n'avait pas passé, comme si je n'avais toujours pas compris. J'avais cru que la vie cynique et superficielle d'Oliver me conviendrait, mais je n'étais pas fait comme lui, visiblement.
Je suis toujours seul aujourd'hui mais l'espoir est là, comme une possibilité. Maria, la femme de ménage, me tourne autour avec son balai, espérant que je quitte la terrasse pour retourner dans mon bureau et travailler. Mais je ne bouge pas, je regarde cette lettre qui me brûle les doigts et que je n'ose pas ouvrir, pas maintenant. Je ne suis pas courageux, je ne l'ai jamais été. J'ai l'impression de flotter entre deux eaux comme ces morceaux de roseau qui s'échouent parfois sur le sable, j'ai l'impression de ne rien maîtriser, jamais.
-Alors ? me demande une voix familière dans mon dos, mon père.
-Alors je ne sais pas, je ne l'ai pas ouverte.
-Et tu attends quoi ? fait-il en s'asseyant en face de moi et en se servant un thé, au grand désespoir de Maria.
-Qu'il pleuve ?
-Alors tu peux attendre longtemps, la saison des pluies c'est dans trois mois.
-Je sais…
-Ouvre et tu seras fixé, c'est pas la fin du monde de toute façon.
Je hausse les épaules, c'est pas la fin du monde mais parfois on met tous ses espoirs dans quelques grammes de papier, et ça devient le plus important. Une jolie illusion. Le vent fait plier les palmiers, parfois on entend les cris des enfants sur la plage, au loin. Nous restons quelques minutes immobiles à siroter notre thé vert, pas besoin de mots entre nous, on se connaît par cœur. Tout à l'heure je remonterai pour écrire, ça m'occupera jusqu'au milieu de la nuit, jusqu'à ce que ce ne soit plus une souffrance mais une ivresse. Jusqu'à tomber d'épuisement sur mon lit.
-Demain je repars à Miami, tu ne veux pas venir avec moi ? fait mon père en se levant.
-Moi ? Pourquoi ?
-Pour rencontrer le gérant d'une célèbre maison d'édition. Ca pourrait être un contact utile pour toi…
-Plus utile que de s'appeler Barnett ? Je te l'ai dit, je ne veux pas de passe-droit. Je veux faire mes preuves par moi-même, incognito.
-Il ne s'agit pas de passe-droit, juste d'une rencontre. De toute façon il ne te fera pas de cadeau. Si ton bouquin n'est pas bon il ne l'éditera pas, rassure-toi.
-Je sais mais je préfère éviter ça, merci, dis-je rapidement sans le regarder.
Il remonte, vraisemblablement vexé, je continue à fixer l'enveloppe crème comme si je voulais voir à travers. Finalement je la déchire d'un geste, le cœur battant. Foutu pour foutu…
Cher Monsieur Brittland,
Nous avons le plaisir de vous informer que votre premier roman « Un fils de passage » a retenu toute notre attention et qu'il semble convenir à notre collection Ephémères. Vous voudrez donc bien nous faire savoir s'il est toujours libre, et le cas échéant, vous trouverez ci-joint un contrat d'édition à signer et nous faire parvenir en retour. Nous restons à votre disposition pour discuter de notre collaboration et en régler les détails, lors d'un rendez-vous dans nos locaux de Sénon, à une date que nous définirons conjointement. Nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos sentiments distingués.
Pour les Editions Gregor
Raphaël Gregor
FIN !