Salut à tous ! Voici un petit recueil où vous pourrez trouver des histoires n'ayant aucun lien les unes avec les autres, et aucun lien avec ce que j'écris habituellement (d'où le titre Aliens). En gros un fourre-tout, ou un vide-ordure... mais c'était plus poétique Aliens, vous trouvez pas ?

Bref. Le narrateur est un emmerdeur blond récurrent chez moi, mais vous pouvez en faire abstraction et imaginer quelqu'un d'autre à sa place. (Créons le concept du "la fic dont vous choisissez le narrateur !".)

Sur ce, bonne lecture !

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J'ai vingt-trois ans, et je ne veux pas mourir.

J'ai une chanson en tête, une chanson-souvenir. De celles qui, en cinq secondes, peuvent vous rappeler toute la nostalgie d'un instant vécu quinze ans plus tôt. Je n'arrive pas très bien à me rappeler les paroles, mais la mélodie est là – elle se balade dans mon cerveau, et mes souvenirs me reviennent, alors que je regarde les étoiles qui tremblotent.

Quand j'avais six ans, et qu'on partait en vacances avec ma famille. On chantait tous en chœur dans la voiture, et on s'arrêtait pour pique-niquer à des endroits où le vent chaud frappait les herbes hautes.

Quand j'avais douze ans, et qu'on venait d'avoir Internet pour la première fois à la maison. Je m'amusais à télécharger des chansons, je parlais avec mes amis sur msn. Je discutais avec de parfaits inconnus le chat de Caramail, quand il existait encore. C'était l'époque où j'avais encore le droit de ne me soucier de rien.

Quand j'avais quatorze ans, et que j'aimais écouter des albums avec mon gros baladeur cd, dans ma chambre, le soir. Je contemplais le plafond, et la musique me tenait éveillé. Le mieux, c'était l'hiver, je m'installais contre le mur de ma chambre qui était tout contre le conduit de la cheminée, et, assis au chaud, je regardais la neige recouvrir le velux.

Quand j'avais seize ans. Mon nouveau lycée, mon nouvel appart. Les soirées à manger des chips au guacamole devant un film, avec la lumière tamisée de ma lampe halogène qui éclairait les poutres apparentes du plafond. La lumière rouge de la boutique d'en face qui éclairait le salon quand j'éteignais les lampes. Le calme.

Quand j'avais dix-sept ans. Mon voyage au Canada. Le camping, les soirées au coin du feu, les étoiles filantes dans l'île déserte, les guitares, les amis, les vacances. La séparation.

Quand j'avais dix-huit ans. Mes nuits passées à discuter sur des forums. S'endormir avec le lever du jour, avec une vague migraine, et le même album qui était passé en boucle toute la nuit.

Quand j'avais vingt ans. Les cours de conduite. Tomber amoureux de mon mono, fantasmer secrètement sur son parfum à chaque cours, et perdre contact avec lui brutalement – mais de façon prévisible – après l'obtention de mon permis.

Quand j'avais vingt-et-un an. Les soirées d'anniversaires de mes amis, et moi en train de rouler sur l'autoroute pour m'y rendre. Les lumières rouges floues des phares arrières, l'impression de rouler dans le néant, à l'infini. La musique de l'album qui tournait sur l'autoradio.

Quand j'avais vingt-deux ans. Mon année à l'étranger. Les jours passés dans mon lit à ne rien faire, les jours passés à visiter la ville. Le tourisme entrepris. La magnificence des métropoles, la beauté des petits villages. Mes balades en vélo. Le centre commercial d'à côté. Le restaurant de sushis pas loin. Les nuits, les jours. Les amis.

J'ai toujours associé mes chansons préférées à des souvenirs – à moins que ce ne soit l'inverse ? J'ai associé mes souvenirs à mes chansons préférées. Je peux me rappeler d'évènements incongrus qui se sont déroulés des années plus tôt, et oublier ce que j'ai fait hier. C'est le pouvoir de la musique. Et cette chanson, qui tourne dans ma tête, elle me rappelle des choses.

J'aurais voulu continuer à construire ces souvenirs, à associer des chansons. Je n'avais pas fini d'en vivre, pourtant, j'aurais pu continuer indéfiniment. Mon nouvel appartement, mes nouveaux colocataires, ma nouvelle vie. Mon nouveau travail. J'avais tout un futur qui se déroulait devant moi, et je l'aurais vécu pleinement, de toutes mes forces. J'aurais décidé d'un sujet de mémoire qui me convenait. Je serais sorti avec ce type dont j'étais bêtement amoureux. J'aurais dépensé les sous de mon travail dans des livres et des CD, j'aurais profité, j'aurais vécu.

Dans ces souvenirs, qui me reviennent en fatras, je vois soudain le visage de ma mère, qui me recommande d'être prudent en prenant la voiture. On ne sait pas ce qu'il peut y avoir sur le chemin. Je me revois lui sourire, lui assurer que oui, je serais prudent.

Cette nuit encore, je me suis dit que je serais prudent. J'ai mis la musique, et il y avait cette chanson dans l'autoradio, celle qui ne veut pas quitter ma tête, même là, même maintenant, alors que je ne sens plus le bout de mes doigts, alors que les étoiles sont prêtes à s'éteindre. Celle qui me rappelle tous ces souvenirs d'enfance – à moins que ce soit juste parce que je suis en train de mourir.

J'étais pourtant prudent. Je roulais à la bonne vitesse, je n'avais pas bu. Mais il était tard, il faisait nuit, et il y avait quelqu'un d'autre sur la route, et lui, il n'était pas prudent, il ne roulait pas à la bonne vitesse, et peut-être qu'il avait bu. C'est lui qui m'a foncé dessus, et moi, je n'ai pas eu d'autre choix que de faire une embardée pour l'éviter.

Je n'ai pas très bien saisi tout ce qui s'est passé ensuite, j'ai juste vu l'arbre, j'ai senti la douleur, et maintenant, je suis allongé sur le sol froid, et je vois de moins en moins bien les étoiles.

Je regrette. Je voulais vivre encore. Je voulais encore me créer des tas de souvenirs à associer avec des chansons. Si j'avais eu le temps de m'y préparer, peut-être que j'aurais pu accepter… Mais pas comme ça, pas tout seul, sur cette route déserte, pas sans avoir dit à mes parents, à mes amis, que je les aime. Pas sans un adieu.

Je pleure. J'ai vingt-trois ans, et je ne veux pas mourir.