Cette histoire est une suite de "Comment devenir presque un Gentil en douze leçons". Cela fait longtemps que certains lecteurs me demandaient du slash entre Terreur et l'homme-lézard, et voilà, à la fin de ces dix chapitres, le couple sera canon ! Même s'il faudra passer, comme le titre l'indique, par un certain nombre de tribulations.

Sardix est l'homme-lézard, Shirin est la princesse.


Les photos d'enfance passablement humiliantes


Terreur avait à peu près autant de droits à influencer les fréquentations de Sardix que le contraire, c'est-à-dire absolument aucun.

Mais c'était parfois difficile d'entièrement l'assimiler quand cela voulait dire que la Grande Sorcière Petronilla de l'Amicale des Méchants - autrement dit, la mère de Terreur - avait le droit de se tenir actuellement dans le salon de Sardix. Sans même avoir eu à éviter les trappes sur le chemin. C'était particulièrement injuste parce que même Terreur devait y faire attention, parfois, quand l'homme-lézard se sentait nostalgique du bon vieux temps.

Un serviteur offrit à Terreur une tasse de thé même pas empoisonné. Mais l'absence de poison est comme tout le reste : quand on découvre qu'on le partage avec sa mère, cela perd une bonne moitié de son intérêt.

Il regarda ostensiblement ailleurs. Par exemple, le mur - un excellent mur, très solide, raisonnablement propre, d'une certaine façon rassurant, et meilleur que sa mère en tout point. Mais le serviteur vint lui apporter un petit papier plié en quatre.

Il est arrivé quelque chose de grave !

C'était bien évidemment un message de sa mère. Ils avaient promis de ne plus se parler, mais est-ce que l'échange de correspondance par lettres faisait partie du tabou, même en se tenant dans la même pièce ? Probablement pas. Terreur décida d'utiliser un autre moyen, ceci dit, par honnêteté personnelle.

"Dis à ma mère," répondit-il, adressant cette fois le message à Sardix sous la subtile forme d'une boulette, "que je suis prêt à espionner votre conversation, mais c'est bien pour lui faire plaisir !"

"La cruelle sorcière Baba Yaga" - c'était clairement, dans la bouche de Petronilla, un compliment, nota Terreur - "a volé mon sac à main !" Ce point-là, par contre, était un reproche !

"Eh bien, selon nos règles," répondit courtoisement Sardix, "cela vous donne l'occasion de tenter une expédition punitive, pour non seulement reprendre vos affaires, mais aussi n'importe lesquelles des siennes qui pourraient vous intéresser. Prenez cela comme une occasion."

"Vous plaisantez ! Je ne veux plus la voir !"

"Même pas juste avant de la tuer ?"

Petronilla sembla embarrassée "Hélas, son système de sécurité est particulièrement au point, et je ne suis pas certaine de pouvoir préparer quoi que ce soit dans un bref délai."

"Pourquoi ne pas attendre, alors ? Ce genre de petites vengeances sont particulièrement plaisantes quelques siècles après, quand tout le monde a tout oublié."

"Il se trouve," commença Petronilla d'un ton dramatique, "que dans ce sac à main, je transportais les souvenirs que j'ai de mon enfant, quand il était petit. En particulier, un médaillon avec son portrait, et une boucle de cheveux."

Terreur serra les dents. C'était quoi, ce mauvais trip ? Qui se baladait avec de quoi faire une poupée vaudou de son enfant ? A part les gens qui ne savaient pas faire de poupée vaudou, bien entendu, mais ils ne comptaient pas. Sardix sembla émettre les mêmes réserves.

"On ne sait jamais," répondit Petronilla, très digne, "quand on peut avoir envie de se rappeler le bon vieux temps. Personnellement, cela ne m'est pas arrivé depuis au moins une dizaine d'années, mais je considère qu'il faut être préparé pour tout. Mais il y a pire : en illustration de ce portrait, était écrit son nom de naissance."

Terreur aurait bien juré bruyamment, si cela n'avait pas apporté de la solennité aux paroles de sa mère. Maintenant, une sorcière avait son nom, et une mèche de ses cheveux. Et pourquoi pas la clé de chez lui et son sceau officiel, aussi, avec supplément chantilly ? Et une photo d'enfance passablement humiliante à poster dans des journaux à bon marché ? Argh, à bien y réfléchir, elle avait cela aussi.

"Vous venez juste m'expliquer qu'en raison de votre négligence, votre fils court actuellement un danger mortel ?" suggéra Sardix, toujours aimablement. "Comme c'est aimable à vous. Ou peut-être devrais-je dire, courageux, de venir ainsi assister à sa contrariété ?"

"Croyez-vous que cela me fait plaisir ?" répondit Petronilla, hargneuse. Elle ne maîtrisait pas aussi bien l'art d'insulter les gens poliment que Sardix. Cela ne faisait pas partie de ce que l'on demandait lors d'un examen de sorcellerie, spécialité magie noire. "Si je voulais envoyer la gale où des hémorroïdes à ce petit ingrat, je l'aurais fait depuis longtemps, je n'aurais pas besoin de Baba Yaga."

"Cela ne répond toujours pas à ma question." reprit Sardix. Il était si calme qu'on aurait presque pu supposer, par contraste, que sa dernière réplique avait marqué un certain emportement.

"Oui. Pourquoi je vous le dis. Vous savez que l'attaque punitive peut être tentée par personne interposée. Vous - et, cela m'attriste de le dire, mon fils aussi - avez une réputation de succès bien supérieure à la mienne. Je serais prête à vous céder mon privilège."

"Et le danger."

"Et le danger, qui serait certainement inférieur à celui que court mon fils en cet instant. En échange, je récupèrerais mon sac à main et son contenu - à part, bien sûr, le médaillon en question, que je vous céderais en gage de ma reconnaissance. Cela vous satisfait-il ?"

"Vous est-il déjà venu à l'esprit," continua Sardix, "qu'une réputation de succès était souvent largement corrélée au fait de n'entreprendre que des tâches qui sont effectivement possibles ?"

C'est à ce moment que Terreur se leva brusquement.

"Je suis saisi," s'exclama-t-il, "de l'envie brûlante d'entrer par effraction chez Baba Yaga pour m'approprier certains de ses effets. Je me demande bien quelle en est l'origine. Mais cela me semble tellement absurde, quand j'y réfléchis de plus prêt, qu'il est peu probable que quelqu'un veuille m'y accompagner."

Puis il quitta la salle à grands pas, avant que sa mère ait l'idée d'infantiliser son éclat, ou, pire, de l'encourager.