Bonjour à tous!
Enfin, j'ai l'honneur de vous présenter le dernier chapitre de ce recueil. Cela va faire trois ans que j'ai eu l'idée pour ce chapitre, je ne pensais pas un jour arriver à l'écrire. Encore moins le poster.
Mon premier blocage a été l'inspiration et j'ai réussi à le dépasser au-delà de tous mes espoirs. Le deuxième a été de reprendre les parties plus anciennes. Je dois avouer avoir eu beaucoup plus de mal et je n'en suis toujours pas satisfaite. Si je m'écoutais, je ne posterais jamais ce chapitre cependant. Donc bon.
Encore une fois, ce chapitre est en lien avec tous ceux qui le précèdent. (Mais relire le recueil depuis le début ne ferait que renforcer l'énorme écart de style avec les premiers chapitres... Enfin bref)
J'espère sincèrement que ce dernier chapitre vous plaira et que vous aurez aimer lire ce recueil.
Je remercie tout particulièrement ma chère Eärothien pour toutes ces reviews et son soutien. C'est grâce à toi que je suis allée au bout de cette histoire!
(Le titre est évidemment une référence à Jean-Jacques Goldman)
Petite fille à quoi tu rêves
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– Dis-moi...
– Oui ?
– Est-ce tu as peur du noir ?
Silence. Chuchotement.
– Oui.
Triste.
– Pourquoi ?
Question. Encore.
– Parce qu'il est habité de fantômes...
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Du rouge et du noir, tout était trop violent, trop violent ! Le sang tâchait les murs et inondait les ruelles en un mince ruisseau. Sale ! Sale ! Sale ! La ville était sale ! Et effrayante. Elle gémit, elle avait peur, elle ne voulait plus les voir. Mais les ombres arrivaient, toujours. Silhouettes sombres, bien plus sombres que la ville. Ils se glissaient dans les moindres recoins, ces pâles fantômes effarouchés que la plus petite lueur faisait fuir. Une main. Rouge. Rouge ! Elle ne voulait pas voir de rouge !
Comme par enchantement, tout devint alors gris, un gris brumeux, un gris un peu sale, mais moins que le rouge, moins que le noir. Elle était un peu rassurée.
Mais les ombres étaient toujours là. Une silhouette leva la tête. La lune éclaira brièvement ses yeux. Fous ! Terrifiants ! Elle hurle ! Elle a peur ! Les ombres s'évanouissent dans le clair matin...
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Tout un bataillon en armes glissait à travers les doigts fins d'une brume grise, perdus dans les ombres nuageuses d'un silence à la froideur tétanisante. Elle avait peur, leurs tambours étaient éventrés, les enseignes ne portaient plus que des lambeaux affadis en guise d'étendards. Quelle violence avaient-ils rencontré, quelle malédiction s'était abattue sur cette troupe condamnée à l'errance ? Elle ne voulait pas le savoir, les armes lui faisaient peur. La brume étendit ses doigts diaphanes autour d'eux, s'accrocha à leurs silhouettes fugaces, s'enroulant langoureusement autour d'eux et soudain, elle ne vit plus les armes, dissimulées dans les ombres changeantes. Elle avait moins peur ainsi, juste un peu. Peut-être leurs yeux étaient-ils fous eux aussi.
Nul soleil ne venait réchauffer ses soldats fuyants en quête d'une impossible rédemption. Ils n'en avaient jamais connu qu'un seul, englouti dans une éclaboussure pourpre. Ils erraient follement, la brume pour seul compagnon. Et le silence, un silence pesant, un silence triste, si triste... Elle ignorait pourtant comment les rendre heureux. Elle ne pouvait que les regarder errer sans fin dans les limbes les emprisonnant. La brume les enferma dans ses longs rayons grisâtres, possessive, aimante.
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– Elle est comme ça depuis plusieurs jours.
Une voix. Une autre. Beaucoup de voix.
– Ma puce, tu m'entends ?
Trop de voix. Inconnues.
Lentement, elle se bouche les oreilles. Entendre fait trop mal.
– Tu as toujours peur ?
Elle ferme les yeux. Voir fait mal aussi.
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Des silhouettes diaphanes se faufilaient entre les arbres. L'ombre d'un tambour-fantôme glissa devant ses yeux. Les échos d'un rire d'enfant résonnèrent à ses oreilles, semblables aux grelots d'une vieille comptine oubliée. La forêt était ancienne, sombre. Les arbres, silhouettes sévères et droites, lui semblaient une obscure menace. Le pâle reflet d'une étoffe s'engouffra avec légèreté entre leurs racines. La forêt était une immense prison pour des ombres fuyantes. Insaisissables. Les uniformes affadis se mêlaient aux atours de paysans, les enfants insouciants à leurs aînés courbés de sagesse. Elle voulait jouer avec eux. Mais ils ne cessaient de s'enfuir, comme pourchassés par un ennemi lointain. Leurs voix bruissantes s'éloignaient et se rapprochaient dans un perpétuel va-et-vient, prisonnières de leur propre fuite...
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Que la clairière était belle! Comme le vent était chargé de parfums! Le doux murmure de l'herbe à ses pieds la berçait tendrement, l'invitant à se reposer sur son vert tendre. Le lac en son centre n'était agité par aucun remous, image parfaite de la tranquillité. Une jeune fille reposait en son cœur. Les yeux ouverts sur l'infini. Le ciel n'était que ténèbres, engloutissant le bleu pâle de ses yeux. Une fleur délicate reposait entre ses doigts, symbole de son crime. Elle aurait voulu lui offrir quelque chose à contempler mais le regard de la jeune fille restait fixé sur l'immensité du ciel vide. Elle cueillit délicatement des perles de rosée égarées sur des brins d'herbe.
Doucement, comme l'on ajoute des traits de couleur à un tableau, elle tissa une froide lumière. Les rayons argentés de la lune vinrent baigner la clairière, illuminant le regard de la prisonnière du lac, jouant avec ses longs cheveux blonds. Sans doute était-elle plus heureuse ainsi.
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– Tu vois souvent ces fantômes ?
– Oui.
– Et eux, ils te voient ?
Sourire. Pâle. Si pâle.
– Non. Mais moi, je les fais vivre.
Rire. Peur. Incompréhension.
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Des archets invisibles allaient et venaient, caressant les cordes trop usées d'instruments oubliés. Un souffle imperceptible s'écoulait hors des poitrines de musiciens diaphanes. Un même mouvement empreint d'une grave majesté unissait l'orchestre sous ses yeux. Leur regard fixé sur la baguette brisée d'un chef d'orchestre disparu. Englouti par ses chimères. Dévoré par un rêve interdit. Le deuil anéantissait leur musique, comme lors d'une journée dont le gris mouchait la pâle lueur des chandelles. Un poids sombre reposait sur leur poitrine à tous. Ce n'était pas ce qu'elle voulait. Leur musique devait être resplendissante afin de chasser les ténèbres à tout jamais.
Sous l'impulsion de son désir, la baguette brisée retrouva sa splendeur d'antan. Redevint l'étincelle au ballet codifié les guidant sur la voie de l'absolu. Comme un lien entre les hommes et l'infini. La clef ouvrant leur musique au monde. La mélodie de cet orchestre perdu ne pouvait se dire que dans le silence. Telle une flamme tremblotante. Mais son éclat ne s'évanouissait plus dans la nuit.
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La beauté du chant lui perça le cœur. La dame blanche semblait une alouette prophète du matin dans un monde de ténèbres. Ses longs voiles étaient agités par le vent, jouaient dans la pâle lumière des étoiles. Une combat terrible se dissimulait dans son chant, menaçait d'étouffer sa voix pour toujours. De l'engloutir au creux de l'obscurité de son monde. Pourquoi le soleil était-il si long à se lever ? Son chant faiblissait, ritournelle solitaire d'un fantôme oublié.
Elle était là pourtant et son chant lui parvenait, plus beau que jamais. Il ne pouvait s'éteindre alors que sa beauté même perçait la brume grise, encore et encore. Fantôme blanc sur ciel noir. Seule lumière d'un monde depuis longtemps perdu. Son chant était enfin entendu. Quelqu'un était venu. L'infini du ciel semblait lui ouvrir les bras et l'accueillir comme un de ses enfants. Les étoiles scintillantes devinrent les compagnes de son chant, en une chorale de lumière.
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– Folle.
Le mot était tombé.
– Folle ! Folle ! Folle!
Elle ferme les yeux.
Elle est un peu fatiguée.
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Il l'avait abandonnée. Elle attendait, patiemment, qu'il arrive. Mais la bague était brisée. Il était parti lui aussi, le cœur brisé. La jeune fille avait disparue (pâle, pâle Ophelia, quelle folie fut la tienne!), emportée par les nymphes, pauvre petite fleur. Alors, il était parti. Loin. Longtemps. Mais il allait revenir n'est-ce pas ? Le village était désert mais l'éternité ne pouvait être emplie de vide. Elle attendait, patiemment, blanche au milieu des couleurs, dissonante chaleur dans l'abandon du village. Elle n'avait pas sa place ici, semblait rejetée par cette éternité. Une ombre de regret habitait son regard. Une touche d'inquiétude, une pointe de remords. L'ombre ne va pas à la lumière, elle la tâche, l'anéantit. Seul le blanc de sa robe s'affadissait, s'harmonisant avec le silence.
D'un repentir, elle changea la dissonance en harmonie, la lueur abîmée en froide unité. Le soleil disparu pour céder la place aux pâles rayons d'argent de la lune. L'ombre était toujours présente dans le regard, mais dissimulée par la pénombre alentour. Elle n'avait pas l'air triste ainsi. Juste seule.
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Les robes tournaient, et volaient, et tourbillonnaient sans fin. Pâles, pâles robes de bal dont les couleurs chamarrées déjà n'étaient plus que des souvenirs. Lourds, lourds masques de fête, dissimulant les visages des invités prisonniers d'une danse qui n'aurait jamais de fin. Les tissus s'envolaient avec grâce, les visages s'inclinaient délicatement, les corps virevoltaient avec insouciance. Nulle musique ne guidait leurs pas enchanteurs, le silence était tombé sur le château en une froide nuit. Leur danse continuait pourtant. Ballet mystérieux et féerique, comme surgit d'un autre temps. Comme ils étaient usés, les beaux rubans de la dame fileuse de jour! Comme il a perdu de son charme, le satin de la princesse! Mais les robes tournaient, et volaient, et tourbillonnaient sans fin. Ballet infini d'une fête oubliée depuis longtemps.
Elle dansait elle aussi, avec les autres enfants qui tournaient, et glissaient, et tourbillonnaient sans fin. Elle était heureuse. Aucun rire ne résonnait sous les hautes arcades du château. Mais elle souhaitait que la danse joyeuse ne prenne jamais fin. Elle riait, elle jouait, elle s'élançait, elle dansait... Et tous ensemble, les invités tournaient, et volaient, et tourbillonnaient sans fin.
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– Tu sais...
– Oui ?
Distraction. Sourire.
– Je n'ai plus peur maintenant.
Peur.
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La dame était si belle. Si triste. Insaisissable. Comme un reflet d'eau fuyant sans cesse entre ses doigts malhabiles. Les papillons autour d'elle virevoltaient sur leurs ailes légères, en une multitude de points de couleurs noyant le regard. Les larmes glissaient délicatement le long du visage de la dame, caressaient le velours de ses joues, disparaissaient dans l'humus. Elle connaissait cette dame. Ces larmes. Ces papillons. Chacun d'eux des milliers de reflets diffractés d'elle-même. Comme autant d'échos aux soupirs agitant son âme. La dame était penchée au-dessus d'elle, un doux sourire aux lèvres. Triste sourire. Que son cœur était lourd.
Elle comprit ce que ces larmes signifiaient. Pourquoi les fantômes tourbillonnaient autour d'elle en une ronde incessante, griffant son âme de leurs doigts diaphanes. Elle devait les rejoindre, ses chers fantômes. Ils étaient tombés dans l'oubli de la brume, ses rêves les faisaient vivre. Une ombre rôdait, menaçante. Elle était la lumière à laquelle tous venaient s'abreuver. Et leur danse pourrait continuer dans l'éternité.
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– Où vas-tu ?
Sourire. Danse. Folle.
– Réponds !
Distante. Répondre. Folle.
– Dormir.
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L'enfant dormait, semblable à un ange, immobile dans son sommeil. Un sourire paisible sur son visage, elle rêvait de ce que rêvent les enfants. Petite fille comme les autres, elle dormait ainsi, depuis des années, dans son cercueil de verre...