Titre : Entre le mal et le bien
Rating : NC 17
Tyoe : OS-Fic (c'est selon... ok, ça existe pas des OS de 241 pages lol). Coupé en 3 parties et des subdivisions pour ici. Les quelques notes (*) sont à la fin de chaque sous-partie d'origine.
Genre : Slash. Drame historique avec un soupçon de romance.
Résumé : ''Nicola, tous les trains vont quelque part.''*… Si une personne marque notre vie, à jamais, pour toujours, mais que son amour est doublement impossible à vivre, peut-il vraiment être vécu ? Des années 1920 aux années 1980, Boris, un homme qui s'est contraint au silence et à l'imposture toute sa vie, raconte les faits marquants de son cheminement. Un cheminement pour vivre librement et se comprendre.
Date d'écriture : 22 avril 2009 – 23 janvier 2010
Disclaimer : - Cette fic a été d'abord publié sur Indo (je précise quand même je me fous de leurs vies privées (et je sais qu'ils sont hétéros) et que je me contenais de les mettre en scène dans une fiction). Elle pouvait déjà être lue sans connaitre comme je n'utilisais que les noms et les physiques (du coup, googlez ou imaginez ;) ), le reste provenait de mon imagination.
- Il s'agit donc d'une adaptation de mon UA. J'avais envie de faire lire mes fics à plus grande échelle, car j'en suis fière. J'ai gardé les prénoms et modifié les noms de famille, puisque j'ai tellement travaillé sur mes textes, sur mes persos, taper si souvent leurs prénoms, que je ne pouvais pas me résoudre à les appeler autrement. Voilà, c'était trop ''automatique'', c'était leurs noms.
Notes : - Homophobes, personnes pas ouvertes d'esprit et cie. ou si vous voulez diffuser ma fic à des personnes du genre, qui risquent de ne pas comprendre, le petit ''x'' ou ''précédent'' sont vos amis.
- Alors, voici ce que donne une longue attente de bus en période d'exams printaniers qui se finit en fic ^^
- Je déteste la mise en page du site, je suis jamais capable de faire des espaces, ils s'effacent toujours, désolée si ce n'est pas très ''propre''.
- J'ai vérifié certains trucs, mais dans l'ensemble, ce n'est pas écrit avec beaucoup de précision et il y a aussi beaucoup de trucs inventés de toutes pièces. Certains détails peuvent être erronés ou pure fiction. Donc, ne prenez PAS en compte que le contexte est totalement fidèle, il y a une bonne part de fiction.
J'espère très fort que ça va vous plaire. N'hésitez pas à me laisser des commentaires !
Bonne lecture !
Entre le mal et le bien
Partie 1 : Avant lui (1/2)
Avril 1986…
Flora Lewis est une New-Yorkaise de 21 ans, différente sans l'être trop. Ravissante avec sa cascade de cheveux noirs de jais, mais révoltée et qui vibre au son des guitares lourdes et sombres d'Iron Maiden et de Metallica. Pour compenser sa rage contre la société, la jeune femme travaille comme aide soignante dans une clinique médicale de Chelsea et donne des soins (trop souvent palliatifs) à domicile aux malades.
Depuis quelques mois, en autres, elle s'occupe d'un homme de 64 ans, qui s'appelle Boris Deniaud. Flora n'a jamais osé lui posé de questions sur l'origine de sa maladie par peur d'être trop indiscrète, mais au fil du temps, elle s'est beaucoup attachée – même si elle s'est bien qu'il ne faut pas - à cet homme d'origine française (elle adore quand il parle Français, c'est trop marrant!). Contrairement à beaucoup d'adultes qu'elle côtoie, il semble intéressé à qui elle est, à ce qu'elle pense et il est toujours amusé par les t-shirts qu'elle porte sous la blouse de son uniforme (ça, c'est un fait exceptionnel! … Et donc, les remarques de Boris finissent souvent ponctuées d'un : ''Je te fais écouter si tu veux, c'est excellent! Le batteur, il est in-cro-ya-ble !''). Boris Deniaud est plutôt ''cool'' pour quelqu'un de son âge. Mais ce qui impressionne Flora par-dessus tout, c'est qu'il semble garder le moral et qu'il n'est jamais acariâtre devant elle. Non, au contraire, il la traite comme une reine !
Depuis quelques jours, la jeune femme le constate : C'est la fin. Il lui a confirmé aujourd'hui, en ce samedi 12 avril. Il va être hospitalisé dans une semaine, car pour l'instant son état reste stable. Flora a donc repoussé ses autres obligations professionnelles pour rester à son chevet.
Elle ne l'aurait jamais cru, mais c'est la première fois qu'elle est si touchée par le décès imminent d'un patient. Même que… c'est plus qu'un patient, c'est devenu un ami. Oui, Boris, c'est son ami. Et tant pis pour l'éthique!
La mort ne tourmente absolument pas Boris, selon ses dires. On dirait même qu'il a envie que la faucheuse se presse d'arriver. Flora le comprend très bien… Mais elle… Elle, elle est perturbée. Elle se retient de faire couler son mascara et s'applique au travail en faisant le ménage de l'appartement, en faisant le tri dans ses affaires et en faisant des cartons. C'est stupide et il n'y a aucune surprise d'apprendre cette nouvelle, mais elle ne peut pas s'en empêcher…
Soudain, vers une heure, Boris l'appelle de son lit où il se repose depuis son retour de l'hôpital. Flora accourt et il lui fait alors une curieuse demande, avec sa voix peu portante :
- Flo… Est-ce que tu pourras sortir et aller m'acheter un cahier à spirale ? Le plus beau que tu trouves… Avec beaucoup de pages… Et avec de la couleur sur la couverture, si c'est possible… Et des nouveaux stylos aussi… S'il te plait…
- Oui, bien sûr. Tu veux écrire?
- J'aimerai bien, approuve Boris, vaguement. Mon portefeuille est sur la commode.
Son ''J'aimerai bien'' sonne davantage comme quelque chose d'une importance capitale. Flora voit ainsi qu'elle n'obtiendra pas une réponse plus claire…
Elle se rend donc à pied à la libraire située quelques rues plus loin. Dans la section de la papeterie, elle hésite entre un cahier à petites lignes verticales multicolores et un cahier bleu royal avec une trainée d'étoiles dans les différents tons de rouge en relief de tissu. Elle prend finalement le bleu et quatre stylos noirs. À la caisse, elle ne peut s'empêcher de sortir son propre portefeuille de son sac à main, comme cet achat semble si important pour son patient.
De retour, elle met le cahier et les stylos sur la table de la cuisine. Elle va ensuite remettre le portefeuille de l'homme sur la commode.
- J'ai payé moi-même, signale Flora, en aidant Boris à se redresser, puis elle le soulève pour le poser dans son fauteuil roulant. J'irais à la banque demain pour tout déposer ce qu'il te reste en liquide. Je te payerai les prochains repas.
- Tu n'aurais pas dû, Flo. Mais merci…, rougit-il.
- Au contraire, ça me fait plaisir, Boris.
Il fait rouler lentement de ses bras maigres son fauteuil jusqu'à la table de la cuisine où Flora l'installe.
- Il te plait le cahier, j'espère ?
- Oui, il est très bien, acquiesce Boris, en l'examinant négligemment.
Flora sourit, amusée. Elle l'aurait parié! Boris n'a jamais été très difficile, il se contente de ce qu'il a.
Elle lui fit ensuite une tasse de thé au jasmin et vérifie qu'il est confortablement installé. Elle lui assure aussi que :
- … Si je fais trop de bruit, tu me le diras et j'essayerai d'être plus silencieuse. Et je ne lirais pas derrière ton épaule, ne t'en fais pas pour ça.
- Oh, mais ce ne serait pas bien grave. Tu pourras lire quand je serais plus là, de toute façon, rectifie-t-il, en haussant les sourcils.
- Boris, je pourrai pas, désapprouve la jeune femme, partagée entre la curiosité et la réticence.
Boris secoue la tête, avec son air tenace – que tout le monde redoute d'ailleurs, parce que personne n'a jamais réussi à contrer sa tendance à l'entêtement.
- Non, écoute-moi. Il faut que tu lises. J'ai besoin que tu lises, d'accord ? Je te donne le droit. Tu feras lire Neil et Andrew aussi… Après… Tu sais, le petit carnet d'adresses en cuir noir sur son mon burea u?
- Oui…? s'étrangle Flora, envahie par l'émotion.
- Écris à Marthe ou à Louis, en France… C'est ma sœur et mon frère… Personnellement, je te conseille Marthe, elle n'aura sans doute pas le culot de déchirer le cahier… Euh, je crois… Il faut peut-être pas se fier à une féministe sur ce point… Enfin… Bref… Écris à Marthe, annonce ma mort sans donner trop de détails. Demande-lui également qu'elle prenne soin de lire… ainsi que Louis et mes neveux et nièces aussi. Dis-lui que c'est très important pour moi, même s'ils vont avoir un choc. C'est clair ?
Flora opine de la tête.
- Je le ferai, promis. Même si… M-même si ça me glace le sang des dernières volontés comme ça, tu sais… T-Tu vas t-tellement me manquer, Boris…, sanglote t-elle, alors qu'on peut s'apercevoir que son mascara n'est pas waterproof.
Boris tend légèrement les bras et lui offre une étreinte réconfortante, malgré sa mollesse.
- C'est très gentil à toi. Oh, Flo… ssshh, ne pleure pas, ne perd pas ton beau sourire… Il ne faut pas pleurer pour moi, ma belle Flo, allons… Sssh…
La jeune femme finit par se détacher après quelques instants et en reniflant, elle ravale ses larmes et le laisse tranquille. Elle a le cœur en miettes.
Et voilà… Flora l'a vu écrire intensément pendant cinq jours et demi. Quand il lui avait demandé pour écrire, jamais elle n'aurait pensé qu'il avait en tête… cette folie…
Car, oui, c'est de la folie pure!
À chaque fois que le regard de Flora vogue dans sa direction, elle le voit noircir le papier avec application ou relever la tête l'espace d'un instant le regard perdu dans le vide. Ou bien, elle le voit en train de secouer sa main ou son bras droit qui devait être engourdi.
Taciturne, il ne parle qu'à peine pendant ces cinq jours et demi, même lors des pauses pour qu'il se puisse se reposer ou manger. Flora n'a jamais vu son patient comme cela. Aussi distant. Aussi dément. Comme ailleurs.
Il est lucide… Néanmoins… Est-ce vraiment encore Boris?
Le Boris qu'elle connait, du moins…
Elle ne le reconnaît plus.
La jeune femme l'a même aperçu à un moment pleurer silencieusement… Elle ne l'a jamais vu pleurer auparavant… Il était toujours si souriant, si chaleureux… Elle a beaucoup de peine pour lui sans en savoir la cause exacte. Le cœur dévasté, elle continue distraitement à nettoyer l'intérieur des armoires et les tiroirs de la cuisine…
Flora n'aime pas cela. Elle n'aime vraiment pas cela.
Il se rend compte dans quel état navrant il se met?! Sa maladie, ça ne lui suffisait pas ?
La fièvre de Boris est de plus en plus violente, sa respiration est lente et difficile, il n'a plus aucune force, aucune énergie, ses hauts le cœur sont coriaces et puissants, sa toux est pénible et creuse. À plusieurs moments, rien que tenir le stylo entre ses doigts et faire bouger sa main semble être une lutte sanglante entre son cerveau, son corps et le stylo.
Il répète qu'il tient le coup et qu'il veut à tout prix finir.
Il se détruit. C'est de l'entêtement puéril!
Ainsi, Flora ne parle qu'à peine elle aussi, sachant bien que ce projet lui tient à cœur.
Elle le laisse continuer. En silence.
Même si c'est de la folie pure.
Elle essaye tout de même de faire baisser sa fièvre par toutes sortes de moyens, le faire boire et manger souvent. Elle lui donne ses traitements habituels pour l'aider à mieux respirer et ventile l'appartement le plus possible. Elle s'assure aussi de l'aider à se déplacer et de le mettre au lit (il tremblait énormément à présent). Malgré ses nombreuses heures supplémentaires terminées, Flora refuse de le quitter et de rentrer chez elle, au cas où un problème surgirait pendant la nuit.
Au cas où, il pourrait…
Cette pensée la hante. Ainsi, son sommeil est léger, même si sa fatigue est indéniable.
Le vendredi, le 18 avril, au petit déjeuner, il lui annonce qu'il a terminé. Boris lui remet le cahier, l'apparence chétive et lui dit de sa voix faible :
- Prends-en soin, il y a toute mon âme là-dedans. Je te fais confiance, ma belle Flo.
Il a l'air… posé… Cela rassure Flora, il n'a pas sombré dans une quelconque démence… Toutefois, il ne va pas bien physiquement depuis hier… Ça aussi, c'est indéniable… Pas bien du tout…
- Ne t'inquiète pas, j'y veillerai. Je suis contente que tu aies pu finir, Boris.
Boris cille, l'air flatté.
- Merci. Et surtout, je te demande pardon pour la peur bleue que je t'ai faite. J'espère que tu ne m'en veux pas trop? rajoute Boris, l'air sincèrement repentant envers elle.
La jeune femme sourit et hoche négativement la tête.
- Non. Pas du tout, ne t'en fais pas pour ça.
Flora n'a pas le courage de l'ouvrir tout de suite ce mystérieux cahier et le met donc précieusement dans son sac à main avant de préparer Boris pour son départ au Bellevue hospital Center.
Elle a pris congé pour une semaine, voulant être près de lui, ne voulait pas l'abandonner. Étant certaine que son patron ne serait pas très enchanté d'apprendre qu'elle s'est trop attachée à un patient, Flora fait mourir une de ses grand-mères (ah! vive ce genre de grand-mère qui a le don très spécial de pouvoir mourir 3 ou 4 fois!). En ayant toujours été irréprochable au travail, son patron a cru son mensonge.
Ainsi, avec Neil et Andrew, ils se sont entendus pour se relayer à tour de rôle au chevet de leur ami pendant son agonie. Surtout ne jamais le laisser seul, c'est la règle d'or.
Neil s'est chargé de la paperasse admistrative, comme son statut à l'université peut toujours être utile pour que Boris ait des soins de qualité, et ce, sans problèmes. On ne sait jamais… Il y a une des infirmières qui s'occupe de Boris qui semble assez puritaine et ça ne plait guère aux trois…
Grâce aux contacts d'Andrew dans l'assurance, Boris a de la chance et obtient une chambre privée (parce que ses contacts ne connaissaient pas la véritable raison!) pour ''le reste du temps. Le temps qu'il faudra'' comme Andrew lui avait dit.
L'intimité est primordiale, alors Boris a demandé à Neil d'apporter sa platine laser, parce qu'il dit vouloir couvrir les bruts constants et insupportables qui proviennent du reste de l'étage.
De plus, il y a eu cette petite chose curieuse. Sans qu'aucun des trois ait su pourquoi, sans tenir compte des protestations du personnel infirmier, Boris a refusé catégoriquement d'enlever sa vieille montre de luxe (qui jurait avec le plastique blanc de son bracelet d'hospitalisation) et une vieille chaine couleur argent (on ne l'a jamais vue sur lui, celle-là et elle est plutôt moche) avec deux plaques rondes grises aux inscriptions rendues presque illisibles par le temps. Il refuse de donner des explications supplémentaires. Il le répète encore et encore : Il ne veut pas, il veut les garder, un point c'est tout. Et il ajoute un inutile et risible : ''Et vous aurez affaire à moi si vous essayez de me les enlever de force !''.
Dès son arrivée dans sa chambre, on lui répète 4 fois de retirer les bijoux. À la 5e fois, l'infirmière en chef s'en mêle :
- Ce n'est pas très hygiénique sur un lit de mort, Monsieur Deniaud … Si vous tenez à les avoir tout près de vous, laissez-les au moins sur la table de chevet, s'il vous plait… Tout a été aseptisé avant votre arrivée et il ne faudrait pas aggraver votre cas si nous devons vous intuber… On demande cela à tous nos patients…
Boris, aussi exaspéré qu'elle, lui a marmonné toujours aussi faiblement, d'un ton cynique :
- Eh bien ! Oui, c'est un lit de mort et c'est MON lit de mort ! De plus, à ce que je sache, ça ne changera rien du tout ! Alors, allez vous faire foutre avec votre hygiène et laissez-moi mourir comme JE veux !
Andrew, qui est avec lui à ce moment, enfouit son visage derrière ses mains pour essayer de contenir son fou rire inapproprié. Boris ne bronche pas, l'air menaçant. L'infirmière en chef abdique, indignée et quitte la pièce comme un ouragan. Une fois seuls, Andrew marmonne à son ami : ''Je crois qu'elle est susceptible !''. Boris affiche un large sourire satisfait. Gain de cause !
Trois jours passent depuis son hospitalisation à Bellevue… Dans cet étage qui pue les produits désinfectants et l'air comprimé du système de ventilation. Dans ce lieu toujours bruyant d'activité, même la nuit (d'ailleurs, Boris n'arrive qu'à fermer l'œil que parce qu'il dit avoir l'impression de ne pas avoir dormi depuis des années). Dans ce sinistre décor blanc. Dans une atmosphère lourde, lugubre, triste.
Depuis son arrivée aux soins palliatifs, Boris est branché à de l'oxygène. Mais son état respiratoire s'aggrave durant la première nuit et cela ne suffit plus le matin suivant. L'entendre – essayer de - respirer, c'est à en glacer le sang. On le branche ainsi en début d'après-midi à un respirateur artificiel et à un électrocardiogramme. Maintenant, il ne peut plus vivre sans, c'est définitif… C'est affreux, mais c'est comme ça… C'est la fin, on n'y peut rien…
D'heure en heure, Boris devient de moins en moins conscient, vaincu par sa fièvre qui est devenue indomptable. Il vomit automatiquement tout ce qu'il arrive à avaler ou à boire. Livide, il tremble sans cesse comme une feuille, même si sa peau est brûlante et perle de sueur. De plus, on le drogue régulièrement à la morphine. Il ne délire pas, sauf qu'il est juste… ailleurs et ici à la fois… On ne sait même plus s'il se rend compte de ce qui le terrasse ou non, s'il sait qu'il… a perdu, à un point de non-retour, le contact avec la réalité...
Cependant, l'homme semble apaisé, il semble serein, au-delà de ses souffrances physiques des derniers jours, des derniers mois. Il est libéré… Tous le savent et cette pensée apaise un peu la douleur si poignante qu'ils ressentent.
Boris Deniaud s'éteint dans son sommeil le lundi 21 avril 1986 à 18 h 49. Main dans la main avec Flora. Ébranlée, la jeune femme met du temps à lâcher sa main décharnée. Elle est restée immobile un petit moment, en le fixant sans ciller. Elle prend du temps à réaliser, malgré ce dénouement prévisible et inévitable. Boris…
Ironie du sort, la voix caverneuse de Dave Gahan commençait tout juste à se faire entendre sur Black Celebration*…
Flora finit par trouver, au prix d'un effort colossal, la force nécessaire pour appuyer sur la sonnette pour appeler une infirmière et de prendre le téléphone pour appeler chez le couple.
Puis, pendant quelques jours, Flora fut sinistrement occupée à déménager les cartons et les meubles à l'organisme de charité qui en hérite et à préparer les funérailles. Elle fut sinistrement occupée à réaliser, à pleurer, la mort de son ami et le vide que cette dernière a engendré…
Ce n'est que la veille de son retour au travail qu'elle se rappelle du cahier et de sa promesse. Elle s'en voulu d'avoir oublié de le lire, mais elle se dit que vaut mieux tard que jamais.
La jeune femme prit donc le cahier qu'elle avait laissé avec le carnet d'adresses sur la table basse de son salon et s'assit dans un fauteuil. En le feuilletant, elle s'aperçut qu'il avait effectivement écrit énormément.
Ça l'avait tué! C'était insensé!
Dans les premières pages, on retrouve la belle écriture stylisée de Boris. Peu à peu, celle-ci s'est un peu transformée, moins soignée, plus brouillonne, même si elle demeure lisible. Dans les dernières pages, les lettres sont tracées de façon presque enfantine. Par-ci, par-là, quelques mots sont mal tracés. On peut ainsi voir les endroits où Boris a eu un moment d'hésitation ou a eu mal à la main…
Flora retourne à la première page du cahier, ne sachant pas à quoi s'attendre… Et elle obéit, même si ça va encore lui briser le cœur… Elle le sait, elle le sent… Son ami n'a pas fait tout cela pour rien, après tout…
Elle obéit à sa promesse et commence à lire…
Page blanche.
C'est vrai que je n'avais que 20 ans… Mais est-ce que la jeunesse peut vraiment tout expliquer ? Est-ce une explication suffisante pour tout réparer ? Est-ce une raison valable pour tout effacer de sa mémoire ?
Le temps m'a montré que c'était faux… Le temps me dévore…
Je dois d'abord mentionner que je n'ai jamais été très habile pour formuler de la façon appropriée… ou dire tout simplement, ce que je ressens à quiconque. Défaut des garçons, défaut de ma génération. J'ai toujours préféré ne rien dire, parce que c'était moins problématique comme ça. Parce que le silence est si facile… Si usuel… C'est une option que j'ai considérée comme meilleure durant toute ma vie. Que pouvais-je faire à part me taire ? … Oh, mais ce n'est pas que j'en ai honte… Pourtant, m'époumoner, tout révéler, était trop risqué, trop nuisible, si peu profitable.
Mais… maintenant que ma vie se termine, à quoi bon me taire ?
C'est la première fois que je parle de lui par écrit…
C'est la première fois que je parle de lui, point final…
…
Je parle de toi, m'entends-tu… Je parle de toi, Nicola… Librement.
…
Je veux libérer mon esprit et mon corps des chaines invisibles qu'il représente… Je veux parler de lui, je veux laisser une trace de lui…
Je veux faire vivre à nouveau Nicola Auvray, même si je dois bien être le seul qui n'ait pas fini par l'oublier…
Nous faire renaître par la même occasion. Oh oui, nous deux…
Je veux écrire cet homme qui a marqué ma vie. Je veux écrire le charme de son âme, l'éclat de sa beauté, la virulence de l'effet qu'il avait sur moi…
Je veux écrire mon désir secret et incontestable à la fois, la symphonie qu'était son nom à mes oreilles, mes pensées incessantes et éternelles à son égard, même dans des moments si peu appropriés.
Il méritait une description très lyrique, mais je ne sais pas si je vais pouvoir lui rendre justice et parler de lui avec justesse. Dans un état normal, j'aurais pu brosser un portrait à la hauteur, mais j'ai trop attendu et je le sais bien… Alors, j'essayerai de faire ce que je peux. J'espère qu'il ne m'en voudra pas et qu'il saura être indulgent, là où il est…
J'avoue n'avoir jamais compris grand-chose à la complexité, à la profondeur, des sentiments humains et à leur explication rationnelle… J'ai eu beau lire, dans ma vie, les plus grands auteurs et les plus grands philosophes occidentaux, mais rien n'a jamais pu m'éclairer… Personne n'a pu me donner une piste, un indice…
Ainsi, j'ignore si j'ai eu le temps de l'aimer, si je l'ai aimé… Mais une chose est sûre, c'est qu'il ne m'a jamais véritablement quitté.
Je vais essayer de comprendre… D'enfin comprendre… Même si je doute que je puisse y arriver, j'aurais essayé…
Peut-être que mettre mes pensées, mon histoire, notre histoire, sur papier m'éclaira. Je n'en sais rien.
Je n'ai plus peur maintenant… Il n'y a plus rien à craindre… Je vais bientôt mourir, drapé dans mon silence et mes mensonges permanents. Après mon départ, qui se souciera de ce que je fus ? Je doute que personne ne se souvienne de moi à long terme… On m'oubliera ou on rangea mon souvenir dans un coin poussiéreux de sa mémoire… Je vais subir le même sort que Nicola… Alors… À quoi bon, encore une fois ?
J'ai souvent entendu les commentaires de certaines personnes qui avaient l'impression que les malades attendaient souvent un élément déclencheur pour trépasser, l'âme en paix, peu importe la nature de cet élément déclencheur : Que ce soit un signe, une personne, un événement, un geste, une parole.
J'ai toujours trouvé que c'était que des bêtises abrutissantes… On ne choisit pas le moment de notre trépas lorsque notre maladie est incurable. C'est cette dernière qui nous achève… Mais si cette croyance absurde pouvait permettre aux gens d'adoucir leur deuil, alors pourquoi pas…
Et moi ?
Qui sait ? Je ne perds rien à essayer.
D'ailleurs, le docteur Collins m'a bel et bien assuré, avec une pointe de tristesse dans la voix, que s'en était fini pour moi… Plus de sursis… Que c'est une question de jours… Il veut m'hospitaliser ce vendredi.
Selon lui, on ne peut plus rien faire d'autre qu'apaiser le plus possible mes souffrances avant ma mort (elles sont si immenses que les pauvres infirmières ne pourront jamais y arriver. D'autant plus qu'elles ne se guérissent pas toutes avec des doses de sédatifs). Le docteur Collins m'a aussi affirmé que la chose seule que je puisse faire serait de profiter de mes derniers jours avant que je me retourne clouer dans un lit d'hôpital.
Il m'a dit cela. Et moi… eh bien, j'ai retenu un rictus, par pudeur, par contenance. Après tout, c'était de la destruction pure à petits feux que je m'étais infligée inconsciemment et qui maintenant se réalise…
En réalité, j'ai seulement hoché la tête pour signaler que j'avais compris son conseil et je l'ai remercié poliment pour le souci qu'il se faisait pour moi.
Ah, j'allais oublier avant de commencer, détail important à mettre au clair… Il y a quelques jours, j'ai reçu une lettre d'un cardinal – dont j'oublie le nom – du Saint-Siège.
Flora m'a demandé ce que le Vatican me voulait, en me donnant mon courrier. Elle a affirmé qu'elle ne savait pas que j'étais croyant et que ça l'étonnait beaucoup (c'est normal que l'ancienne influence de l'Église la déconcerte, elle ne l'a pas vécue et elle ne croit pas). Je lui ai menti en disant que je ne l'étais pas, mais qu'on essaye bien de s'accrocher à quelque chose devant la mort qui approche et qui rôde autour de nous.
En toute vérité, j'avais fait une demande d'apostasie, quelques semaines auparavant.
On me l'a refusée. On m'a clairement fait comprendre qu'on ne pouvait pas quitter le sacerdoce en étant malade (ils ignorent la raison, j'ai soigneusement évité de leur donner un quelconque indice) et si proche d'aller rejoindre Notre Seigneur…
Évidemment, aucune surprise. Honnêtement, je m'y attendais.
Évidemment, ils ne comprennent jamais rien à rien, ceux-là.
J'ai soupiré à la fin de ma lecture et j'ai lancé dans la poubelle la boulette de papier qu'était devenue la lettre à l'apparence distinguée. À ce moment, j'étais un peu déçu, même si c'était si prévisible.
Toutefois, j'y ai pensé le reste de la journée et j'en suis venu à la conclusion que c'était sans importance s'ils me la refusaient… Cette apostasie n'aurait été qu'un processus administratif comme tant d'autres, rien qu'un nom de moins dans un registre… Même si c'est pour cette raison précise que je l'avais demandée, sans trop d'espoir…
Et c'était sans importance, tout simplement parce que depuis ma rencontre avec Nicola, je me suis apostasié moi-même inconsciemment des centaines de fois. À chaque jour du reste de ma vie.
Bon, allez... Plongeons…
Page blanche.
Il y a eu l'effervescence, la luxure, les passions délurées qui ont fait vibrer, en synergie, 1922…
Ce fut aussi l'année de ma naissance… Le 06 janvier précisément…
À Nantes, ce courant déluré n'influença en rien l'austérité et la tradition de la maison familiale Deniaud. Mes parents, Émile et Simone Deniaud, communiquèrent à leurs enfants les valeurs conservatrices, fortement liées à la spiritualité.
Nous étions 8 enfants (5 garçons, 3 filles) qui eurent droit à cette éducation. Une famille bourgeoise avec 8 enfants, c'était plutôt rare (et ce n'était pas peu dire!), mais ma mère avait insisté auprès de mon père pour fonder une grande famille. Pour ma part, j'étais ''Boris, le petit troisième'' …
Dès mon arrivée au monde, mon avenir était déjà tracé, sans que j'aie pu avoir le temps d'apprendre à parler pour l'approuver ou le refuser.
Pour mes parents, qu'importe ce que ce j'en aurais pensé plus tard! Peu importe mes choix.
Louis-Henri s'en était ''sauvé'' de cet avenir, parce que c'était l'ainé et que notre père voulait son premier fils fasse honneur à la famille d'une autre manière, en se construisant une vie future respectable et conventionnelle. Bien réussir dans la vie, quoi, et c'est ce qu'il a d'ailleurs fait inconsciemment, je trouve.
Charles aurait pu le devenir… Ou même Jules ou Laurent si mes parents avaient patienté…
Mais non.
C'est moi qui fut ''désigné'', puisque j'étais le deuxième garçon de la famille… Voilà tout. Aussi simple que cela.
On me voyait déjà prêtre et voire même évêque si j'avais de la chance. Ainsi, mes parents ont porté une attention toute particulière à mon éducation, au catéchisme qu'on m'imposa et à l'entretien de ma foi chrétienne.
Croire… Est-ce que je croyais vraiment à cet âge? Je ne pense pas que cela soit possible… C'était plutôt une manière pour imiter mes parents et leur faire plaisir. Je croyais pour ne pas déplaire et pour être un gentil et sage garçon.
Enfant, je ne souhaitais que m'amuser, courir partout, mais on m'incita à m'assagir… On m'incita à prier sans relâche l'invisible… À écouter sans broncher et réciter des mots latins incompréhensibles pour un petit garçon… Je le fis, pour ne pas déplaire, sans protestations, bien que j'aie eu toujours la possibilité de jouer avec mes copains quand je le voulais.
J'ai fini par tout assimiler et j'ai fini par croire moi-même tout ce dogmatisme.
J'étais si inoffensif.
J'étais si influençable.
Trop même.
Certes, je croyais… Mais je doutais fort que ma foi fût assez puissante pour en faire ma vie… Même si mes parents, mes professeurs (j'étais au privé, alors que mes frères et sœurs étaient inscrits au public) et le prêtre de la paroisse, affirmaient le contraire et pensaient que j'allais faire un excellent religieux.
Je leur fis confiance… Une confiance aveugle, teintée de la couleur de la candeur…
Je n'osais rien critiquer.
Je n'ai rien dit. J'ai grandi. J'ai gardé mes peurs pour moi, enfouies au plus profond de moi.
Adolescent, on m'a tout refusé… On m'a refusé les plaisirs frivoles, l'amour (et surtout le corps) des filles, la curiosité du mal en tout genre, l'excès. On m'a refusé de vivre une vie qu'on disait ''débauchée et perverse''. On m'a refusé tout élément tentateur qui aurait pu me ''nuire'' dans mon cheminement moral.
On m'a refusé de vivre comme je le voulais, parce qu'on voulait me garder pur et conformiste. On décidait à ma place, que cela me plaise ou non.
Nul besoin de dire que j'en rageais intérieurement. Je ne supportais pas cette pression extérieure. J'aurais pu tout faire ce qu'on m'interdisait! Tout! Même sans envie de le faire! Oh! bien sûr, je n'aurais eu qu'à exprimer à vive voix ma révolte et désobéir…
… Mais je ne le fis pas.
Je n'avais pas le courage de m'affirmer devant mes parents, moi, l'enfant discipliné, doué et taciturne. C'était vraiment bête. Pourtant, j'avais peur de ce qu'aurait créé cette révolte provocatrice dans l'univers austère qui m'encerclait et qui était mon seul repère. Je ne voulais pas tout foutre en l'air et ensuite me frotter à l'inconnu, connaitre de lourdes et terribles conséquences. Je ne voulais pas me retourner seul dans le néant le plus total.
De ce fait, j'ai fini par éteindre cette fièvre de révolte en moi. Peu à peu, doucement, elle s'est évanouie… Mais pas complètement… C'était comme si j'avais injecté un puissant somnifère à mon âme. Pour se faire, je me suis jeté, comme le réflexe d'un asservi, dans leur appât de ''Bonne et juste vie'' et dans leurs filets de ''Bon Chrétien'' qu'ils me présentaient.
Je me suis engagé dans une voie paisible, sûre. Elle me paraissait insipide et ennuyeuse, elle ne me plaisait guère, mais c'était le prix à payer, m'étais-je dis.
Ainsi, je suis resté l'élève modèle et silencieux que j'étais. Je me passionnais particulièrement pour les lettres et pour la philosophie (surtout celle non-religieuse, même si certaines de mes lectures ne plaisaient pas vraiment à mes parents). Mes notes étaient toujours plus qu'excellentes. Très fier de leur fils, mes parents accumulaient comme une étrange collection, les commentaires enthousiastes de quiconque à mon égard.
Je n'avais aucun mérite, puisque j'avais droit à peu de distractions et que je m'en accordais encore moins. J'étudiais sans relâche, sans lassitude, comme par habitude. Bien sûr, mes frères et sœurs étaient aussi de bons élèves, mais j'étais le seul à prendre mes études autant au sérieux.
Je passais une bonne partie des soirs de semaine à étudier et à lire.
Je m'effaçais. Je disparaissais du paysage. Alors que Louis et Marthe étaient toujours sortis avec leurs amis ou avec quelqu'un. Alors que Charles dessinait dans un coin ou était aussi avec ses amis. Alors qu'Élise et la cadette Gabrielle jouaient ensemble, même chose pour Jules et Laurent. Alors que ma mère faisait de la couture dans sa chambre. Alors que mon père fumait cigarette après cigarette dans le salon, en écoutant la radio qui diffusait des airs classiques ou populaires.
Le temps passait, sans que je m'en aperçoive, sans obstacles. Ce temps qui était figé dans une routine invariable.
ooOoOoOoOoOoo
À l'été de mes 16 ans, en 1938, à la fin d'une messe dominicale, le prêtre de la paroisse m'aborda, alors que je m'apprêtais à sortir. Il me dit qu'il tenait à me dire (et à mes parents aussi) quelques mots. Mon père permit à mes frères et sœurs de rentrer seuls et nous nous sommes avancés vers l'autel où le père Delorme nous conduisit. Je me demandais bien ce qu'il nous voulait. D'abord, je crus qu'il voulait me réprimander – Mais qu'avais-je fait ? Me demandai-je -, puis j'aperçus un sourire dessiné sur son visage rongé par les rides, ce qui me rassura et ce qui attisa ma curiosité.
- Boris, Monsieur et Madame Deniaud, j'ai une grande nouvelle à vous apprendre…, annonça le père Delorme. J'ai fais des démarches auprès du directeur d'un Grand Séminaire très réputé à Paris, parce que j'ai à cœur ton avenir, Boris. Et… Il a été très impressionné devant mes mots élogieux. Il semble très intéressé à t'avoir dans son établissement dès septembre. Boris, si tu l'es toi aussi…
- Mais évidemment qu'il est intéressé. C'est merveilleux, merci beaucoup d'avoir fait ça pour notre famille! s'emporta de joie mon père, qui n'avait pas l'habitude de tant, si rude de nature.
Ma mère hocha la tête, signe qu'elle approuvait les paroles de son mari, des larmes de bonheur aux yeux, une main sur le cœur.
- Ce n'est rien, alors mes félicitations Boris. Je m'occupe de l'inscrire et je ne vous retiens pas plus longtemps. Bonne journée à vous.
Je n'eus pas mon mot à dire dans cette histoire. Pas un seul.
Mes parents, malgré leur rang social qui leur offrait une certaine complaisance naturelle en ce qui concerne l'argent, avaient toujours travaillé durement pour que leur famille puisse vivre aisément. Mon père était avocat et ma mère, avant de devenir femme au foyer, avait été secrétaire à son cabinet. Pour eux, l'éducation était une valeur très importante qu'il fallait à tout prix transmettre à leurs enfants.
Selon leur raisonnement, si l'on voulait devenir quelqu'un, il fallait avoir la meilleure vie possible. La manière de l'obtenir était en fonction de notre éducation. Sans celle-ci, on n'était rien, notre opinion n'avait aucune importante, notre vie n'avait aucun intérêt.
Alors, pour eux, il était incontestable que cette occasion était inespérée et salutaire. Il était incontestable que leur réaction était réciproque, que moi aussi je trouvais cette situation fantastique.
Les narguer, manifester le plus petit signe d'opposition, aurait été considéré comme une grave offense. Ça m'aurait mérité bien plus qu'une raclée…
Ce n'était pas du refus… Je trouvais simplement que tout allait trop vite.
Déjà ? Maintenant ?
Ma vie sans saveur me donna une claque digne de ce nom durant le chemin du retour.
Je n'avais rien vécu.
Rien.
Pas de grands bonheurs, pas de grands bouleversements, pas d'amour, pas de grandes déceptions…
Rien.
Aucune expérience de vie, bonne ou mauvaise.
Rien.
Rien de rien.
Et il fallait que cette situation perdure pour le reste de mes jours? Alors que j'étais encore jeune ?
Déjà ?
Déjà…
C'était comme si ma vie s'était terminée avant même que je puisse la vivre. Je ressentis en moi un grand désespoir et une grande impuissance prendre vie… Je ne sus quoi faire devant l'ampleur de mes sentiments…
Je ne sus quoi faire.
Dans la conjoncture qui m'entourait, je me sentais obligé d'aller dans cette école. Obligé d'être condamné à un semblant de vie et à enseigner aux autres comment vivre la leur…
Enseigner à vivre ''convenablement'', quand je n'avais aucune idée précise du ''comment''… Quel paradoxe épouvantable!
Je n'avais qu'à croiser le regard de mon père ou de ma mère pour mourir de honte devant mes réflexions acerbes. Je voyais dans leurs prunelles toute la pression dont ils faisaient preuve à mon endroit. Ils voulaient à tout prix me voir réussir comme ils le souhaitent... Ils voulaient être fiers de leurs enfants… et en particulier de moi…
J'avais si honte rien qu'à penser à la possibilité de les décevoir en leur disant que je n'étais pas prêt, que j'avais besoin de liberté et d'expériences de vie avant d'entreprendre cette démarche. Que peut-être même, je ne serais jamais prêt.
Qu'ils entendent cela, après tous les espoirs qu'ils avaient fondés sur moi, après tous les efforts qu'ils avaient faits pour m'élever sans que je ne manque de rien… Non… Je pense que ça les aurait tués… Je ne pouvais pas leur faire ça…
Ce fut résigné et découragé à la fois que je suis entré au séminaire Saint-Paul-de-Tarse.
Je me rappelle d'avoir pleuré toutes les larmes de mon corps pendant le voyage en train entre Nantes et Paris. J'évacuais le trop-plein d'émotions que je n'avais pas pu exprimer chez moi ou durant les adieux sur le quai…
Je doutais de moi. Je doutais de ma détermination, de ma valeur morale… de ma foi…
J'avais mal… Ô, si mal…
Et je me suis retrouvé en internat dans un endroit rigoureux, strict, où l'on prétendait former des gens parfaits et moraux. Un endroit clos, coupé du monde extérieur. Un endroit étouffant. Si étouffant. Tellement étouffant.
Je ne faisais pas partie de ce milieu, je le sus dès mon arrivée. Je me sentais imposteur, étranger.
Certes, j'ai toujours été quelqu'un d'avant-gardiste, mais je n'en avais pas encore conscience.
Je savais tout simplement que ce n'était pas ma place, ce n'était pas ma vocation. Dieu ne m'en avait pas fait part et voilà… Je savais que je n'étais pas destiné à cela… Que je ne le serais jamais… C'était au-delà du doute à ce moment, c'était une certitude.
Cependant, je ne me suis jamais plaint et je continuais de travailler, de prier et encore travailler… Je jouais le type assuré devant mon Directeur spirituel, devant les autres… Il le fallait bien…
Je suis resté plutôt solitaire, trop mal dans ma peau pour sympathiser avec mes camarades. Donc, personne ne sut ce que je ressentais véritablement avec une telle intensité…
En vérité, je garde que très peu de souvenirs de cette période… Ou j'ai préféré oublier toute cette monotonie qui l'accompagnait…
À suivre...