(correction publiée : 11/02/14)
Chapitre 1 :
''Cher monsieur Jourdan,
Cela peut vous paraître insipide ou exagéré, mais je me devais de vous écrire, j'avais l'intense besoin de me confier à vous. J'avais envie de vous parler. Je suis conscient que cette lettre ne sera peut-être même pas ouverte. Tant pis... J'ai commencé, je ne reculerai pas.
Pourtant, je pense que si, par un hasard inconcevable, vous lisez, vous vous direz probablement que vous avez perdu votre temps à lire les lignes de louanges et d'adoration de quelqu'un… comme moi...
Quelqu'un comme moi... Oui...
Quelqu'un de mal-aimé, passant souvent inaperçu… Quelqu'un qui donne tout pour être un vivant, qui ne l'est qu'à moitié... Mais je suis quelqu'un. Il y a nul doute à avoir sur ce point...
Enfin, en plus d'admirer votre talent exceptionnel de mes yeux les plus brillants, d'apprécier grandement la personne que vous êtes de la passion la plus forte qu'il puisse exister... C'est vous, monsieur Jourdan, qui m'avez aidé à m'épanouir et qui me donnez l'espoir qu'un jour, je m'ouvrirai au monde. Soit, pour être finalement aimé, soit pour cracher toute mon amertume...
Je tenais à ce que vous sachiez que je ne suis pas un fou ou quelqu'un de dangereux. Ce n'est pas mon but et ce serait vraiment la pire chose à penser de moi...''
Lorsqu'il avait le temps, Boris lisait ce qu'il appelait ''son courrier du métier'', soit les mots de ses fans, écrits sur du papier ou à l'ordinateur. Il répondait plus rarement, puisque ça lui était malheureusement impossible de le faire pour tous. Il y avait déjà ses réseaux sociaux à entretenir. Mais il aimait bien lire cet amour porté et voir en personne cette affection qu'il ne tenait pas pour acquise.
Bizarrement, cette lettre avait retenu son attention parmi la pile de mots et de petits cadeaux qui l'attendait au bureau de son agent, Vincent.
Une enveloppe rouge, une écriture ronde, encre noire, datant d'une semaine. Rien de plus banal. Il ne comprenait pas pourquoi il l'avait prise, sans emporter les autres lettres. Et surtout, pourquoi il l'avait apporté sur le plateau de tournage de son prochain film.
Sans essayer de résoudre ce petit mystère, il avait absolument voulu lire le contenu de cette enveloppe. Enfin... Peut-être que tout ça était dû au fait que sur l'adresse, l'auteur avait indiqué ''Monsieur Boris Jourdan, acteur et source de bonheur'', ce qui lui avait fait esquisser un sourire.
Tôt ce matin-là, il s'était rendu au département coiffure-maquillage en commençant à la lire, relevant la tête une fois de temps en temps, fermant les yeux pour un coup de eye-liner ou de gel coiffant. Puis, il s'arrêta, puisqu'il devait commencer sa journée épuisante de jeu. À l'heure du déjeuner, il s'empressa de continuer sa lecture, déjà conquis par l'écriture de ce fan.
''Je m'appelle Nicola... Nicola Beauvais... J'habite Strasbourg ... J'ai 18 ans...
Mes problèmes ont réellement commencé à 15 ans. Ce qui correspond à l'âge où j'ai découvert mon homosexualité. Avant cela, j'étais un garçon enjoué, souriant, qui aimait avoir du plaisir, faire du sport, qui n'avait à se plaindre de rien. Un garçon qui était poli et respectueux, qui avait des parents et un frère avec qui il s'entendait à merveille. Un bon élève, avec plusieurs amis, toujours en train de réaliser plein de projets… Vous voyez bien le portrait, celui du garçon parfait et que tout le monde aime bien...
Et d'un coup, toutes ces belles apparences se sont écroulées, devenant des ruines et maintenant, je ne suis plus que l'ombre de moi-même... Voilà, lorsque j'ai découvert le fait que je sois suis gay… le premier surpris, ce fut bien moi ! Pourtant, j'avais tenté des amourettes avec des filles...
_ Ah tiens, c'est vous à la radio, en interview… quel hasard !
_ Je vais monter le son !
_ Bon, qu'est que je disais déjà... Ah oui... Excusez-moi, monsieur Jourdan... Je continue...
Graduellement, en tombant amoureux d'un garçon éblouissant de charme, qui était dans la même classe que moi en seconde, tout est devenu différent. Ma vie a pris un nouveau tournant. Je suis devenu méprisable pour les autres, pour la seule raison que je brûlais d'amour pour Jérémy (c'est son nom)… Mais ça, je l'ignorais encore, à ce moment-là... Pendant la moitié de l'année, j'ai entretenu secrètement cet amour. Jérémy était très sportif et populaire, il était une connaissance sympathique, enfin c'est ce que je croyais. Je me suis remis en question, jusqu'au jour où je me suis armé du courage nécessaire pour avouer, pour lui faire ma déclaration. Pour m'affirmer en tant qu'homosexuel devant lui au minimum. Espérer que mes sentiments à son égard soient réciproques.
Pour ce qui est de mes parents et mon frère jumeau, excepté le choc, ils ont très bien réagi quand je leur ai annoncé… Le problème, vous l'avez deviné, monsieur, ce fut Jérémy, ce fut les autres élèves… Le problème, c'était moi pour mes camarades...
J'avais mis tout mon cœur et toute mon âme dans mes aveux. Il était midi, sous un grand chêne derrière l'école, à l'écart des autres. J'étais très nerveux, mais je continuais à exposer ce qui se passait avec moi, je parlais encore et encore. Je lui disais ce que je ressentais, ce qu'il me faisait, tandis que lui, il restait impassible, sans émotion.
Et...
Et lorsque j'eus fini de me dévoiler, de révéler au grand jour ce secret que j'entretenais depuis des mois, je vis un éclair de dégoût passer sur le visage de Jérémy… qui se leva et s'enfuit en me... ''
- Boris ?! T'écoutes ou quoi ?
L'homme sursauta. Il délaissa des yeux sa lecture et observa Dominique, son réalisateur. Celui-ci se tenait devant la table où Boris était installé, tout près de celles occupées par le régisseur et du catering.
Boris posa les feuilles de papier sur ses genoux et se confondit en excuses... à sa façon :
- Quoi ? Qu'est qu'il y a ?
L'autre homme le dévisagea avec curiosité. Il répéta ce qu'il avait dit et qui n'avait pas suscité un seul signe d'attention de la part de Boris.
- On voulait savoir si tu voulais venir manger au resto avec nous... Tu viens ? proposa-t-il.
- Non, désolé. Pas envie... Pas faim...
- D'accord, comme tu veux... Euh, dis-moi, t'es sûr qu'il n'y a rien ? T'es tout blême. Quelque chose ne va pas ? s'inquiéta Dominique.
- Oh non, ça va Dom. J'ai juste besoin d'être seul, expliqua vaguement Boris, ne se rendant pas compte que ses genoux tremblaient.
À vrai dire, il ne se sentait absolument pas d'humeur sociable aujourd'hui, même s'il adorait Dominique et ses partenaires de jeu.
Le réalisateur déposa ses documents de travail sur la table et prit son porte-clés. Il remarqua, au passage, ce que son acteur tenait dans ses doigts fins et longs, mais il ne fit aucun commentaire. Le connaissant, il ne fallait pas trop insister.
- Très bien. À tout à l'heure et s'il y a quoi que ce soit, je suis là, ok ?
Il marmonna une vague salutation lorsqu'il s'en alla, l'air un peu hagard.
Le plateau se vidait tranquillement de ses dizaines d'artisans. Il ne restait que quelques techniciens obligés de continuer leurs tâches respectives pour prendre de l'avance. Boris s'empressa de reprendre sa lecture là où il l'avait laissé, impatient de retourner à cette si belle plume, à cette histoire qui commençait déjà à le toucher au plus haut point.
''... en me traitant au passage de «pédé». Comme si c'était u sa façon de me dire toute son aversion.
Je suis resté là, hébété. Et j'ai séché les cours l'après-midi... Mon courage avait disparu.
Le lendemain, toute ma classe était au courant pour moi et mon affection pour Jérémy et tout le dégoût que je lui inspirais. Aucun élève n'a pris ma défense, à part mon frère. On traitait Jérémy comme si c'était une victime, comme si c'était malheureux pour lui d'être aimé par un homme. Si certains n'étaient pas homophobes, ils ont quand même laissé faire les choses ou ils ont eu peur de prendre ma défense. Dire que je considérais certains comme mes amis...
Et moi, j'avais mal. Je me suis retrouvé bien seul. J'avais envie d'être six pieds sous terre. J'étais encore si fragile, j'avais de nouveau honte de moi, de ce que j'étais. Je voulais hurler. Je restais en silence et j'encaissais. Plus rien n'allait. Rien.
Celui dont j'avais tant rêvé, aimé en secret, s'était transformé en véritable monstre. Un poison pour mon cœur, qui se faisait écraser de douleur... Il s'était mis à me détester. Il avait honte de ce que je lui avais avoué, alors il s'était mis à me dénigrer pour se venger. Il était particulièrement doué pour me faire la vie dure, je vous le dis, tout autant que les autres d'ailleurs... C'était déjà douloureux de se faire rejeter par l'être que l'on aime, ça l'était encore plus de devoir subir sa haine et le manque d'ouverture d'esprit de personnes tierces.
Sans retour possible, je me suis vu plonger dans un enfer quotidien, encaisser sans broncher les pires insultes, les pires moqueries qu'on puisse inventer.
Jérémy me disait que j'étais qu'un pervers, que je le dégoutais, qu'il aurait préféré que je crève du sida plutôt que je l'aime. Lui et ses deux meilleurs amis me disaient sans cesse que je ne méritais pas d'exister, que je n'étais pas un homme. Ils faisaient saigner mon cœur, j'étais sans cesse ramené au fait que j'avais fait l'erreur d'avouer mes sentiments.
Les autres me disaient que j'étais une tafiole, une tarlouze, un pédale, une pute, un suceur de queues, que j'étais bon qu'à me faire enculer. Ils me disaient que j'étais contre-nature, que j'étais une plaie, un être répugnant et "dangereux"... On me rabaissait sans arrêt et on me disait que je ne valais rien. On se moquait quand je passais dans le coin en s'écriant des choses comme ''désolé pas de petit bisou pour moi !'', ''beurk t'aimes les queues...'', "Tu dois être un vrai garage à bites, tu dois aimer ça d'en avoir plein le cul... Va donc te suicider, t'es un gros dégueu...", "T'approches pas, je veux pas être vu seul avec toi..." ou en m'imitant comme une grande folle...
Ils répandaient des rumeurs infondées à mon sujet, sur ma sexualité, comme quoi je rêvais de me faire mettre par 5 mecs, que je devais être une «bonne fille» au lit, que j'avais déjà sucé tel garçon peu populaire du lycée, etc.
Et j'en passe...
Vous voyez le genre, monsieur Jourdan...
Les insultes, c'était rien. Ça m'atteignait, ça me faisait mal, bien sûr. J'en pleurais quand j'étais seul. J'étais capable de refouler mes émotions devant les autres, être de glace. Cette absence de réaction ne leur plaisait pas et ils devenaient de plus en plus violents en paroles et en gestes. Ils étaient déterminés à me faire souffrir le plus possible.
Il ne se passait pas un jour sans qu'on me frappe, qu'on me violente, qu'on me pousse ou bouscule, qu'on me lance des trucs, qu'on me cogne contre mur ou un casier ou qu'on s'en prenne à plusieurs contre moi. Les groupes me battaient très souvent jusqu'au sang, à menacer mon intégrité ou ma santé physique. On me volait mes affaires. On m'empêchait de me rendre quelque part. En sport, on m'envoyait intentionnellement des ballons en pleine figure. Dans les vestiaires, on a essayé plusieurs fois de me faire mettre des vêtements de filles ou de me déshabiller complètement de force pour rire de moi. On m'a même pissé dessus une fois, car je n'étais qu'un chien galeux à leurs yeux.
Hors du lycée, il n'y avait pas de répit. Je tentais désespérément qu'on ne connaisse pas mon adresse, mais sur les réseaux sociaux, ils m'insultaient et postaient des messages haineux sur moi. Sur Facebook, on a tagué à mon nom des photomontages dont je n'oserai pas vous parler monsieur Jourdan, tellement cela me fait honte. L'enfer me semblait paradisiaque comparé à ma vie.
Personne ne s'apercevait du mal que je subissais, pas même mes parents. Mes résultats scolaires n'avaient pas chutés, et moi, je continuais à mener cette existence vide de sens. Je leur cachais les marques physiques. Les rares fois où je n'ai pas pu les dissimuler comme elles étaient au visage, je leur ai menti en disant que je m'étais battu ou que j'avais chuté. Je ne leur parlais pas de ce que je vivais à l'école, alors ils me pensaient toujours heureux et studieux, ils me prenaient encore comme leur bébé. C'était le commencement de la représentation de ma vie. C'était si facile de sourire et de faire semblant que tout allait bien ! Personne ne prête jamais vraiment attention à ce que vous exprimez réellement tant que vous leur servez une mascarade bien appétissante. Les profs, eux, détournaient le regard et n'agissaient pas, comme si des coups, les humiliations, les brimades n'existaient pas. Ou alors, ceux qui se souciaient de moi et qui comprenaient ce qui se passait, n'avaient pas les ressources nécessaires pour me venir en aide. Il faut aussi dire que je ne voulais pas porter plainte, pour ne pas courir le risque que la situation s'envenime. Alors oui, personne ne prêtait attention au tournant qu'avait pris mon existence… Personne. Et je m'enfonçais doucement dans cet abîme de douleur qu'était devenue ma vie. Je m'excluais toujours plus des autres.
_ Oh, vous avez tellement une voix unique et si belle, monsieur Jourdan ! J'en ai des frissons ! Vous me donnez des frissons!
_ J'ai vraiment hâte de voir ce que ça va donner ''Un Jour ou l'autre'', ça m'a l'air intéressant comme projet !
_ Enfin ...
J'avais l'impression que je m'enfonçais dans le désespoir. Mais c'était bien plus que cela en fait, c'était la triste réalité. Je me sentais de plus en plus seul et déprimé. Chaque jour, je devais me lever, tel un mort-vivant, affronter encore cet enfer. Je découvrais la haine, la solitude, mais par-dessus tout l'idée de la mort. Elle me semblait si douce, si attirante… Je n'avais plus qu'une envie c'était de tomber dans ses bras, l'étreindre de pleine force. Je ne voulais plus être moi. Je voulais mourir, juste mourir... J'en perdais la raison... Je détestais l'état où j'étais… Pourtant, j'avais l'impression de ne pouvoir rien y changer... À force d'être dans le noir, je pensais que je ne pouvais pas m'en sortir,...
Je n'avais plus rien à quoi m'accrocher à ma vie (de merde). Tel un condamné, je traversais les journées juste parce que j'avais ouvert les yeux. Je cherchais à me fondre dans le décor comme un caméléon qui voulait se rendre invisible. Invisible... ouais, c'est le mot...
Donc, l'année scolaire s'est terminée de manière aussi horrible qu'elle avait commencée. Je n'avais plus le goût de rien. Et l'année suivante, en première, ce fut la même chose.
Sauf qu'à ce moment-là… durant ce mois de septembre qui se voulait maussade... c'est là que je vous ai découvert, monsieur Jourdan.
Un vendredi soir, je zappais devant la télévision, seul à la maison, et je suis tombé sur cet entretien entrecoupé que vous aviez fait pour ce documentaire sur l'homosexualité.
Ah ! Si vous saviez comment cette interview a changé ma vie !
Je me suis figé sur mon canapé et je ne pouvais plus quitter l'écran des yeux.
J'étais pétrifié par votre beauté simple, captivante, sans prétention. Par ce que vous disiez, par votre grandeur d'âme.
Par la fierté de qui vous étiez, d'en parler si aisément.
Par votre prestance humble, votre folie douce, votre authenticité.
Par votre travail lorsqu'on a mis des extraits de ce que vous aviez fait auparavant.
Oh ! Ce que j'étais renversé par vous ! Quelle révélation !
Et je suis allé me procurer vos premiers films, comme «Before the Dawn», «Une danse de plus» ou «La trahison», qui m'ont encore plus ébloui les uns que les autres.
J'ai passé le reste de la soirée et une partie de la nuit à pleurer et à vous trouver merveilleux ! Et c'est vraiment peu dire, monsieur Jourdan !
Depuis ce moment, je suis devenu un véritable fan. Vous êtes vraiment mon idole. Je pourrais vous dire que je connais par cœur vos films, vos séries, que je collectionne des photos et vidéos de vous... Mais ce serait inutile, vous devez vous en douter...
_ Oh, c'est déjà fini, c'est le jingle de fin ! Les animateurs étaient franchement nuls et ils avaient des questions zéro pertinentes !
_ Mais vous avez quand même avez donné une bonne interview, je trouve.
_ Oui, bon...
Seulement, ma passion s'est accrue, parce que...
Grâce à vous et avec beaucoup d'efforts, j'ai réussi à accepter le fait que je pouvais aimer les hommes sans honte et malgré le regard parfois désobligeant des gens. Je suis en train de retrouver la confiance en moi que j'avais perdue. Ça fait un an que j'y travaille, mais peu à peu, il y a quelques résultats… Même si on continue de me martyriser...
Grâce à vous, je réapprends à aimer la vie, à savourer la mienne pleinement. Je rêve de suivre vos traces et de devenir acteur. Je retrouve des mots comme ''espoir'' ou ''plaisir'' que je pensais avoir rayés de mon vocabulaire.
Sans vous, je n'aurais jamais pu même y songer. Sans vous, je crois que je serais six pieds sur terre, à l'heure qui l'est...
Et ça... je vous en suis vraiment reconnaissant. Même si c'est un peu fou, je vous l'accorde !''
Il fit une pause dans sa lecture, n'en pouvant plus, les larmes roulant en silence sur ses joues. Bouleversé, Boris serrait la lettre contre son torse, fixant le sol. Un lourd sentiment d'empathie s'installait en lui.
Chacun des mots semblait lui avoir transpercé le cœur. Pourtant, en respirant lentement, il s'accrochait à la lettre, comme si c'était un pansement. C'était bien la première fois qu'il pleurait devant un témoignage reçu...
Le comédien trouvait l'histoire de Nicola horrible. Il ne savait pas comment réagir face à tout cela. Il lui semblait impossible qu'il puisse être responsable de ce sauvetage mental. Il ne pouvait pas croire qu'il avait pansé ses blessures et qu'il avait changé son existence à ce point...
Et en même temps, Boris était charmé par ce Nicola et par son écriture, sa manière de dire les choses, cette jolie façon de s'adresser à lui. Il lui semblait que c'était injuste qu'un être avec une si belle éloquence soit mis à part pour cette raison...
Il essaya d'essuyer ses larmes, en vain et soupira. Puis, il reporta l'écrit devant ses yeux pour continuer à lire, le cœur pesant une tonne.
''... Oh, ne vous en faites pas, monsieur Jourdan. Je vais très bien maintenant, si ce n'est ce harcèlement qui continue. Je n'ai plus d'idées noires en permanence.
Cependant, vous savez, chaque fois que je suis triste ou que je me sens désespéré à cause du lycée, vous m'aidez à retrouver le sourire. Je ne vais pas bien une journée et hop, vous me faites tout oublier.
Une chose est sûre, c'est que vous avez sauvé ma vie, que vous avez changé mon existence. Je suis certain que c'est pour le mieux. Je sais que l'année prochaine, je vais pouvoir prendre un nouveau départ.
Merci, monsieur Jourdan, vous m'avez sauvé la vie. Et vous l'avez rendu meilleure et plus belle.
D'ailleurs, j'ai même réussi à me faire quelques amis, qui sont également fans de vous, par le biais d'internet. Incroyable, n'est-ce pas ?
Enfin, c'est un bon début pour me reconstruire. C'est long, c'est ardu. Je ne sais même pas si j'ai la force de terminer le travail qu'il me reste à faire. Je continue. J'y arriverai, peut-être, on ne sait jamais. Un jour, j'aimerai vraiment faire comme vous et jouer, jouer et encore jouer en me foutant du regard des autres. En attendant, le théâtre est un bel exutoire pour moi.
Aussi, ce que j'aimerais vous dire, c'est de rester comme vous êtes. J'adore votre sincérité et votre charisme et ça serait dommage que cela disparaisse. Vous n'êtes pas comme tous les autres acteurs... Vous êtes spécial… Et c'est bien comme ça...
Je ne vous remercierai jamais assez de tout ce que vous m'avez apporté. Jamais assez, ça c'est sûr.
Merci, monsieur Jourdan, merci énormément. D'être ce que vous êtes, de ce que vous avez fait pour moi. Pour tout.
Merci.
Sincèrement,
Un simple fan...
Nicola Beauvais.
[Signature]''
Il replia les feuilles qui composaient la lettre et renifla. Il resta assis là, à laisser cours à ses larmes, le moral à zéro, mais le cœur réchauffé.
Puis, un peu avant de recommencer à tourner, il chercha avec nervosité Dominique sur le plateau, ayant une idée bien précise en tête. Il le trouva finalement occuper à donner des indications au directeur photo et l'extirpa de la conversation sans douceur :
- Dom... Dom, il faut que je te demande quelque chose…
Ce dernier vit l'air maussade de l'homme, ses yeux perlant de larmes, sa main crispée sur les feuilles de papier et fut immédiatement convaincu de s'excuser auprès de Fabrice, le directeur photo.
Dominique le prit par l'épaule pour l'amener à l'écart, puis lui murmura d'un ton calme et apaisant :
- Vas-y ...
Il bredouilla, ne sachant pas trop comment le demander :
- Le rôle de Julien...
- Oui ? fit-il, attentif.
- Est-ce que les auditions pour remplacer Patrick sont finies ?
Il fronça les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir, puis il répondit avec étonnement :
- Non, j'ai pas encore vu tous les candidats. Pourquoi tu me demandes ça, pour l'amour du ciel, Boris ?! Qu'est qu'il y a ?
Il sourit à travers l'inondation dans ses yeux et la crue sur ses joues rougies.
- J'aurais quelqu'un à te proposer..., finit-il par dire, lui montrant la lettre et lui expliquant tout l'effet qu'elle lui avait fait et qu'il lui fallait à tout prix rencontrer ce Nicola Beauvais.
ooOoOoOoOoOoo
''Cher Nicola,
Je pourrais te dire que ta lettre m'a beaucoup touchée. Mais «touchée», je trouve que ça ne serait pas assez. Tu m'as véritablement renversé par ton écriture et par ton histoire. C'est peut-être la plus belle lettre qu'on ne m'ait jamais envoyée. Je t'en remercie grandement.
Je ne réalise pas encore… Mais bon, je te souhaite vraiment de continuer à braver la vie, le monde. Ne te soucie pas des autres et continue d'être ce que tu es. Je souhaite que tu trouves enfin le bonheur, je crois bien que tu le mérites...
D'ailleurs, j'aurais une proposition à te faire.
J'ai parlé de toi, de ton ambition de devenir acteur, à mon ami qui réalise mon prochain film. Après un moment de réticence face à mon enthousiasme (on aurait dit mon agent qui me faisait la morale) et après avoir lu ce que tu m'as écrit, il a accepté de te faire passer une audition.
Comme tu le sais sans doute, celui qui devait me donner la réplique est tombé malade et ne pourra pas assurer le rôle. Alors, ce que je te propose, si tu es intéressé, c'est de passer cette audition (je serai présent) et peut-être que tu seras retenu. On ne sait jamais...
Tu peux envoyer tes coordonnées à Dominique Escoffier et il communiquera avec toi pour t'envoyer la scène à apprendre et toutes les informations nécessaires. L'adresse est ci-contre.
Si tu décides de participer, je te souhaite ''Merde !''.
Et si ce n'est pas le cas, je serais très heureux de recevoir de tes nouvelles quand tu en sentiras le besoin.
Très cordialement,
Boris Jourdan.
[Signature]''
À suivre...