Un petit texte écrit à partir du tableau Vanité d'Alfred Agache


Vanité


Elle le fixait avec morgue, un air de défi au fond des yeux. « Allons, Alfred » semblaient-ils dire. « Tu ne pourras pas nous capturer. » Il ne le savait que trop bien, dans le fond.

Pour se venger, il avait voulu capturer tout le reste.

Elle, pour commencer.

Elle était appuyée contre le mur, docile et silencieuse, le menton relevé et l'air provocateur. Il l'avait pourchassé à travers toute la maison, quelques minutes auparavant, alors qu'elle fuyait dans les couloirs bleu ciel, des rires et des défilades plein la gorge. Il avait entraperçu la peau nue de sa cheville alors qu'elle tournait dans le recoin d'un corridor et avait ralenti, surpris, ému, de ce qu'il venait de voir. Elle était indécente, étonnante, vaniteuse. Elle se savait belle et en jouait. Elle était reine des mensonges et des mises en scène, princesse suprême d'un palais de verres et de miroirs dans lesquels elle se reflèterait. Comme un artiste désire sa muse, il la voulait.

Lorsqu'il l'avait enfin retrouvée, elle l'attendait.

Elle avait monté son décor comme ces metteurs en scène qui envahissait les théâtres. Méticuleusement et avec soin, elle avait disposé autour d'elle ses accessoires. Les lèvres tendues en un sourire satisfait, elle le fixait sans battre des cils. Depuis toute petite, elle avait cette capacité, étrange et envoutante, à cesser de bouger sur commande, comme un automate rouillé se stopperait. En la voyant, il avait ri. Elle avait haussé un sourcil aristocratique, les doigts posés sur une balle dorée.

« Eugénie » s'était-il risqué.

« Tais-toi, Alfred. »

L'ordre avait claqué sans la moindre hésitation et sa gorge s'était serrée. Faussement pensive, joueuse, elle avait recommencé à faire tourner la balle contre son genou. Elle avait fini par cesser, à nouveau, encore une fois. Elle avait semblé trouver la pose parfaite, une main appuyée sur les hanches, sa balle d'or dans l'autre. Elle était théâtrale et royale, vaine au sens premier du terme. Inutile mais brillante, elle rayonnait dans l'écrin qu'elle s'était façonné. Pour l'écouter, il avait cessé même de respirer.

« Vois-tu, Alfred » commença-t-elle d'une voix sautillante. « J'ai décidé d'être en ce jour princesse, mais pas n'importe laquelle, princesse de conte de fée. J'aurais pu être Reine, mais je ne règne point encore, je suis destinée à régner. Peins-moi. »

Son visage était sérieux et, sous le drapé rouge tendre de son étole, ses épaules pâles étaient tendues par la dignité. Il s'était interrogé sur la futilité de cette fierté chancelante, avait souri de l'austérité grave de l'Infantile il s'était tu, comme elle le lui avait ordonné.

La reliure du livre en cuir qu'elle avait couché à ses côtés avait été rongée par le temps. Il en déchiffra le titre, cependant, rit de la bêtise candide de cette fille à la gorge si pâle et tentante.

« Le Roi-Grenouille » murmura-t-il, un éclat de rire dans la voix. « Princesse, vous ne choisissez pas la facilité.

— Tu sais bien qu'elle n'a pour moi aucun attrait. » renifla-t-elle en relevant le menton. « Qu'elle n'est que futilité. »

Dans la bouche de l'Infantile, le mot prenait une autre forme, un autre goût. Sa robe noire se détachait en ombre de Chine sur le papier peint. Elle était belle. Elle était.

Vaine.

Elle était cette fille de commerçants qui rêvait de couronne dorée.

Cette Infantile qui se pensait princesse lorsque c'était crapaud, qu'elle était.

Il l'avait peinte ; il l'avait aimé.

Vainement.