Ce chapitre, je l'ai écrit sans aucune complaisance, de la manière la plus réelle et la plus concrète possible. Et j'ai souffert milles morts pour le rédiger ; ça m'a littéralement retournée. Mais ce chapitre était absolument nécessaire à l'histoire. Et il fallait que je couche ces sentiments-là sur le "papier".
C'est la chose la plus difficile et la plus douloureuse que j'ai jamais écrite.
J'y ai mis tout mon cœur et toute mon âme…
Chapitre 12
Le nez enfoncé dans les draps, ce n'est que lorsqu'il entendit la porte d'entrée claquer en se fermant sur ses bourreaux, que Gwenaël osa relever la tête. Ses cheveux blonds, trempés de sueur, collaient à son front, et sa nuque était douloureuse. Il se sentait perdu, hors du temps, complètement hébété.
Son corps ravagé n'était qu'une immense et intolérable douleur. Pendant tout le temps où ces hommes avaient fait de lui ce qu'ils voulaient, pendant tout ce temps où ils l'avaient pénétré, défoncé, violé encore et encore, Gwenaël était en quelque sorte 'sorti de son corps', comme ces gens dans le coma dont l'esprit s'extrait et navigue au-dessus de leur lit d'hôpital.
Pour supporter l'insupportable, Gwenaël était devenu comme absent à lui-même. Il s'était 'dissocié', laissant sa chair à ses tortionnaires, et bloquant son esprit dans un carcan fermé, pour essayer de se protéger.
Mais maintenant, c'était fini, n'est-ce pas ? Ces hommes étaient partis. Ils étaient loin.
Avant de s'en aller, ils lui avaient jeté à la figure quelques billets, d'un air très satisfait : « Tiens, pour la performance, tu le mérites. T'as vraiment un cul d'enfer ! »
Le fric en plus, c'était pour l'humilier encore davantage, pour lui faire sentir le pouvoir qu'ils avaient sur lui, pour le rendre complice, pour le culpabiliser…
D'ailleurs, il n'avait pas protesté, n'est-ce pas ? Il n'avait pas essayé de résister non plus. Et à présent, Gwenaël culpabilisait à mort ! Comme l'avaient espéré ses bourreaux, il se sentait responsable. Tétanisé par la peur, il avait tout accepté, s'était soumis à toutes les exigences sexuelles. Il s'était laissé faire pendant ces longues heures…
Car ça avait des heures, non ? Combien ?
Combien de temps toute cette saloperie avait-elle duré ?
Quelle heure était-il ?
Toujours étendu à plat ventre sur le lit, Gwenaël tourna la tête sur l'oreiller. Sur la table de nuit, couverte de billets de banque éparpillés, le réveil indiquait 23h37.
Ils l'avaient violé pendant plus de deux heures. Mais Gwenaël avait l'impression que ça avait duré toute la nuit.
Il essaya de se redresser, mais il n'y parvint qu'au prix d'horribles efforts. Ses bras l'avaient tellement porté, sous les coups de reins violents, que ses muscles étaient atrocement courbaturés. Il se laissa doucement rouler dans le lit, pour ne plus être à plat ventre sur ces draps souillés. La tête lui tournait un peu. Il se sentait nauséeux.
Il laissa ses jambes glisser le long du matelas et ses pieds touchèrent enfin le sol. Assis au bord du lit, sonné comme un boxeur, il avait l'impression d'être un zombie. Et surtout, il avait mal. Très mal. Mal partout. La position assise, surtout, lui était intolérable, aggravant ses douleurs.
Il sentait qu'il était déchiré à l'endroit le plus intime. Il tenta de se mettre debout mais ses jambes violentées, aux muscles maltraités, se dérobèrent sous lui. Il s'effondra lamentablement à genoux sur le sol.
A quatre pattes par terre, il eut deux sanglots lourds et brefs, des sanglots secs d'humiliation. Mais des larmes, il n'en avait pas. Il n'en avait plus. Il se sentait vidé, incapable de pleurer. Il n'était plus qu'un corps mort. Oui, tout à l'intérieur de lui était mort.
Il se releva avec peine, les jambes tremblantes, se tenant à la table de nuit, puis au mur, pour ne pas s'effondrer à nouveau.
Il fallait qu'il se rhabille maintenant.
Oui, s'habiller, se couvrir, cacher ce corps sale et dégoutant, et ensuite fuir ce lieu au plus vite.
Chez lui, il se laverait sous l'eau chaude, avec du savon, et il frotterait sa peau souillée pendant des heures. Il ne voulait pas faire ça ici, en terrain hostile, mais se nettoyer dans son appartement, enfermé, protégé par les murs et les portes verrouillés.
Et il jetterait ses vêtements. Jamais plus il ne pourrait les porter.
Ses vêtements…
Où étaient-ils ?
Il se retourna lentement, avec difficulté, se rappelant qu'il avait été obligé à se déshabiller alors qu'il était au fond de la chambre, acculé contre le mur de l'autre côté de la pièce.
En contournant le lit, ses yeux furent attirés par l'état des draps. Il frissonna d'horreur en voyant les draps bleus désormais froissés et sales : ils étaient couverts de sperme, de traces de souillures, et puis il vit aussi les tâches de sang. Son sang, n'est-ce pas ?
Gwenaël baissa les yeux sur son corps, tournant la tête pour regarder l'état de ses cuisses, et surtout de ses fesses. Ses mâchoires se crispèrent en constatant des traces rouge foncé et brunes. Ils l'avaient tellement brutalisé, l'un après l'autre, encore et encore, qu'ils l'avaient déchiré. Il ressentait l'atroce brûlure interne, la brûlure humiliante et intime.
Mais ses blessures physiques n'étaient pas apparentes. Gwenaël jeta un coup d'œil au miroir qui ornait le placard de la chambre de Dylan. Sur son corps, de l'extérieur, on ne voyait rien. Les deux dealers avaient pris soin de ne jamais le frapper. Son visage, notamment, était parfaitement intact. Rien sur lui ne laissait deviner l'épouvantable drame qui s'était déroulé.
Gwenaël détourna le regard de la glace et fit quelques pas lents en direction de ses fringues gisant sur le sol au fond de la pièce. Marcher était très douloureux. Mais pire encore, c'était ce qu'il vit sur le sol : des préservatifs souillés, jetés partout par terre, des blisters vides ayant contenu les pilules bleues de Viagra que ces salauds s'étaient enfilés, pour tenir le plus longtemps possible, pour 'performer' !
Gwenaël aurait voulu ramasser les capotes sales, les blisters de Viagra, et puis les jeter à la poubelle, mais il n'en avait pas la force, pas le courage. Tout cela le dégoûtait. Et des souvenirs abominables percutaient sa mémoire violemment. Il entendait encore leurs voix résonner dans sa tête cotonneuse.
Ils avaient joui de lui, le pénétrant alternativement, leurs sexes énormes s'enfonçant en lui, le ravageant. Combien de fois l'avaient-ils baisé ? Gwenaël ne se souvenait plus bien et cette faille dans sa mémoire le terrorisait.
Ses yeux paniqués allaient d'un préservatif usagé à un autre préservatif usagé, une boule au fond du ventre.
Combien y en avait-il ? Oui, combien ? Trois…? quatre…? Il comptait mentalement les capotes dégueulasses qui gisaient sur le sol. Combien de fois ces types l'avaient-ils violé ? Et combien de fois avait-il été forcé à les prendre dans sa bouche, alternativement, tous les deux ?
Le souvenir de ces grosses queues adipeuses et dégueulasses s'enfonçant violemment au fond de sa gorge lui fit venir la nausée. Il sentit de la bile remonter le long de sa trachée. Il eut un hoquet, et bien qu'il eût mis sa main devant sa bouche pour s'en empêcher, il ne put se retenir de vomir.
Oh ! Juste à peine, surtout de la bile… Il n'avait rien mangé depuis de très longues heures. Mais maintenant, en plus de toute le reste, une tâche de dégueulé maculait la moquette de la chambre de Dylan, au pied du lit.
Gwenaël se sentait minable, pathétique et sale. Si sale ! Il s'essuya la bouche et le menton du revers de sa main, puis il reprit sa respiration, lentement, tentant de contrôler les errances de son estomac. Il fallait qu'il s'en aille, qu'il quitte cette chambre de torture au plus vite.
Il ramassa ses vêtements avec peine, enfila son boxer, son T-shirt, ses chaussettes, mais lorsqu'il voulut remettre son pantalon de cuir noir trop moulant, il sentit les larmes lui monter aux yeux. La souffrance était atroce !
Il ne parvenait pas à plier les jambes, il ne parvenait pas à faire remonter le cuir trop moulant le long de ses cuisses meurtries. Ça lui faisait mal ! Tellement mal !
Pourquoi avait-il choisi ce pantalon-là, hein ? Pourquoi avoir voulu être sexy pour Dylan ? Pourquoi avait-il eu l'idée stupide de vouloir le séduire ?
Putain de pantalon à la con, trop serré, trop moulant, qui symbolisait l'abominable viol collectif qu'il venait de subir pendant plus de deux heures…
Il était là, planté dans la chambre de Dylan, le pantalon de cuir coincé aux genoux, dans cette position ridicule ! Ç'en était trop.
Alors enfin, son esprit jusque-là verrouillé par l'horreur finit par lâcher. Il se mit à chialer comme un gosse. Et dans les pleurs qui l'étranglaient, il hoquetait, s'étouffant à moitié, surtout de honte et d'humiliation.
Il mit au moins cinq bonnes minutes à se calmer, pleurant comme un petit garçon. Et puis enfin, vidé, le cœur sec, il tira sur le cuir, pour le faire glisser le long de ses cuisses aux muscles endolories, en reniflant.
Chaque mouvement le faisait souffrir atrocement. Il essuyait ponctuellement d'un revers de manches rapide son visage baigné de larmes, et puis, de ses mains tremblantes, il continuait ensuite à remonter ce foutu cuir si difficile à mettre.
Enfin, il parvint à l'enfiler… mais sans réussir à remonter la braguette et fermer le bouton à la taille. C'était trop serré, cela lui comprimait terriblement les fesses : ses blessures intimes étaient à vif !
Alors, il se contenta de rabaisser le pan de son T-shirt par-dessus son ventre, cachant tant bien que mal le pantalon mal fermé. Il attacha ensuite sa veste à sa taille, nouant les manches sur son bas-ventre, pour cacher la braguette encore ouverte. Ainsi, personne ne verrait rien.
Non… personne… Car personne ne devait savoir. Jamais !
Et surtout pas Dylan.
L'évocation de son nom fît tressaillir Gwenaël : Dylan ! Pourquoi n'était-il pas venu le sauver ? Que lui était-il arrivé ? Est-ce que ces deux hommes l'avaient blessé ? Était-il mourant, agonisant quelque part dans une mare de sang ?
Il s'était forcément passé quelque chose de très grave pour que Dylan ne vienne pas à son secours, car non… Dylan n'avait pas pu le laisser volontairement entre les mains de ces deux monstres. Gwenaël refusait de le croire.
Mais alors… Dylan…
Où était-il ?
A suivre…