Défi : Choisir une couleur et bâtir tout un texte autour.

Or immortel

Il regarda le liquide couler lentement. Prendre sa couleur caractéristique. La couleur de l'or. Petit à petit, il remplissait entièrement son moule, s'y laissait glisser comme s'il avait été fait pour lui. L'homme le regarda agir, silencieusement, fasciné.

Il avait beau accomplir ce geste depuis des années, des décennies, et il se demandait même s'il n'allait pas bientôt compter en siècles, celui-ci le fascinait toujours autant. La métamorphose du plomb en or. Cette alchimie qui faisait du métal le plus misérable le plus précieux des biens. Il savait que son histoire avait traversé les siècles, qu'elle enchantait encore les pensées et que certains tentaient de l'imiter. Ils doutaient qu'ils y parviennent un jour. Il y avait dans ce geste une magie qu'on ne trouvait nulle part ailleurs. Il y avait dans ce geste une habitude forgée par les siècles de pratique.

Oh ils n'étaient, avec Pernelle, pas très dépensiers, et ils ne cherchaient nullement à s'enrichir. A une époque, ils avaient cru bon de transformer plus de cet honteux métal, pour en garnir les hôpitaux, les dispensaires. Ils avaient distribué encore et encore, justifiant leur fortune par leur travail acharné de scientifiques. Les années étaient passées. Les monuments avaient pris leur nom. Le nom de morts qu'on ne devait jamais revoir. Le nom de morts qui ne l'étaient pas. Le nom d'immortels qui se cachaient. On parlait d'eux dans les livres d'histoire. On citait leurs noms comme ceux de grands alchimistes. On cherchait à découvrir leur secret. On cherchait à reproduire ce qu'il répétait depuis des siècles.

Une fois qu'ils furent tous remplis, il prit à l'aide d'une pince les moules, les uns après les autres, afin de les éloigner du foyer. Il les posa sur une pierre plate sur laquelle ils allaient sécher en attendant qu'il puisse les démouler. Se solidifier. Prendre un aspect encore plus brillant. Devenir des lingots d'or pur qu'il pourrait échanger contre des billets dans quelque banque proche de chez eux. Pas toujours la même sinon elle allait finir par se poser des questions. Ils devaient être très prudents. Les siècles passés à se cacher continuellement, à changer régulièrement d'identité et de lieu n'avaient pas entamé leur prudence. On ne savait jamais qui pouvait les démasquer. Il était extrêmement important que ce moment n'arrive jamais.

Il ôta enfin ses lunettes de protection. Se débarrassa de ses gants en cuir habitués à la chaleur des flammes. Jeta des cendres sur le foyer pour l'apaiser. Enleva son tablier de forgeron. C'était finalement ce qu'il était. Il sculptait simplement l'or pur en lieu et place du fer. Son visage était couvert de sueur. Il l'essuya sommairement avec un pan de sa chemise. Si Pernelle voyait ça, elle dirait encore qu'il n'était pas très propre. Il s'en fichait. Il venait d'accomplir l'acte le plus miraculeux du monde. Il venait d'accomplir celui que chacun rêverait de faire. Il l'avait uniquement fait dans le but de survivre un peu plus longtemps. On ne gagnait pas sa vie en vendant des livres et sa boutique pourtant en plein cœur de Paris ne fonctionnait pas très bien.

Peut-être l'emplacement. Il n'aurait peut-être pas dû choisir cet endroit, au milieu des bars et brasseries. Il était tombé amoureux de cette maison et devait avouer n'y avoir pas vraiment réfléchi. Qu'importe, ils changeraient de ville dans quelques années, ça n'était qu'une question de temps. Et du temps, il en avait. A foison. Paris lui manquerait. Elle était la ville de son enfance. Celle dans laquelle il avait passé le plus clair de son temps avant que sa vie ne bascule. C'était là qu'il avait rencontré sa femme. Là qu'il avait fait ses études auprès des plus grands de l'époque. Au XIVe siècle donc.

Il se regarda dans une vieille glace. Ils l'avaient rapportée de Venise quand ils y avaient habité, quelques décennies plus tôt. Il n'avait pas pris une ride, songea-t-il en souriant ironiquement. Il parlait à présent couramment six ou sept langues, en maîtrisait correctement une dizaine d'autres et savait en baragouiner quelques dizaines de plus. Il avait parcouru le monde à la recherche du savoir de tous les peuples qu'il rencontrait. Il avait accumulé les connaissances, en avait transmis. Il avait visité des pays entiers, des continents même. Il connaissait par cœur des centaines de villes, avait eu plus d'adresses qu'il ne saurait en compter. Il avait eu le temps de profiter de son mariage plus que quiconque, et après sept cent ans, se sentait parfois las.

L'immortalité avait un prix, bien loin de celui de l'or qu'il coulait. Si le procédé le fascinait toujours autant, s'il savait qu'il devait rester en vie, gardien d'un savoir qu'on lui demanderait un jour de rendre, cette situation le pesait parfois. Il regarda distraitement une armoire. A l'intérieur se tenaient les secrets de l'humanité. A l'intérieur, se tenaient les secrets de son immortalité et de son alchimie. A l'intérieur se tenait sa raison d'être. Sa magie. Entre quelques pages, reliées par une couverture de cuir rouge, se trouvait l'arme la plus puissante au monde. Un danger pour tous. Un secret qui ne devait être révélé qu'à quelques-uns. Le jour venu. Et celui-ci n'était apparemment pas encore arrivé.

Las et retournant pour démouler ses lingots, l'homme songea que ça n'était sans doute pas la dernière fois qu'il répétait ce procédé. Le jour n'était pas encore venu de rendre le Livre à son propriétaire. Le jour n'était pas encore venu de se défaire de son rôle de gardien. Pourtant, il lui tardait d'y arriver. L'or avait une couleur fascinante, se dit-il en manipulant une de ses œuvres entre ses mains. Sa fabrication était enchanteresse. Son secret était magique. Unique. Et pourtant, il lui tardait de le remettre à un autre. Il lui tardait de rejoindre le clan des légendes. De ceux qui ne vivent plus mais dont on prononce encore le nom. De ceux qui n'ont plus rien à faire sur cette Terre et peuvent enfin reposer dans cet au-delà en lequel il croyait malgré tout, malgré sa défiance des lois de la vie et l'agnosticisme dont faisait preuve cette époque. Oui, Nicholas Flamel avait hâte de n'être plus réellement qu'une légende.