A l'aube

Ses yeux se sont fermés. Brièvement. Qu'est-ce qu'il fout là ? Pourquoi ?

Il retient difficilement sa respiration. Sa cage thoracique cherche à prendre de grandes bouffées d'oxygène. Son cœur fait tellement de bruit qu'il imagine l'entendre tambouriner à ses oreilles.

Ce qu'il n'a pas imaginé en tout cas, c'est bien ce qui vient de se passer sous ses yeux.

Joshua, 17 ans. Presque 18. Enfin… si le destin le lui permettait.

Ils sortaient tout juste du cinéma. Le film en 3D était grandiose et la conversation était animée. Il y avait tant à dire dessus. Tous les quatre restaient plantés sur le trottoir encore humide de la dernière averse.

Petit à petit, les autres spectateurs s'étaient dissipés dans la nuit, chacun rentrant chez lui d'un pas pressé.

« Bon, on y va Andy ? J'ai cours de bonne heure demain. Si je rentre trop tard, je vais encore me faire agonir par mes vieux ! Déjà qu'ils n'étaient pas très chauds pour que je sorte ! » Karen se balançait d'un pied sur l'autre, grelottante.

Andrew grimaça. Il détestait ce surnom. Mais sa petite amie n'en faisait qu'à sa tête et il lui passait tout.

« Ok. Bon, bah, salut alors. A demain Josh ! » Une poignée de main à Joshua en haussant les épaules, la bise à Alyssa.

La jeune fille en fit de même et ils s'éloignèrent après une dernière boutade.

« Je te ramène ».

Ce n'était pas une question. Il n'était tout simplement pas question qu'Alyssa se balade seule à cette heure. Elle n'habitait pas très loin, mais tout de même. Et puis cela ne lui faisait pas un si grand détour. Ils prirent la route, continuant de parler cinématographie. Deux passionnés l'un l'autre. On aurait pu les prendre pour un couple au vu du bras qu'il avait passé tendrement sur ses épaules. Pourtant, sa meilleure amie avait fait une croix sur ses espoirs depuis longtemps.

Sa mère la guettait. Le petit mouvement de rideau la trahit. Finalement, elle vint ouvrir dès qu'ils furent sur le palier.

« Bonsoir Joshua. C'est gentil à toi de l'avoir ramenée »

« C'est normal, Madame »

« Tu veux une boisson chaude avant de rentrer ? »

« Non, c'est gentil, mais il vaut mieux que je rentre. Il se fait tard et mon père va m'attendre »

« Comme tu voudras. Alyssa, tu vas prendre froid. » Paroles qu'elle accompagna d'un geste de la tête vers la porte d'entrée avant de faire demi-tour elle-même.

Alyssa sourit à son ami.

« Désolée »

« C'est une mère » répondit-il en haussant les épaules. Une mère. Ça faisait belle lurette qu'il n'en avait plus, lui. Alors quand celle d'Alyssa jouait la maman poule, il trouvait cela plus attendrissant qu'envahissant.

« A demain, 8 h ? Je passe te prendre. »

Il s'approcha de la jeune femme et déposa un chaste baiser sur sa joue qu'elle lui rendit. « Ok, 8 h », avant qu'il ne dévale les quelques marches et s'éloigne. Un dernier regard en arrière. Alyssa leva la main pour le saluer.

Tapi contre le mur, accroupi, il est tétanisé de peur. Son blouson fourré ne peut même plus empêcher de longs frissons le parcourir. Il ne sent pas les mauvaises odeurs exhalées par les deux énormes containers qui l'entourent. Son cerveau fonctionne à l'envers.

Il ne veut plus voir, plus entendre. Le visage enfoui dans ses mains, un sanglot remonte sa gorge. Il contient difficilement ce dernier de sortir de sa bouche. Il ne faut pas se faire repérer. Il s'exhorte à se calmer. Difficile.

« Joshua… Joshua… réfléchis »

Malgré lui, ses yeux se rouvrent sur le malheureux spectacle juste au moment où le bruit d'une détonation se fait entendre. Un simple coup en l'air. Un gémissement étouffé. La terreur le paralyse toujours. Il voudrait pourtant être bien loin de cette ruelle. Pourquoi a-t-il fallu que pour une fois il s'autorise à prendre ce raccourci mal famé ? Il n'aurait pas été témoin de ce passage à tabac sur cet homme à l'attaché-case.

Il était déjà engagé dans la ruelle à peine éclairée quand il avait remarqué trois, quatre hommes un peu plus loin. Il ne s'était pas senti menacé tout de suite. Des hommes en uniforme, l'insigne de la ville. Au contraire. Jusqu'à ce qu'il aperçoive deux des flics menacer de leurs flingues ce passant très chic.

L'homme tentait de parlementer en vain. D'où il était il ne comprenait pas la teneur de la conversation animée, mais il se dégageait un climat lourd et anormal. Une impression bizarre, il n'aurait su dire pourquoi. Les autres policiers étaient à l'affût, comme en faute. Leur comportement intriguait fortement Joshua qui instinctivement cessa d'avancer et recula même pour se cacher dans les poubelles avant que l'un d'eux ne puisse le voir.

Ne sachant que faire, hésitant entre rester planqué et se téléporter en sécurité, il tend à présent prudemment le cou pour voir ce qu'il se passe. L'altercation semble prendre plus d'ampleur, le ton monte. Cette fois, sous ses yeux horrifiés, l'homme est abattu d'une simple et unique balle. Dans la tête. C'en est trop pour lui. Comme un diable qui sort de sa boîte, il bondit de sa cachette dans un cri sourd, attirant l'attention sur lui.

Profitant du faible effet de surprise, il se met à courir droit devant lui. Comme hypnotisé, il trouve le chemin le plus court qui le sépare de sa maison, tout en essayant de ruser pour ne pas être suivi jusque là-bas. Il n'a pas beaucoup d'avance. Il les a entendus quand ils se sont mis à courir derrière lui.

Serrant son trousseau dans sa main, à l'abri dans sa poche de blouson, il cherche déjà la bonne clé. Plus qu'à dégainer, insérer, tourner. La porte à peine refermée, il tire le verrou et la chaine de sécurité. Tremble. Un goût salé sur les lèvres, il ne s'est même pas rendu compte qu'il pleurait. Il panique.

C'est juste un répit. Ils le retrouveront. Il le sait. Devine qu'ils ne vont pas le lâcher comme ça, alors qu'il est le témoin de ce meurtre. Ils feront le tour du quartier, maison par maison, appartement par appartement, mais ils le dénicheront. Ils ont tous les moyens, contrairement à lui.

Il prie pour que son père ne descende pas, n'allume pas la maison.

« Josh ? Tu as vu l'heure ? Dépêche-toi d'aller te coucher »

« Ouii..i p'pa ». Sa voix tremble. Il essaie pourtant de prendre un air plus assuré pour lui répondre. « Je monte tout de suite »

Entendre la voix et le ton tendre de son père le fait trembler. Il réalise que pour rien au monde il ne souhaiterait être responsable de son tourment. Il ne supporterait pas non plus qu'il lui arrive quelque chose. Allongé sur son lit, il se tourne et se retourne.

Les yeux grands ouverts, incapable de les fermer sans voir apparaître aussitôt cette image abominable, il cherche. Que peut-il faire ? Attendre qu'on vienne le buter ? Lui ? Son père ? Se redressant d'un coup, il se lève et le plus silencieusement possible pour ne pas alerter ce dernier, ouvre son placard, sa commode, regroupe certains effets personnels et indispensables.

Voilà ce qu'il va faire. Disparaître. Empocher l'argent qu'il a à sa disposition. Il n'ira pas bien loin avec si peu. Puis la photo de ses parents qui trône sur sa table de chevet. Celle où sa mère est radieuse et où son père la couve du regard.

A l'aube, la boule au ventre, il n'a plus qu'à se faufiler hors de la maison, le strict nécessaire dans un sac à dos. Sans un regard en arrière. Ravagé de chagrin de quitter son père.

« Handler ! Eh, Chase ! »

Il se retourna vers l'homme qui l'apostrophait, un dossier au bout de son bras levé.

Il soupira en faisant demi-tour au deuxième appel. Adieu le gentil petit week-end à la campagne, pêche et repos au programme. Pourtant, il en avait bien besoin. Toutes ces recherches, ces gens qui disparaissaient, ces histoires de vies misérables… tout cela finissait par l'épuiser et il devait vraiment souffler régulièrement pour repartir de plus belle sur de nouvelles pistes.

Enfin, là il fallait oublier. Son supérieur lui tendit la chemise contenant un rapport et les quelques éléments à leur disposition.

« Désolé, Handler. Mais c'est urgent et t'es le meilleur. Un mineur qui serait mêlé à une histoire de meurtre. »

« Le meilleur, mon cul. Le seul pigeon encore dans les bureaux, ouais ! »

Gable tapota son épaule.

« T'es vraiment le meilleur. Tu le sais, je le sais. D'autant que c'est moi qui t'ai formé. S'il-te-plaît. J'ai vu le père, un chic bonhomme. Il est désespéré. Il n'a plus que lui au monde. »

« Ben voyons, après la lèche, la corde sensible maintenant. Ok, donne-le-moi. Je rentre étudier tout ça chez moi. J'ai besoin d'une bouffe et d'une douche. Je suis HS. »

« Merci Chase ! Promis, dès que tu as résolu cette affaire, je te laisse prendre des congés »

Handler était déjà de dos, en route vers l'ascenseur, et levait le bras pour le saluer.

« C'est ça ! » Marmonna-t-il en s'engouffrant dans la cabine.

Vingt minutes plus tard, il jeta négligemment le dossier sur la table de son salon et fila vers la cuisine. Mit un plat directement du congelo au micro-ondes. On verrait demain pour manger sain et équilibré. Puis s'empressa de remplir la gamelle de son chat qui ne faisait que le suivre et s'enrouler autour de ses jambes en miaulant, affamé.

Une fois son plateau prêt, il s'affala dans son canapé et zappa de longues minutes avant de trouver un programme digne de ce nom tout en dégustant tranquillement son repas. Vint le second moment tant attendu, la douche sous laquelle il resta un bon moment jusqu'à délasser complètement ses muscles noués.

Ceint simplement d'une serviette, il passa au salon récupérer les papiers qu'il avait négligé délibérément jusque là et alla s'installer au lit, bien calé contre ses oreillers, pour enfin prendre connaissance du contenu.

D'abord le rapport, détaillant la découverte du corps, une balle entre le deux yeux. Plutôt bien visé. Pas facile à réaliser et difficile de croire à un coup de bol. La main coupée, semblait-il pour récupérer une mallette. Le mobile ? Sûrement. L'arme n'avait pas été retrouvée.

Autre trouvaille aux alentours de la scène du crime, une carte de bibliothèque appartenant au jeune disparu, aperçu lors de sa fuite et pris en chasse par les policiers justement en patrouille dans une rue parallèle et qui étaient accouru au coup de feu.

La déposition du père. Ce dernier ne comprenait pas pourquoi son fils avait disparu. Ce dernier n'avait jamais tenu une arme de sa vie, n'avait aucune raison de voler cet homme et encore moins de le tuer. Son fils serait incapable de faire du mal intentionnellement. Elève consciencieux, sportif, un groupe d'amis fidèles, pas d'ennemis ni de problèmes connus. Pas d'antécédent délinquant. L'enfant modèle quoi.

Chase laissa choir le papier à côté de lui et dévisagea enfin le garçon sur le portrait couleur. Un joli petit mec semblait-il. Châtain, les yeux bleus, 17 ans et 1,77 mètre -selon le rapport-, bien bâti selon l'autre photo qu'il avait en sa possession où l'on pouvait l'apercevoir, souriant, lors d'un tournoi. En d'autres circonstances et un peu plus vieux, il aurait été tout à fait son genre.

Toujours est-il qu'à la fin de sa lecture, lui non plus n'entrevoyait pas trop la motivation du jeune homme à s'en prendre à ce passant. Pour quelqu'un qui à priori ne savait pas tirer, c'était un coup de maître, en une seule fois de plus ! Mais pourquoi avait-il pris la fuite s'il n'était pas coupable ?

Dès demain, il allait rencontrer en priorité le paternel et ses meilleurs amis, puis faire un tour à son lycée et son club sportif faire un petit sondage sur la personnalité du jeune homme, auprès de ses camarades et de ses professeurs.

Les parents n'étaient pas toujours au courant de tous les problèmes existentiels de leurs gamins et ignoraient parfois la drogue, l'alcool et autres chagrins d'amours les amenant parfois à des extrémités dramatiques. Plus d'un avaient été surpris quand ils lisaient son rapport ou dans les meilleurs des cas quand il arrivait à les ramener à la maison plus ou moins sains et saufs.

Un bâillement intempestif interrompit le rouage de ses méninges. Il était grand temps de relâcher la pression. Il rassembla les documents et zieuta une dernière fois le sourire du jeune homme avant de déposer le tout sur sa table de nuit. Joshua. Très joli prénom. C'est sur cette pensée qu'il sombra dans une nuit réparatrice.

La journée avait plutôt mal commencée avec un mal de crâne persévérant malgré les cachets qu'il avait ingurgités au saut du lit.

Il commença son enquête et ses visites, n'oubliant personne, notant chaque détail, chaque réponse qu'on pouvait lui apporter. Il écouta attentivement le portrait que chacun faisait de Joshua. Tous se rejoignaient pour le décrire comme un garçon sympathique, sans histoire.

Il finit sa tournée par le coach sportif qui ne tarit pas d'éloge sur sa recrue. « Dès qu'il met le pied sur le tapis, c'est un battant, le Joshua. Il ne baisse jamais les bras. D'où le nombre de matchs gagnés et de trophées remportés. En dehors de ça, contrastant avec son côté acharné à gagner, un caractère doux et sensible. Un gamin très agréable que j'apprécie beaucoup. J'espère que vous allez le retrouver. C'est un bon p'tit gars. »

Il avait appris en interrogeant Andrew Foster, Karen Brown et Alyssa Carter, ses trois meilleurs amis qui avaient été les derniers à le voir ce soir-là qu'ils avaient été diner et voir un film, qu'il avait raccompagné son amie Alyssa. Il sourit en se rappelant l'air de la jeune fille quand il l'avait questionné sur la nature de leur relation. Elle avait rougi.

« Non ! On est juste ami. De très bons amis. Il est très protecteur avec moi et on se confie tout. On est toujours ensemble mais ça n'a jamais été plus loin. »

Il avait deviné qu'elle aurait pourtant aimé. Quand il avait insisté pour savoir s'il en avait une et si elle pouvait lui donner son nom, ses joues étaient écarlates et gênée avait avoué :

« Je… même son père ne le sait pas. Personne ne sait. Vous ne le répéterez pas, hein ? Il m'a fait confiance et…»

« Quoi ? Il faut me le dire Alyssa. Je dois tout savoir de lui. Chaque révélation est importante si vous voulez que je le retrouve. »

« Eh bien, je ne vois pas ce que ça change pour l'enquête, mais en fait il… il n'aime pas les filles, si vous voyez … » Elle se triturait les doigts, sans oser le regarder.

« Il est gay, c'est cela ? »

« Oui. Mais il n'a pas de petit copain, hein ! C'est juste qu'il le sait c'est tout. Mais il n'a personne ça c'est sûr, il me l'aurait dit »

« Ok. Merci beaucoup Alyssa. Vous me permettez de le cerner un peu plus et cela peut m'aider. »

Après une enquête plus poussée auprès du voisinage, il s'était mis aux trousses du « fugueur », reniflant, cherchant le moindre témoignage et indice pour remonter jusqu'à lui. A l'aide de sa petite équipe, il avait observé les allées-venues dans les différents squats de la ville et il y en avait un certain nombre. Armé de sa photo, il avait interrogé les taxis, les gares routières jusqu'à retrouver petit à petit sa trace.

Aujourd'hui, il l'avait localisé. Le jeune homme avait trouvé refuge dans une autre ville. Maintenant, il devait réussir à l'aborder sans l'effrayer.

Tout au long de ses recherches, son parcours et ses actions le poussaient à penser que Joshua n'était pas un mauvais bougre et il lui devenait de plus en plus difficile de croire à sa culpabilité. Mais pour en être certain, encore fallait-il pouvoir l'interroger à ce sujet. Le petit était très méfiant et prudent d'après ce qu'il avait pu voir.

Chase s'arrêta acheter sandwichs et viennoiseries, ainsi que des boissons, puis un journal avant de se diriger vers le parc de la ville où il savait le trouver. C'est là que le jeune homme passait quasiment tout son temps quand le temps le lui permettait.

Aujourd'hui il faisait plutôt doux et beaucoup de mères avec leurs enfants avaient investi l'endroit. Il déambula dans les allées jusqu'à le repérer, assis sur un banc. Les coudes sur les genoux, il regardait dans le vide.

Il était pâle. Mais le détective repéra tout de suite les ecchymoses sur son visage, le blouson déchiré. Sans faire attention à lui, il s'assied sur le banc, posa son sac en papier entre lui et Joshua. Déplia un peu son journal qu'il commença à lire puis tâtonna sur le côté à la recherche d'un sandwich dans lequel il mordit avec appétit. Il exagéra son gémissement de contentement.

Il sentait les petits regards que Joshua lui lançait. Les effluves appétissants devaient lui chatouiller les narines et agacer son ventre qu'il devinait vide. A la moitié, il se tourna vers lui et surprit la lueur d'envie qui fixait sa main. En souriant, toujours en silence, il saisit le sac qu'il offrit au jeune homme.

« Vas-y ! Sers-toi ! J'en ai pris deux fois trop de toute façon»

Chase ouvrit deux canettes de soda dont une qu'il offrit à Joshua.

Il retourna à sa lecture tandis que le jeune homme s'était jeté sur la nourriture et avalait consciencieusement son repas, bénissant ce jour de chance et cet homme. La bouche encore pleine, il se resservit d'un gâteau qu'il mit dans sa poche discrètement. Mais l'homme l'avait vu faire.

« Tu pourras garder tout le reste si tu veux »

« Ah… Merci » répondit-il, rougissant. Il n'aimait pas cette idée de faire l'aumône. Mais c'était si difficile de manger correctement. La plupart du temps, il vivait des restes qu'il récupérait, alors pour une fois qu'on lui offrait un repas tout droit sorti du magasin et non entamé, il n'allait pas faire le délicat et bouder son plaisir.

Le ventre plein, il sentait une douce torpeur l'envahir. Les rayons du soleil étaient bien agréables en cet après-midi et il se serait bien laissé aller. Mais depuis son agression, il avait peur de s'endormir et d'être vulnérable. Son voisin semblait pourtant inoffensif et plutôt gentil. Le dos bien calé au dossier du banc, la tête légèrement en arrière. Il était drôlement mignon, blond, les yeux bleus, et on ne lui donnait pas 30 ans.

Chase l'observait lui aussi discrètement. Il avait tout de l'innocence. Même si son boulot lui avait appris qu'il fallait se méfier des apparences, il était troublé par la petite étincelle de peur qu'il avait surpris au fond de ses yeux.

Il se décida à lui tendre la main.

« Je m'appelle Chase. Chase Handler. »

Joshua hésita, puis lui serra la main, un peu timidement.

« Joshua » fut tout ce qu'il prononça. Après avoir fixé quelques secondes au-delà de son épaule, Chase le vit se lever, l'air apeuré, et tourner les talons précipitamment.

Lui-même regarda sur le côté pour apercevoir deux policiers en patrouille. Il était vrai qu'ils n'avaient guère l'air engageant. Sans perdre plus de temps, il quitta à son tour le banc et suivit le jeune homme. Il n'était pas question de perdre sa trace. Le gosse se retourna trois, quatre fois, mais il savait faire une filature sans se faire repérer. Il le suivit un moment à distance jusqu'à ce qu'il tourne dans une ruelle.

Handler accéléra souplement et parvint à le coincer contre le mur. Joshua se débattait comme un beau diable et criait, à la fois mort de trouille, à la fois porté par cette peur.

« Lâchez-moi ! Qu'est-ce que vous voulez ? »

Prestement, le flic sortit ses menottes qu'il lui claqua sur les poignets, tout en continuant de le maintenir fermement, une jambe entre les siennes.

« Ferme-là deux secondes ! ». D'une main, il saisit dans sa poche intérieure la photo que le père lui avait confiée et lui colla sous les yeux.

« On peut parler ? Je suis là pour t'aider, pas pour t'enfoncer. Ton père s'inquiète énormément, tu sais. »

Il le vit tressaillir, blanchir et d'une voix tremblante « Qui… Qui êtes vous ? … Mon… mon père ? Il… ? »

« Il va bien. Mais il aimerait te revoir très vite et comprendre ta fuite»

Josh baissa la tête, mais le détective avait eu le temps d'apercevoir son regard brillant.

« Ok, tu m'écoutes. Je m'appelle bien Chase Handler. Je suis flic et je vais te ramener à bon port avant qu'il ne t'arrive des bricoles »

« Non ! » Complètement affolé, le jeune homme se tortilla dans tous les sens, cherchant à se dégager. Il ne fallait pas… Il ne devait pas retourner là-bas. Et lui, c'était un flic ! Comme eux ! Il lui mentait quand il disait qu'il voulait l'aider ! Ils l'avaient retrouvé et jamais il ne reverrait son père.

« Putain ! Mais arrête ! » Ses doigts enserrèrent son menton fermement afin de pouvoir le regarder dans les yeux.

« Maintenant, tu vas m'expliquer ce qu'il s'est passé. De quoi tu as peur ? »

Devant son mutisme, il tenta autre chose. Il retira sa main et s'écarta un peu de lui. « Je te laisse un peu d'espace mais réponds-moi. Réfléchis, si je te voulais du mal, je n'aurais qu'à sortir mon arme et t'éliminer ici-même. Les rats seraient ravis, remarque ! Ils ont l'air à l'affût »

« Comment avez-vous eu ma photo ? Mon père va bien ? » Demanda-t-il après quelques instants de réflexion. Effectivement, rien n'empêchait cet homme de le flinguer tout de suite. Et s'il disait vrai ? S'il pouvait réellement lui faire confiance, l'aider ? La tentation était trop forte d'avoir des nouvelles de son père.

« Je te l'ai dit. Il va très bien, mis à part le fait qu'il est désespéré que son fils se soit tiré sans aucune explication. Il se fait un sang d'encre. D'autant que tu es plus ou moins mis en cause dans une affaire de meurtre. »

« Non ! Je n'ai rien fait ! Je… » Il se mit à trembler très fortement. « Je n'ai rien fait » Sa voix s'était faite fluette.

« Je veux bien te croire. Mais… Si tu n'es pour rien dans cette affaire, pourquoi tu t'es barré ? »

« Les flics » chuchota-t-il, en fermant les yeux très forts et en priant.

« Les flics ? »

Joshua hocha la tête. « Oui. Je revenais de chez ma copine quand je les ai vus dans la ruelle. Ils… ils s'engueulaient avec un type. Le genre friqué. Je crois qu'ils voulaient sa mallette et » Il hésitait encore.

« Tu en as trop dit ou pas assez, Josh. Qu'est-ce qu'il s'est passé après ? »

Le prisonnier releva brusquement la tête et s'écria :

« Ils l'ont buté ! Une balle dans la tête ! et… et ». Il bégayait, revivant la scène comme s'il y était encore. « Et ensuite, j'ai couru, mais ils m'ont vu. Je sav ais qu'ils arriveraient à me retrouver. Je ne voulais pas qu'ils s'en prennent à mon père ». Il parlait de plus en plus vite, essoufflé. « C'était des flics, on ne me croira pas ».

Chase le dévisageait attentivement tout au long de son explication.

« Moi, je te crois, Joshua. ».

Les épaules de ce dernier s'affaissèrent, et les sanglots se libérèrent brusquement.

Il le regardait et sa vulnérabilité l'émut. Il s'avança et le prit dans ses bras dans un geste de réconfort. Il ne mettait pas en doute son histoire. Pas une seconde il ne lui serait venu à l'esprit qu'il pouvait lui mentir. Non. Il était sincère. Complètement paumé. Son envie de le protéger s'accrut. Pire. Le parfum de ses cheveux, son corps contre lui, jeune mais viril, le troublait.

Chase inspira fortement, desserra son étreinte comme Joshua se calmait petit à petit. Sortit les clés et ouvrit les pinces qui entravaient encore ce dernier.

« Joshua. Maintenant je vais être sérieux. Je te crois et je vais t'aider. Mais pour cela, tu fais tout ce que je te dis. Tu entends ? Tu ne discutes pas. Si ce que tu dis, pardon, avec ce que tu dis, il va falloir jouer serrer pour que tu arrives à lâcher ta version et coincer ces pourris. Tu me fais entièrement confiance ? »

Il hocha la tête, tout en massant ses poignets.

« Pour commencer, on va à l'hôtel. Tu vas prendre une bonne douche, tu en as besoin. Te changer aussi. »

….

« Gable ? C'est Handler ! Tu pourras me donner la recette des macarons à mon retour ? »

Joshua sortait tout juste de la salle de bain. Il le fixa, écarquillant les yeux. Il parlait cuisine quand lui risquait sa peau ? C'était une blague ?

« Handler ? Tu… » Gable n'en revenait pas ! Des années qu'ils n'avaient pas utilisé ce code.

« Oui. »

« Ok. Mais tu m'inviteras pour la dégustation. »

« Sans problème. Gable, c'est urgent. Merci »

« Très bien. Je te préparerai ça. Ah, et tu te mets au vert dès que tu rentres ? Tu l'as mérité »

« Exactement ce que je pensais. Bye. »

« Prends soin de toi. »

Cela faisait des jours qu'il suivait les directives de Chase sans broncher.

Quand enfin il poussa la porte, ils purent enfin relâcher la pression. Au moins pour cette nuit. Jamais ils ne penseraient le trouver là, chez un flic.

Personne ne connaissait ce lieu d'abord, mais il fallait se méfier. Quand les rats étaient à l'affût, ils trouvaient toujours de quoi se mettre sous la dent. C'est pourquoi Chase avait pris toutes les précautions possibles.

« Ce n'est pas très grand, mais c'est plutôt confortable. » Le flic poussait les portes et lui désignait les pièces une à une.

« Si tu veux prendre une douche, les serviettes sont là. Sers-toi de tout ce que tu as besoin »

« Et pour dormir ? »

« Prends mon lit. Toute façon, il n'y a que celui-là »

« Ah…euh, d'accord. Mais vous ? » Pourquoi rougissait-il à chaque fois. Il se battrait tellement il se trouvait stupide. Mais l'idée de dormir dans ses draps le retournait. Sur le chemin du retour, une certaine tension, qu'il pouvait qualifier de sexuelle malgré son inexpérience, s'était instaurée entre eux et s'intensifiait graduellement.

« Canapé » Il avait déjà tourné les talons.

Il le rejoignit dans la pièce principale quelques instants plus tard. Son hôte avait préparé un grand plateau et regardait la télévision, une assiette à la main. Il vint s'asseoir près de lui et se servit également.

Une fois son estomac plein, il se sentit bien mieux. S'adossa complètement et se laissa rêver. En d'autres circonstances, il aimerait tout à fait ce cadre de vie. Un nid douillet, un homme à la maison. Une vie simple. C'est tout ce qu'il demandait, lui. A ses côtés, l'homme en question zappait, lui aussi bien au fond du canapé. Jusqu'à tomber sur un programme qui lui brûla les joues encore une fois.

Chase s'empressa de changer la chaîne, lui aussi très gêné. Cela faisait des jours que ses hormones faisaient le grand huit avec ce môme plus tentant que le diable. Alors même un film de cul pour hétéro risquait de l'envoyer au 7ème ciel.

Ses grands yeux noyés de confiance totale le chaviraient. Parfois, il y voyait même un peu d'admiration. Il ne le méritait pas pourtant. Il avait juste envie de le mettre dans son pieu. Il retint un sourire. Il allait y être d'ailleurs et dès ce soir. Mais seul.

« Bon… Je vais aller me coucher alors… à demain »

« A demain, Joshua »

Il reprit son zapping dès qu'il eut passé la porte. Pour en revenir à chaque fois au fameux film. Il ferma les yeux et se caressa, préférant s'imaginer ses propres personnages. Masculins. Mais l'image du jeune homme se superposait sans cesse.

« Merde ! Fais chier »

D'un coup de télécommande, il arrêta la télé et jeta la manette sur la table, avant de s'allonger, un bras sur les yeux.

Longtemps, il ressassa et marmonna sur sa propre connerie avant de pouvoir trouver le sommeil.

Longtemps, il se tourna, encore et encore. Avant de prendre une décision. Suivre son instinct. Se manger un coup de poing dans la gueule au pire, ou vivre avec des regrets ? Sans se laisser le temps de changer d'avis, il tâtonna dans le couloir jusqu'à se trouver à côté de lui.

Il l'observa d'abord dormir, avant de se glisser doucement contre lui. Mais un flic ne dort jamais sur ses deux oreilles. Chase l'avait déjà entendu s'approcher mais n'avait pas bronché.

« Qu'est-ce que tu fous ? »

Joshua sursauta, surpris. Se mit à bégayer pour ne rien dire de compréhensible. Il se sentait s'enfoncer. Alors il fit ce qu'il ne pensait jamais oser faire. Poser ses lèvres dans son cou et espérer. Il picora maladroitement de ci de là, se rendant à peine compte de l'affolement soudain du cœur de Chase.

« Josh »

Il s'enhardissait. Sa main se posa sur une cuisse et remonta sur le tissu rêche du jean. C'était enivrant. Pour la première fois de sa vie, il faisait ce qu'il avait tant envie de faire. Toucher un autre homme. Intimement.

« Josh…On ne peut pas » souffla l'ainé.

Il releva la tête et rencontra un regard fiévreux. Il n'avait aucune expérience, mais ces yeux-là lui disaient tout son désir. Il en aurait mis sa main à couper. Non seulement, il ne l'avait pas violemment repoussé, mais il était très loin de se débattre. Une confiance en lui toute neuve le poussa à continuer.

« Si… On peut. Je suis plus que consentant. Et je serais majeur dans quelques jours si c'est ce qui te gêne. Personne ne le saura. » Chaque phrase était ponctuée d'un baiser. Et sa main avait frôlé le renflement du pantalon.

Comment pourrait-il encore résister ? Chase ne se posa plus la question. Il se redressa à moitié et de sa main attira le jeune par la nuque. Posa ses lèvres sur sa bouche tiède. Ils partagèrent le même souffle. La même envie. Le même plaisir. Juste deux hommes à égalité devant leur désir.

D'un coup, le flic s'éloigna, aux aguets.

« Dans la chambre ! Et tu ne bouges sous aucun prétexte. Tu as compris ? »

« Mais… qu'est-ce qu'il se passe ? Chase ? »

« Fais-ce que je te dis. Tout de suite. »

Il atténua son ton autoritaire d'une caresse sur sa joue. Il avait déjà récupéré son flingue et l'accompagna, écoutant le moindre bruit.

Une fois le jeune homme enfermé dans la pièce dont il avait vérifié la sécurité, il repartit vers l'entrée en maugréant intérieurement. Il sursauta quand la porte fut cognée violemment. Et souffla aussitôt de soulagement en reconnaissant la douce voix de Gable.

« Putain Chase ! Ouvre ! Ca caille là ! »

« Ravi de te voir moi aussi ! Tu m'as foutu la trouille ! Qu'est-ce que tu fais ici ? » Le battant s'ouvrit sur un Chase débraillé, l'arme au poing, s'assurant que son supérieur était bien seul.

« Personne ne m'a suivi, t'inquiète ! Mais il fallait que je te parle et le meilleur moyen de ne pas avoir d'oreille indiscrète était de venir directement. Bon, je peux entrer ou je me change en statue sur le seuil ? »

Chase le laissa passer et referma soigneusement derrière eux. Rangea son revolver à l'arrière de son jean.

« T'aurais pas un café par hasard ? Et il est où le gosse ? »

« Dans ma chambre » lui répondit le détective en ouvrant les placards pour lui préparer une tasse.

Gable haussa un sourcil ironique, connaissant les penchants de celui-ci.

« Il n'était pas mineur aux dernières nouvelles ? T'as pas fait de conneries, hein ? Parce que je ne pourrais pas couvrir ce genre d'affaires, tu le sais. »

« Tu me prends pour qui ! Il est dans ma chambre simplement parce que je lui ai laissée pour la nuit. Je dors sur le canapé. »

« Mouais, je préfère »

« Tiens, ton café. Je vais aller le voir, parce qu'il doit crever de trouille, le pauvre. Avec ton arrivée, c'était un peu la panique »

« De toute façon, j'aimerais lui parler, qu'il me raconte sa version. J'ai mené ma petite enquête de mon côté, suite à ton appel. Une histoire de corruption semble-t-il et j'ai bien l'intention de faire tomber ces pourris. J'ai un plan mais pour ça, j'ai besoin du gamin. »

Chase frémit. « Un appât ? »

Quand son chef opina, il blêmit, espérant que Gable ne s'en apercevrait pas.

« J'espère qu'il acceptera. C'est la seule solution pour les coincer et les prendre en flagrant délit. »

« Il est intelligent. Il saura prendre la bonne décision. »

Joshua n'avait jamais eu si peur de toute sa vie. Il avait tremblé de tous ses membres. Le plan dans lequel il avait joué le premier rôle était bien rôdé, il le savait. Il était entre les mains des meilleurs flics de la ville, intègres eux. De toute façon, il n'avait pas eu le choix. Il avait espéré avoir eu raison d'avoir fait confiance au patron de Chase et se félicitait maintenant. Les coupables étaient sous les verrous. Tout serait bientôt fini avec le procès, il serait blanchi. Et puis il allait enfin revoir son père.

Mais avant, il voulait le voir, lui. Il le trouva dans son bureau. Referma la porte sur lui. Sans un mot se dirigea vers Chase, qui ne le quittait pas du regard et qui s'était levé à son entrée.

Ils étaient si près… Josh résista à son envie de l'embrasser. De toute façon, Chase ne l'aurait pas laissé faire. Il le savait.

« Dans 3 jours. Dans 3 jours, je serai majeur. Chase… je » A présent il hésitait, ne sachant plus comment lui dire ce qu'il attendait.

Ils étaient si près… Leurs souffles se mélangeaient. Leurs lèvres se frôlaient à chaque parole. Chase se retint de l'embrasser. S'il avait commencé, il n'aurait pu s'arrêter. Il avait tellement envie de lui.

« Dans 3 jours, Josh… »

Ils étaient là, assis sur le ponton à quelques mètres du chalet, attendant que le soleil se lève de nouveau. Les mains jointes, ils s'embrassaient. Enfin libres de s'aimer. A l'aube d'une nouvelle aventure.

FIN