Cet OS a été écrit dans le cadre des Nuits du Lemon organisées par la Ficothèque Ardente. Le thème était ici les maisons hantées avec comme mots imposés « glacial », « enfant » et « grimacer ». Il fallait également user d'humour.
Certains reconnaîtront peut-être une référence au livre Marina, de Carlos Ruiz Záfon, il m'a un peu inspirée…
Rencontres inattendues
Margaux grimaça. Quelle idée, non mais quelle idée. Et pourquoi elle le suivait encore dans ses bêtises. Non mais, vraiment, pourquoi le suivait-elle encore ? Parfois, elle se le demandait. Des années qu'il la traînait dans toutes ses folies, et qu'elle le suivait sans rien dire, sans protester, simplement parce qu'il le lui demandait.
Enfin cette fois-ci, c'était tout de même assez différent. Parce qu'escalader des petits monts pour aller voir le coucher de soleil de plus près, faire un foot après les cours à s'en trouer le jean parce qu'elle tombait à chaque fois, ou se baigner alors qu'il faisait froid, ça allait encore. Mais entrer dans une propriété privée tout ça parce qu'on disait qu'elle était hantée, c'était autre chose.
Ils se connaissaient depuis toujours. Ils avaient été à la maternelle ensuite, puis à l'école primaire du village avant de faire un cirque à leurs parents pour être inscrits dans le même collège de la ville à quelques kilomètres de là. Ils avaient poursuivi dans le même lycée et c'était leur dernier été avant de se séparer enfin, chacun allant dans une ville différente pour leurs études supérieures.
Depuis toujours, ils avaient fait les quatre cents coups et en grandissant, on les avait souvent pris pour amoureux. Ils n'étaient que de très bons amis qui avaient gardé leur âme d'enfant. Et à présent, Margaux se retrouvait frissonnante dans son pull dans le jardin d'une maison soi-disant hantée. Ils avaient attendu chacun que la nuit tombe à peine sur le village pour prétexter une balade en plein air.
Ils venaient d'escalader la grille branlante et elle s'était un peu écorché la main. Elle la frotta contre son pantalon et quelque part, savoir qu'elle venait d'y mettre du sang la fit trembler. Ça n'était pourtant rien et ça n'allait rien changer mais dans ce contexte, elle n'aimait pas trop ça.
Elle fit deux pas en avant, en prenant garde de ne pas trébucher contre une racine d'arbre. Elle devait avouer que c'était vraiment un endroit lugubre. Elle comprenait les mythes qui le disaient hanté. On était plutôt du genre superstitieux par ici, et il n'avait pas fallu longtemps avant que cette maison ne soit catégorisée.
Ils avaient entendu tout un tas d'histoires dessus. On disait qu'un savant avait habité là un jour et qu'il n'avait jamais fait aboutir ses projets. Il était parti avec ses mystères un jour sans que personne n'y prenne vraiment garde. Depuis, la maison n'avait jamais été habitée de nouveau.
Alors qu'elle restait figée à observer ce grand manoir silencieux, Robin prit sa main pour l'entraîner à sa découverte. Ils forcèrent un peu sur la porte d'entrée, mais celle-ci n'était pas fermée. Apparemment, ça n'était pas venu à l'esprit de l'ancien propriétaire.
« Il devait être aussi fou que ses inventions. » plaisanta le jeune homme avant de serrer un peu plus sa main, conscient qu'elle n'était pas rassurée.
Pourtant, la jeune femme n'était pas superstitieuse comme tous ceux du village, eux avaient grandi en ville, là où les contes de bonne femme avaient moins leur place, mais elle n'était pas rassurée. Ils entrèrent enfin dans le hall. Un bouton leur alluma une vieille ampoule pendant, nue, au plafond.
Il faisait glacial à l'intérieur. La tapisserie était défraîchie, elle avait dû être beige autrefois mais à présent, elle tirait plus sur le marronnasse, avec de minuscules motifs un peu effacés. Un escalier en bois menait directement au premier étage mais ce furent les pièces en face d'eux qui attirèrent d'abord l'attention de son ami. Il faisait sombre, la lumière de l'entrée n'éclairait pas cette pièce de son halo et à tâtons, aucun d'eux ne trouva d'interrupteur. Ils avancèrent donc dans le noir quand un craquement se fit entendre.
« C'était quoi ça ? » sursauta Margaux.
« Mon pied sur une planche de parquet vieille d'au moins cinquante ans. » se moqua le jeune homme.
« T'es bête… » Grogna-t-elle en réponse.
Tous les meubles de la pièce étaient recouverts par des draps posés à la va-vite, comme si on avait voulu tout masquer avant de partir. Comme si quelque chose qui ne devrait pas se trouver là s'y cachait, en déduit aussitôt le jeune homme. Il lâcha alors la main de son amie, plantée au milieu de la pièce pour s'activer fébrilement autour des pièces de tissu. Il en releva une première, dévoilant ainsi un piano droit sur le tabouret duquel la jeune femme s'assit. Machinalement, elle releva le couvercle et effleura les touches en ivoire.
Elle joua quelques notes tandis que Robin dévoilait d'autres meubles. Une table en bois massif, un vieux rocking-chair, une commode en cerisier, un vieux miroir ovale sur pied. Petit à petit, les draps se dévoilèrent et l'enchantement de la pièce cessa. Il n'y avait là rien d'illicite, rien d'étrange, rien de chimiste, dans ce salon des années cinquante. Il restait encore un dernier carré de tissu, plus petit, mais le jeune homme hésita. Cela valait-il la peine ? Il avait déjà l'impression d'être enseveli par la poussière et il n'y avait rien de miraculeux dans cet endroit, à part les quelques notes de musique que jouait Margaux et qui enchantaient ses oreilles.
La jeune femme se pressa d'ailleurs à ses côtés, pour voir ce qui l'intriguait et obtenir un peu de chaleur. En mettant son bras autour de son épaule pour la rassurer, il se rendit compte qu'elle était gelée. Le piano continuait de jouer et sa musique était de plus en plus envoûtante. Margaux jouait vraiment comme…
« Mais, tu n'es pas au piano ? »
« Ben non, puisque je suis avec toi, gros nigaud. »
« Mais alors qui joue ? »
Ils se retournèrent d'un même mouvement, sans rien distinguer cependant dans l'ombre. Le mouvement du jeune homme souleva le drap et une nuée de papillons noirs s'envolèrent. Robin et Margaux se baissèrent rapidement, avant d'être happés par cette vague de papillons qui sortaient de nulle part. ils coururent pour sortir de la maison, se protégeant à grand peine de leur bras et se retrouvèrent à leur point de départ, devant le manoir. Les papillons s'égayèrent autour d'eux et bientôt, ce fut comme si de rien n'était.
« Tu as vu ça ? Tu as vu comme moi ? »
« Ça aurait été difficile de les louper, vu le nombre. Tu crois que c'est le savant qui les gardait là ? »
« Pourquoi pas après tout… Je n'en avais encore jamais vu de noirs… Il faisait peut-être des expériences dessus ! Dommage qu'on ne les ai pas vus de plus près… »
« Je ne retournerai pas dans cette maison ! »
« Oh allez… on peut aller voir derrière, au moins, dans le jardin ? »
La jeune femme bougonna mais céda. Elle cédait toujours de toute façon. Ils contournèrent la maison et découvrirent sur le côté une verrière endommagée. Des débris de verre gisaient çà et là. Alors qu'ils cherchaient à s'aventurer à l'intérieur, une autre nuée de papillons s'envola. Ils poussèrent un cri avant de partir en courant dans le jardin.
Après avoir trébuché contre quelques racines et contourné des rosiers, ils se retrouvèrent derrière un buisson, haletant et en sueur.
« Tu crois qu'on les a encore semés ? » s'inquiéta Margaux.
« Ouais, j'espère, au moins, c'était marrant. Ça m'intrigue tout ça n'empêche. » répondit le jeune homme.
Il vit la jeune femme frissonner encore et la rapprocha de lui.
« Tu as vraiment toujours froid toi… tout ça pour que je te prenne dans mes bras. Mais trouve-toi donc un mec pour ça ! » Plaisanta-t-il.
Elle releva la tête pour lui sourire. C'était une blague entre eux, chaque fois que l'un était en manque de tendresse, il allait voir l'autre qui faisait semblant de l'envoyer balader. Mais cette fois-ci, quelque chose était différent. C'était par peur qu'elle se rapprochait de lui et elle aurait voulu rester contre son torse encore quelques minutes. Ne pas bouger de ce buisson bien tranquille derrière lequel cette maison ne la poursuivrait plus.
Il croisa son regard. Elle avait vraiment l'air apeurée. Peut-être que cette fois-ci, il était allé un peu trop loin. Il la serra plus fort contre lui et posa un baiser sur son front. Elle tremblait un peu moins. Il lui chuchota des paroles rassurantes à l'oreille et sa joue frotta contre la sienne. Inconsciemment, sa bouche embrassa la sienne et il fut perdu.
Depuis quand ressentait-il ce qu'il venait de sentir ? Depuis quand était-il amoureux de sa propre amie d'enfance ? Depuis quand avait-il envie de l'embrasser ? Depuis quand se cherchaient-ils tous les deux ? Trop de questions. Pas assez de réponses.
Il l'embrassa à nouveau, voyant qu'elle ne réagissait pas plus que lui, et en eut la confirmation. Il était attiré par Margaux. Il fallait dire que d'un point de vue extérieur, c'était une sacrément jolie fille. Mais il ne l'avait jamais vraiment regardée comme ça, c'était… enfin c'était Margaux quoi. Il n'allait pas reluquer sa meilleure amie. Ça ne se faisait pas tellement et si elle l'avait remarqué, il pouvait être sûr qu'il aurait eu le crâne fracassé contre un bouquin.
Mais là c'était différent. Là c'était dans l'urgence de la situation. Dans leur peur commune avec cette maison pas très nette. Dans leur peur de se séparer aussi. Quelques mois à peine et ils seraient séparés pour la première fois. Ils ne savaient même pas encore comment ils allaient faire pour se voir, s'ils pourraient. Et voilà qu'ils en étaient à s'embrasser à perdre haleine.
Il la plaqua contre elle et l'embrassa encore. Peu importait ce qui se passerait ensuite. Ils verraient. Ils avaient toujours réussi, ils réussiraient encore. Sa main s'égara dans ses cheveux alors qu'une autre serrait sa taille. Il sentait son corps lui communiquer sa chaleur et elle se réchauffait au fur et à mesure du temps passé entre ses bras.
Il accentua son emprise sur sa taille pour l'allonger au sol et poser son corps sur le sien. Sa main s'égara le long de son pull, descendit vers un sein emprisonné par les multiples couches de tissu avant de passer sous la barrière de laine. Son souffle devient plus court. Jamais il n'aurait pensé la toucher ainsi. Et pourtant, il en avait envie comme ça n'était pas possible. Il effleura de la paume sa peau douce, remonta encore et prit un sein en coupe.
Elle passait ses mains dans son dos et il adorait ça. Il l'embrassait encore et encore, fermant les yeux, comme s'il avait peur que les ouvrir efface ce songe éveillé. Des feuilles mortes craquaient sous leur poids. Il faisait froid. il se contenta alors de caresser la chair qui s'offrait à lui sans déshabiller sa compagne, de peur qu'ils attrapent froid. sa peau était devenue chaude et si attirante.
Maladroitement, il retira sa main, s'emmêla dans les couches de vêtements de la jeune femme pour déboutonner son pantalon et le sien. En avait-elle envie autant que lui ? Ne rêvait-il pas encore ? Il osa enfin plonger son regard dans le sien et y lut de l'approbation. Il s'enhardit alors et écarta les tissus gênants. Il caressa sa joue avant de pousser la barrière de son intimité.
Ses mouvements étaient désordonnés, malhabiles. Ça n'était pas important. Ça n'était pas le plus important. Ça n'était pas ce qui comptait. Non, ce qui comptait, c'était ce qu'il ressentait et l'imaginait ressentir aussi. Cette vague de chaleur qui le réchauffait de l'intérieur et consumait son corps. Il la sentait monter et monter encore, jusqu'à le prendre tout entier et le laisser pantelant. Il l'embrassa une dernière fois avant de rendre grâce.
Margaux était belle, et elle avait eu son âme.