Cet OS a été écrit dans le cadre des Nuits du Lemon de la Ficothèque Ardente. Le thème était les sorcières, avec pour mots imposés « danser », « amulette » et « ténèbres ». De plus, il fallait écrire un yuri. Ceci tient lieu d'avertissement face au contenu qui suit.
Brûlée vive
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Aimer. Ça avait été son seul crime. Etre amoureuse. Pouvait-on brûler dans les flammes de l'Enfer pour ça ? Côtoyer les ténèbres pendant l'éternité pour un baiser ? Apparemment oui. Le pouvoir des hommes n'avait plus de limites. Pire, on invoquait le pouvoir de Dieu pour régler ses comptes et se faire justice.
Madeleine ne pleurait pas. Elle était résignée. Elle n'avait de toute façon aucune chance de s'en sortir. Ils avaient serré ses liens si fort qu'elle ne pourrait jamais les défaire. Sa robe de bure la grattait horriblement mais elle n'y pouvait rien. Ses cheveux avaient été détachés et balayaient ses épaules et son visage. Elle n'avait plus aucun contrôle sur ce qu'elle était. Il ne lui restait qu'à attendre. Attendre en silence. Elle ne leur ferait pas le plaisir de crier. Jamais. Et jamais elle n'avouerait être ce qu'elle n'était pas. Elle ne soulagerait pas leur conscience s'ils en avaient encore une.
Ses mains étaient écorchées par la corde. Ses bras la tiraient et ses épaules lui faisaient mal. Ses pieds n'étaient liés qu'entre eux mais de toute façon, à quoi bon faire plus. Ça ne la retiendrait pas plus qu'elle n'était déjà prisonnière. Elle ne s'enfuirait pas. Pas tellement par fierté ou par envie d'affronter son destin mais surtout parce qu'elle n'avait pas les pouvoirs dont ils la dotaient. Elle n'était pas une sorcière. Elle ne le serait jamais. Jamais elle n'avait préparé de filtre ou d'onguent, elle ne vendait pas d'amulettes, ne connaissait aucun sort, aucune potion, elle n'était même pas herboriste !
Elle n'était qu'une simple femme de chambre. Une simple jeune femme qui travaillait dans la même maison depuis plusieurs années et qui avait toujours été irréprochable. Toujours ? Non. Pas toujours. Il fallait l'avouer. Mais ça n'était pas de sa faute. Pas complètement. Elle aimait. Et l'amour ne prévient pas, n'est-ce pas ?
Sans doute cela aurait-il pu lui être évité s'il s'était s'agit d'une autre personne. Mais c'était elle qui l'avait attirée. Elle était la fille de ses maîtres. Elle avait le même âge qu'elle, presque exactement. Madeleine ne savait de toute façon pas quand elle était née exactement. Elle était belle et Madeleine était à son service. Elle lui devait tout et devait lui obéir en tout. Même en ça.
Au début, elle avait rechigné. Ça n'était pas parce qu'elle était servante qu'elle devait faire ça. Pourtant, c'était la coutume. On vendait son corps autant que ses mains et son savoir-faire. On vendait sa vie pour quelques miettes de pain. Elle avait vendu la sienne comme les autres. Mais ça n'était pas moral, et ça la gênait. Ça ne se faisait pas et elles allaient être punies par le Seigneur.
Elle avait fini par se soumettre. Par accepter ces rendez-vous quotidiens qui étaient moins pour ajuster la tenue de sa maîtresse que pour la déshabiller. Par accepter ces caresses sur son corps. Elle n'était plus vierge et elle devait dire que le toucher de cette femme l'électrisait. Il était si différent de celui d'un homme.
Madeleine se souvenait encore des doigts qui effleuraient sa peau, de cette paume qui prenait en coupe un sein pour en titiller le mamelon avant de l'embrasser et de le suçoter. De cette autre main qui se glissait un chemin sous ses jupons pour y caresser son intimité. De ses gémissements qui emplissaient la pièce et la faisait rougir au début avant de l'exciter un peu plus. Elle se souvenait avoir fini par répondre à ces caresses pour faire gémir à son tour sa maîtresse. Avoir enfoui sa tête sous ses jupons pour embrasser sa toison et caresser son bouton de plaisir de sa langue. Elle se souvenait de tous ces gestes amoureux qu'elles avaient mille fois répétés. De ces doigts dans une intimité ou l'autre, qui leur procuraient bien plus de plaisir que le sexe d'un homme. Des baisers échangés pendant qu'elles se rajustaient rapidement et reprenaient leur souffle.
Elle n'avait rien oublié. Et elle n'oublierait jamais rien. Elle ne regrettait rien. Pas même le regard courroucé de du père de sa maîtresse quand il les avait surprises un soir. La façon si rude dont il l'avait congédiée. Contrairement à sa fille et à beaucoup d'autres, il n'avait jamais posé la main sur elle. Mais savoir que son enfant l'avait fait avait dû être pire affront.
D'autant que là on ne pouvait pas dire qu'il les avait prises pendant un baiser chaste. La jeune femme sourit à ce souvenir. Sa petite victoire. Elle mourrait bientôt mais resterait impérissable dans l'esprit de cet homme. Il se souviendrait à jamais de cette jeune femme qui avait embrassé si intimement sa propre fille, de celle qui avait posé ses mains là où aucun homme encore ne l'avait fait, de celle qui l'avait souillée de son plaisir et l'avait enchantée de ses gémissement, de celle qui avait embrassé sa poitrine à pleine bouche et caressé ses seins comme les plus précieux des biens.
Il n'oublierait jamais son visage pâle et sa chevelure rousse qui l'avaient désignée comme sorcière. Il n'oublierait jamais les accusations qu'il avait proférées à son encontre auprès des autorités de la ville. Il n'oublierait jamais qu'il avait fait brûler une innocente en espérant protéger sa fille de l'amour qui la rongeait. Il n'oublierait jamais la haine dans les yeux de cette dernière.
Le bourreau s'approcha. Il jeta une torche sur le tas de bois sur lequel elle se tenait. Elle allait brûler. Brûler comme la sorcière qu'elle n'était pas. Elle avait aimé à embraser son âme. Les flammes commençaient à danser devant ses yeux. La fumée envahissait ses poumons. Avec un peu de chance, elle la tuerait plus sûrement que le feu qui la consumerait. Elle se refusa à tousser. Resta digne. Ne jamais leur montrer qu'ils auraient pu avoir raison. Elle brûlerait, c'était certain. Quoiqu'ils en croient. Mais elle mourrait le regard fixé dans celui de cet homme qui l'avait autrefois hébergée. Et cette petite vengeance la soulageait.
Elle releva la tête. Inspira et expira calmement. C'en était fini. Elle pensait avoir 21 ans, son prénom portait déjà malheur, elle allait mourir d'avoir aimé.