Ma beauté gothique
Il y a un garçon, Antoine, dans un lycée de campagne comptant plus de six-cents élèves. En classe de seconde, il ne peut se plaindre de sa popularité, il a une bande d'amis dont il est proche. Mais sa vie au lycée n'est pas la même que celle qu'il mène quand il est seul, chez lui, ou sans ses fréquentations du collège. Il s'en cache parce que ses goûts ne sont pas ceux des autres... Sauf d'une.
Antoine s'assit au premier rang à côté d'Ophélie, une blonde un peu idiote qui l'exaspérait au plus haut point, mais il s'en accommodait car cette place lui permettait de suivre le cours, du moins de prendre quelques notes quand il y pensait. Le soleil avait peine à se montrer à travers les nuages de la matinée encore sombre de cette première heure de cours, et Antoine laissa ses pensées divaguer lorsque...
« Je te jure, il en avait une toute petite ! » s'exclama Thibault au fond de la classe.
C'est souvent ainsi que commençaient tous les cours : des discutions de cul. Quasiment toujours les même : Valentin, Sarah, Thibault et Damonie. Toujours en train de rire de tout et de rien aux derniers rangs, un petit groupe pourtant peu perturbateur qui faisait les choses dans son coin. Malgré le peu de cours qu'ils suivaient ils avaient tous des moyennes plus que satisfaisantes. Et les profs les laissaient en paix pour cela.
Ils avaient tous un caractère différent. Valentin était plutôt réservé mais il savait s'amuser et avait un sens de l'humour très développé. Sarah était une fashionista fan de la mode asiatique, elle aimait la Pop, par contre le rap et les « wesh » l'insupportaient plus que tout. Thibault quant à lui était un garçon simple un peu gamin, passionné de cyclisme et de sports mécaniques, il aimait la vie et en profitait. Et Damonie, elle...
« Putain, mais comment vous faîtes pour vous retenir, vous allez me dire que vous êtes tous puceaux là ? » s'effara Damonie tout bas.
Ils hochèrent tous la tête et elle écarquilla les yeux comme si elle était choquée et pour se mettre à rire immédiatement après. Ils rigolèrent et partirent à parler des sites qu'ils fréquentaient les uns les autres.
Alors qu'ils planifiaient une soirée films chez Valentin, Antoine regardait son propre reflet dans la fenêtre.
Il ne pensait pas avoir à se plaindre : il était moyennement grand, brun, les cheveux courts qui bouclaient en s'allongeant, des yeux d'ébènes et la peau lisse et blanche. On lui faisait souvent la remarque qu'il était musclé mais lui ne trouvait pas. Il se trouvait moyen. Ni à plaindre, ni à envier. Niveau vestimentaire, il n'avait ni le « swag » ni un style particulier : tee-shirt, jeans -ou bermuda quand la saison venait- et baskets. Et cela lui suffisait amplement.
En entendant Valentin demander les détails de la vidéo qu'il avait ratée le matin même, Antoine se dit qu'il devait rater sacrés moments de rigolade. Il enviait Thibault, Valentin et même Sarah, car tous trois pouvaient approcher l'inaccessible Damonie. Du haut de sa timidité maladive et de son introversion, il n'avait sûrement pas le charisme pour l'avoir elle.
Mais il avait un atout insoupçonnable que personne d'autre ne pouvait se vanter d'avoir ici, dans ce collège : il aimait la musique qu'elle aimait, regardait le même style de film qu'elle et été attiré par les mêmes choses qu'elle. Le Metal, les films glauques et les sciences occultes, le gothisme et le satanisme.
Il est vrai qu'il s'occupe autrement qu'au collège où il paraît dans la normalité, toutefois un peu trop populaire pour un garçon qui écoute du Metal en se vernissant les ongles en noir en vue d'un concert hardcore dans lequel il assistera la vedette pour égorger des poules et prononcer les paroles rituel. Mais cela personne ne le savait, sauf Damonie qui l'a souvent croisé dans des concerts et réunions divers. Mais elle ne semblait pas le remarquer plus que ça trop absorbée par la musique, qui la poussait dans la transe la plus intense.
Antoine se demanda si les amis de la jeune brune étaient au courant pour ses penchants obscurs. Et après réflexion il se dit que non, sinon même s'ils sont ses amis, ils l'auraient rejetée. Son style ne faisait pas l'unanimité, mais elle restait l'invincible : celle qui frappe, celle pour qui les couloirs se vident, celle dont tous ont peur, celle dont tous aimeraient approcher.
Elle était inaccessible. Seule quelques rares élues étaient ses amis, seuls quelques rares la connaissaient. A ce moment Antoine se dit qu'il avait peut-être une chance de l'approcher, pendant un concert, alors qu'ils étaient pareils l'un l'autre.
Il réfléchit à une vitesse folle se remémorant les prochains concerts du coin et se souvint de l'événementiel d'Altess qui se déroulait au début du mois de juin et auquel il avait prévu d'aller. Il espéra que Damonie y serait, afin de lui parler de lui payer un, ou plusieurs verres. Même s'il fallait attendre deux semaines, il était persuadé qu'elle y serait, et qu'il pourrait enfin la toucher.
« Merde, j'ai complètement oublié de te ramener le recueil de Rimbaud... Je suis désolée, je t'amène ça demain Sarah ! s'exclama Damonie. Oh ! Et j'oubliais, j'ai vu un nouveau film ! Hier soir, je vous jure, j'ai failli avoir peur ! Grave encounteer, ça s'appelle... »
Et le cours se passa comme à son habitude, dans le bruit, sans que personne ne suive, dans les discutions débiles des uns et dans les discutions salaces des autres. Les portables ne se cachaient même plus : on les posait sur sa table, on écoutait de la musique avec des écouteurs, ou sans. Les uns lisaient, les autres regardaient par la fenêtre, et Antoine contemplait Damonie en tapant le rythme de Don't hold back des Sleeping de son pied.
C'était bientôt l'heure et il n'était toujours pas prêt. Antoine s'affairait à appliquer son vernis noir sans trop dépasser pendant que son ordinateur crachait le son saturé et métallique du groupe qu'il partait voir dans moins de deux heures. Quand son vernis eut séché, il s'entoura les yeux au crayon noir à l'arrachée. Alors qu'il était encore en caleçon, sa mère entra dans sa chambre, déposa sur le lit une pile de vêtements fraîchement repassés et sortit.
Il étala ses vêtements sur le lit et réfléchit un instant à ce qu'il allait porter. Il se décida pour un slim en similicuir noir et un tee-shirt « anarchy » qu'il porterait avec ses Vans noires et rouges. Quand il fut fin prêt, il écouta une dernière fois les chansons qui seraient jouées au concert pour se les mettre en tête et se dirigea dans le salon.
Quand sa mère le vit arriver elle lui offrit un sourire et lui proposa un soda, qu'il refusa. Cependant, il se rendit dans la cuisine et attrapa plusieurs tranches de brioche, qu'il tartina généreusement de confiture de mûres. Il avala le tout à la vitesse de l'éclair.
Il se lava les mains et alla s'assoir sur le canapé devant la télé sur laquelle un documentaire traitant des suricates défilait tranquillement. Il avait un bon quart d'heure avant de devoir partir à pieds au bar où le concert aurait lieu. Il s'autorisa donc une sieste.
Sa mère le réveilla pile à l'heure. Il partit donc souriant et arriva au bar tout juste à l'ouverture. Il paya la participation au frais et rentra.
Il connaissait quelque peu le gérant, il alla lui dire bonjour et lui donna un coup de main pour mettre en place les canapés, tabourets, fauteuils et autres chaises qui seraient dans la fosse pour les spectateurs. Les membres du groupe étaient déjà là. Les instruments installés, les lumières réglées, ils s'autorisaient une boisson avant le grand rush.
Lorsque la fosse fut remplie, Antoine la vit arriver ; elle portait des bottes hautes avec des semelles compensées atteignant facilement la dizaine de centimètres, un short en cuir noir sur des bas en résille et un corset en vinyle rouge qui moulaient à merveille ses formes. Son cou était orné d'un ras-du-cou riveté et d'un sautoir duquel pendait la croix satanique, ses bras étaient couverts d'une multitude de bijoux.
Lorsqu'un pinceau de lumière vint éclairer son visage, Sacha tressaillit : jamais il ne l'avait vu maquillée de cette manière. Habituellement, elle se contentait de liner noir à outrance sur ses yeux, mais là... Son rouge à lèvre d'un bordeaux sombre, le contour de ses yeux rouge et le fard noir qui relevaient le bleu sombre de ses yeux, lui donnaient un air vampirique...
Il l'avait croisée quelques fois dans de petits concerts ils s'étaient tous deux regardés et s'étaient souris, mais rien de plus. Aujourd'hui, Damonie vint s'assoir près d'Antoine au bar et fit la bise au barman. Elle se retourna vers Antoine qui la regardait avec insistance.
« J'ai quelque chose sur le visage ? lui demanda-t-elle en plaçant une main sur son visage. Tu me regardes... Fixement. Antoine, tu me fais peur là !
— Nan, je suis juste agréablement surpris de te voir dans une tenue si... » il posa ses mains sur le revêtement miteux de son tabouret et remit son pantalon en place.
« Osée. C'est le mot que tu cherches non ?
— Ben oui, fit-il gêné. En fait, j'allais aussi te dire que je te trouvais magnifique dans cette tenue comme dans d'autre, mais je vais me raviser et te demander si tu ne veux pas une bière, il marqua une pause. Est-ce que tu veux une bière ?
— Bob ! Deux bières ! lança-t-elle au serveur en rigolant.
— Je suis ridicule...
— Non, adorable, nuance ma mignonne », dit Damonie en faisant une bichette à Antoine.
Ils burent tous deux et Antoine se félicita que leur rapprochement ait pris si peu de temps. Ils discutèrent un moment puis le leader du groupe annonça les prémices du concert. Ils se levèrent au même moment et allèrent s'installer dans un des sofas au devant de la scène, afin de profiter du son. Quand une première note se fit entendre, des clameurs montèrent dans le public. Alors, ce fut le commencement de tout. Tout le monde se leva, tous criaient et chantaient en cœur les murmures du début du morceau et quand vint le moment du refrain la foule était déjà dans la musique.
Antoine leva les bras et agita la tête au rythme de la musique ; à côté de lui, Damonie ondulait au grès des notes. Leurs lèvres bougeaient aux mêmes moments, murmurant des paroles qu'ils auraient du hurler. Ils se regardèrent et sourirent encore. Ils continuèrent à danser jusqu'à la fin de la septième chanson, après laquelle ils retournèrent s'assoir au bar mais cette fois une banquette dont le revêtement était défoncé. Défoncé, comme la plupart de ceux qui les entouraient à présent. Damonie posa ses lourdes bottes sur la table basse et se tourna vers Antoine afin de le détailler.
« Tu... Pourquoi ne t'habilles-tu pas comme ça au lycée ? lui demanda-t-elle.
— Ma mère n'est pas d'accord. Elle a peur que ça me cause des ennuies. Et puis, avoue que si j'arrivais maquillé au lycée, tout le monde trouverait ça bizarre, fit-il en riant.
— Oui, approuva-t-elle. Mais seulement parce qu'on n'a pas du tout l'habitude de te voir ainsi. Tu sais, moi la première fois que je t'ai vu au Caveau, je me suis demandée si c'était bien toi pendant un certain bout de temps... Jusqu'à ce que tu prennes parole pour annoncer que les joints allaient tourner !
— Ce moment gênant ? Tu y étais ? Bon, je reviens, je vais me pendre.
— Non ! Partenaire de bringue ! Reviens ! »
Antoine se leva et fit mine de demander une corde au premier venu. Damonie rit et se leva à son tour pour le « dissuader de son geste ». Elle lui donna un semblant de coup de poing dans l'épaule et à la suite de ça, ils se firent bousculer par une bagarre -commune dans ce bar comme dans d'autre- et se retrouvèrent par terre les jambes enchevêtrées les unes dans les autres, ils riaient aux éclats quand l'avant dernier morceau fut annoncé. Antoine se releva et aida Damonie, prenant sa main pour l'attirer à lui ; de ce fait, la jeune brune se retrouva dans ses bras. Ils se sourirent et Damonie déposa un baiser sur la joue gauche de son « partenaire de bringue ».
« M'accorderais-tu cette danse ? demanda Antoine en une courbette digne d'un courtisan.
— Bah ouais ! »
Ils se mirent en plein milieu de la fosse et se mirent à danser, au rythme de la batterie, au grès des notes, d'une façon sensuelle et provocante à souhait, se frottant l'un contre l'autre. Les autres se mirent en cercle autour et les regardaient, effarés de la luxure, de la volupté qu'ils dégageaient tous deux.
Le temps semblait s'être arrêté, Antoine et Damonie n'existaient plus que l'un pour l'autre, fermant les yeux savourant la chaleur, la véhémence de leur danse ; Damonie se plaqua dos contre le torse de Antoine et descendit progressivement, comme en flottant. Elle attrapa les mains d'Antoine et les posa sur sa poitrine, entrelaçant leurs doigts. Le morceau se finit au moment où les deux se retrouvèrent face-à-face, collés.
A bout de souffle, ils se sourient, et se détournèrent, gênés par leur excitation. Ils réitérèrent leur danse en un peu moins poussée cependant, et se firent accompagner par la foule dans leurs mouvements. Et lorsque les dernières notes eurent retenties, les deux jeunes retournèrent au bar.
Alors que le bar se vidait peu à peu dans le calme qui suivait le concert, Damonie et Antoine restaient au comptoir à discuter de choses et d'autres, en sirotant un verre.
D'abord un peu de musique, ensuite du lycée, des professeurs qui s'y trouvaient, de leurs amis respectifs et de l'ambiance de l'établissement en général. De cinéma, sa bataillant afin de déterminer le meilleur film de l'année, et puis de sexe. Parce qu'Antoine mourrait d'envie d'entendre parler Damonie encore plus sur tout et n'importe quoi, et parce que Damonie était dans son élément dans ce sujet qu'elle maîtrisait apparemment sur le bout des doigts.
« J'ai l'impression que tout le monde croit que soit je suis une pucelle hyper coincée, soit je suis une prostituée ou un truc dans le genre… Et pourtant que suis ni l'un ni l'autre, ou plutôt un mélange des deux… souffla-t-elle. Enfin, bref...
— Bah, moi dans l'esprit de tous je suis un puceau aussi, alors…
— Je peux te faire une confidence ? Le genre de truc qui est gênant vois-tu.
— Bien sur ! Je t'écoute, dit Antoine en lui posant une main sur l'épaule.
— Ben, en réalité, je le suis…
— Quoi ?! Tu te prostitues ?! murmura-t-il.
— Mais non espèce d'idiot ! Je suis pucelle », avoua-t-elle en un soupir.
Antoine la regarda et sa main glissa le long de son bras. Arrivé à sa main, il entrelaça leurs doigts et se redressa face à Damonie. Il fondit brusquement sur son visage et au dernier moment détourna la tête. Il lui susurra à l'oreille, d'une voix peu assurée :
« En quoi cela te gêne-t-il d'être vierge ?
— Parce que toi tu dois avoir de l'expérience, lui répondit-elle de la même voix tremblante.
— Et qu'est-ce qui te fait penser que j'en ai ?
— Tu es… Beau, désirable, et tu as un charme indéniable.
— L'alcool te fait délirer Damonie, lui dit-il en se rasseyant sur son siège.
— Non, j'ai rien bu de ma deuxième bière, je n'ai bu qu'une bière, éliminée depuis longtemps.
— Alors tu penses ce que tu m'as dit ? »
Antoine souleva un sourcil. Damonie acquiesça et un rire silencieux éclaira son visage. Elle appela joyeusement Bob afin de payer l'addition sans qu'Antoine n'ait son mot à dire. Puis, Damonie le tira par le bras jusqu'à dehors en courant comme une folle.
« Tu as la permission de quelle heure ? demanda la brune.
— Je dois être rentré pour le petit-déjeuner, autant dire que j'ai la permission de huit heures du matin ! répondit Antoine avec un clin d'œil. Et toi ?
— Moi ? Mes parents s'en battent les couilles de moi... Il est à peu près une heure, ce qui veut dire qu'il nous reste sept heures à tuer ensemble. Tu me fais confiance ?
— Bien obligé. »
Ils partirent ensemble main dans la main, en courant, dans le dédale que formaient les rues de la bastide dans laquelle se trouvait le bar. Les rues à angle droit et la rivière donnaient à l'endroit un charme presque pittoresque. Alors qu'ils sortaient du centre-ville, Damonie s'arrêta pour respirer.
« Pouah ! Je n'ai pas l'habitude de courir autant ! Surtout avec les bottes et les semelles compensées... Tu n'as pas l'air bien non plus à vrai dire, dit-elle entre deux respirations.
— Je ne suis pas plus sportif que toi, voire même moins... J'ai vraiment du mal à rester en activité sportive plus de trente secondes, là, j'ai battu tous mes records ! s'exclama-t-il triomphant.
— Je n'avais jamais remarqué que tu étais si nul que ça en sport, il me semblait que tu te débrouillais pas mal...
— Ben, en réalité, quand je sors de sport, je suis raide mort ! fit-il en rigolant.
— Bon, on est repartis, mais en marchant cette fois. »
Damonie reprit la main d'Antoine et le mena sur les bords de rivières. Là, les herbes folles poussaient en libertés, des animaux rodaient en chasse, les bruits d'eau étaient clairs et rien ne venait troubler le calme qui régnait là. La pleine lune se reflétait paisiblement sur le miroir d'eau et des rayons argentés éclairaient régulièrement les deux adolescents, qui semblaient heureux. Antoine ne savait aucunement où Damonie le menait, mais il avait confiance alors, il se laissa guider.
Alors qu'il commençait à avoir mal aux jambes, Antoine sentit que Damonie lui lâchait la main. Elle se dirigeait vers un portail en fer forgé recouvert de lierre, dans un décor délicieusement rimbaldien. Damonie tira le battant du portail avec force, ce qui n'eut pour effet que d'arracher la poignée ; Antoine rit et la rejoint pour l'aider. Il tira à son tour sur les vantaux et n'obtint guère plus de résultat que son amie.
« Que fait-on ici Damonie ? s'enquit Antoine.
— Ici ? Et bien, mes parents, qui sont de riches propriétaires viticoles, ont tendance à croire que je ne sais rien de leurs propriétés éparpillées dans le département mais j'en connais chaque recoin, toutes les adresses, les valeurs des biens enfin bref, j'ai étudié toute la paperasse immobilière avec soin. Et donc, cette vieille bâtisse fait partie de mon héritage, alors je me suis permise d'y faire un petit tour. Et il s'est avéré que ce manoir appartenait à un compte un peu farfelu qui se promenait en clamant sur tous les toits qu'il était un vampire. Et je me suis renseignée...
— Et ?
— Et je trouve son manoir trop classe pour un échappé d'asile ! fit-elle en sautillant sur place.
— Je m'attendais à une histoire sombre du genre : « C'est vraiment un vampire et je veux te le présenter ! ». Mais non. En fait je suis venu pour acheter le manoir des tes parents c'est ça ? » sourit Antoine.
Damonie lui sourit et fit non de la tête, elle continua de pousser le portail de toutes ses forces. Mais n'aboutit à rien. Antoine lui fit signe de se décaler frappa d'un grand coup de pieds dans les barreaux mais les herbes étaient trop denses et retenaient l'ensemble.
« Je n'était encore jamais passée par ici... Il va falloir que nous escaladions le portail pour passer de l'autre côté... Oseras-tu ? » dit Damonie à Antoine.
Antoine la regarda et lui sourit en guise de réponse, puis il lui fit la courte échelle pour qu'elle atteigne les premiers barreaux horizontaux. Ensuite elle grimpa sans grande difficulté malgré ses lourdes chaussures dont les semelles larges et épaisses pesaient bien lourd... Antoine grimpa alors à son tour en prenant son élan pour sauter assez haut et lui aussi prendre prise sur les barres horizontales.
Damonie se trouvait de l'autre côté du portail, au même niveau qu'Antoine, pendue par les bras, elle s'apprêtait à lâcher pour se laisser tomber du haut des deux mètres restants quand Antoine lui posa sa main dans le cou, la retenant. Il se pencha vers elle, passant son visage au travers des barreaux et l'approcha de lui. Il s'approcha encore, et leurs lèvres se rencontrèrent. La jeune fille laissa un gémissement s'échapper et s'adonna à ce baiser. Antoine se sépara d'elle, la laissant retomber sur terre, dans tous les sens du terme. Quant à lui, il grimpa vite et redescendit enfin au sol. Les deux s'enlacèrent et profitèrent de la simple présence de l'autre.
« Enfin... souffla Damonie.
— Quoi, enfin ?
— Tu oses enfin m'approcher, m'embrasser et insinuer de ce fait que tu m'aimes depuis le troisième jour de notre sixième ?
— Tu...
— Oui, je savais, je sais tout. C'est mon petit doigt qui me l'a dit... dit Damonie rieuse.
— Ton petit doigt ? »
Antoine était décidément troublé. Il se demandait comment la jeune fille avait pu tout découvrir alors qu'il cachait si bien sa passion.
Damonie lui tira la langue et sourit, profitant de son hébétude pour l'embrasser chastement. Antoine leva les yeux au ciel et attrapa la main de Damonie qui le tira vers la grande étendue verte qui constituait le jardin attenant au manoir. La cour était assortie à la bâtisse visiblement abandonnée. L'herbe haute, même éclairée par la pâleur de la lune était d'un vert profond, les allées pavées de pierre blanches verdies de mousses, les arbres et diverses haies qui poussaient sauvagement, même la fontaine qui se trouvait au milieu du jardin donnait un air de tristesse et de mélancolie à l'endroit.
« La première fois que je suis venue ici, tout avait été laissé à l'abandon et ça m'a fait tellement mal au cœur que depuis, je viens quasiment tous les soirs, dans l'espoir que l'endroit reprenne vie... C'est un peu ma maison, dit Damonie pensive.
— C'est vraiment... Magique, souffla Antoine.
— Eh oui ! »
Damonie sourit à Antoine et lui fit signe de la suivre ; elle se dirigea vers le manoir, dont l'air décati semblait s'accentuer avec les ténèbres. La bâtisse était tout de même plaisante à voir.
Le manoir était recouvert de lierre, les fenêtres en bois ouvragé et la porte d'entrée donnaient l'impression de dater de plusieurs siècles. Il y avait là des plates-bandes fleuries et des arbres fruitiers qui poussaient près des pierres de la maison. Antoine et Damonie montèrent les trois marches du perron et arrivée devant la porte, Damonie se tourna vers Antoine.
« Tu as trouvé le jardin magique ? Eh bien, voyons ta réaction là-dedans... » dit-elle en sortant des clés de son sac à main pour ouvrir la lourde porte.
Ils avancèrent dans l'obscurité, Antoine se laissant guider par la maîtresse des lieux. Cette dernière alluma une bougie, à l'aide d'un briquet qu'elle produisit de son sac à main.
Le salon dans lequel ils se trouvaient était grand et meublé. Le papier-peint chargé de motifs anciens s'accordait à merveille avec les moulures qui se trouvaient au plafond et avec la cheminée qui trônait en plein milieu du mur face à la porte. La jeune fille poussa Antoine pour le faire entrer dans une pièce voisine, plus petite mais plus agréable car les meubles qui s'y trouvaient étaient moins lourds, moins chargés que dans l'autre pièce. On y trouvait un lit, une grande armoire, une coiffeuse assortie et deux tables de nuit. Les draps du lit étaient d'un vert pâle, assortis aux murs, d'où des motifs floraux écloraient çà et là.
Tous les deux continuèrent la visite, allant dans la salle de bain contigüe à la chambre, sombre et vieillotte, qui sentait pourtant la javel et semblait être utilisée régulièrement. Ils repassèrent par la chambre et le salon pour arriver dans la cuisine par laquelle ils étaient entrés. Claire et dans un style ancien et chargé, on y trouvait une table avec plusieurs chaises et des tabourets entreposés dans un coin de la pièce.
« Celle-là n'est pas propre, et nettoyée. Je ne sais pas comment m'y prendre pour nettoyer des années de graisses et de saleté... fit Damonie avec un sourire pensif.
— Pourquoi tu as nettoyé toute cette maison ? demanda Antoine.
— Je viens ici, me ressourcer, quand ça ne va pas, quand mes parents me prennent la tête...
— Pas bête. Mais ça t'a pris comme ça, tu viens nettoyer un vieux manoir qui appartient à tes parents ?
— Non, mais, il me fallait un endroit à moi... Je viens... elle marqua une pause. Depuis presque un an quasi tous les jours. C'est pour ça que j'arrive au collège des toiles d'araignées dans les cheveux des fois, charria-t-elle.
— Ah, je me demandais aussi pourquoi... ironisa Antoine.
— D'ailleurs, enlève tes chaussures. Je ne voudrais pas que tu salisses ma demeure ! » fit Damonie en tirant la langue.
Antoine s'exécuta, et posa ses baskets près des bottes de Damonie, dans l'entrée.
Il se dirigea d'instinct vers les placards. Il en ouvrit un et y trouva une bouteille de soda aromatisé à l'orange que Damonie avait du amener plus tôt. Il la posa sur la table et entreprit de trouver des verres dans les placards, sous le regard amusé de sa complice. Il débusqua les casseroles, les couverts, les plats divers et même des produits ménagers. Ce fut derrière la dernière porte qu'il ouvrit qu'il trouva des verres, verres qu'il attrapa glorieusement, afin de les poser sur la table. Damonie attrapa un torchon propre et passa un bref coup sur les deux verres à pieds. Puis elle versa le soda dans les verres et but une gorgée.
« Allez César, viens poser tes fesses sur une chaise ! s'exclama Damonie en ricanant.
— C'est ça, moque-toi de moi ! Moi au moins je n'avais pas l'intention de nous laisser mourir de soif.
— Figure-toi que moi non plus je ne nous aurais pas laissé mourir de soif ! Et oui Monsieur je-suis-le-meilleur, j'allais te proposer de boire de l'eau ! lui dit-elle avec un air supérieur.
— Oh, Mademoiselle allait me proposer de l'eau ! » fit Antoine en riant fort.
Damonie ne répondit pas, se leva et s'approcha de Antoine, et lui posa un doigt sur la bouche.
« Tais-toi. J'ai raison, tu as tort alors tais-toi. »
Et sur ces mots elle happa ses lèvres en un baiser fiévreux. Dans son élan elle les fit basculer par terre et ils se retrouvèrent sur le pavage froid de la cuisine à s'embrasser. Antoine passait les mains sur les hanches de la brune laissées découvertes par son corset. Reprenant leurs respirations, ils se regardèrent et se sourirent.
« Il est l'heure d'aller se coucher jeune enfant... dit Antoine en un murmure.
— Non, je n'ai pas sommeil. Laisse-moi profiter de toi encore quelques heures... fit-elle suppliante.
— Alors autre part que sur le sol ne serait-il pas une bonne idée ?
— En effet... » acquiesça Damonie.
Les deux adolescents se dirigèrent dans la chambre main dans la main. Ils s'allongèrent sur le lit, l'un sur l'autre, et Sacha entreprit de défaire les habits de Damonie. Ils s'embrassèrent longuement et sombrèrent ensemble dans la découverte du plaisir de chair.
Quelques rayons de soleil brûlants filtraient à travers les rideaux lourds et épais de la chambre. Mais ils ne réveillèrent pas ses occupants. Ces derniers, réveillés déjà depuis quelques temps, se préparaient à sortir. Antoine enfila son tee-shirt et remit ses cheveux en place. Près de lui, devant le même miroir, piqué par le temps, Damonie attachait sa chevelure brune en une haute queue de cheval et passait un chemisier par-dessus sa poitrine nue.
Le désormais couple se dirigea dans le vestibule, où se trouvaient leurs chaussures. Une fois dehors, Antoine prit la main de Damonie, qui lui offrit son plus beau sourire. Et ils prirent tous deux la direction de la maison d'Antoine, dans la brume du petit matin.
A huit heures tapantes, Antoine passa le pas de sa porte, et sa mère l'attendait, assise à table, devant un petit déjeuner. Le jeune garçon embrassa sa petite copine et lui dit au revoir.
« Quelqu'un de spécial ? demanda Sandrine, la mère d'Antoine, alors que ce dernier fermait la porte.
— Plus que ça... Cette fille, c'est... »
Le jeune brun marqua une pause et un sourire vint fleurir sur son visage aux traits tirés par la fatigue.
« Ma beauté gothique. »
Fin
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