Nouvelle fiction de ma part, dans un univers qui m'est plus ou moins inconnu mais que j'avais envie de découvrir et qui m'a prise comme ça. Une fiction en yaoi qui devrait être rated M à partir d'un certain temps. N'hésitez pas à commenter pour me dire ce que vous en pensez et me donner pourquoi pas des idées !
Chapitre 1
« Je vais rentrer dans l'Armée de Terre. »
Ça y était. Il l'avait dit. Enfin. Ça faisait des jours que ça mûrissait dans sa tête mais il n'avait pas encore osé en parler, sachant que tout le monde ne serait pas d'accord avec ses choix. Il pouvait presque prévoir les réactions des uns et des autres. D'abord, c'était son père qui allait parler. Il était d'ailleurs en train de claquer sa fourchette dans son assiette, faire gicler un peu de la sauce du rôti sur la nappe, sa mère n'y faisait même pas attention tellement elle semblait atterrée et il s'exclama :
« Il n'en est pas question ! »
« Pourquoi ? C'est ce que je veux faire, j'y ai beaucoup réfléchi, j'ai eu toute l'année pour ça… Je vais avoir mon bac dans quelques semaines, j'ai le droit de faire ce que je veux après, non ? Ils offrent de belles carrières, en plus, et il y a beaucoup de recrutement… »
« Il n'est pas question que mon fils soit un militaire. La discussion est close. »
« Mais papa… »
« Mathias, je crois que tu ne te rends pas compte de ce que ça implique. Tu vas aller te battre, contre des gens, t'entraîner par tous les temps, te faire tuer dans des pays étrangers, si loin de chez nous ? Tu vas nous laisser sans nouvelles de toi pendant des semaines voire des mois, à nous inquiéter et à nous demander si on ne va pas nous annoncer que notre fils est mort ? C'est dangereux, tellement dangereux… » Intervint sa mère.
Il avait prévu sa réaction aussi. Bientôt, quand il dirait qu'il ne changerait pas d'avis, que c'était sa vocation, elle se mettrait à pleurer, elle fonderait en larmes devant lui et il se sentirait minable. Il serait rongé de culpabilité et n'oserait plus la regarder en face. Il douterait de ses choix, de ses envies, et se demanderait s'il ne valait pas mieux faire médecin comme son père l'avait toujours voulu. Il se dirait qu'il avait été égoïste de leur faire ça et qu'ils avaient sans doute raison. Il le regretterait toute sa vie. Et parce qu'il avait prévu tout ça, Mathias répondit d'un ton ferme :
« Je sais. La guerre, c'est toujours dangereux, maman. Comme d'être pompier, policier, ambulancier, camionneur, maçon, psychologue, gardien de prison, ingénieur en centrale nucléaire, et même médecin. Je pourrais assassiner un patient en l'opérant, tuer un enfant en ne voyant pas qu'il était malade, rater une anesthésie et en laisser un dans le coma. Je pourrais me couper avec un sécateur en taillant mes rosiers, ou prendre un parpaing sur le pied en agrandissant ma maison. Je pourrais me tuer sur la route dans un accident, en revenant d'un week-end chez vous. Alors quitte à choisir ma mort, je préfère mourir en servant mon pays. C'est ma vocation, c'est vraiment ce que je veux faire. C'est vraiment ce qui me plaît. Je ne changerai pas d'avis. Même si tu pleures. »
« Ne parle pas sur ce ton à ta mère ! Tu ne seras pas militaire. Et puis imagine, dans ta… condition, tu trouves ça bien ? Tu devrais savoir qu'ils ne pardonneront pas. »
« Je ne veux pas qu'on fasse de mal à mon petit… »
« Maman, c'est quoi sa condition à Mathias ? IL va mourir parce qu'il veut être militaire ? Il va se battre comme les grands à la récré ? »
« Chérie, monte dans ta chambre pour jouer, c'est une conversation de grands. Et oui, ton frère veut se battre mais pas comme les grands à ta récré, d'ailleurs, il va falloir qu'on en parle, les bagarres sont interdites à l'école ! »
« Mais maman… Je voudrais rester avec Mathias. Et puis faut pas dire que j'ai dit, sinon je vais me faire gronder… »
« Charlotte, si tu ne file pas, le grand crique risque de te croquer les oreilles... » Lui confia le jeune homme.
La petite fille mit les mains sur ses oreilles, effrayée, dans l'espoir de les protéger et descendit rapidement de sa chaise pour monter dans sa chambre. Dans sa précipitation, elle en perdit sa serviette qui s'échoua dans l'escalier sans qu'elle y prête attention.
Sa petite sœur était encore trop jeune pour parler de ça. Et pour écouter ça, surtout. Elle n'avait que six ans. Ses parents avaient voulu un autre enfant quand le leur était devenu trop âgé pour qu'on ait besoin encore de vraiment le materner. Ça leur faisait presque douze ans d'écart mais les deux progénitures de la famille Garand s'entendaient comme larrons en foire.
Mathias était un grand frère gâteau. Dès qu'il le pouvait, il lisait des histoires à sa petite sœur, jouait avec elle, habillait ses poupées et prenait le thé avec ses peluches. Depuis qu'elle clamait partout qu'elle apprenait à lire comme une grande, il lui choisissait de beaux livres pour enfants sur ses deniers personnels pour lui faire la surprise de temps en temps.
Il ne valait mieux pas que la petite entende ce que ses parents avaient à lui dire. Il ne préférait pas savoir ce qui sortirait de la bouche de son père. Encore moins en ce qui concernait sa « condition » comme il l'appelait.
Le jeune homme avait à peine quinze ans quand il avait commencé à éprouver des sentiments étranges. Sportif dans l'âme, il faisait partie de l'équipe de handball du lycée. Une des seules équipes qui avaient été créées, parce que leur professeur de sport, M. Chaunu, avait vu le potentiel d'un certain nombre d'élèves quand le semestre était tombé sur ce sport.
Cela faisait cinq ans maintenant que l'équipe avait été créée, masculine uniquement, et ils avaient remporté quelques coupes inter-écoles déjà. L'année dernière, c'était Mathias qui avait marqué le dernier tir de la saison, contre le lycée d'une ville à l'autre bout de la France, et qui leur avait permis de remporter la finale. La coupe trônait fièrement dans une vitrine, dans le plus grand couloir du lycée. Le jeune homme était rentré dans l'équipe cette année-là justement, refusant d'en faire partie en seconde. Il avait fini par se laisser convaincre par des amis.
Il avait refusé la première année pour deux raisons. La première était tout simplement qu'il n'y connaissait pas grand-chose en hand, et ne voyait pas en quoi on avait pu juger sur le terrain qu'il n'était pas mauvais. Il avait joué comme défenseur, sur le couloir de gauche, et à présent il était attaquant, cherchez la logique. La deuxième raison était plus gênante. Plus dérangeante, surtout. Il avait quinze ans et comme tout jeune de son âge, ses hormones le chamboulaient. Sauf qu'elles ne s'animaient pas pour les bonnes personnes. Pour le bon sexe, précisément.
Le passage aux vestiaires avant et après les cours d'éducation physique étaient toujours dérangeants. Il avait passé son temps le nez dans son sac pour ne pas tomber sur un torse nu qui attirerait un peu trop son regard. Il avait quinze ans et au lieu de regarder et d'évaluer le décolleté des filles, il préférait observer les torses plats de ses camarades. Ça n'était pas normal. Et à l'époque, ça l'avait gêné. Enormément.
Il avait même essayé de sortir avec une fille, pour voir. Elle s'appelait Magalie et elle était dans une autre classe de seconde. Elle était brune, elle avait des cheveux longs et un serre-tête avec un nœud rouge parce que le rose faisait fillette. Elle détestait la musique classique et prétendait inventer le métal rock au piano. Il l'avait un peu draguée pendant leurs cours en commun, épaté par cette fille pas comme les autres qui le séduirait peut-être. Ils étaient sortis ensemble quelques semaines. Jusqu'à ce qu'au bout de quelques rendez-vous, elle lui sorte d'un ton naturel, entre un sandwich poulet-mayonnaise et un coucher de soleil affreux :
« Tu sais, je crois que tu es gay. »
Ce à quoi il avait répondu piteusement « je crois aussi ». Ils s'étaient quittés sans rancune et sans rancœurs, sans éclats et sans faux pas. Ils avaient simplement arrêté de se voir après les cours seuls, arrêté de s'embrasser parce que c'était ce qu'on faisait quand on était un couple et qu'il n'y avait jamais pris goût.
Ils étaient restés amis et elle lui avait promis de se taire tant qu'il ne voulait pas le dire. Elle était comme ça, Magalie, elle s'en foutait d'avoir été son cobaye. Elle disait que c'était sans doute la seule occasion de voir à quel point un mec pouvait être indifférent à ses charmes. C'était même elle qui l'avait convaincu de rentrer dans l'équipe de hand qui ne demandait que ça.
Elle et son pote Théo. Il s'appelait Théophile mais d'après lui, si ses parents étaient assez imbéciles pour lui donner pareil nom, lui n'était pas assez con pour l'utiliser. Ils étaient amis depuis la maternelle et se connaissaient mieux que leur propre poche. L'autre était un petit blond mince comme un fil de fer, tandis que lui était un brun de taille raisonnable selon lui mais géante d'après son meilleur pote qui lui arrivait à l'épaule.
Si Théo avait sorti comme argument ses bras toujours parfaitement armés au moment de tirer et son positionnement irréprochable, Magalie avait eu une toute autre méthode. Elle lui avait dit que tant qu'il ne se dévoilerait pas, il ne pourrait sans doute pas draguer. Alors s'il ne voulait pas devenir dingue, la meilleure façon était de mater. Et quoi de mieux que les vestiaires d'une équipe soudée pour le faire ? Il avait fini par se ranger, soi-disant aux arguments de son meilleur ami mais peut-être un peu aussi aux autres, sans vouloir trop se l'avouer.
C'était à ses parents qu'il avait avisé la nouvelle en premier. L'année passée. Quand son père lui avait demandé s'il y avait des jolies filles qui lui plaisaient dans sa nouvelle classe. L'annonce avait été comme un pavé dans la mare. Ses parents avaient eu un temps d'arrêt, entre le sirop à la framboise et le paquet de cookies, avant de réagir enfin. D'une voix prudente, ils lui avaient demandé s'il était sûr de lui, si ça n'était pas qu'une passade. Ce qu'on demandait sans doute à tous ceux comme lui. S'il ne « guérirait » pas un jour. S'il ne serait pas plus « normal » un jour. Ils avaient fini par comprendre que non et plus ou moins accepter qu'ils n'auraient sans doute jamais de belle-fille.
C'était de ça, dont son père parlait, quand il lui disait que dans sa condition, l'armée n'était pas envisageable. Et malgré son indignation, Mathias comprenait. Il y avait déjà mûrement réfléchi. Et il avait décidé de se taire. Dans un milieu aussi masculin, les autres le prendraient mal, s'il s'affirmait homosexuel. Ils auraient l'impression qu'il allait tous les mater. Qu'il allait chercher à tous les draguer.
Ce qui était totalement faux bien sûr. Il avait son genre de mec, comme eux avaient leur genre de nana. Fallait pas exagérer, il ne sautait pas sur tout le monde non plus. Mais il ne valait mieux pas risquer d'être exclu pour des préjugés pareils. Il n'aurait qu'à se tenir, et puis voilà. Il saurait bien ne pas laisser traîner ses regards sur tous, tout de même. Eux se privaient bien de filles, lui se priverait d'hommes, ça ne serait pas la mer à boire. Après tout, c'était comme avec son équipe de hand.
Il avait déjà eu quelques relations, maigres, essentiellement pendant les vacances d'été, quand il était parti avec Théo et Magalie qui s'était invitée, au bord de la plage. Chacun d'entre eux avait voulu revenir en ayant fait une rencontre, et ils avaient réussi leur pari. Il avait eu la confirmation qu'il était bien attiré par les hommes. Une petite aventure avec un grand blond l'avait empêché de le nier. Magalie s'en était donné à cœur joie et avait raillé son air béat pendant des jours.
C'est ce qu'il expliqua calmement à ses parents, détails sur le blond mis à part bien sûr. Il ne fallait pas non plus les brusquer, et il savait le sujet encore sensible pendant quelques décennies. S'ils avaient d'autres questions, ils auraient tout le temps d'en reparler, mais pour l'instant, son choix était arrêté. Ils ne parviendraient pas à le convaincre du mal-fondé de son idée. Rien ne l'empêchait d'être militaire. Et il comptait bien y arriver. Il se leva de table et se dirigea vers l'escalier à son tour.
« Tu ne sais même pas ce que tu vas faire ! Tu ne sais pas ce que c'est, l'armée. Tu n'as pas fait de service militaire, rien. » Argua son père.
« J'ai parlé avec un militaire. Un conseiller en recrutement. Il m'a bien expliqué ce qu'on faisait. Ce que je ferai. »
« Mais… quand ? »
« Mardi, maman, après mon cours d'anglais. Tu sais, tu étais partie faire les courses, et je suis rentrée presque en même temps que toi. J'étais passé au CIRFA avant. J'avais envoyé un mail et ils m'ont dit que je pouvais venir quand je voulais, alors j'y suis allé. J'ai rencontré un sergent, il m'a tout expliqué, j'ai pu poser toutes les questions que je voulais. Et à la fin, on a ouvert un dossier à mon nom. J'ai commencé le recrutement, maman. Je voulais juste attendre le bon moment pour vous en parler. »
Le jeune homme remonta les escaliers pour s'enfermer dans sa chambre. Elle était lambrissée du sol au plafond, rappel de l'âge qu'avait la maison. Il était né dans ce village, et n'avait jamais déménagé. Il avait agrémenté ses murs de quelques posters de chanteurs qu'il aimait bien, d'une affiche de l'Armée de Terre, reçue lors de son entrevue, et de quelques autres babioles sur les étagères.
Son bureau était tout au fond de la pièce, face à la fenêtre qui lui permettait d'avoir vue sur un bout de leur jardin et sur la maison des voisins. Son lit était dans la soupente et même s'il devait faire attention chaque matin en se levant à ne pas se prendre un mur sur le coin de la figure, il n'avait pas voulu en changer la place. D'autant qu'étant double, il ne voyait pas où le placer ailleurs dans la pièce.
Derrière la porte se trouvait une étagère spéciale, sur laquelle il mettait une collection de veilles petites voitures, qu'il chinait de temps en temps ou qu'il avait trouvées dans le grenier. Juste en dessous, tous ses disques et quelques bouquins, les autres étant disséminés sur le reste des étagères. Ses affaires de hand étaient posées dans un coin de la pièce, à même le sol et une médaille trônait sur sa table de nuit.
Il s'allongea sur son lit, regarda le plafond et soupira. Un jour, il arriverait à leur faire comprendre. Un jour, ils accepteraient. Après tout, il avait encore quelques mois, on n'était qu'en mars. Encore fallait-il qu'il ait son bac. Cette pensée le revigora et il se leva pour s'y atteler.
Il était en plein exercice de mathématiques, des histoires d'intégrale sur un segment, quand il entendit quelques coups discrets frappés à la porte. Il se retourna sur sa chaise roulante, se détournant de son cahier. Une petite silhouette apparut dans l'encadrement de porte. Sa petite sœur avait son pouce dans la bouche et son lapin en peluche au bout de l'autre main, traînant par terre. Elle était en pyjama, le bleu avec une fée clochette dessus, son préféré. Ses cheveux bouclés blonds étaient rendus plus foncés par la douche qui les avait lavés. Elle avança à petits pas sur le parquet de sa chambre sous son regard bienveillant. Il la laissa approcher en souriant avant de la prendre contre lui.
« Attention ! Maman dit que quand je suis propre, je ne dois pas me traîner partout ! » S'écria-t-elle, en arrêtant un instant de sucer son pouce.
Il la posa sur ses genoux, elle n'était qu'un poids plume.
« Parce que vous êtes n'importe où ici, mademoiselle Charlotte ? » s'indigna-t-il.
La petite fille rit aux éclats et il en profita pour la serrer dans ses bras. Beaucoup de ses camarades de classe avaient des petits frères et sœurs de cet âge et faisaient tout pour s'en débarrasser mais lui était incapable de résister à cette bouille d'ange.
« Pourquoi n'es-tu pas encore au lit ? »
« Je voulais te dire bonne nuit, mais il faut que je fasse vite, après Maman va venir me chercher pour me coucher. » lui confia-t-elle.
Il sourit et embrassa délicatement sa joue.
« Dis, Mathias, c'est vrai que l'année prochaine tu vas partir de la maison et qu'on ne se verra plus ? » demanda-t-elle, très sérieuse, ses yeux verts fixés dans les siens.
« Tu sais, je suis grand maintenant. J'ai presque fini l'école. »
« Déjà ? » s'étonna-t-elle.
« Eh oui, déjà. Maintenant, il faut que j'apprenne un métier, comme Papa et Maman, pour travailler. »
« Et avoir une maison et des bébés ? »
« Peut-être oui, un jour, qui sait… » Rit-il. « C'est pour ça que je dois partir de la maison, tu comprends ? Sinon, je ne pourrai pas apprendre à vivre seul. Mais je reviendrai te voir, évidemment. Comment pourrais-je me passer de ma princesse ? »
« Tu ne peux pas ! » décida-t-elle, catégorique.
« C'est ça, je ne peux pas… » Murmura-t-il. « Allez, file te coucher, Maman va te gronder sinon. »
Il la laissa sauter de ses genoux pour repartir. Juste avant de refermer la porte, elle le regarda une dernière fois et sourit. Il devrait apprendre à se passer d'elle aussi. Le sergent lui avait expliqué que les permissions étaient relativement rares. Il ne la verrait pas souvent, pas autant qu'un autre grand frère. Il ne la verrait pas grandir au même rythme. D'un autre côté, on disait qu'il y avait des sacrifices à faire, quand on voulait réaliser ses rêves. C'était peut-être le sien.
Il secoua la tête pour chasser ses mauvaises pensées et se replongea dans son exercice.