Chapitre 2

« Alors, tu leur as dit ? »

A peine était-il arrivé en cours le lendemain matin de la discussion qu'il avait eue avec ses parents, que ses amis lui avaient sauté dessus. Au sens figuré bien sûr. Aucun d'eux n'était son genre, lui aussi avait ses critères.

« J'ai dit. Et ils ont réagi comme j'avais prévu. Mal. »

« En même temps, mec, tu leur annonces ça comme ça aussi, fallait s'y attendre ! Et me regardez pas comme ça, je me mets juste à leur place, leur fils veut aller se faire tuer sciemment… »

« Mais ce sont ses choix, je comprends même pas pourquoi ils l'embêtent avec ça, il fait ce qu'il veut. » objecta Magalie. « Jamais mes parents ne se permettraient de faire ça. Jamais ils ne m'empêcheraient de faire ce que je veux. »

« Tu veux faire médecine, pile ce que mes parents voudraient que je fasse… » Grimaça le jeune homme.

« Ils ne m'empêchent pas de m'habiller comme je veux, et pourtant, tu connais ma mère… » Rappela-t-elle.

Oui, il la connaissait. Il s'en souvenait très bien. Madame Gaspari était sans doute la femme la plus huppée du coin. Elle ne supportait pas le mauvais goût et ne portait que des tailleurs de couturiers. Malgré tout, elle laissait sa fille s'habiller comme elle l'entendait, c'est-à-dire de manière… assez particulière. Fantasque, même. Elle avait été ravie quand ils étaient sortis ensemble. Enfin sa fille fréquentait des personnes fréquentables. Elle l'avait adoré et l'adorait encore même après leur rupture, estimant qu'il était très gentleman d'être resté un ami. Sans savoir du tout ce qui s'était passé exactement.

« C'est mon père, le plus réticent en fait… Ma mère a surtout la trouille, mais c'est normal ça, enfin, je suppose… »

« Laisse tomber, ils finiront par comprendre que ça n'est pas juste une idée comme ça. T'as commencé les démarches de toute façon, non ? »

« Oui, j'ai passé mon premier entretien là, c'était super intéressant. On a parlé de beaucoup de choses, des futures étapes, des entraînements, de la carrière, et même des spécialités pour lesquelles ils pourraient me former ! » S'enthousiasma le jeune homme.

« Ben voilà, au pire ils seront au pied du mur et puis voilà. » haussa des épaules la jeune fille.

« Ouais enfin ce n'est pas tellement ce qu'il veut, tu préférerais qu'ils acceptent, non ? » s'inquiéta Théo.

« Bien sûr ! J'aimerais tellement qu'ils comprennent. Je ne vois pas pourquoi mon père a une dent contre les militaires… »

« Il a peut-être eu une mauvaise expérience ? T'as personne de ta famille qui a été militaire ? »

« Pas que je sache non… Je m'en souviendrais quand même. Mon grand-père paternel était avocat et l'autre était médecin. Aucun de mes oncles n'est militaire non plus… »

« Son service militaire ? »

« Il en a été exempté je crois, mais je ne sais pas pourquoi, il n'en parle jamais. »

La sonnerie annonça le début du cours avant qu'ils ne puissent réagir à cette dernière affirmation et chercher ce qui avait bien pu se passer. Et il n'était pas question pour les deux jeunes hommes de parler en cours d'histoire, le professeur était intraitable. Interrogation surprise à chaque fois qu'il surprenait deux élèves à discuter. Après avoir essuyé quelques mauvaises notes, toute la classe avait décidé deux choses : éviter de parler entre eux et réviser régulièrement leurs cours en cas de dérapage.

A 16h, alors qu'ils prenaient une pause entre deux cours, Mathias sentit son portable vibrer dans sa poche et sursauta. Il regarda l'écran.

« Ce sont eux. » murmura-t-il.

« Comment ça ? Qui, eux ? »

« Eux, ceux du CIRFA, les militaires ! Ils avaient dit qu'ils m'appelleraient en fin de semaine pour décider du jour de mes évaluations… »

« Tu vas être évalué ? »

« Bien sûr qu'il va être évalué, ils ne prennent pas tout le monde ! » rétorqua Théo. « Et répond, au lieu de regarder ton portable avec cet air bête. Sinon ils vont raccrocher. »

Le jeune homme décrocha. Ça n'était pas le même sergent mais c'était toujours un membre du CIRFA. Il lui expliqua que par chance, un GSE, un groupe des services d'évaluation, existait à Bordeaux, ce qui faciliterait ses trajets pour ses évaluations. Il passerait une batterie de tests aussi bien psychologiques que physiques, ainsi que des tests psychotechniques. Il faudrait qu'il apporte tous les documents qu'on lui avait normalement indiqués lors de son entretien. Il devait à présent fixer un rendez-vous. Ces tests dureraient quatre demi-journées, et les vacances scolaires commençaient le 12 avril et étaient de deux semaines. Il prit donc un créneau au milieu de celles-ci, à la fin de la première semaine. On lui fournirait un titre de transport pour se déplacer jusqu'à Bordeaux.

« Ça y est, ça commence… » Murmura-t-il en raccrochant.

« Ça a déjà commencé, à partir du moment où tu as décidé de prendre ton premier entretien ! Allez, réveille-toi, ça va aller, ça va bien se passer. » Le rassura Magalie.

« Mais ouais, en plus tu as une super forme physique, on n'aura qu'à faire un peu plus de muscu' et de hand avant, et puis voilà. Tu peux compter sur moi pour te traîner hors du lit ! » S'exclama Théo.

« Tu ne fais même pas de hand… »

« Ce n'est pas pour autant que je ne connais pas les règles ! Je te signale que j'assiste à tous tes matchs, en meilleur pote idéal ! Et puis je t'emmènerai courir. » S'indigna-t-il.

« En attendant, j'ai besoin des documents qu'ils m'ont demandés, et ce sont mes parents qui les ont, ils ne voudront jamais me les donner… »

« T'as deux options. Trois en fait. Soit tu les subtilises, soit tu demandes à tous les cabinets dans lesquels tu es allé de te donner ton dossier, soit tu convaincs un de tes parents et tu le mets dans la combine. » Exposa la jeune fille.

« Ouais, dans tous les cas, c'est galère. Je ne sais même pas où ils ont mis ça. » Se découragea-t-il.

« Alors tu n'as plus qu'à convaincre un de tes parents ! Ça me paraît être le plus simple. » Décréta la jeune fille.

Cela paraissait si simple dans sa bouche. Mathias avait du mal à y croire. Et en même temps, c'était une telle bouffée d'optimisme. Et si jamais il arrivait à convaincre l'un de ses parents. Peut-être celui-ci l'aiderait-il à convaincre l'autre ? Peut-être ses parents accepteraient-ils enfin sa décision ? Après tout, ils s'étaient montrés tolérants par le passé, alors pourquoi pas cette fois-ci ?

Il ne pouvait s'empêcher à la fois de se dire qu'il était trop optimiste. Que tout ne pouvait pas se dérouler aussi facilement. Et qu'il lui fallait envisager qu'ils ne l'acceptent pas. mais c'était tellement tentant de penser le contraire.

Alors qu'ils se séparaient plus tard dans la journée pour rentrer chez eux, ses deux amis l'encouragèrent. La chance semblait d'ailleurs être avec lui car sa mère était déjà rentrée du travail et bouquinait dans le salon. Il toussa légèrement pour signifier sa présence, pas bien sûr de ne pas déranger ou d'être le bienvenu.

Sa mère lui sourit et l'invita à s'assoir à côté d'elle, avant de poser son roman sur la table. Elle lisait un de ces romans à l'eau de rose qui l'écœuraient. Il ne voyait pas vraiment quel intérêt elle trouvait à toutes ces histoires. A part celui de ne pas avoir à réfléchir après une journée de boulot, peut-être. Enfin ça n'était que son avis après tout, et puis lui aussi était romantique. Parfois. Un peu. Peut-être. Enfin ça faisait longtemps qu'il ne l'avait pas été. Bref. Ça n'était pas la question.

« Maman, j'ai besoin de te parler… »

Elle hocha la tête et l'encouragea à continuer, le visage devenu grave. Alors il expliqua tout. Il expliqua la passion qu'il avait pour le monde militaire. Que tout ça n'était pas qu'une question de se battre, d'avoir une arme entre les mains et le droit de s'en servir. Ça n'était pas une question de faire comme dans les jeux vidéo et il espérait bien ne pas avoir à tuer trop de personnes.

Ça n'était pas une question de problème d'orientation, il n'avait pas choisi ça parce qu'il ne savait pas quoi faire d'autre, c'était sa vocation. C'était vraiment ce qu'il voulait faire. Apprendre à servir son pays. Apprendre ses valeurs. Apprendre à le défendre et à protéger des populations. Etre utile, surtout, être utile, savoir qu'on sert à quelque chose, que son travail n'était pas qu'au service du profit d'une entreprise. Savoir qu'il pouvait apporter une autre image de lui aux gens. Voyager aussi, aller dans d'autres pays, rencontrer d'autres cultures, apprendre à les connaître et à les apprécier. Se soumettre au régime disciplinaire strict mais si formateur. Si gratifiant à la fin.

Monter en grade, devenir une personne importante dans l'armée, montrer qu'elle n'est pas qu'un tas de brutes décérébrées. Et pourquoi ne pas se spécialiser, apprendre un métier précis et ne pas être un simple soldat. Etre dans une unité particulière et être formé pour ça, au même titre qu'on le serait dans le civil.

Ses raisons étaient multiples, et à moins d'être recalé aux examens d'entrée, il ne comptait pas changer de voie. Et il ne voulait pas se battre avec elle. Ça serait suffisamment difficile. Suffisamment éprouvant. Il en baverait. Sans compter que sa vie sociale serait limitée, ses amours encore plus.

Alors il avait besoin d'eux, besoin de sa famille, besoin de rentrer en permission dans un contexte accueillant, dans une famille qui le soutenait et était fière de lui. Il avait besoin de sa mère. Parce que même s'il avait grandi, il était encore son fils et il avait encore besoin de voir l'approbation dans son regard.

Quand il remonta dans sa chambre pour travailler, il ne sut pas si sa plaidoirie avait eu suffisamment d'impact mais au moins, il avait essayé. Peut-être sa mère en parlerait-elle à son père dans la soirée. Peut-être comprendraient-ils enfin.

Le dîner ne lui donna pas plus d'indices et il n'osa pas aborder de nouveau le sujet. Après tout, il avait encore quelques semaines pour les convaincre, d'ici ses entretiens, se dit-il tout en se traitant mentalement de faible. S'il n'était pas capable de s'imposer et d'imposer ses choix, comment pouvait-il prétendre avoir la force morale nécessaire pour survivre aux entraînements de choc qui l'attendraient une fois recruté ? Ça n'était pas gagné, se dit-il. Il allait falloir améliorer tout ça.

C'est ce qu'il confia également à Théo la fin de soirée venue, à travers la messagerie instantanée. Ils ne l'utilisaient pas souvent, se voyant suffisamment dans la journée comme ça pour ne pas en baver en plus le soir, plaisantait son ami, mais en ce moment, celui-ci avait senti qu'il en aurait besoin. D'ailleurs, il ne tarda pas à le réconforter du mieux qu'il put, un peu maladroit.

Il lui parla du prochain match de handball contre une équipe particulièrement coriace, qu'ils devraient absolument gagner parce qu'il avait dit à tout le monde que son meilleur pote était le meilleur des tireurs. Il l'enjoignit de se défoncer au prochain entraînement pour sortir en lui donnant l'espoir qu'il gagnerait sous peine de le ridiculiser à jamais et de briser sa vie sociale, ce qui bien sûr n'était pas possible s'il voulait sortir avec Camille Dutertre, la plus belle fille du lycée.

Ça faisait des mois qu'il avait flashé dessus et profitait de l'aura de sportif de Mathias pour essayer de l'aborder. Il fallait dire que celui-ci était plutôt connu au lycée, grâce au hand et à ses bonnes notes. Pourtant, le jeune blond n'avait rien à lui envier, s'il ne faisait pas de handball et n'était pas le chouchou de l'équipe, il était tout de même bon en sport, athlétique et avait de bonnes notes également. De plus, il avait un cœur à donner, même si les attraits physiques de Camille ne lui étaient pas indifférents, et sa maladresse avait son charme. Du moins, aux yeux de Mathias.

Et qu'on n'aille pas dire qu'il était amoureux de son meilleur pote. Sérieux, ça n'avait aucun sens. Il n'était pas du tout son genre. Juste qu'il était plus facile pour lui dire s'il plairait à une fille, puisque… enfin, vous comprenez quoi. Ça n'était pas pour autant qu'il sautait sur tout ce qui bouge. Ou qu'il allait tomber amoureux de son meilleur ami, après l'avoir ignoré pendant des années, que celui-ci allait se rendre compte en embrassant une fille qu'il était plutôt branché mecs et qu'ils allaient convoler en justes noces un jour prochain. Ça, ça n'arrivait que dans les histoires. Et lui, il vivait dans une vie réelle. Une vie où il n'avait pas de petit-ami, pas d'amoureux, et surtout, où il n'avait aucune envie que ça soit son meilleur pote.

Bon, après, il était vrai que ça n'était pas parce qu'il n'avait pas de petit-ami qu'il n'avait personne en vue. Enfin de toute façon, dans un lycée où tout le monde se connaissait, et où tout le monde connaissait les orientations de presque tout le monde, il y avait assez peu de chance pour que ça soit réciproque.

Il n'était même pas sûr de pouvoir dire qu'il y avait un autre mec gay dans l'école. De toute façon, il ne pensait pas non plus qu'aucun sache qu'il l'était, ça n'était pas marqué sur son front. Il y avait bien un mec, un peu dans le genre de Théo mais version moins remuante et plus grande, dans une autre terminale, qui était pas mal et lui avait tapé dans l'œil. Enfin il n'était pas très causant non plus, donc il ne pouvait pas tellement dire qu'il avait essayé de le draguer. Puis draguer un mec au lycée, il n'y avait pas meilleur moyen pour se taper l'affiche. Ça n'était pas tellement ce qu'il voulait.

Il soupira et mit fin à la conversation avec son pote. L'entendre parler avec émotion de la Camille lui filait le cafard et le renvoyait à sa propre solitude. Qui elle, était un peu plus difficile à combler.

Il alla se coucher. Demain serait un autre jour. Et les suivants pareillement. Il allait réaliser son rêve, pensa-t-il. C'était tout ce qui importait.