LA MECANIQUE DU COEUR


Il passa la main sur sa jambe, la faisant frissonner. Il la ramena autour de sa hanche pour l'y accrocher. Ses mains étaient douces sur sa peau, elles la caressaient comme jamais elle n'avait eu l'occasion de l'être. Une myriade de sensations l'envahissait et la chaleur se répandait dans son corps.

Réel ou pas réel ? Tout cela était-il vrai ? Ou n'était-ce qu'une illusion ? Que de faux signaux envoyés à son cerveau ? Pouvait-elle vraiment ressentir la pulpe de ses doigts sur sa peau, comme une caresse aérienne ? Ou n'était-ce qu'un programme, qu'on lui avait intégré…

Comment pouvait-il l'aimer ? Comment pouvait-il prétendre le vouloir ? Comment pouvait-il la désirer ? Comment faisait-il ? Elle n'était plus la même. Elle n'était pas comme lui. Elle était… différente. Elle n'était plus tout à fait humaine. Pas vraiment robot. Elle n'était qu'une cyborg. Qu'une fille à moitié cassée qu'on avait réparée comme on avait pu. Elle n'était qu'un ajout de pièces, qu'un amas de ferraille accroché à de la chair.

Qui aurait pu dire lequel de ses bras était articulé mécaniquement ? Qui aurait pu deviner que sa jambe n'était pas tout à fait constituée de chair ? Qui aurait pu dire si certaines parties de son cerveau n'avaient pas été changées ? Elle n'était même pas sûre de connaître la cartographie de son corps. Elle n'était même pas sûre de connaître l'ensemble des endroits où on l'avait réparée. On lui avait seulement dit qu'elle avait eu de nombreuses lésions suite à son accident.

Forcément, être projetée depuis trois mètres de haut, c'était assez… fracassant. Elle était allée sur un toit, un soir, il y avait deux ans déjà, presque jours pour jours. Elle avait voulu voir les étoiles. On était un soir sans lune, c'était la meilleure occasion. Le reste du temps, le ciel était si encombré, les reflets de la lune éclairaient l'ensemble des immeubles aux parois de verre et de miroir, qu'on n'y voyait rien. Elle avait enfin pu observer le ciel étoilé. Elle en rêvait depuis des années mais n'avait jamais vraiment eu le droit. Monter sur un toit n'était pas correct pour une jeune femme de bonne famille. Encore moins en pleine nuit. Que dirait-on alors ?

Elle n'avait finalement pas su. Elle avait glissé sur la toiture gelée et s'était cassé la figure. A trois mètres du sol. En atterrissant, son corps avait rencontré le béton froid et sale. Des déchets qui n'avaient pas encore été ramassés par les hoovers de nettoyage nocturne lui avaient déchiré plusieurs ligaments.

Depuis des siècles, leurs corps étaient devenus plus fragiles, moins habitués aux aléas de la vie comme les humains qui vivaient sur cette planète avant eux. On disait que des siècles auparavant, les hommes survivaient aux virus les plus virulents, aux infections suffisamment graves pour en mourir aujourd'hui. Mais la vie avait changé. Les progrès scientifiques avaient fait leur œuvre, et transformé le monde.

À présent, plus personne ne mourrait de maladie car elles n'existaient plus, ou presque plus. La grippe sévissait bien encore mais la pandémie avait été arrêtée, et les médicaments de leurs ancêtres avaient été étudiés puis reproduits à faible dose pour soigner les malades de ce jour.

Les accidents arrivaient peu et les cyborgs étaient peu courants, bien moins que les robots purs. Ceux qui n'avaient pas d'âme. Contrairement à elle. Les cyborgs n'étaient ni humains ni robots. Ils n'étaient pas appréciés. Pas intégrés. Depuis elle avait été transformée, pour pouvoir être sauvée, sa vie avait totalement changé. Elle était devenue mécanicienne. A force de s'occuper de ses pièces, et d'avoir vu les médecins s'agiter autour d'elle, elle avait appris à se servir d'une clé à molette et d'un tournevis. Elle réparait les robots des autres.

Une jeune fille de bonne famille n'aurait jamais fait ça, bien sûr. Mais elle n'en était plus une. Elle n'était plus digne de porter ce titre. Plus digne de paraître sur les photos, dans les dîners, à peine de franchir le seuil de chez elle. Elle était leur honte. Leur secret. Elle n'était plus qu'une jeune fille qu'ils avaient recueillie par charité. De toute façon, elle n'avait pas encore fait son entrée dans le monde, avant son accident. Peu de gens la connaissaient. Ceux-là croyaient simplement qu'elle était une cousine éloignée très ressemblante.

Elle avait coupé ses longs cheveux qui ne lui servaient plus à rien et se prenaient dans les rouages qu'elle réparait. Tant qu'à y faire, elle les avait teint en brun, afin de ne plus ressembler à cette poupée si parfaite qu'elle était. Elle avait pris son indépendance. Bon gré mal gré. Forcée. Elle vivait de ses maigres revenus. Cela suffisait amplement. Elle n'avait besoin de rien. Ses parents avaient tout de même payé les réparations de son corps. Ils étaient d'une bonne qualité, elle n'avait encore jamais eu à changer une pièce. Un jour, elle en aurait sans doute besoin. Heureusement, elle ne grandissait plus. Elle n'aurait pas à se racheter un nouveau pied ou une nouvelle main droite.

Sa boutique fonctionnait plutôt bien. Peu de gens connaissaient ses origines, mais tous savaient qu'elle était une cyborg. Elle était la mieux placée pour réparer leurs robots. Même si le reste du temps, elle était encore une paria. Elle avait appris à ne plus y faire attention. Tant qu'on lui donnait du travail et la récompense de ses efforts, ça lui allait. Elle avait appris à vivre seule.

Quelques-uns étaient sympathiques avec elle. La boulangère en face de chez elle lui offrait un croissant de temps en temps quand elle passait. Elle lui réparait régulièrement son robot pâtissier. Depuis que la vieille femme avait perdu son mari, elle avait bien du mal à tenir son commerce. Elle avait donc commandé un robot pâtissier pour l'aider en arrière-cuisine tandis qu'elle faisait encore le pain et les viennoiseries. Malheureusement, la farine se prenait souvent dans ses rouages, quand il ne faisait pas tomber de la crème sur ses programmes. La jeune femme était habituée à le réparer. Elle aurait presque pu proposer une carte de fidélité.

Quand la jeune femme ne travaillait pas, elle allait dans de vieilles décharges trouver quelques pièces qui pourraient lui servir pour de prochaines réparations. Ça coûtait quand même nettement moins cher. Bon, d'accord, ça n'était pas vraiment des loisirs. Sinon elle se baladait aussi parfois dans les magasins, dans l'espoir de trouver un petit quelque chose qui lui plairait. Elle n'était pas particulièrement coquette mais elle gardait l'espoir de ne pas être totalement rejetée un jour.

Ça n'était pas parce qu'elle avait des morceaux de métal dans son corps qu'elle devait être mis au ban de la société, si ? Ça n'était pas parce qu'elle n'était pas tout à fait comme eux, pas vraiment comme les robots non plus, qu'elle devait être exclue. Elle n'avait pas tant changé que ça. Pas à l'extérieur en tout cas. Il fallait un détecteur pour voir quelle était sa composition, mais tout le monde ne se baladait pas avec ça sur soi, si ? Seuls les gens qui la connaissaient de réputation savaient qu'elle en était une. Il n'y en avait pas encore beaucoup. C'était surtout des ouvriers qui étaient tombés de leur chantier, et aucun d'eux n'avait subi autant de dégâts qu'elle. A croire qu'elle n'avait vraiment pas de chance.

Son caractère, lui, avait changé. Elle n'avait plus la même vision du monde. Jamais elle ne s'était rendue compte auparavant de l'égoïsme des gens qui l'entouraient, de leur mépris pour ceux qui n'étaient pas comme eux. Elle avait vécu dans une bulle dorée toute sa vie, elle avait été protégée jusqu'au bal des débutantes qui était censé l'introduire au monde adulte, lui faire rencontrer un homme charmant et sans doute un mari. Un bon parti, bien sûr.

Mais tout ça avait volé en éclats. Elle s'était retrouvée seule, sortie de force de sa bulle cotonneuse si agréable. Confrontée à la réalité du monde. Elle avait appris à s'endurcir. A se cacher. Elle avait cherché un endroit où loger, avec les quelques deniers que sa famille lui avait donnés. Elle avait vendu toutes ses affaires. Elle avait fait le point, avant d'en sortir mûrie. Grandie. Quelque part, cet accident lui avait ouvert les yeux, même si ce qu'elle voyait à présent n'était pas beau. Elle avait fait son trou, sa vie.

Et puis un jour il avait débarqué. Un jour, elle avait sentir battre un truc qu'elle croyait remplacé par une pièce de métal. Il était rentré dans sa boutique et lui avait demandé très sérieusement ce qu'elle faisait. Au début, elle n'avait pas compris. Elle lui avait expliqué les réparations qu'elle effectuait à l'instant sur un robot ménager. Il était parti aussitôt, comme il était venu.

Le lendemain, il était revenu à l'improviste, et lui avait encore demandé ce qu'elle faisait. Cette fois-ci, elle avait décrit son métier de mécanicienne. Il avait soupiré avant de partir encore. Elle avait haussé des épaules. Qui était-il, de toute façon, pour lui poser des questions énigmatiques, avec l'air d'un vieux sage ?

Elle avait évalué qu'il avait à peu près son âge, un peu plus peut-être. Une vingtaine d'années donc, sans doute. Grand, assez fin mais des muscles roulaient sous son tee-shirt fin malgré le début de l'hiver. Ses cheveux étaient complètement ébouriffés, noir de jais. Ses yeux gris semblaient la sonder. Et il avait l'air totalement humain.

Elle n'aimait pas qu'on la dévisage comme ça, ça la mettait mal à l'aise. Elle n'avait plus l'habitude. Ou elle ne l'avait que trop, depuis l'accident, elle ne savait plus. Pendant plusieurs jours, cet homme étrange était encore revenu. Il lui avait posé la même question, jour après jour, sans qu'elle sache ce qu'il voulait. De toute évidence, ça n'était pas un client. Elle l'avait envoyé balader, lui avait claqué la porte au nez, avait même fini par l'ignorer royalement, mais rien n'y avait fait. Elle ne savait pas ce qu'il voulait.

Quand il poussa la porte de sa boutique encore une fois, elle soupira fortement.

« Bonjour, que faîtes-vous ? »

« Je ne sais pas, voilà ! Ça vous va ? » Répondit-elle, excédée.

Il l'empêchait de travailler, et la déconcentrait depuis des jours. Plusieurs clients s'étaient déjà plaint de son travail qui n'était plus aussi précis qu'habituellement. Un des robots serveur avait des mouvements tellement brusques depuis qu'elle l'avait réparé qu'il renversait le thé sur tous les clients du salon dans lequel il travaillait. Elle avait été obligée de tout reprendre.

Elle retourna donc à son travail, et dénuda un fil pour l'observer. Voilà, il avait un peu fondu, c'était pour ça qu'il n'était plus en état de fonctionner. Il allait falloir qu'elle le change, qu'elle rafistole tout ça. Elle leva la tête pour chercher des yeux où elle avait pu mettre la même taille de câble dans son magasin, avant de remarquer que le jeune homme n'était pas parti. Qu'est-ce qu'il avait, encore, celui-là ? Le client était roi mais celui-là n'en était pas un ! Qu'est-ce qu'il avait à l'observer comme ça ? Sa réponse ne lui convenait pas ? Il n'en aurait pas d'autres, voilà, elle ne savait plus quoi répondre à ses questions à la noix !

Soudain, il passa derrière son comptoir, et lui prit la pince à dénuder des mains pour la poser sur le plan de travail. Elle le regarda, surprise, et assez énervée. Elle n'avait pas que ça à faire, de jouer avec lui. Il bloqua ses mains quand elle tenta de reprendre l'outil. Il avait de la force. Même sa main mécanique avait du mal à se dégager.

Elle y parvint quand même et le regarda avec une lueur de défi. Aucun mot n'était échangé entre eux et pourtant, elle avait l'impression qu'ils se disaient plein de choses. Elle s'énervait contre lui alors qu'il tentait de la calmer et d'éviter les coups qu'elle aurait voulu donner. Après quelques secondes d'immobilité, il prit sa main droite et l'entraîna à sa suite, hors du magasin.

Elle aurait voulu protester, s'arrêter pour fermer la porte à clé, pour changer l'enseigne et dire qu'elle partait, ou même juste rester plantée là sans bouger en le laissant partir seul. Elle ne fit rien de tout ça. On pouvait lui voler son matériel, ses outils, sa caisse. Elle n'avait aucun système d'alarme, rien de caché. Elle secoua la tête. Personne ne la volerait. Qui irait piquer chez une mécanicienne ? Aucun d'entre eux ne saurait se servir de ce qui était dans son magasin, et elle était l'une des meilleures dans son domaine. Sans compter qu'on répugnait déjà à entrer chez elle alors on n'irait sûrement pas jusqu'à la voler. Un acte trop honteux.

Elle se laissa entraîner. Ils marchaient vite, fendant la foule des gens qui l'entouraient sans s'en préoccuper. Le paysage changeait petit à petit. Ils quittaient les grands immeubles de verre et d'acier du centre-ville pour se diriger vers les banlieues. Les immeubles étaient moins hauts, moins modernes. Ils n'avaient pas encore eu le temps de totalement réhabiliter cette zone. Les hoovers circulaient au-dessus de leur tête pour ramasser çà et là des débris des anciennes constructions.

Leur ville avait été l'une des dernières à être reconstruites. Elle s'était située à une époque en plein dans la zone de contamination extrême. Celle qui avait détruit une partie de la planète et leur avait demandé de faire autant d'efforts scientifiques. Malgré tout, certains s'étaient regroupés dans cette ville, ils y étaient toujours attachés.

Soudain, le jeune homme tourna à droite et lui fit escalader une échelle portative. Ils arrivèrent en haut d'un toit. Elle trembla. Elle… ça n'était pas une bonne idée. Elle n'était pas remontée sur un toit depuis plusieurs années. Depuis l'accident. Elle n'avait jamais osé. Elle avait presque le vertige, à présent. Il serra sa main plus fort.

« Ça va aller. »

« Qu'en sais-tu ? Tu ne me connais pas. » jeta-t-elle, hargneuse.

« Plus que tu ne le crois. Je t'ai observée, Kaïa. »

« Pourquoi ? T'es un pervers ? Un psychopathe ? Un médecin ? Un de ces putains de chercheurs qui vient voir comment sa machine fonctionne ? Je n'ai pas besoin de ça. Fiche le camp. »

« Et te laisser seule sur le toit ? Avec ta phobie du vide ? tu penses vraiment que c'est une bonne idée ? » Demanda-t-il, narquois.

« Je n'ai pas besoin de toi. »

« Je ne suis pas un chercheur ou un psychopathe. Pervers je ne dis pas, mais je suis juste un homme comme les autres. »

« Moi je ne suis pas une femme comme les autres, justement. Alors dégage. »

« Rien ne te rend différente pourtant. »

« J'ai une main en métal. Et une jambe. Et plein d'autres choses encore, je ne suis même pas sûre de tout. Et tu me dis que je ne suis pas différente ? Que je suis normale ? Tu te fous de moi ? »

« Regarde. » Fit-il avec un mouvement ample du bras, lui montrant le paysage qui les entourait.

Elle n'avait pas vu où il l'emmenait. On était déjà en fin de journée et le soleil se couchait lentement en face d'eux, dans des traînées roses et orangées. Un spectacle qui aurait pu être romantique si elle n'avait pas été perchée sur un toit avec un inconnu, la vue brouillée par les immeubles en face d'eux, qui gâchaient tout.

« Tu trouves que nos vies sont normales à présent ? Tu crois être la seule à être cyborg ? Je suis certain qu'ils sont nombreux, à l'être, mais personne n'ose l'admettre. Sauf toi. Tu es un symbole dans ton quartier, tout le monde te connaît. Parce que tu ne te caches pas. Tu as peut-être honte mais tu ne le montres pas. Tu réussis à rester toi. Tu es différente des autres oui. Mais parce que tu es toi, tu ne portes pas de masque, contrairement à eux. »

La jeune femme soupira. S'il le disait. Elle n'en était pas certaine. A vrai dire, elle ne savait pas tellement où elle en était. Elle n'avait jamais établi de plan, jamais réfléchi sur sa vie. Elle s'y était refusée, depuis l'accident. Ça n'était pas bon pour elle.

« Viens, on redescend. »

Ils prirent à nouveau l'échelle qu'ils avaient empruntée. Sa jambe dérapa sur le dernier barreau et elle perdit l'équilibre. Elle se sentit partir en arrière avant que le jeune homme ne la rattrape. Sa tête tournait sous le choc et il l'appuya contre le mur tout en se positionnant juste devant elle, la protégeant du monde extérieur.

« Ça va ? »

Elle hocha la tête. Ça allait passer. Elle avait juste eu peur et posa une main sur son cœur pour le sentir battre contre sa poitrine. Il cognait fort. Elle chercha à reprendre sa respiration et leva un peu la tête. Il la regardait. Il la fixait, même. Elle se figea. Que pouvait-il bien chercher en elle ? Pourquoi s'intéressait-il à elle ? Que voulait-il d'elle ? Qu'espérait-il ?

Doucement, il s'approcha d'elle, et posa sa tête près de la sienne, appuyée contre le mur. Son souffle caressait son cou. Il semblait fatigué, incertain. Il regrettait, sans doute. De s'être promené avec elle, de l'avoir entraînée dans cette course sans but et sans raison. Il devait regretter de traîner avec une cyborg.

« Non. » souffla-t-il en la regardant dans les yeux. « Je ne regrette pas du tout. »

Ses lèvres effleurèrent les siennes. Elles se posèrent à peine, timides. Elles s'écartèrent aussitôt avant de revenir à la charge. Il l'embrassa encore. Ses lèvres se posèrent plus durement sur les siennes, comme si elles voulaient lui montrer qu'elles n'avaient pas peur d'elle, qu'il n'était pas dégoûté. Elles s'accrochèrent, persistèrent. Sa langue passa sur sa lèvre inférieure, ses dents la mordillèrent pour la faire céder.

Leurs langues se trouvèrent, s'apprivoisèrent, et il encadrait son visage de ses mains. Elle était bien. C'était si agréable. Mais… mais ça n'était pas possible. Il devait se ficher d'elle. Encore. Ça ne serait pas le premier, il aurait juste fait plus original que les autres. Elle se dégagea, poussant de toutes ses forces de ses mains. Elle le regarda, les yeux emplis de colère, avant de repartir d'où ils venaient.

Elle n'avait pas fait quelques pas qu'il la rattrapait par le bras et l'écrasait à nouveau contre le mur de l'immeuble qu'ils avaient escaladé. Il coinça une jambe entre les siennes et plaqua son corps au sien. Ses yeux brillaient, et si elle ne se trompait pas, ils illustraient un vrai désir. Il ne faisait pas semblant. Sa bouche fondit sur la sienne, l'embrassant sauvagement. Il n'était pas question qu'elle s'échappe à nouveau. Pas question qu'il la laisse partir.

« Comment fais-tu ? » Murmura-t-elle entre deux baisers.

Il ne répondit pas tout de suite. Ses lèvres migrèrent le long de sa mâchoire, la redessinant avant de prendre possession de son cou. Il titillait sa chair, embrassait chaque parcelle de sa peau, avant de remonter à son oreille.

« Tu me fascines. Tu me fascines d'évidence. Je te l'ai dit, tu es exceptionnelle… » Répondit-il d'une voix rauque qui la fit frissonner.

« Tu m'observais ? » Exhala-t-elle.

« Tu me crevais les yeux… » Dit-il avant de l'embrasser encore pour la faire taire.

Une de ses mains s'approcha de sa hanche pour faire des cercles concentriques avant de se faufiler sous son tee-shirt. Pour une fois, elle n'avait pas mis de salopette. Il caressa la peau satinée de son ventre, et passa le doigt sur une cicatrice sans se formaliser alors qu'elle tressaillait. Il l'embrassa encore, doucement, comme pour la rassurer, alors que la main qui ne traînait pas sur sa hanche tenait sa nuque.

Il la maintenait contre lui, de peur qu'elle s'esquive encore. Il fallait qu'il lui montre. Il fallait qu'elle lui fasse comprendre qu'elle était désirable, qu'elle était belle, et qu'elle n'était pas la chair de métal qu'elle pensait être. Elle n'était pas un robot, et il était sûr de percevoir son émotion, sa réactivité face à ses caresses. Il savait qu'il lui faisait de l'effet, autant qu'elle lui en faisait, et il voulait le lui montrer. Il y parviendrait. Elle tremblerait sous ses doigts, elle cèderait.

Sa main gauche remonta le long de son ventre, effleura sa peau jusqu'à ce qu'elle arrive à son sein. Doucement d'abord, il caressa le tissu qui le recouvrait, avant de glisser ses doigts dessous et de titiller le mamelon. Il la sentait se tendre contre lui, et arrêta brusquement sa caresse, la faisant gémir de frustration. Il la regarda, amusé, avant de lui ôter son haut ainsi que le sien. Il ne faisait pas si chaud mais leur désir les protégeait du froid. Elle détailla le torse qui se présentait à elle. Elle avait eu raison quant à son jugement. Les muscles saillaient sous la peau légèrement bronzée et imberbe. Une fine ligne de poils noirs descendaient de son nombril jusqu'à son pantalon. Elle rougit.

Il se colla à nouveau contre elle, lui transmettant sa chaleur. Elle sentait son désir contre sa cuisse mais se sentait incapable d'y réagir, comme tétanisée. Comme faisait-il pour rester aussi naturel, pour l'observer encore, la dévorer des yeux, alors qu'il voyait la cicatrice sur sa hanche droite, celle de son épaule gauche ?

Il posa la bouche sur sa clavicule et ses lèvres suivirent la marque sur sa peau. Elle frissonna. Il lui faisait du bien. On aurait dit qu'il faisait tout pour lui faire oublier son malaise, pour lui montrer que sa différence n'était pas si gênante. Elle crocheta ses bras autour de son cou, pour le rapprocher encore d'elle. Ce faisant, elle lui laissa le champ libre vers sa poitrine qui pointait vers lui.

Il laissa ses mains vagabonder sur ses seins, les prendre en coupe pour les cajoler, puis s'attarder dans son dos pour défaire son soutien-gorge. Sa bouche descendit vers un mamelon qui ne demandait qu'à être couvert d'attention. Il le prit entre ses lèvres tout pinçant l'autre. Il leva les yeux vers la jeune femme. Les yeux mi-clos, abandonnée contre le mur, elle avait les joues rouges de timidité et la bouche entrouverte, exhalant quelques gémissements.

Son désir enfla dans son pantalon. Elle était belle, elle était si belle et elle ne s'en rendait même pas compte. Il eut envie de la garder pour elle, de conserver auprès de lui cette perle de femme qui ne se connaissait pas. Sa raison lui dictait qu'il n'était que l'initiateur, qu'il n'était peut-être pas celui qu'il lui faudrait, seulement celui qui lui ouvrait les yeux, mais il la chassa rapidement de son esprit. Il voulait plus, beaucoup plus.

Il continua d'agacer la chair qui frissonnait sous ses attouchements de sa bouche tandis que ses mains glissaient sur ses hanches, à l'orée de son pantalon. Il déboutonna celui-ci et le fit glisser le long des jambes de la jeune femme. Elle ouvrit grand les yeux, surprise. Elle ne pensait sans doute pas qu'il irait si loin. Pourtant si. Il en avait envie, diablement envie. Et il savait qu'elle aussi. Elle n'y croyait simplement pas.

Il se redressa, l'embrassa tendrement avant de détacher ses mains de son cou pour les poser sur son torse. Il accompagna ses gestes hésitants, l'encourageant à découvrir le grain de sa peau, les frissons de plaisir qui l'électrisaient à son contact. Il la laissa aller où elle voulait, la guidant simplement sur les endroits qui lui feraient le plus d'effet. Il la laissa s'amuser un instant avec l'un de ses tétons avant de la faire dévaler son ventre. Elle chatouilla la ligne de ses poils, tandis qu'une main agrippait ses hanches, la faisant prendre conscience que tout ça était réel.

Heureusement, elle maîtrisait la force de sa main mécanique. Elle aurait presque pu lui enfoncer les os, si elle l'avait voulu. Il fit descendre l'une de ses mains vers son pantalon. Il la guida vers son érection, l'incitant à passer la main dessus, par-dessus les couches de tissu, pour se rendre compte de sa véracité. Il la désirait vraiment, et il était prêt à tout pour le lui montrer.

Il lâcha un instant ses mains pour défaire de lui-même sa ceinture et le bouton de son pantalon, avant de le descendre à ses genoux. Il la vit rougir devant son sexe érigé malgré le fin tissu de son sous-vêtement. Elle était adorable dans sa timidité. Lentement, il reprit sa main pour la poser sur son érection, et lui imposa un mouvement de massage. Ce simple geste lui procurait des sensations incroyables et bientôt, il dût poser l'autre main au mur pour ne pas s'écrouler contre elle.

Petit à petit, elle prenait de l'assurance, et il la vit se débarrasser de sa propre main et se glisser timidement sous le tissu. Ses doigts sur sa peau étaient une sensation merveilleuse. Et il savait qu'elle le ressentait aussi. Il savait que les terminaisons nerveuses implantées sur sa main lui faisaient l'écho de son plaisir.

Et non, il n'avait pas peur. Cette main aurait pu lui broyer le sexe sans y prendre garde mais il n'avait pas peur. Il avait confiance en elle, pleinement. Il l'écarta cependant. Elle le regarda, interrogatrice, blessée. Il la rassura d'un regard. Oui, il avait apprécié ses caresses, bien plus qu'il ne l'aurait cru. Mais c'était justement ça le problème. Il n'allait pas tenir, si elle continuait ainsi à le masser, avec son innocence et sa réserve qui le faisaient craquer.

Il posa ses mains sur ses hanches et descendit tout doucement sa culotte, comme pour lui laisser le temps de réaliser. Si elle partait à présent, si elle s'effrayait et s'enfuyait, il en mourrait de frustration. Elle ne partit pas. Il passa la main sur sa jambe, la faisant frissonner. Il la ramena autour de sa hanche pour l'y accrocher. Ses mains étaient douces sur sa peau, elles la caressaient comme jamais elle n'avait eu l'occasion de l'être. Une myriade de sensations l'envahissait et la chaleur se répandait dans son corps. Réel ou pas réel ?

Tout semblait pourtant vrai. Elle avait l'impression qu'il la chérissait à chacun de ses gestes. Qu'il lui offrait bien plus qu'un instant de plaisir et d'abandon. Il lui offrait la possibilité d'être elle-même sans le faire fuir. Il approcha son sexe du sien et s'enfonça lentement en elle. Elle hoqueta. Visiblement, cette partie-là n'était pas faite de pièces de métal. La douleur envahit son bassin avant de refluer.

Il lui caressa la joue et entama un mouvement de va-et-vient. Il commença lentement. Le plaisir montait. Elle roula des hanches pour l'encourager à aller plus vite. Accrocha ses mains à son dos pour le rapprocher d'elle et sentir son souffle contre le sien. L'embrassa passionnément, sans pouvoir s'en empêcher.

Il glissa une main entre eux et titilla son bouton de plaisir, tout en accélérant ses mouvements désordonnés. Il entrait et sortait plus vite, plus fort, s'enfonçant encore un peu plus à chaque poussée, reculant à chaque fois un peu plus. Le dos de la jeune femme percutait le mur, s'y égratignait, mais elle s'en fichait.

Rien n'existait plus que cet homme qui la faisait se sentir si femme, si vivante, si normale. Rien ne comptait plus que le bonheur qu'il lui procurait. Un mouvement plus ample que les autres, additionné à cette main qui la caressait toujours, la fit crier plus fort. Son sexe se contracta autour de celui du jeune homme qui n'y tint plus non plus. Sa semence se déversa en elle et il ralentit progressivement, essoufflé.

« Tu vois que tu es une femme… » Murmura-t-il à son oreille avant de l'embrasser, malicieux.

« Idiot… » Répondit-elle en souriant.

« Au fait, je m'appelle Nicholas. Et je pensais tout ce que j'ai dit. Je suis prêt à te le prouver à nouveau quand tu veux. » Ajouta-t-il, moqueur avant de la plaquer contre son torse, le nez dans ses cheveux courts.

Elle sentit dans sa voix qu'il disait vrai. Il l'acceptait comme elle était. Et si finalement, tout ça était réel ? Et si finalement, ils pouvaient s'aimer ?