Cet OS a été écrit pour répondre à un défi de Picotti sur la Ficothèque Ardente, il s'agissait d'écrire un texte sur la colocation, avec comme image celle que j'ai mise en couverture. Chez moi, la colocation est apparemment… difficile. Bonne lecture !
UNE COLOCATION MOUVEMENTÉE
La sonnette retentit. Une fois. Deux fois. Il n'y avait personne dans cet appartement ou quoi ? On ne lui avait quand même pas refilé un rendez-vous bidon ? Déjà que la rue n'avait pas l'air très sûre. Si c'était un squat ou un endroit abandonné, elle jurait de retrouver le propriétaire de l'annonce et de l'égorger après l'avoir étripé vif.
Trois fois. Mais allez, il était temps là ! Si ça continuait, elle n'allait pas avoir de logement pour la nuit, et elle serait fichtrement mal. Elle ne connaissait personne à Paris et il n'était pas question de prendre un hôtel pour la nuit, elle n'avait pas les moyens. Elle n'aurait plus qu'à dormir sur un banc, au milieu des clochards, avec sa valise en plastique comme seul oreiller. Elle était bien, tiens !
Quelle idée, aussi, d'avoir réservé par internet. Sa mère lui avait pourtant dit que c'était idiot, qu'ils pouvaient bien lui payer un aller-retour Grenoble-Paris, mais elle avait refusé. Ils n'étaient pas riches et c'était déjà un miracle qu'elle puisse faire ses études dans la capitale pour ne pas en plus dépenser inutilement de l'argent. Quoique maintenant, elle commençait à sérieusement regretter.
Quatre fois. Bon, cette fichue porte s'ouvrait oui ou non ? Elle s'apprêtait à sortir son portable pour appeler ses parents, et leur demander de l'aide, quand ses vœux furent exaucés. Enfin, façon de parler. La porte s'ouvrit, et ce qu'elle vit la fit nettement moins sourire.
« Tu es la nouvelle… ah, Lily ! Ne me dis pas que c'est toi, ma colocataire débarquée de Grenoble ? Allez, entre, du coup, tu ne vas pas rester sur le palier. »
Ben si. Et là, elle était bien mal. C'était presque un coup à dégainer quand même son portable pour appeler ses parents. Quoique, non, pas eux. Mais… euh… un ami à Paris ? Non, elle n'en avait pas. De la famille ? Il ne lui semblait pas non plus, ou alors ça allait être une vieille grand-tante à moitié sénile qu'elle ne connaîtrait pas du tout. Glauque comme situation.
La jeune fille hésita quelques minutes avant d'être tirée de force par le bras. Bon, ben elle entrait. Elle demanda rapidement où était sa chambre avant de s'enfermer dedans. Elle ignora les coups à la porte et s'effondra sur son lit. L'année ne pouvait pas commencer plus mal. Elle n'était même pas encore arrivée en cours que c'était déjà l'horreur.
Et si elle cherchait un nouvel appartement ? Il y aurait bien quelqu'un, à l'école, qui cherchait un nouveau colocataire et n'en avait pas encore trouvé ? Ou quelqu'un qui avait un tuyau ? Un ancien de l'école qui lâchait son appartement et mettrait une annonce quelque part où elle pourrait la voir ? Elle trouverait bien une solution ! Elle dirait simplement aux propriétaires de l'appartement qu'elle ne pouvait plus, que l'endroit ne lui convenait pas, ça n'était pas possible ?
Quelques semaines plus tard, elle pouvait dire que non, ça n'était pas possible. Elle avait cherché dans tous les recoins de l'école, demandé aux quelques personnes qu'elle connaissait, et personne n'avait d'offre à lui faire. Et elle avait tellement de travail qu'elle ne pouvait pas se permettre de faire des recherches poussées sur internet et des visites. Il n'était pas question qu'elle rate sa formation, elle en rêvait depuis trop longtemps, et ses parents avaient fait trop de sacrifices.
Elle était condamnée à rester dans sa colocation. Et objectivement, celle-ci n'était pas si mal placée que ça. Située à côté de la station Oberkampf, elle était à environ une demi-heure de l'Ecole de Louvre. Ça n'était pas tant que ça, comparé à certains. De toute façon, ses moyens limités lui interdisaient d'habiter plus près. Et puis sa chambre était claire, avec un grand bureau et une étagère solide pour y entreposer tous les ouvrages qu'on lui avait fournis.
Elle se concentrait simplement sur ses études, comme ça. Elle sortait peu de sa chambre, et passait son temps à étudier. Elle avait beaucoup à apprendre et les matières n'étaient pas faciles. Entre l'iconographie, la muséologie et les techniques de création, elle avait de quoi potasser un moment. Sans compter les cours d'histoire de l'art, de méthode, et les travaux dirigés qu'elle préparait. Passionnée d'histoire, elle avait aussi choisi l'option d'héraldique, pour apprendre à reconnaître les blasons, et à les analyser. Quand elle sortait de sa chambre, c'était pour aller en cours ou retomber dans le cauchemar.
Leur première colocataire, Katia, étudiante en langues le jour et serveuse la nuit, n'était pas gênante. Elle n'était tout simplement jamais là en même temps qu'elle. Voire jamais là tout court. Elle se demandait pourquoi elle avait pris une chambre dans un appartement, à part pour entreposer ses affaires. Elle ne la croisait presque jamais. C'était assez pratique, finalement. Mais l'autre. Comment dire… l'autre, c'était une horreur. Une punition. Et elle en prenait pour un an ferme. Il le faisait exprès, ça n'était pas possible.
Il s'amusait à occuper le plus souvent possible leurs parties communes, s'affalait des heures entières devant la télé le soir, avait déplacé son ordinateur portable sur leur table basse pour soi-disant travailler sur elle ne savait quelle matière, et choisissait évidemment le même moment qu'elle pour dîner, quelle que soit l'heure.
Sans parler des matins où il sortait à moitié dénudé de sa chambre, mal réveillé, pour aller se laver la figure à la salle de bain. Ou des soirs où elle le croisait après sa douche, avec seulement une serviette autour de la taille parce qu'invariablement il avait oublié ses vêtements dans sa chambre. Il exposait sans aucune pudeur son torse à la peau un peu mate, imberbe si on exceptait une ligne de poils châtain partant du nombril.
Et qu'on ne s'y trompe pas hein. C'était une vraie corvée de le voir comme ça, et Lily n'appréciait pas du tout. Non pas qu'il soit vraiment laid mais comment dire… fallait-il vraiment le dire ? Bon, d'accord. Si ça pouvait aider à comprendre sa situation.
Elle était présentement en colocation avec celui qui la martyrisait quelques années plus tôt. Comment avait-elle pu tomber, alors qu'elle changeait de ville et allait à l'autre bout de la France, sur celui qui avait occupé ses pensées tout un été ? Celui pour lequel elle avait complètement craqué l'année de ses quinze ans. Il avait dix-sept ans, des cheveux châtain clair qui lui caressaient la mâchoire, un corps assez bien foutu qu'elle avait pu apercevoir avec la chaleur ambiante, et une gueule d'ange.
Et il l'avait joyeusement remis à sa place en sortant avec sa meilleure amie. Le pire, c'est que ça n'avait même pas duré. Ils étaient restés ensemble quelques jours, à peine deux semaines et demi, avant que celle-ci ne le quitte en le traitant de tous les noms. Monsieur aimait aller voir ailleurs, et ne s'en privait pas. Le mythe avait été brisé.
Et maintenant, elle se retrouvait en colocation avec le même salaud, trois ans plus tard ! Et elle n'avait même pas le choix, elle devait encore le supporter. Lui et ses envies de glace à la menthe qui remplissaient entièrement le freezer. Lui et ses verres sales dans l'évier qu'il ne prenait jamais la peine de laver. Lui et sa manie de sortir presque nu de la douche, le regard un peu hagard, des gouttes d'eau pas tout à fait essuyées. Lui et sa manie de ramener des filles quand elle n'était pas là.
Elle en était sûre ! Elle n'avait jamais réussi à le prendre en flagrant délit mais elle était certaine qu'il s'en donnait à cœur joie, pendant son absence, histoire d'éviter qu'elle débarque en furie dans sa chambre pour l'invectiver et lui demander de faire moins de bruit pendant qu'il les baisait. Parce qu'il ne faisait sans doute rien d'autre, n'est-ce pas ? Il n'était même pas capable d'aimer, cet abruti. Victor Sauvage, qu'il s'appelait.
Et lui faisait comme si de rien n'était. Comme si elle n'était pas enfermée dans sa chambre du matin au soir, ou en cours. Comme si elle ne l'évitait pas. Comme s'ils se parlaient régulièrement alors qu'ils s'adressaient à peine la parole. Comme s'ils étaient deux colocataires tout à fait normaux, alors que c'était loin d'être le cas.
Elle était sans doute puérile à ne pas oublier toute cette histoire. On la traiterait sans doute de gamine si on savait ça. D'ailleurs, elle n'en avait parlé à personne, elle téléphonait de toute façon peu à ses parents et ses nouveaux amis étaient peu nombreux aussi, les études lui prenaient tout son temps.
Elle n'arrivait simplement pas à oublier. Si elle n'avait pas su en vouloir à Clémence parce qu'elle était sa meilleure amie, elle avait tout reporté sur celui qui se trouvait dans la pièce d'à côté. Après avoir entendu en long, en large, et en travers, ses qualités, leurs merveilleux rendez-vous, et sa façon d'être avec elle, elle avait eu droit au récit des tromperies, de la rupture, et au désespoir de son amie. Et sincèrement, ça n'était pas sa tasse de thé. Alors le connard dans la pièce d'à côté, elle s'en méfiait comme de la peste.
Elle sortit soudainement de sa chambre pour aller se faire un café, avant de se farcir encore quelques heures d'art précolombien. Ça n'était pas la partie la plus facile, et après elle attaquait les arts de Byzance, sans savoir si elle devait s'en réjouir. Elle avait bien besoin d'un excitant pour tenir jusqu'au milieu de la nuit. Elle devait absolument finir ce travail avant le lendemain, ou elle allait être très en retard sur son programme.
« Alors on sort de son hibernation ? » lança le jeune homme, depuis le canapé.
Elle l'ignora et passa derrière le bar qui délimitait leur cuisine du salon. Elle prit une tasse dans un placard en hauteur, se mettant sur la pointe des pieds pour y parvenir avec sa petite taille, y versa du lait, un peu d'eau, et mit le tout au micro-onde. Elle recommença le même manège pour attraper ses sachets de cappuccino quand elle sentit deux mains sur sa taille et un souffle dans son cou. Elle sursauta et lâcha la boîte qui déversa sa multitude de petits sachets sur le plan de travail et au sol.
« Tu n'en as pas marre, de m'éviter ? » demanda doucement la voix contre son oreille.
« Lâche-moi, espèce d'obsédé ! » s'écria-t-elle avant de se retourner et de le repousser de toutes ses forces.
Il buta contre le bar, un peu étonné par autant de force dans un si petit corps. Elle n'était peut-être pas bien grande du haut de son petit mètre soixante mais ça n'était pas pour autant qu'elle se laisserait faire pour qu'il la tripote comme bon lui semblait.
« Mais qu'est-ce que je t'ai fait, à la fin ?! » cria-t-il. « Pourquoi tu me fuis comme ça ? Pourquoi tu m'évites autant depuis que tu es arrivée, Lily ? »
« Pourquoi ? Peut-être parce que je me souviens de la façon dont tu te comportes avec les filles ? Peut-être parce que je me souviens avoir consolé une Clémence en pleurs après que tu l'aies trompé comme un chien ? Peut-être parce que je me dis que si tu n'as encore pas changé, Katia a dû y passer et qu'il n'est pas question que ça soit mon tour ? » Répliqua-t-elle, énervée
« Tu en es encore là ? » s'étonna-t-il. « A cet été-là ? A l'été de tes quinze ans ? Tu n'as pas pu comprendre qu'on ait grandi, depuis le temps ? Que je ne suis plus aussi con que je ne l'ai été ? Tu n'as même pas pu te dire que ta si bonne copine s'était plantée, et que je ne la trompais pas, que ça n'était qu'elle qui se faisait des films ? Tu n'as même pas pu te dire, en admettant que je l'aie trompée, ce qui n'était pas le cas, que j'aurais pu évoluer, grandir un peu, passer à autre chose ? »
« Apparemment pas, puisque tu aimes encore poser tes sales pattes partout. » rétorqua-t-elle.
« Ça va, c'était pour rire, pour te détendre un peu. On dirait que tu vis un enfer, avec ton école, c'est dingue tout le travail qu'ils te donnent. »
« C'est sûr que ça n'est pas ce qui t'étouffe… » Murmura-t-elle, amère.
« Peu importe. Oui je travaille moins que toi, mais ça n'est pas pour ça que je n'aurai pas mon diplôme. Et puis ça n'était pas le sujet, tu le sais très bien. Pour qui me prends-tu ? Pour le loup qui va venir te violer en pleine nuit ? » Demanda-t-il, comme blessé.
« Après ce que j'ai vu et entendu à ton propos, on pourrait s'inquiéter à moins, non ? » continua-t-elle cependant, imperturbable, et butée.
« Je n'ai jamais trompé Clémence. Je ne dis pas que je n'en ai pas trompé d'autres, avant et après elle. Mais pas elle. Tout ce qu'elle voyait, c'était moi disant bonjour à une amie, en lui faisant la bise et en la serrant dans mes bras. Tu ne vas pas me dire que parce que j'ai une copine, je ne peux plus avoir d'amies ? Parce que là, ce n'est pas l'histoire qui t'intéresse, c'est devenir nonne ! Et t'en fais pas va, je ne risque pas de te violer. T'es sûrement pas mon genre. » Répondit-il, agacé.
La jeune femme sortit directement de la cuisine avant de s'enfermer dans sa chambre. Quel imbécile, mais quel énorme imbécile ! Elle en avait oublié son café mais elle s'en fichait bien. Il n'aurait qu'à nettoyer ses bêtises seul et boire à sa santé. Il n'était qu'un goujat, un idiot, un imbécile, un horrible personnage. Et dire qu'elle allait encore devoir supporter huit mois de cette colocation. Lily n'allait jamais tenir.
Ça n'était pas parce qu'il n'avait soi-disant pas trompé sa meilleure amie que tout ça le dédouanait. Comme il disait, ça lui était déjà arrivé de le faire. Et il n'était pas question qu'elle se fasse avoir comme les autres. De toute façon, elle n'était donc pas son type. Tant mieux. C'était aussi bien comme ça. Elle n'aurait pas à se battre pour s'en protéger. Elle n'avait sûrement pas envie d'un mec comme ça. Elle se demandait même comment elle avait pu tomber sous le charme un jour.
Ils s'ignorèrent royalement pendant plusieurs jours. Victor s'y mettait à son tour, faisant presque exprès de se croiser pour se démontrer leur colère alors qu'ils s'évitaient auparavant. L'atmosphère était devenue extrêmement tendue et le moindre problème minime aurait pu déclencher une violente dispute entre eux deux.
Le jeune homme mettait d'ailleurs un point d'honneur à se balader le plus souvent possible torse nu ou en sous-vêtements, « oubliant » systématiquement ses affaires pour la douche, alors que leur appartement n'était pas si chauffé que ça. Il ne rangeait plus aucune de ses affaires, laissant tout traîner dans leur appartement, de préférence dans les parties communes, ce que détestait la jeune femme si ordonnée.
Lily quant à elle prenait plus de temps pour s'habiller et s'apprêter le matin. Elle choisissait avec plus de soin ses tenues, faisait l'effort de se maquiller quand auparavant elle s'en fichait comme d'une guigne. Juste pour le défi de montrer à son colocataire ce qu'il venait de rater, et à qui il renonçait. C'était mesquin et puéril mais ça lui procurait un plaisir presque jouissif.
Elle n'était pas bien sûr que cela serve à quelque chose, cependant. Leurs relations ne s'amélioraient pas, la vie à l'appartement était presque devenu un enfer, et il n'avait pas l'air le moins du monde intéressé par elle. Ou alors il ne le montrait pas. Ou elle était aveugle. C'était aussi possible. Mais elle en doutait. Il avait dit qu'il se fichait totalement d'elle, ça devait bien être vrai. On ne disait pas des choses pareilles sans les penser. Enfin dans tous les cas, on en revenait au même : point-mort.
Quand sa masse de travail augmenta encore, Lily ne s'en rendit rapidement plus vraiment compte. Après tout, ça n'était pas important, de ne pas parler avec ceux avec qui elle vivait. Elle n'était pas en couple avec, ni en famille. Elle n'avait de compte à rendre à personne, aucune relation à entretenir, et elle faisait ce qu'elle voulait. Elle était assez grande pour décider à qui elle voulait parler, à qui elle voulait accorder de l'attention.
Elle se plongeait dans son travail, se limitant aux échanges les plus minimaux avec Victor. Katia n'était de toute façon jamais là et se fichait bien de leurs disputes. Au contraire, elle trouvait presque ça amusant, et puéril. Ça la distrayait quand elle rentrait. L'animosité de Lily était retombée, et le jeune homme se sentait même invisible à ses yeux. Quoi qu'il fasse, elle ne le voyait pas.
Oh, elle trouva bien ça étrange qu'un jour, l'appartement soit enfin rangé entièrement, mais elle mit ça sur le compte de ses multiples demandes. De même que ce repas qu'il prépara, et qu'elle adora d'ailleurs, il voulait sans doute simplement se racheter et l'embobiner, mais elle n'était pas naïve, elle savait que c'était une mascarade. Il sortit de moins en moins souvent dénudé, comme si miraculeusement il avait retrouvé la mémoire pour ses vêtements, mais elle ne le regardait de toute façon plus, elle n'était pas du tout attirée, elle faisait très bien abstraction de cette vision.
Les semaines passèrent jusqu'à ce qu'un jour, alors qu'elle prenait enfin une pause, Victor, assis sur le canapé, lui annonça :
« Je vais déménager. »
« Quoi ? Pourquoi ? Tu ne te plais plus ici ? Je croyais que tu étais le plus ancien de nous trois ? Ça n'est plus pratique pour toi ? » S'étonna la jeune femme.
« J'en ai déjà parlé à Katia, elle m'a dit qu'elle trouverait facilement quelqu'un d'autre, pour que vous ne payiez pas trop cher. Une fille de son boulot quitte son mec et a besoin d'un appart, à ce que j'ai compris. » Dévia-t-il.
« Ça ne répond pas à ma question. Où vas-tu aller ? » Objecta-t-elle.
« Je ne sais pas, j'ai vu quelques studios pas si mal et un peu plus près de ma fac. En attendant, un pote m'a dit qu'il m'hébergerait. »
« Tu ne veux pas rester ici en attendant de trouver ? C'est idiot d'aller chez lui alors que tu as ta chambre ici. »
« Je ne peux pas. Je ne peux plus rester ici. »
« Pourquoi ? Le loyer est trop cher, c'est ça ? Je suis sûre qu'on peut s'arranger, répartir mieux, ou le faire baisser, on doit pouvoir se débrouiller… »
« Tu ne comprends vraiment rien n'est-ce pas ? Tu es complètement aveugle ou tu le fais exprès ? On est ensemble dans cette appartement depuis septembre, et depuis que tu es arrivée, on n'a fait que de s'ignorer, de s'engueuler, de se détester. Et tu me demandes pourquoi je ne veux pas rester ici ? C'est vrai, après tout, pourquoi est-ce que je quitterais un appartement dans lequel ma vie est passée du long fleuve tranquille à l'enfer ? »
La jeune femme resta silencieuse. Elle n'avait pas vraiment pensé à ça. C'était devenu leur quotidien, et finalement, elle s'y était habituée.
« Tu n'es même pas fichue de voir quand je fais des efforts. Je suis même sûr que tu me considères encore comme un salaud alors que tu ne sais rien de moi, rien du tout. » Ajouta-t-il, amer.
« Si ! Je sais… » Hésita-t-elle.
« Quoi ? Vas-y ! Sais-tu au moins ce que j'étudie, à rester plongée dans ton univers rempli de vieillards décrépis depuis des siècles ? » la défia-t-il.
« Tu étudies… tu étudies… »
Elle fut bien forcée de se rendre compte qu'elle ne savait pas. Il fallait dire aussi qu'il n'étudiait pas souvent. Mais elle ne savait même pas dans quelle fac il allait. Elle ne savait pas plus ce qu'il aimait manger ou regarder à la télé, elle ne s'en préoccupait pas souvent.
« Tu vois. Tu ne sais pas. L'histoire. J'étudie l'histoire. On aurait pu avoir plein de choses à se raconter, mais avec tes préjugés, tu ne savais même pas que mes études ressemblaient un peu aux tiennes. Que j'aurais pu t'aider, pour ton devoir sur l'art égyptien. Que j'aurais pu te prêter des livres, pour l'iconographie du Moyen-Âge. Tu t'en fiches complètement. Tu ne t'intéresses qu'à toi, et à tes cours. Je voulais une colocation pour découvrir d'autres personnes, pas pour me heurter à des murs. Tu n'as même pas vu que j'avais changé, pour toi, pour te faire plaisir. »
« Mais… »
« Mais t'es aveugle. Et tu n'en as rien à faire. Alors tu n'as rien vu. Et moi j'en ai marre de faire des efforts, marre d'essayer de te parler, marre d'essayer de te faire plaisir, marre d'essayer de te faire comprendre que j'ai changé. » Conclut-il, amer, en se levant de leur canapé marron pour aller dans sa chambre et en fermer la porte.
Elle avait tout fichu en l'air là, n'est-ce pas ? Elle s'était comportée comme une imbécile. Elle n'avait même pas réussi à se défendre, parce qu'elle n'avait rien à dire pour. Elle n'avait pas vraiment d'excuses. Elle s'était contentée de le catégoriser, depuis ses dix-sept ans, sans même imaginer qu'il avait pu changer. En mieux, et non pas en pire.
Mais c'était plus facile de penser ainsi. C'était plus facile de se dire qu'il n'était qu'un salaud. Ça lui évitait de se poser trop de questions. Ça lui évitait de se dire qu'elle s'était trompée à une époque. Qu'elle avait bâti une fausse image de lui pour se dire qu'ils étaient tous pareils. Pour se dire qu'elle n'était pas la seule à qui c'était arrivé un jour. Pour se dire qu'elle était bien mieux seule.
Même si la vérité c'était qu'elle se sentait trop seule, justement. Même si la vérité, c'était qu'elle en avait marre de se lever tous les matins sans personne à ses côtés. Même si la vérité, c'est que parfois elle aurait voulu lui quémander une place entre ses bras, juste pour être rassurée quand ça n'allait pas, juste pour comprendre que quelqu'un tenait à elle. Mais elle ne pouvait pas, pas avec leurs relations.
Elle s'était dit que c'était mieux ainsi, comme ça ils ne risquaient pas de tomber amoureux, il ne risquait pas de la déconcentrer, elle ne risquait pas de faire encore d'autres bêtises. Si elle le détestait suffisamment fort, elle finirait par ne plus être attirée. Elle avait presque réussi, en plus. Elle avait presque réussi à ne plus l'observer quand il sortait torse-nu, à ne plus chercher à comprendre ses petites habitudes.
C'était quand il avait arrêté qu'elle s'était dit que finalement, ça lui manquait. Mais c'était plus facile de l'ignorer. Plus facile de se dire qu'elle se trompait, que c'était une illusion, que de toute façon, il avait dit qu'elle n'était pas son genre, que de toute façon, il ne s'intéressait pas à elle, que de toute façon, elle n'était juste pas intéressante. C'était plus facile pour se concentrer, plus facile à vivre au quotidien, plus facile à justifier devant sa glace le soir, face à son célibat.
Et puis être célibataire à dix-huit ans, ça n'était rien, elle était bien jeune encore, elle avait toute la vie devant elle, pour découvrir des hommes qui en valaient enfin la peine, et pas tous les boulets qu'elle s'était traîné avant. Elle avait le temps de mûrir, pour trouver celui qui lui irait vraiment, et ne pas se faire avoir par le premier venu. En tout cas, c'était ce qu'elle s'était dit.
Maintenant que Victor voulait partir, elle se trouvait un peu stupide, un peu empotée. Elle n'arrivait même pas à savoir si elle était soulagée ou non. Elle devrait, elle qui avait même voulu déménager aussitôt arrivée à cause de lui. Elle qui avait tout fait pour l'ignorer, puis l'embêter, elle qui n'avait pas pu le supporter pendant des mois. Et pourtant, elle n'arrivait pas à s'en réjouir.
Il pouvait être fier de son coup, celui-là, elle ne savait plus où elle en était ! Chieur jusqu'au bout des ongles. Est-ce qu'elle l'appréciait ? Est-ce qu'elle l'aimait bien ? Elle ne savait plus trop. Elle ne le détestait plus, elle ne pouvait pas dire le contraire. Il n'était pas désagréable à regarder, c'était un fait. Et maintenant, elle faisait quoi ? Il était enfermé dans sa chambre de toute façon, il n'avait sûrement pas envie de lui parler, il en avait sûrement rien à foutre de cette pauvre gamine qui ne savait pas ce qu'elle voulait. Oh et puis merde. Il faisait chier.
Elle se leva du fauteuil. Elle n'avait qu'à bosser pour oublier. Comme d'habitude. Pourtant, elle s'arrêta en plein milieu de son chemin, entre la table basse et le bar de la cuisine. Elle n'était pas en train de faire une grosse connerie là ? Ses pas l'amenèrent devant la chambre de Victor. Elle leva le bras. Hésita. Avant de toquer à la porte. Voilà, là, elle avait fait une grosse connerie. Mais tant pis.
Aucune réponse. Décidément, il cultivait l'art du silence derrière une porte, celui-là. Elle insista. Une fois. Il n'avait peut-être pas bien entendu ? Deux fois. Il faisait vraiment chier avec son ego surdimensionné. Trois fois. Il comptait lui faire la tête jusqu'à son départ ou quoi ? Quatre fois. Comme le jour où elle était arrivée. Normalement, c'était à ce moment qu'il ouvrait avec son petit sourire en coin, si charmeur. La poignée de porte s'abaissa. Il apparut enfin, mais sans son sourire.
« Entre. Je suppose que tu vas insister jusqu'à ce que je réponde, sinon… »
« Exactement ! » s'exclama-t-elle en entrant.
Elle n'était encore jamais venue dans son antre. C'était assez différent de ce qu'elle imaginait. Son lit n'était pas défait comme elle l'aurait pensé, ses livres étaient nombreux, sur plusieurs étagères mal assorties, et son bureau était parsemé de feuilles et de classeurs. Une guitare traînait dans un coin, un casque de moto dans l'autre, une chaîne au fond.
« L'intérieur te convient ? » ironisa-t-il. « Qu'est-ce que tu es venue faire là ? »
« Je… » Commença-t-elle.
« Alors ? J'attends. » Fit-il, impassible.
« Je ne sais pas… Mais tu ne peux pas partir. Ce n'est pas possible ! Ça ne sera plus pareil sans toi ! »
« Il fallait peut-être y penser avant, tu ne crois pas ? »
« Oui. Mais… j'étais aveugle. Et je n'ai aucune envie que tu partes. Ne me demande pas pourquoi, je ne sais pas du tout, mais quand tu dis que tu pars, ça fait comme un grand vide, comme si c'était quelque chose de terrible. Et je ne veux pas ressentir ça tout le temps… » Dit-elle, embarrassée.
« Un grand vide là ? » demanda-t-il doucement en s'approchant d'elle, posant sa main sur sa poitrine, du côté de son cœur.
Elle ne put qu'hocher la tête. Elle ne savait pas ce qui la prenait. Elle avait le cœur qui battait la chamade. L'esprit totalement embrouillé. Il était proche, trop proche d'elle. Il avait sa main sur elle, et à cet endroit, sa peau la brûlait. Elle avait l'impression d'avoir la tête dans un nuage cotonneux. Que lui arrivait-il ?
Et il s'approchait encore, il était tout près d'elle. Elle pouvait sentir son après-rasage et ça lui faisait tourner la tête. Son tee-shirt beige paraissait soudain lui cacher toute la vue. Elle s'appuya des deux mains sur ses bras, comme si elle allait perdre l'équilibre. Son visage se tourna vers lui et il ancra ses yeux dans les siens. Ses lèvres s'approchèrent d'elle, elles étaient proches, si proches. Elle pouvait sentir son souffle. Il effleura ses lèvres, tout doucement, avant de reculer à nouveau, de quelques centimètres.
Elle s'approcha, elle voulait plus, elle n'avait même pas pu sentir le goût de ses lèvres, elle n'avait même pas pu profiter de la pression sur les siennes. Il joua avec elle, reculant quand elle s'approchait, s'approchant quand elle reculait dépitée, avant de l'embrasser à nouveau.
Rapidement, leur baiser devint plus fougueux, plus passionné. Il passa une main dans ses longs cheveux bruns pendant que l'autre s'accrochait à sa hanche et colla son corps à elle. Il mordilla sa lèvre inférieure, quémandant un accès qu'elle ne lui refusa pas, étourdie par ce qui lui arrivait.
Leurs langues se cherchaient, leur souffle s'accéléraient, leurs mains se perdaient sur le corps de l'autre. Ils s'arrimaient l'un à l'autre, craignant de perdre l'équilibre, de briser la magie de l'instant, de se rendre compte qu'ils avaient rêvé.
Son cœur battait la chamade, il voulait sortir de sa poitrine, ça n'était pas possible. Elle n'arrivait pas à croire en tout ce qu'elle ressentait. Il était là, auprès d'elle, il la caressait par-dessus son gilet, il l'embrassait à en perdre haleine, il la serrait contre lui, comme si elle était la plus précieuse des choses. Elle fourragea dans ses cheveux, maladroite, perdue.
Une main passa sous son tee-shirt et le contact avec sa peau l'électrisa. Il remontait lentement, caressant d'abord sa hanche, faisant le tour de son nombril avec le doigt, avant de revenir le long de ses côtes, comme s'il voulait essayer de les compter, pour s'attarder enfin sous un sein. Il caressa la peau au bord du soutien-gorge, avant de passer le doigt sur celui-ci. Il soupesa le sein, le prit en coupe pour mieux le caresser.
Soudain, il arrêta sa manœuvre pour glisser la main dans son dos, sous son tee-shirt toujours, et dégrafa son sous-vêtement. Elle rougit. Elle n'était même pas déshabillée, mais ça ne l'empêchait pas de l'effeuiller. Il revint à sa poitrine, écarta plus facilement le tissu pour titiller son mamelon, l'agacer de ses doigts pendant qu'il l'embrassait dans le cou, mordillant la peau à sa portée, lui imposant sa marque. Elle gémit et courba son corps en arrière pour lui donner un plus grand accès, ce qu'il sembla apprécier.
Sous la pression de ses caresses, ils reculèrent, et butèrent contre le lit, tombant dessus par mégarde. Leurs membres enchevêtrés, ils se regardèrent avant d'éclater de rire. Il avait un rire grave, accordée à sa voix, tellement attirant, pensa-t-elle avant de l'embrasser de son propre chef. Elle sentit son étonnement contre ses lèvres et en profita pour remonter son tee-shirt beige et caresser son torse. Depuis le temps qu'il le montrait, à présent qu'il pouvait, il le cachait, si ça n'était pas un crime.
Il posa les deux mains sur ses épaules et les fit glisser le long de ses bras pour enlever son gilet rouge et le jeter au loin. Ses longs cheveux n'en faisaient qu'à leur tête et restaient indisciplinés. Il les caressa quelques instants, pendant qu'elle appréciait sa musculature, et son sourire.
D'un mouvement de hanche, il inversa leurs positions et prit garde à ne pas l'écraser de son poids. Dans une ligne de baisers, il traça le contour de sa mâchoire, jusqu'à son oreille, poursuivit sa route dans son cou fin, descendit le long de sa poitrine et s'arrêta à la lisière de son tee-shirt sur lequel il avait déjà tiré un peu. Décidé, il le lui enleva, et admira celle qu'il avait sous lui.
Elle ne se rendait pas compte à quel point elle était jolie. C'était presque une folie. Sa peau était douce, claire, parsemée de quelques grains de beauté dont il avait envie de faire le tour avec sa langue. Il était sûr qu'elle complexait sur sa poitrine. Elle n'était pas exubérante mais elle était belle pourtant, elle était proportionnée juste comme il fallait pour s'accorder à ses mains, et à son corps à elle. Son soutien-gorge ne cachait plus grand-chose et il finit de le lui enlever avec un sourire. La rougeur qu'elle avait aux joues la rendait irrésistible.
Il entreprit de le lui montrer, se faisant tendre dans ses gestes, attentionné alors qu'il parcourait son corps de baisers et de caresses, s'attardant à certains endroits, délaissant d'autres, y revenant, dans l'espoir de l'entendre gémir encore. Le son de sa voix était cristallin, et l'électrisait tout entier. Il voulait la surprendre, l'étonner. Il voulait qu'elle se rende compte qu'il n'était pas celui qu'elle croyait, qu'il savait se montrer doux et tendre, et qu'il tenait vraiment à elle. Elle n'avait rien vu auparavant, il était temps qu'elle comprenne.
Lentement, Victor descendit le long de son ventre, et atteint la lisière de son jean. Il déboutonna celui-ci avant de le lui enlever sans se presser. Il ne voulait surtout pas la brusquer. Elle n'avait pas l'air effrayée, mais il n'avait pas envie qu'elle s'enfuit brusquement en courant. Il passa la main sur son intimité, au travers de sa culotte. Il glissa un doigt sous le tissu et titilla son bouton de plaisir, avant d'insérer deux doigts dans son intimité pour la préparer.
Le jeune homme prolongea sa caresse alors qu'il l'embrassait, recueillant sur ses lèvres les gémissements qu'elle étouffait. Il lui souffla des mots doux à l'oreille pendant qu'il se retirait pour enlever à son tour ses vêtements. Se positionnant entre ses cuisses, il s'appuya sur ses coudes, de part et d'autre de sa tête, et la pénétra d'une poussée.
Il se retira avant de la pénétrer à nouveau, lentement, doucement, comme pour ne pas la brusquer. Il avait le regard braqué sur elle, attentif à la moindre émotion, à la moindre peur. Elle enserra ses jambes autour de ses reins et il prit ça comme un signe d'encouragement. Elle s'accrocha à son dos, le griffant au passage, mais ça lui importait peu. Il augmenta la cadence de ses va-et-vient, rendus désordonnés par le désir et l'impatience.
Il posa la main sur son sexe pour la caresser encore, jusqu'à voir ses traits se tendre, son corps se cambrer et son visage exprimer tout son plaisir. Cette vision suffit à le faire éjaculer et il sentit le plaisir dans chacune des fibres de son être. Il se retira quelques instants après avoir repris ses moyens et s'allongea à côté de la jeune femme, l'attirant contre lui. Il lui caressa les cheveux et murmura, taquin, à son oreille :
« Je ne vais peut-être pas déménager finalement… On n'est pas si mal ici, non ? La tapisserie de ma chambre est assez jolie. »
« Idiot ! » s'exclama la jeune femme en le tapant du poing.
« Je sais. Mais l'imbécile heureux a décidé de rester. » Sourit-il en l'embrassant.