Cet OS a été écrit dans le cadre du jeu "Sous le sapin" organisé par la Ficothèque Ardente. Joyeux Noël à toi Cookie, en espérant qu'il te plaira ! Et joyeux Noël et bonne année à tout le monde bien sûr :)


JOYEUX NOËL ?

Minable. Maxence avait été carrément minable. Complètement nul. Il l'avait laissée partir. Il ne savait même pas pourquoi d'ailleurs. Pourquoi Valérie était-elle partie, déjà ? Et combien de temps cela faisait-il ? Deux heures, une journée, deux jours, une semaine ? Il ne savait plus. Il ne comptait plus. Il était censé être en vacances. Il n'avait aucun moyen de compter les heures ni les jours. Il ne bougeait pas de chez lui. Il n'allumait pas la télé. Il n'allumait pas l'ordinateur. Il avait coupé son portable. Il était là, juste là, comme ça, à attendre.

Qu'elle revienne ? Non, elle ne reviendrait pas. Elle serait déjà revenue sinon, n'est-ce pas ? Ou fallait-il attendre encore un peu ? Fallait-il encore rester là, à attendre, à manger quelque chose de temps en temps, quand son ventre grognait trop, à aller se soulager la vessie quand il en avait vraiment besoin, sans jamais rien faire de plus ? Non, il ne fallait plus. Il ne devait plus attendre. D'un autre côté, il ne savait pas tellement quoi faire d'autre.

C'était la période des fêtes. You-pi. Il se voyait mal sortir et aller s'amuser. Oh, il n'avait pas le cœur si lourd que ça non plus, mais bon. Quoique. Il ne savait pas trop en fait. Il s'en voulait de l'avoir fait fuir, c'était certain. Ça n'était pas son genre, d'être aussi nul, et il détestait faire souffrir une femme. Valérie ne le méritait pas, de plus, elle était vraiment une femme bien. Il ne savait même pas comment il avait fait son compte.

Après, quant à savoir s'il était malheureux de son départ, il ne savait pas trop, il n'en était pas totalement certain, il se demandait s'il n'était pas resté avec elle par convenance. Il se rendait compte que c'était cruel à dire, et qu'on le considérerait sans doute comme le pire des salauds, mais c'était la vérité.

Valérie était une très belle femme, elle travaillait dans une grande entreprise financière, comme conseillère juridique, et elle avait une prestance incroyable. Il l'avait rencontrée au pied de son lieu de travail, à deux pas du sien, sur sa route vers le café du coin. Lui travaillait comme directeur marketing pour une entreprise d'objets de décoration. Il passait son temps entre deux rendez-vous, deux campagnes publicitaires, deux exigences de son patron soupe au lait, deux étages de leur société.

Sortir avec elle, c'était comme rester dans son univers, c'était sortir avec quelqu'un de son rang, quelqu'un de sa prestance, quelqu'un qui pourrait l'accompagner aux galas d'ouverture de campagnes, aux ouvertures des nouveaux magasins, aux soirées barbantes qu'organisait l'entreprise. D'ailleurs, ils auraient dû passer Noël là-bas, à discuter avec les autres employés de la société, qui y étaient tous « fortement conviés ». Il ne savait même pas avec qui il irait, du coup. Ça n'était pas vraiment sa préoccupation première.

Sortir avec elle, c'était avoir une vie propre, bien rangée, bien organisée. C'était avoir une compagne intelligente, intéressante, c'était la promesse de débats sur des sujets économiques et politiques comme si c'était le plus naturel, c'était une femme épanouie et indépendante qui n'était pas là pour son argent, c'était une femme classe et délicate, c'était un bel appartement ordonnancé avec goût – elle avait même eu la délicatesse d'acheter quelques-uns des articles dont il faisait la campagne.

Sortir avec elle, c'était facile, c'était opportun, c'était rassurant. Ils ne parlaient pas encore de projets pour l'avenir, mais il était presque sûr que ça n'aurait pas tardé. Ils étaient sortis ensemble pendant exactement six mois et trois semaines avant de décider de vivre ensemble. Ça faisait à présent trois ans qu'ils partageaient cet appartement après avoir vécu un peu chez lui, mais son ancien studio était trop petit pour leur vie commune. Pour l'instant, ils n'avaient juste pas eu le temps de penser à un engagement plus approfondi, mais il était certain qu'ils y seraient vite passés. C'était naturel. C'était ce qu'on faisait. C'était dans les convenances.

Plus il réfléchissait, et plus il se disait que sa vie avait été réglée comme du papier à musique. Ils avaient leurs petites habitudes, et à vivre sans elle, il se rendait compte à quel point c'était étouffant. Il ne se souvenait pas de leur dernier coup de folie. En avait-il eu un, un jour ? Il n'en était même pas sûr. Il n'y aurait pas mis sa main au feu. De toute façon, il n'avait pas de cheminée.

Le téléphone fixe sonna. Il l'avait oublié celui-là. Il avait tellement l'habitude qu'on l'appelle sur son portable qu'il n'y faisait plus attention. Il laissa retentir la sonnerie, refusant de se lever. Il était capable d'envoyer chier le propriétaire de la voix qui n'allait pas tarder à retentir et ça n'était pas forcément une bonne idée. Surtout si c'était son patron. Mais il en doutait. Il l'aurait appelé sur son portable. Et puis il était en vacances, alors il avait le droit de ne pas répondre, n'est-ce pas ? Un coup, deux coups, trois coups. Il se déclenchait, ce fichu répondeur ? Ah voilà.

« Bonjour, vous êtes bien chez Maxence et Valérie, nous ne sommes pas disponibles pour le moment, mais n'hésitez pas à nous laisser un message après le bip sonore, nous rappellerons. »

Classique. Il se souvenait de la fois où ils l'avaient enregistré, en plus. Ils avaient hésité avec un répondeur automatique mais Valérie trouvait ça trop impersonnel, trop commun. Ils avaient alors enregistré ce message à deux voix, seule originalité d'ailleurs. Il faudrait qu'il le change, au passage. Maintenant, c'était Maxence sans Valérie.

« Allô mon chéri ? C'est maman. Je sais que vous allez sans doute à la soirée organisée par ton entreprise mais je voulais vous dire que notre invitation tient toujours, à ton père et à moi, ça nous fera très plaisir. Il y aura quelques voisins, des amis, et ton Oncle Charles, comme tu t'en doutes. La porte vous est ouverte. Je t'embrasse mon chéri, et Valérie aussi bien sûr. »

Il faudrait vraiment qu'il pense à changer le répondeur. Et à prévenir sa mère, aussi. Ça le gênait un peu. Il n'avait jamais aimé avouer ses échecs, et quelque part, ça en était un aussi. Il était celui qui avait réussi, celui qui faisait la fierté de la famille. Le fils unique qui avait rendu heureux ses parents. Il n'avait pas pour habitude de leur faire de la peine. Et ils appréciaient Valérie, c'était une fille bien.

Quelques jours passèrent, un deux, trois, il ne savait plus. Tout ce qu'il savait, c'est qu'aujourd'hui, on était le 24 décembre. Comment le savoir alors qu'il ne sortait pas de chez lui et ne comptait pas les jours ? C'était simple, il suffisait de regarder par la fenêtre. Les rues étaient pleines de gens qui achetaient leurs cadeaux à la dernière minute, les chorales de chants de noël voguaient parmi les passants, les marchands de sapin allaient fermer leur boutique et commençaient à ranger une partie de leur matériel, bref, l'animation était à son comble.

Et lui ? Lui il était seul comme un con à se demander ce qu'il allait bien pouvoir faire. Il était temps de prendre une décision à présent, n'est-ce pas ? Il était temps de se bouger un peu, non ? Il ne pouvait quand même pas passer le 24 décembre seul dans son coin. Il s'était levé une heure auparavant, en même temps que les quelques rayons de soleil qui passaient par sa fenêtre – il avait oublié de fermer son volet. Il avait pris le temps de s'habiller, même si ses vêtements ne dataient pas de la dernière machine à laver, et de prendre un café. Maintenant, il était comme une andouille à se demander ce qu'il allait faire.

Aller à la soirée organisée par l'entreprise ? C'était sans doute ce qu'il devrait faire, en effet. Il y était presque obligé. Surtout qu'il n'avait pas prévenu à l'avance de son absence. Ce qui était assez malpoli pour un directeur marketing. D'un autre côté, cela voulait aussi dire y aller seul. Subir les remarques, les interrogations à propos de sa merveilleuse compagne avec qui tous le voyaient bientôt marié. Passer la soirée à s'enivrer de champagne et de petits fours en ruminant sa solitude. Discuter travail pendant ses propres vacances.

Bizarrement, ça ne lui disait rien cette année. Les années passées, il avait aimé, se pavaner devant les autres aux côtés d'une belle femme, et discuter de sujets hautement intellectuels. Cette année, ça le gonflait plus qu'autre chose. Que lui restait-il alors comme options ? Rester seul chez lui, manger un plat réchauffé du traiteur d'à côté en regardant des films de Noël bien niais à la télé qui lui renverraient sa propre solitude ? Etrangement, ça ne le tentait pas plus que ça non plus. Il avait décidé de faire quelque chose, il s'était levé d'un peu meilleure humeur que d'habitude, ça n'était pas pour végéter devant sa télé. De toute façon, ça n'était pas son genre. Déjà là, il ne se reconnaissait plus. Il n'était quand même pas un dépressif, enfin ! Un peu de nerfs !

Aller chez ses parents ? Prendre la voiture pour faire la petite centaine de kilomètres qui le séparait d'eux, retrouver toute la famille, qui lui demanderait où était passée Valérie, ce qu'il faisait sans elle et pourquoi n'était-il pas revenu toutes ces années ? Il n'arrivait pas à s'en réjouir. Pourquoi est-ce qu'il ne pouvait pas tout simplement s'inviter chez des inconnus, prendre l'assiette laissée pour le pauvre, faire comme s'il n'était pas là, sans qu'on lui pose de questions sur sa future femme qui l'avait quitté, sur ses projets qui s'étaient effondrés, sur son boulot qui soudainement le faisait chier ?

Bon, il n'avait de toute façon pas tellement d'options. Aucun de ses amis ne fêtait Noël seul, ils en avaient déjà parlé de multiples fois. Nathalie et Benjamin partaient en vacances dans les Alpes avec la petite, Romain passait Noël dans sa famille, Mélanie était la meilleure amie de Valérie, ça n'était sûrement pas vers elle qu'il devrait se tourner. Bref, il était fichu. Il décrocha son téléphone fixe, et composa le numéro de ses parents.

« Allô mon chéri ? »

« Allô maman, c'est moi. Je… je voulais savoir si je pouvais passer Noël à la maison. »

« Mais bien sûr ! Je t'ai appelé l'autre jour, tu n'as pas reçu mon message ? »

« Si, si, je l'ai reçu… »

« Qu'est-ce qui ne va pas Maxence ? Raconte-moi tout. Tu as dit que tu voulais venir, et tu n'as pas parlé de Valérie, ça ne va pas entre vous, c'est ça ? Tu peux me dire tu sais, je suis ta mère, et je ne vais pas te gronder comme quand tu étais petit. »

« Elle est partie, maman. Est-ce que je peux venir quand même ? Je n'ai pas très envie d'aller à la fête de la boîte… »

« Bien sûr ! C'est un ordre ! Tu as intérêt à être devant la porte de la maison cet après-midi même ! »

« Est-ce que… »

« Est-ce qu'on pourra éviter d'aborder le sujet à table et de te demander ce qui se passe ? Bien sûr, c'était évident. Allez, ne t'en fais pas, viens passer Noël à la maison, ça sera bien. je te prépare ta chambre. »

« Merci maman. »

Maxence raccrocha, soulagé. Il avait peut-être vingt-sept ans, mais parfois, ça faisait du bien de sentir qu'on comptait encore pour ses parents, même s'il avait sa vie à lui depuis un certain temps déjà. Ça n'était pas tout ça, mais il n'avait aucun cadeau, n'était pas préparé, et il avait plus d'une heure et demie de route si on comptait les embouteillages à la sortie de Paris. Il était… quelle heure était-il ? Pour la première fois depuis des jours, il regarda une horloge et se rendit compte qu'il était déjà midi.

Il se rendit à la salle de bain, pour voir les dégâts. Des jours qu'il ne s'était pas regardé dans une glace, qu'il vivait presque dans le noir. Il avait mauvaise mine. Très mauvaise mine, même. Il se passa de l'eau sur la figure, commença à se raser avant de regarder dans tous les tiroirs si Valérie n'avait pas laissé par hasard une crème de visage pour lui.

Il savait qu'avant, elle en achetait tout le temps, des trucs qu'il ne mettait jamais, pour raviver son teint, unifier son grain de peau ou lui rendre son dynamisme. Mais là, c'était soit ça, soit il ressemblait à un zombie. Il trouva enfin un pot, non entamé, qu'elle avait eu la « gentillesse » de laisser quand elle était partie en coup de vent. Etonnamment, ça ne lui fit rien de le prendre entre ses doigts et de l'ouvrir pour essayer de se tartiner maladroitement. Diable, ce n'était vraiment pas pratique ces trucs.

Il passa dans leur chambre, dans sa chambre pardon, pour se regarder dans le miroir en pied. Il faudrait qu'il se change avant de partir. Là, ça allait encore. De toute façon, il ne faisait pas un défilé de mode, et par-dessous un manteau, personne ne verrait que ses habits étaient dépareillés et sa chemise froissée. Il enfila ledit manteau, une écharpe, et prit ses papiers et ses clés.

Il passa plusieurs heures dans les transports en commun et les magasins. Il ne comptait pas faire de cadeau à tout le monde, de toute façon, il ne savait pas qui serait là et puis il était arrivé en dernière minute. Juste ses parents, c'était la moindre des choses. Et des chocolats pour Oncle Charles, ça lui ferait toujours plaisir, à ce vieux bougon. Il acheta un foulard pour sa mère, et une bouteille de vin grand cru chez un caviste pour son père. Classique, mais c'était au moins ça. Il passa chez le fleuriste en bas de chez lui pour y rajouter une plante. Ça faisait bien, une plante, non ?

Il prévint enfin son patron de son absence. Tout de même, c'était plus correct. Il y avait plusieurs messages dans sa boîte vocale et dans sa messagerie mais il est ignora. Il verrait ça plus tard. Ça n'était sûrement pas Valérie pour lui dire qu'elle voulait revenir, elle savait encore où se trouvait l'appartement.

Après quelques préparatifs rapides – tout d'un coup, il avait envie d'être plus naturel, moins guindé –, il prit enfin sa voiture, ses cadeaux mal emballés et le peu de bonne humeur qu'il avait pour aller affronter les rues parisiennes. Après plus d'une heure et quart de route, il arriva enfin devant la porte de chez ses parents. Ils habitaient en bordure de Chartres, dans une petite maison qu'il avait toujours connue. Ils n'avaient jamais bougé de là, et cette maison, ce coin de ville qui était presque devenu un village à lui seul, c'était toute son enfance.

Enfin, il n'était pas là pour faire dans le sentimental. Il toqua à la porte avant que son père ne lui ouvre, avec un grand sourire. Ça faisait du bien de le revoir lui aussi, avec son air fatigué, ses petites lunettes et sa bonne humeur constante. Depuis combien de temps n'était-il pas passé ? Combien de fois avait-il repoussé une invitation ? Il ne s'en souvenait plus. Il était temps de rattraper tout ça. Après tout, c'était la magie de Noël, n'est-ce pas ?

Il retrouva sa mère affairée à la cuisine, à préparer encore une multitude de plats, à tel point que personne n'aurait plus faim pour le dessert, comme chaque année. Il prit un tablier pour l'aider avant qu'elle ne le renvoie au salon pour aider son père avait le bois dans la cheminée, les cadeaux à descendre du grenier ainsi que la table à finir de mettre. Il n'était pas question qu'il soit dans ses pattes.

Le reste de l'après-midi passa vite et les femmes des voisins invités vinrent rapidement aider sa pauvre mère qui, elle avait beau dire le contraire, en avait bien besoin. La maison avait été décorée du sol au plafond et l'ambiance était déjà chaleureuse sans même qu'il y ait encore tous les invités. Des guirlandes de Noël avaient été accrochées autour des encadrements de porte, un sapin trônait fièrement dans le salon et des décorations de Noël ornaient chacun des meubles en vieux bois que ses parents avaient accumulé au fil des années.

Vers 19h, certains invités arrivèrent, à commencer par les maris des préparatrices, tout fiers de leur coup d'avoir échappé à l'horreur des cuisines. Maxence reconnut ainsi leurs voisins d'à côté, les Milmon, leurs voisins de derrière avec qui ses parents s'étaient bien entendu à force de récupérer son ballon envoyé par-dessus la haie, ainsi que le voisin d'en face avec qui il avait promené son chien étant petit, fier de l'aider. Tout un tas de souvenirs qui lui sautaient à la figure tout d'un coup.

Petit à petit, la maison se remplissait et Maxence retrouvait avec un émerveillement enfantin l'esprit de Noël qui l'avait quitté. Il ne se souvenait pas avoir passé une aussi bonne soirée depuis un certain temps déjà. Bien sûr, en bon fils, il faisait une partie du service en attendant qu'ils passent à table, mais finalement, ça ne le gênait pas plus que ça. Une musique douce de Noël s'échappait du vieux tourne-disque que son père affectionnait et il passait avec des plateaux de petits toasts au milieu des invités. Ils devaient être une trentaine, et c'était bon de faire une soirée moins guindée.

« Chéri, est-ce que tu pourrais aider ton père à faire en sorte que nos invités se mettent à table ? J'ai peur que mes dindes ne soient complètement carbonisées si on attend plus longtemps pour manger les entrées. » Lui demanda sa mère alors qu'il revenait en cuisine pour échanger un de ses plateaux.

« Bien sûr maman, et ne t'inquiète pas, tout sera… »

« Parfait ! Comme d'habitude ! » S'exclama l'oncle Charles.

Maxence les laissa tous les deux pour aller dans le salon faire ce que sa mère lui avait demandé. Il n'était pas question qu'il voit ça. L'oncle Charles n'était rien de plus qu'un vieux bougon grincheux. Mais c'était le frère de son père, alors il fallait bien l'inviter, surtout qu'il était vieux garçon et passait toutes les fêtes seul, sans ça. Il en profitait à chaque fois pour essayer de draguer sa mère, seule femme qu'il aurait consenti à épouser si son frère n'était pas passé avant lui. Diable que le brun en était content !

Il s'affaira alors à indiquer les places que chacun se voyait attribué, selon un plan censé convenir à tout le monde. Il savait que ses parents avaient planché dessus pendant des heures pour ne pas mettre sa cousine à côté de son oncle avait lequel elle ne s'entendait pas, pour éviter que ses voisins de gauche et d'en face se disputent après avoir bu un peu trop à propos des places de parking de la rue, etc.

Une fois à sa place, c'est une jolie surprise aux yeux bleus qui l'attendit. Il en resta interdit, et buta sur sa chaise avant de réussir à s'assoir correctement.

« Julie ? Tu… »

« Tu ne savais apparemment pas que j'étais invitée. » s'amusa la jeune femme qui lui faisait face.

« Non, je… maman et papa ne m'avaient pas dit. Mais je suis content, très content. »

Elle lui renvoya un sourire éclatant. Dieu qu'elle était belle, il l'avait presque oublié. Julie Dubreuil. Son amie d'enfance. Ils avaient le même âge et avaient passé presque toute leur scolarité dans la même classe, au moins dans le même établissement, jusqu'au lycée où ils avaient pris deux voies séparées. Ils étaient amis d'enfance, et ses parents habitaient à quelques maisons d'ici seulement. Ils avaient fait les quatre cent coups ensemble.

Il se souvenait ne pas l'avoir appréciée au début. Comme l'idiot macho qu'il était à trois ans, il avait déclaré à ses parents que de toute façon, c'était une fille, et que les filles c'était nul. Qu'elle était juste bonne à être son amoureuse si elle ne l'embêtait pas trop. Ils en avaient ri pendant des années. Elle avait fini par lui tirer les cheveux et par le bousculer un peu pour lui montrer qu'elle n'était pas aussi nunuche qu'il ne le pensait. Depuis, ils ne s'étaient plus vraiment quittés.

Enfin, jusqu'à ce qu'il parte. Quand il était au lycée, elle faisait un CAP de mécanique automobile, ils avaient encore l'occasion de se voir de temps en temps, même si cela survenait de plus en plus rarement. Il avait fait le con à penser qu'elle n'était plus aussi bien pour lui. Plus tard, il était parti à Paris pour faire ses études, il y avait fait sa vie, sa carrière, et il n'avait pas souvent pris la peine de demander de ses nouvelles. Il était même infoutu de dire où elle bossait en ce moment, ni où elle en était dans la vie.

« Je viens d'acheter mon propre garage, au vieux Gérard, tu sais, celui qui était à l'angle de la rue des lilas. Il partait à la retraite et il voulait que ça soit repris par quelqu'un du coin. Il a un peu fait la tête de voir que c'était une fille qui voulait reprendre sa boutique mais il m'a quand même fait un prix. » Rit la jeune femme.

« Comment tu as su… ? »

« Ce que tu voulais me demander ? Je te connais encore bien, Maxence, on peut lire tout ce que tu ne dis pas sur ton visage. Et puis ça fait quoi, cinq ans que tu n'as pas demandé de mes nouvelles ? A ta place, je me serais posée la même question. »

« Je suis directeur marketing, dans une… »

« Entreprise de décoration, je sais. Tes parents n'arrêtent pas d'en parler, ils sont fiers de toi. Ton père passe devant mon garage de temps en temps, il dit que c'est sans faire exprès mais je sais que c'est pour voir si je m'en sors. Il a toujours été adorable avec moi. »

« Oui, c'est vrai. Il t'aime bien. Je crois qu'il aurait bien voulu avoir une fille. » Sourit Maxence.

Le père de Julie était mort il y avait plus d'une dizaine d'années, quand ils étaient encore gamins, et depuis, son propre père tenait un peu ce rôle, pour la protéger et la rassurer quand elle en avait besoin. Ses parents avaient toujours été là pour elle, contrairement à lui, pensa-t-il amèrement.

« Tu n'as pas à t'en vouloir, Maxence. Tu faisais tes études, tu avais des rêves, de l'ambition. C'est normal que tu m'aies oubliée. » Répondit Julie, impassible.

« J'avais des projets plein la tête, des envies de croquer le monde, des envies de grandeur, oui. Mais ça n'est pas pour autant que je suis pardonné. Jamais je n'aurais dû oublier ce que nous étions, des amis d'enfance, qui se parlaient tout le temps. Regarde-moi maintenant, j'ai réussi ma vie professionnelle oui, mais ça ne me rend pas plus heureux… »

« Elle ne fait sans doute pas tout. Tu n'es pas marié, à ce que je vois ? » Questionna-t-elle en montrant sa main gauche, sans anneau. « A moins que tu essaies de nous cacher ta femme. » ajouta-t-elle en riant.

« Non, je ne suis pas marié, et je ne cache personne. J'ai connu quelques femmes oui, dont une dernièrement, mais… c'est terminé. » Nia-t-il.

« Oh, je suis désolée. Je ne voulais pas… Je ne voulais pas te blesser. Je suis seule aussi, et parfois, ton père dit que ça me rend un peu ourse. » S'excusa-t-elle.

« Pas grave. » balaya-t-il d'un geste. « Tu es toute pardonnée. »

Ils continuèrent ainsi à bavarder tranquillement pendant que le repas avançait. Après la troisième entrée – saumon fumé et jus de citron pour l'accompagner –, ils passèrent avec soulagement à la traditionnelle dinde de Noël que sa mère farçait elle-même, accompagnée de marrons et de pomme de terre. Maxence et Julie se regardèrent en même temps, rassasiés et pas vraiment étonnés du repas gargantuesque encore une fois préparé. Ils échangèrent un clin d'œil comme deux mômes avant de se servir une petite part, pour faire honneur au plat sans tomber malade d'indigestion avant la bûche glacée.

Plus le temps passait et plus ils retrouvaient leur complicité. Oh ça n'était pas tout à fait pareil que quand ils avaient treize ou quatorze ans, mais c'était déjà beaucoup, se dit Maxence. Depuis combien de temps n'avait-il pas autant ressenti d'amitié et de complicité pour une personne ? Il ne savait même plus. Il s'était tellement complu dans des amitiés réglées, dans des relations millimétrées, et distanciées surtout. Ne pas trop s'impliquer, ne pas trop en montrer, ne pas faire tomber le masque lisse.

Aujourd'hui, il réapprenait à apprécier une conversation, à s'impliquer dedans. Il riait comme il n'avait pas autant ri depuis des années. Le temps passait vite, incroyablement vite, et bientôt il serait temps d'aller près du sapin pour récupérer chacun les quelques cadeaux déposés. Tout le monde les ouvrirait en même temps, s'extasiant devant ce qu'il avait reçu et remerciant à foison. Les enfants piailleraient plus que d'habitude mais seraient ravis et essaieraient tout de suite leurs jouets. Il n'avait pas vécu de Noël aussi magique depuis bien des années.

Et puis il y avait Julie, et ça valait tous les cadeaux du monde. Ils ne pouvaient plus sortir de table comme ils voulaient, se faufiler hors de la pièce pour aller jouer à cache-cache ailleurs dans la maison, mais c'était tout comme. Ils étaient dans leur bulle, depuis qu'ils s'étaient retrouvés.

Ils avaient beau avoir parlé de leurs situations amoureuses respectives, et de plusieurs sujets qui lui avaient remémoré Valérie, il n'était plus aussi affecté que ces derniers jours. Sa crise était passée. Il ne savait toujours pas bien pourquoi elle était partie, à part que c'était pour vivre sans lui et avec un autre, mais il ne se sentait plus aussi mal, plus aussi coupable de ne pas avoir su la retenir, plus aussi condamnable.

Ce soir, il se sentait pousser des ailes. Et puis… et puis il devait l'avouer. Elle était belle Julie. Il ne se souvenait pas à quel point elle était si belle. Malgré ses ongles un peu rongés et un peu noircis par l'huile de moteur, son métier d'homme et ses habits pas totalement féminins, elle était magnifique. Avec ses grands yeux bleus, sa chevelure brune laissée détachée, ses quelques taches de rousseur et son sourire complice, elle était belle. Il ne comprenait même pas pourquoi personne ne voulait d'elle. C'était impensable. Il sentit le désir enfler dans son pantalon. Non. Ça n'était pas possible. Il n'était pas en train de fantasmer sur Julie… non ? Si ?

Il fut interrompu dans ses pensées par un remue-ménage. Ah. On débarrassait, et apparemment, il venait de manger sa bûche glacée sans s'en rendre compte, quel imbécile. Il se leva pour faire comme tout le monde, un peu gauche, pas bien sûr de ce qu'il devait faire, et aida à débarrasser les tables pour les pousser un peu et faire de la place. Tout ceci fait, les petits de ses cousins et cousines commencèrent à déballer leurs cadeaux, impatients. Maxence tira Julie par la manche pour l'emmener dans l'entrée.

« Dis, ça te dit qu'on monte là-haut ? Et ne me regarde pas comme ça, je ne te propose pas un plan foireux, je ne veux juste pas voir tout cet étalage ! » Se dédouana-t-il. « Il n'y a pas de cadeaux pour moi, de toute façon, alors je m'en fiche. Et tu pourrais voir plus tard les tiens, non ? On ferait comme avant… »

« Dans ta chambre ? Sous la couette comme avant ? Et tu oses me dire que ça n'est pas une proposition malhonnête ? » Rit la jeune femme.

« A l'époque, ça ne l'était pas non plus ! »

« A l'époque on avait douze ans, à peine. » répliqua-t-elle en riant toujours. « Mais soit, je te suis, allez ! »

Ils gravirent à pas de loup les escaliers pour ne pas se faire surprendre.

« Maxence ! Pourquoi tu montes là-haut avec Julie ? On peut venir jouer avec vous ? » Demanda une petite voix flutée.

Raté pour la discrétion. Le brun redescendit les quelques marches gravies, passant devant sa compagne, pour s'accroupir devant une petite blondinette d'environ cinq ans, affublée d'un costume de fée rose.

« Non Amélie, d'ailleurs, tu devrais retourner là-bas, tu ne crois pas ? Il va y avoir tes cadeaux, que le Père Noël a déposés. Tu auras peut-être une jolie baguette pour accompagner ton costume, tu ne crois pas ? Et tu as le droit de prendre tous mes sablés, dans mon petit sac en papier, à côté de mon assiette, si tu veux. A condition de ne dire à personne où Julie et moi sommes, d'accord ? C'est un secret entre nous. » Confia Maxence à la fille de son cousin.

La petite hocha vigoureusement la tête, lui adressant un clin d'œil qu'il aurait qualifié d'adorable avant de partir en courant dans la salle, ses ailes battant dans son dos. Ouf. Sauvés. Encore un peu et c'était toute la marmaille qui montait avec eux, et sans savoir trop pourquoi, il n'en avait pas particulièrement envie. Il rêvait d'un moment seul avec Julie, sans tous ces gens autour d'eux, qu'il adorait mais qui n'étaient pas elle.

Une fois à l'étage, ils retrouvèrent rapidement le chemin de sa chambre et sautèrent ensemble sur le lit en riant. Quand ils atterrirent, ils se souvinrent qu'ils n'étaient plus des gosses comme avant, et que son lit double n'était pas aussi grand qu'il en avait l'air à l'époque. Ils se rassirent correctement tant bien que mal, se blottissant l'un contre l'autre pour ne pas avoir froid. Sa mère avait beau avoir remis sa chambre en état, elle n'avait pas allumé le chauffage depuis longtemps et on ne pouvait pas dire qu'il faisait bien chaud. Maxence défit la couette pour les enrouler dedans.

« Comme avant » murmura-t-il.

La jeune femme prit son bras pour le passer autour de son épaule et tenir sa main dans la sienne.

« Maintenant, c'est comme avant. Tu avais oublié le bras protecteur. » Se moqua-t-elle.

« C'est vrai, oui, j'avais oublié. A l'époque déjà, j'avais envie de te protéger. »

« Contre les méchants qui me voulaient du mal ou m'en feraient ? » rit-elle.

« Mais ! Tu te moques de moi ou je rêve ? Espèce de… » Fit-il semblant de s'offusquer en entreprenant de la chatouiller.

Ils finirent rapidement allongés sur le lit, la couette en désordre, échevelés et leurs vêtements mal ajustés, le sourire aux lèvres. Ils restèrent ainsi quelques instants, à se regarder dans les yeux, émus de s'être retrouvés comme avant. Pris d'un élan soudain, il posa sa bouche contre la sienne. Il ne savait pas ce qui le prenait, il était sans doute complètement fou, et le champagne ou le vin blanc lui avaient monté à la tête, mais il s'en fichait. Il avait envie de l'embrasser, envie de lui montrer qu'elle était désirable, contrairement à ce qu'elle semblait penser. Quitte à le regretter plus tard.

Contrairement à ce qu'il craignait, Julie répondit à son baiser. Elle agrippa sa nuque pour l'attirer contre elle. Il pouvait sentir ses seins poindre contre son torse, et sa bouche mordiller la sienne. Surpris, il la laissa le guider et sa langue fut entraînée par le ballet de la sienne.

Un incendie l'embrasait et il sentait le feu courir dans ses veines. Son sang ne fit qu'un tour et empresser, il passa une main sous sa chemise à carreaux pour caresser sa peau. La pétrir autant été le terme plus exact. Il se sentait pris d'une impatience grandissante. Il avait envie de plus, de la sentir plus contre lui, de la découvrir plus, de caresser son corps en entier et de le prendre entre ses bras. Il avait envie de voir le plaisir monter en elle et d'observer son visage pendant qu'elle atteignait le paradis. C'était le seul cadeau qu'il demandait cette année.

Fébrile, il déboutonna le vêtement qui le gênait avant d'embrasser sa poitrine. Sa bouche contourna son soutien-gorge de coton et ses mains redessinaient ses hanches, goûtant à sa peau de satin. Il passa rapidement ses doigts dans son dos, et suivant sa colonne vertébrale de l'index, arriva à l'attache du sous-vêtement qu'il dégrafa rapidement. Toujours aussi impatient, il écarta le tissu gênant pour enfin l'admirer.

« Tu es magnifique. Comment j'ai pu ne pas m'en rendre compte plus tôt… » Souffla-t-il.

Gênée, la jeune femme rougit et distraya son attention en déboutonnant sa chemise à son tour. Elle passa l'index sur son torse, retraçant ses muscles et il ferma les yeux sous la caresse papillon, savourant l'attouchement. Quand elle passa sa main sous son pantalon un peu lâche, il les rouvrit brusquement et la regarda, surpris. Elle rougit encore plus fort et retira précipitamment sa main.

Il chercha à la rassurer et s'allongea à côté d'elle. Là, il guida sa main vers son sexe palpitant, enlevant le bouton de son pantalon pour qu'ils aient un meilleur accès. Il posa sa main sur son caleçon et l'accompagna dans un mouvement lent, la regardant droit dans les yeux. Après quelques instants, il fit passer leurs doigts sous le vêtement, pour approfondir l'effleurement.

La jeune femme reprit de l'assurance et se débarrassa de sa main. Elle le caressait doucement, lentement, prenant son temps. Elle faisait courir ses doigts sur toute la longueur de son sexe, s'attardait d'un index sur ses bourses pour revenir ailleurs, dans un mouvement imprévisible et terriblement lent. Cette patience lui faisait perdre tous ses moyens. Si elle continuait comme ça, il n'allait pas tenir.

Il l'embrassa et posa la main gauche sur un de ses seins, impatient. Il l'agaça du pouce et de l'index, le pinça, le cajola, jusqu'à le sentir dur entre ses doigts. Sa bouche quitta la sienne et s'attarda sur sa mâchoire, son cou, la naissance de sa poitrine avant d'embrasser l'autre sein. Doucement, il faisait basculer le corps de sa compagne en arrière et elle remonta ses mains vers son dos pour l'agripper.

Sa bouche délaissa ses seins pour descendre sur son ventre et il enleva le pantalon et la culotte qui le gênaient. Il caressa d'une main l'intimité de la jeune femme tandis que l'autre appréciait la peau si douce de ses cuisses. Il la sentit gémir et ce son l'excita encore plus. Il n'allait pas y arriver. Il n'allait pas tenir. Il enfila rapidement un préservatif trouvé dans sa table de nuit – il fallait croire qu'en quittant la maison, il les avait oubliés là.

Il regarda la jeune femme dans les yeux, et elle accrocha ses jambes autour de ses reins, l'invitant à la pénétrer, ce qu'il fit sans tarder. Une poussée et il était en elle. Dieu que c'était bon. Il avait l'impression d'être à sa place, il ne savait même pas comment il avait pu oublier qu'elle était si géniale, si fabuleuse, et si bien faite pour lui.

Il bougea rapidement, impatient de découvrir de nouvelles sensations. Le plaisir montait en lui, et Julie griffait ses omoplates pour s'accrocher à lui. Ses va-et-vient étaient désordonnés, presque brutaux, il butait au fond de la jeune femme à chaque fois mais il s'y sentait incroyablement bien. Son corps bougeait de lui-même et elle le suivait en rythme, comme s'ils avaient toujours su comment être ensemble.

Il accéléra ses mouvements, gémissant en même temps qu'il entrait, regrettant presque de devoir se retirer à chaque fois. Soudain, après une poussée plus brutale, la jeune femme s'accrocha à ses bras en écarquillant les yeux et en gémissant longuement avant de retomber sur la couette. Il la suivit aussitôt, propulsé par la vision de son visage extatique.

Il n'eut pas la force de résister encore et son poids s'écrasa sur la jeune femme encore dans son plaisir. Il s'écarta un peu, juste un peu, pour la prendre dans ses bras et la ramener contre lui.

« Joyeux Noël, Maxence. » murmura-t-elle dans un sourire fatigué avant de doucement fermer les yeux.

« Joyeux Noël » souffla-t-il à son tour.

Avait-il fait le bon choix ? Ne venait-il pas de bousiller leur amitié si forte ? Il n'en savait rien, mais il était foutrement bien là, avec ce petit bout de femme entre ses bras. Bien mieux qu'il y a deux jours dans son appartement vide. Bien mieux même qu'il y avait deux mois, dans les bras de Valérie. Julie, elle, elle était réelle, elle était vraie, elle était juste. Et elle le faisait être lui, et rien que lui. C'était déjà un grand pas, non ?