Ce texte a été écrit dans le cadre d'un défi de la Ficothèque Ardente, je devais écrire sur l'image de couverture. Bonne lecture ! :)
ESQUISSE
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Quand Margaux avait emménagé dans cet appartement, elle n'avait fait attention qu'au prix et à l'emplacement. Son studio, un petit 18m² au cinquième étage avec ascenseur, était juste à côté de son école d'arts, et pas très loin d'un supermarché. Il était idéalement placé.
Elle avait apporté quelques meubles de chez ses parents, une vieille table stockée au grenier depuis des années et qu'elle avait cirée, ainsi que l'ensemble de ses vêtements, son mannequin en bois pour les articulations, son chevalet, ses feuilles à dessin de tous les grains et de toutes les tailles, ses fusains, ses pastels et ses peintures. Enfin, ça ressemblait à quelque chose. Elle aurait même pu dire que ça ressemblait à un atelier d'artiste. L'artiste qu'elle allait devenir.
Son loyer était un peu élevé pour ses maigres moyens mais elle n'avait pas le choix. Ses parents lui allouaient un budget par mois et l'appartement le mangeait entièrement. Mais tant pis. Ils n'avaient pas énormément de moyens et surtout ne soutenaient pas ses études. Ils avaient toujours pensé que l'art était une perte de temps alors quand elle avait annoncé qu'elle arrêtait médecine pour se consacrer à sa passion, ils n'avaient pas vraiment apprécié. Elle avait réussi avec brio sa première année, du premier coup, passionnée par la biologie et l'anatomie, avant d'arrêter brutalement en troisième année.
Il lui avait fallu trois ans pour se rendre compte que ce qui lui plaisait c'était de dessiner les corps humains, que ce qu'elle croquait dans un coin de ses cahiers pendant sa prise de note, ça n'était pas du tout lié à un passe-temps quelconque mais à une véritable passion. Trois ans pendant lesquels elle avait trimé pour ressembler aux idéaux de ses parents. Fils d'ouvriers, ils avaient toujours rêvé du mieux pour leur fille unique, du plus grand, du plus ambitieux, pour qu'elle réussisse, elle. Alors la médecine, c'était le saint Graal.
Sauf que ça n'était pas du tout son truc. Elle n'avait sûrement pas l'âme d'un chevalier. Elle avait tout plaqué, plantant là ses études pour s'inscrire aux Beaux-Arts dans la ville à côté, dont la réputation était meilleure pour ces études. Elle se doutait que peu de monde avait compris son geste mais elle s'en fichait royalement. Tout ce qui comptait, c'était de vivre de sa passion. Elle avait déjà perdu trois ans, elle ne comptait pas passer les cinquante prochaines années de sa vie à se lamenter sur ce qu'elle n'avait jamais pu faire et aurait dû faire. Et puis en faisant médecine, elle avait acquis un solide bagage en anatomie et en morphologie qui ne pourrait pas être inutile pour ses dessins.
Pour compléter son budget et payer ses repas, son inscription à l'école ainsi que ses petites dépenses, elle avait deux jobs en plus de ses cours. De 17h30 à 19h15, tous les soirs, elle allait chercher le petit Mattéo, trois ans, à la maternelle et le reconduisait à la maison où ils jouaient ensemble avant qu'elle ne le lave et ne le fasse dîner. Une fois les parents rentrés, elle s'éclipsait après un baiser sur le front du petit. Le samedi toute la journée ainsi que les mardis et jeudis après-midi, elle travaillait dans le supermarché où elle faisait ses courses comme caissière et magasinière. Elle faisait la petite main quand il manquait du personnel à tel ou tel poste, ne refusait aucune tâche et avait obtenu en plus de son maigre salaire 5% de réduction sur tout le magasin. Elle était assez fière de ses négociations.
Quand elle ne travaillait pas, elle allait en cours, évidemment. D'une énergie débordante, elle s'était inscrite au plus grand nombre de cours possibles, avait sauté ceux d'anatomie les connaissant déjà, et passait le plus clair de son temps dans un parc près de chez elle pour croquer les gens dans la rue. Elle rêvait d'exposer ses toiles dans de grandes galeries parisiennes, ou chez des particuliers. Elle rêvait d'habiller leur salon de ses ocres et de ses bruns, de ses fusains aux couleurs franches et aux traits délicats.
Si elle n'y parvenait pas, elle pourrait toujours travailler comme dessinatrice pour de nombreuses professions. Elle se savait capable de croquer n'importe quoi, et inventer des meubles qui n'existaient pas. Elle pourrait devenir dessinatrice pour un créateur de mode ou de prêt-à-porter, un décorateur d'intérieur, un architecte ou une entreprise du bâtiment, elle s'en fichait, du moment qu'elle croquait. Elle n'était pas stupide ni naïve, à vingt-et-un ans, elle avait pris le temps de réfléchir, et de mûrir. Elle savait que sa vie serait compliquée, que l'argent serait difficile à emmagasiner, mais elle y arriverait.
Pour l'instant, elle suivait ses cours avec assiduité. Elle passait son temps à dessiner et ça lui plaisait bien plus que les cours qu'elle suivait en médecine. Là, elle était dans son élément, dans son univers. Et il y avait un sujet en particulier qu'elle appréciait : le nu. C'était sans doute un héritage de ses envies de médecine, et de son apprentissage de l'anatomie, mais elle aimait prendre le temps de mesurer à l'œil nu les proportions, tracer les contours du corps, les angles et les muscles saillants, reproduire le grain de la peau sur sa toile, retrouver les détails des grains de beauté et des fines lignes de poils.
Ils n'en faisaient pas encore énormément, mais elle avait un sujet personnel de choix. En effet, la jeune femme avait observé que depuis son appartement, elle avait une vue plongeante sur son voisin d'en face, étant située dans une petite ruelle de la ville. L'espace entre les deux fenêtres était réduits, et depuis son voilage, elle pouvait l'apercevoir se dénuder chaque soir, avant de parfois s'allonger par-dessus sa couette pour dormir ou faire une sieste de manière plus confortable supposait-elle. Elle ne pouvait pas toujours l'observer car elle ne passait évidemment pas son temps à la fenêtre, mais elle avait souvent croqué cet inconnu dont elle ne connaissait que le corps et le visage.
Elle avait souvent esquissé les traits de la cuisse qui remontait, musclée, pour accrocher une jambe au lit, de ce galbe de fesse qui tombait après une chute de rein incroyable, ce grain de peau que même de loin elle devinait parfait, et le dos musclé qu'il laissait à la vue de la jeune femme. Margaux avouait avoir déjà passé quelques soirées devant sa fenêtre, à dessiner tantôt au fusain tantôt au crayon ce corps magnifique. De temps en temps, elle apercevait une mèche de cheveux d'un brun très foncé. Il se déshabillait toujours dos à la fenêtre, comme s'il avait un reste de pudeur, ne se doutant sans doute pas qu'il était observé. Elle n'avait vu son visage qu'une fois, et ce croquis était sans doute le meilleur, bien que moins sensuel.
Ce soir, elle jeta un coup d'œil à la fenêtre, comme chaque soir, dans l'espoir d'avoir encore un sujet à dessiner, une autre position à imprimer sur sa feuille. D'autres auraient appelé ça du voyeurisme, pour elle, c'était de l'art. C'était la quintessence de son futur métier, un croquis du présent, une ébauche contenant la réalité ainsi que ses désirs. Oh, il était vrai que le sujet était agréable, et ça aurait été un vieux papi, elle n'aurait sans doute pas osé, mais là, comment s'en priver ?
Soudain, sa main tint son voilage avec plus de poigne. Il était là. Elle n'en était pas sûre, ça faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas refait ce rituel, plusieurs jours qu'il oubliait d'allumer la lumière, de laisser le volet ouvert ou qu'il ne dormait tout simplement pas là. Il devait avoir une amante, impossible dans une pareille situation. Elle le vit se déshabiller, jeter ses vêtements à côté de sa guitare sèche qui indiquait des mains de musicien qu'elle avait tenté de croquer une fois mais sans le modèle, ça avait été un peu difficile.
La jeune femme se retourna pour attraper sur la table de sa cuisine le carnet à croquis qu'elle avait toujours à portée de crayon, un fusain noir, qui irait merveilleusement avec le côté ombreux du personnage, et s'apprêta à dessiner quand elle comprit que ce soir-là serait différent. Il était allongé sur le dos, cette fois. C'était la première fois qu'elle le voyait dans cette position. Appuyé comme il l'était sur son oreiller, la tête un peu surélevée, elle pouvait le voir, voir son visage. Il la fixait. Elle n'était qu'à trois mètres de sa chambre après tout, et on aurait dit qu'il l'avait enfin remarquée. Ce dessin serait sans doute le dernier, avant qu'il ne vienne sonner à sa porte pour la prier d'arrêter. Il fallait qu'il soit parfait.
Elle commença par les yeux, le visage, la mâchoire fine et le duvet sur ses joues, comme s'il ne s'était pas rasé ces derniers jours. Les cheveux presque de jais en bataille, et le regard de braise tourné vers elle, vers le spectateur, vers celui qui verrait son œuvre et aurait l'impression qu'il le fixait lui. Elle descendit, contourna les épaules pour s'attacher à son cou masculin, plus épais que celui d'une jeune femme, en partie contracté.
Le cadre de la fenêtre cachait une partie de son corps mais elle décida de l'imaginer. Elle traça les deux tétons, s'imaginant en faire le tour de la pulpe de ses doigts, esquissa les muscles saillants de son torse, l'attache de ses hanches, et ses bras qu'elle imagina se serrer autour d'elle.
Alors qu'elle voulut entamer la partie basse de son sujet, ainsi que les mains qu'elle n'avait pas encore dessinées, elle se rendit compte qu'apparemment, l'idée d'être observé ne gênait absolument pas son modèle. Celui-ci était en train de caresser son sexe lentement, allant et venant sur la hampe alors qu'elle restait interdite. Elle remonta les yeux vers son visage et le vit goguenard. Brusquement, il accéléra le mouvement, ses traits se crispèrent, montrant la montée de son plaisir, tandis qu'il plantait encore ses yeux dans les siens.
Reprenant conscience, elle tenta de croquer le reste de son corps, passant rapidement à ses jambes fines et musclées, négligemment posées sur son lit. Une fois son dessin terminé, elle releva les yeux vers lui et le vit crier dans le silence son plaisir évident. Elle n'avait jamais eu de modèle aussi érotique ni aussi impliqué, se dit-elle, amusée, alors qu'elle reposait le carnet sur la table et l'admirait de loin. C'était sans nul doute son plus beau croquis.
Epuisée par l'heure tardive et satisfaite de son travail, elle se changea rapidement pour se mettre au lit, sans un regard de plus vers la fenêtre. Alors qu'entre ses draps elle cherchait le sommeil, l'image du jeune homme lui revint avec force à l'esprit. Il était tellement sensuel, tellement érotique.
Elle sentit son propre corps réagir au souvenir et se tendre sous sa chemise de nuit. Instinctivement, une de ses mains agrippa son sein par-dessus le tissu, le malaxant sans délicatesse. Sa main gauche fit le tour de sa poitrine, effleura la hanche par-dessus le tissu pour se glisser dans son entrecuisse. Elle détestait porter des sous-vêtements quand elle dormait, ils la gênaient.
Elle n'était pas coutumière des plaisirs solitaires depuis qu'elle avait entamé sa nouvelle vie, ayant trop peu de temps et de pensées à y consacrer, mais elle n'était pas gênée. Elle savait comment son corps réagissait, et elle n'arriverait pas à trouver le sommeil si elle ne l'avait pas contenté.
Elle inséra sa main entre ses cuisses serrées par le plaisir, et agaça son clitoris de l'index. Elle joua avec, le laissant gonfler lentement tandis que son autre main passait sous son col de chemise et pinçait son mamelon. Elle gémit. Bascula la tête de droite à gauche, envahie par le plaisir. Inséra deux doigts dans son intimité, allant et venant alors que son pouce caressait encore son bouton de plaisir. C'était bon. Elle cria, se cambra sous les draps avant de retomber exténuée.
Elle ne saurait vraiment pas comment accueillir son voisin s'il venait sonner à sa porte pour des explications le lendemain.