Un petit mot de l'auteure : Voici une nouvelle que j'avais écrite pour le concours d'écriture Les Chroniques de Harris Burdick organisé par l'École des Loisirs. Bon, je n'ai pas gagné mais ça m'a fait plaisir de participer et je voulais vous faire partager le fruit de mon travail :)

Le maximum de pages autorisé était de 4, c'est pourquoi le texte est court. Il fallait s'inspirer d'une gravure et glisser la légende accompagnant l'illustration dans le texte, alors j'ai choisi l'image (qui est en haut à gauche) et la légende qui se trouve en gras.

Bonne lecture ! Et n'hésitez pas à me faire part de votre avis, ça fait toujours plaisir (même si c'est une critique) ! ;)


La Treizième Fée

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D'instinct, elle sut qu'il était temps.

Kamilla reposa le journal qu'elle lisait et se rendit dans le hall d'entrée de sa petite maison de campagne. Là, elle délaissa ses chaussons pelucheux et confortables au profit de ses solides chaussures d'extérieur et sortit. Il faisait assez bon en ce début d'été, elle ne prit donc pas la peine de se couvrir d'un manteau. De plus, elle n'avait qu'une vingtaine de mètres à parcourir pour se rendre jusqu'à la vieille grange.

La jeune fille passa par d'étroits sentiers bordés de ronces et d'orties. Elle connaissait l'emplacement de chaque mauvaise herbe sur le bout de ses doigts, aussi savait-elle où poser ses pieds afin d'éviter à ses chevilles nues de souffrir.

Arrivée devant l'imposant bâtiment de bois, elle y entra après avoir survolé les alentours du regard pour débusquer un éventuel suiveur.

Il faisait fort sombre dans la grange malgré la lumière du soleil qui s'infiltrait par les rainures des planches solides mais usées. Kamilla laissa d'abord ses yeux s'accommoder à l'obscurité ambiante. Puis elle se dirigea prudemment, presque à tâtons, vers l'échelle en bois qui menait à la mezzanine et grimpa.

Une fois à l'étage, elle inspecta scrupuleusement du regard les environs. Un sourire triomphal se dessina sur ses lèvres lorsque ses yeux se posèrent sur deux silhouettes immobiles gisant dans la paille. La jeune fille s'en approcha.

Les corps étaient desséchés au possible, comme de vieilles pommes flétries. Ratatinés, ils n'avaient plus que des orbites vides là où se trouvaient jadis des yeux et d'entre leurs lèvres craquelées et entrouvertes filtrait une douce lumière. Kamilla se pencha au-dessus du corps le plus proche couché en chien de fusil et en écarta les mâchoires. Les muscles pourtant presque inexistants de la bouche obéirent sans résistance et sans bruit malgré leur sécheresse. La jeune fille plongea sa main dans la cavité buccale et en sortit la mystérieuse source de la lumière, rompant ainsi d'un coup sec le fin fil argenté qui reliait la chose au corps. Ce dernier se changea en poussière après l'acte.

Kamilla se releva, s'approcha du deuxième corps allongé sur le dos, les bras en croix, et réitéra l'opération en obtenant le même résultat : le corps se désagrégea sitôt le filin d'argent sectionné.

La jeune fille jeta un regard aux choses qui brillaient dans ses mains et sourit tendrement, puis elle se dirigea vers l'échelle, descendit au rez-de-chaussée et sortit de la grange. Elle s'éloigna de quelques mètres, rejoignant ainsi la lisière du bois avoisinant. Là, elle ouvrit ses poings dans lesquels gigotaient douze curieuses bestioles multicolores ressemblant fortement à des chenilles – six dans chaque main. Les vestiges de leur cocon protecteur finissaient de se faire goulûment dévorés par ce qu'ils enveloppaient quelques instants plus tôt.

La jeune fille sourit de nouveau, bien qu'un léger sentiment de tristesse l'envahit. Elle savait que le moment était venu de les renvoyer dans la nature. Les chenilles se tortillèrent doucement dans sa main, formant le mot « au revoir ». Puis elles s'immobilisèrent et d'elles sortirent, déchirant doucement et sans un bruit la carapace multicolore de leurs avatars, de minuscules êtres humanoïdes dotés d'ailes translucides. Kamilla n'eut pas le temps de les détailler plus car les fées s'envolèrent aussitôt vers la forêt.

Elle suivit ses sœurs du regard jusqu'à ce qu'elles disparaissent sous le couvert des arbres et soupira. Dorénavant, il lui fallait être patiente car sa Mutation n'allait intervenir que plus tard. De plus, étant seule, le processus serait plus long que pour les autres fées puisqu'il n'y avait personne pour l'accélérer en arrachant le lien de Transition. L'absorption complète de son enveloppe corporelle humaine allait prendre plus de temps puisqu'il lui faudrait attendre que cette grande coquille de chaire tombe en poussière pour enfin s'en détacher et pouvoir s'envoler sous sa forme féerique.

Enfin bon, il était normal qu'elle soit la dernière à muter. Après tout, elle était la seule à être assez forte pour pouvoir endurer cela sans aide. N'était-elle pas leur gardienne : la Treizième fée ?