Merci beaucoup pour ta review, yume ! Je n'ai pas oublié de faire raconter à Yoshka une histoire, c'est simplement que je trouvais que ce n'était pas le bon moment. Quand ils cherchaient Mélisende, ils n'avaient pas la tête à ça. Et pendant leur dernière journée ensemble, je pense qu'ils auraient eu l'impression de perdre leur temps avec ça. Je pense avoir répondu à toutes tes questions dans ce dernier chapitre. Si jamais ce n'est pas le cas, on pourra toujours en parler par mp ;) J'espérais que ça ne se verrait pas mais c'est vrai qu'il y a eu certaines parties de l'histoire plus difficiles que d'autres à écrire. Je n'ai pas spécialement plus travaillé le chapitre de la semaine dernière mais c'est vrai que je me sentais plus à l'aise avec l'histoire, donc que les mots coulaient plus facilement. Je te remercie encore pour ta fidélité !
Merci beaucoup pour ta review, Amandine2008 ! Je suis vraiment contente que cette histoire t'ait plu et que tu aies ressenti les sentiments des personnages. Merci pour ton soutien !
Merci beaucoup pour ta review, Anemone33! Je te laisse découvrir la suite, en espérant qu'elle te plaise autant que le reste.
Merci beaucoup pour ta review, Haaru ! Je suis désolée de ne pas avoir répondu à celle de la semaine dernière mais nous avons posté en même temps, ou presque, et je n'ai vu ton commentaire qu'après. Je n'avais pas l'impression qu'aucun d'eux "ne daignait quitter son petit confort", je trouvais leurs raisons plutôt valables : un homme de main manipulé depuis son plus jeune âge pour servir un homme que tu sembles adorer, pieds et poings liés par un serment sur l'honneur qui a une vraie valeur pour lui. Et un homme libre, qui a toujours vécu sur les routes et qui se retrouverait enfermé chez Louh. Yoshka est interdit de séjour à Âprefond et il n'aurait jamais pu passer inaperçu. Il serait donc resté cloîtré chez Louh pour le reste de ses jours. Quoiqu'il en soit, je n'aurais pas pu terminer l'histoire avec le chapitre de la semaine dernière, j'avais encore des choses à dire :D Si ça peut te rassurer, je connais bien le syndrome "la fin arrive, ralentissons" alors je ne t'en veux pas du tout. J'espère juste que cette dernière partie te plaira !
Comme suggestion de musique, je vous propose Maruzella, de Bratsch (Et je vous mets le lien dans mon profil). Je triche une dernière fois, promis, parce que c'est une chanson napolitaine reprise par le groupe. Mais la voix du chanteur me donne des frissons dans le dos et j'adore la progression de la chanson. Les paroles n'ont pas grand-chose à voir avec l'histoire "Au début, elle me dit "oui", puis doucement, doucement, elle me fait mourir" mais j'ai découvert cette chanson au début d'Âprefond et elle m'a énormément plu. Ca fait des mois que je voulais vous la faire écouter. J'ai essayé de faire en sorte que la chanson colle au texte, mais comme ça dépend de la vitesse de lecture de chacun et de la capacité à se concentrer sur un texte tout en écoutant une nouvelle chose, ça devrait foirer environ 9 fois sur 10, voire 99 fois sur 100.
Voici donc le point final à cette histoire, c'est toujours un moment émouvant pour moi. Mais je me rassure en me disant que Louh, Yoshka, et tous les autres personnages ne disparaissent pas, ils continuent leurs vies, c'est juste que nous, on ne les voit plus. Forcément, je ne pourrais plus faire de réponses aux reviews dans le chapitre suivant, donc n'oubliez pas de vous connecter avec FictionPress si vous laissez une review, que je puisse vous dire un mot.
Avant de clore cette introduction, je tiens à tous vous remercier, que vous ayez laissé un mot à propos de l'histoire ou pas. L'écriture a beau être un exercice solitaire, elle prend toute sa saveur quand il y a des lecteurs. Je vous souhaite une excellente lecture à tous et à toutes ^^
Je suis soudain happé par les bras frêles de Filippia qui m'enlace et j'éclate en sanglots contre son épaule. Je sens la carrure massive de Gabor se glisser derrière moi et me serrer. Mais ils ne parviennent pas à atténuer l'impression qu'on est en train d'arracher une partie de moi. Je m'écroule en pleurs dans ce cocon amical et bienveillant et la douleur semble me déchirer la poitrine.
Je ne parviens pas à me calmer alors ils m'entraînent dans la roulotte que j'ai ramenée, où des mains prévoyantes ont installé un couchage sommaire. Là, ils m'aident à me déshabiller et à m'allonger. Filippia défait mes bandages aux poignets et au cou, observe mes plaies, s'inquiète des hématomes qui parsèment mon ventre. Elle disparaît un moment pour aller chercher un onguent et l'étaler sur ma peau tuméfiée. Je n'ai plus de larmes et je reste prostré, insensible à ses soins pourtant doux.
Plus tard, on m'amène à manger, mais je n'y touche pas, incapable d'avaler quoi que ce soit. Je devine à peine Gabor qui vient s'installer près de moi pour la nuit, qui m'enlace sans un mot, partageant son affection et sa chaleur. Je ne m'interroge même pas sur ce geste, pourtant lourd de sens.
Les premiers rayons du soleil me surprennent dans un sommeil agité. Je n'ai presque pas dormi, ressassant tous les souvenirs de Louh, les joues brûlées par des larmes douloureuses. D'un pas titubant, je sors de la roulotte et je vais me rafraîchir au ruisseau puis soulager ma vessie. Le campement est en pleine frénésie, chacun s'affairant pour que nous puissions partir rapidement. Je m'avance vers le feu, où les retardataires sont en train de déjeuner. Filippia, qui semblait m'attendre, me met entre les mains un bol d'infusion. À l'odeur, c'est quasiment la même chose que celle prescrite par Eulalie. Il ne manque que le parfum de miel. À cette seule pensée, de nouvelles larmes silencieuses coulent sur mes joues. Je dédaigne le pain qu'elle m'offre, sachant parfaitement qu'il se transformera en boule pâteuse et impossible à avaler si je le mets en bouche. Alors je me contente de siroter l'infusion, insensible à la brûlure du liquide et aux regards inquiets qui se posent sur moi.
Je dois avoir mauvaise mine, car nombreux sont ceux qui, en passant près de moi, m'effleurent la tête en une caresse amicale, me tapotent l'épaule en un geste rassurant. Mais je ne ressens qu'un vide immense, un gouffre que rien ne peut combler.
Quand je retourne à la roulotte, dans un état second, Gabor a déjà attelé l'une nos vaches et s'est installé sur le banc à l'avant. Je grimpe à ses côtés, muet, et me cramponne au bois. Il me parle, visiblement inquiet pour moi, m'annonce qu'il a transféré ses affaires, et celles que j'avais laissé, dans la roulotte. Je n'avais quasiment rien, quand j'étais chez Louh et je sais qu'ils avaient déplacé toutes les affaires présentes dans les deux roulottes restées dans l'ancien campement. Maintenant que nous en avons récupéré une, Gabor s'est chargé de la remplir et l'agencer comme avant. Mais rien ne sera plus comme avant.
Il me raconte son emménagement forcé dans la roulotte de Filippia et de son mari, les péripéties qui en découlent, espérant me faire rire. Me voyant rester de marbre, il poursuit en me racontant les longs jours d'attente, à espérer des nouvelles de moi, à espérer mon retour. Il me raconte la chasse et la cueillette, pas toujours fructueuses, les quelques réserves qu'ils ont réussies à constituer, pour tromper l'ennui et l'inquiétude.
Mais je n'arrive pas à m'ôter Louh de l'esprit. Est-il déjà réveillé, à cette heure ? Ou profite-t-il d'un repos bien mérité ? J'imagine qu'il a dû arriver bien tard chez son Sieur, et qu'il a fallu qu'il lui explique de nombreuses choses. Nul doute qu'il n'a pas pu rentrer avant le milieu de la nuit pour nourrir ses cochons et enfin s'affaler dans son lit si moelleux. Un lit où règnent encore nos odeurs respectives.
J'espère que son seigneur ne l'a pas châtié pour une raison aussi injuste qu'inattendue. J'espère qu'il va bien et qu'il ne souffre pas trop de sa solitude retrouvée. Je l'imagine seul à table, devant sa tranche de pain, perdu dans ses pensées, et les larmes se remettent à couler sur mes joues. Peut-être devrais-je renoncer aux miens et à cette vie d'errance. Peut-être devrais-je accepter une vie de reclus, dans cette grotte humide et sombre. Après tout, demeurer auprès de Louh pour le reste de ma vie en vaut bien le sacrifice.
Le convoi s'ébranle et les premières roulottes s'engagent dans le ruisseau, Voel en tête, alors que les rayons du soleil percent timidement le feuillage épais. Je crois que Gabor n'a pas cessé de parler, qu'il me raconte leur brève excursion dans le fief voisin. Je m'en moque. Notre roulotte se met en marche, tirée par le bœuf, et chaque tour de roue m'éloigne inexorablement de Louh. L'accueil détestable qu'ils ont reçu dans l'autre fief ne me fait ni chaud ni froid.
Nous quittons le ruisseau, nous engageant sur la route qui mène au fief voisin. Gabor se met à me parler de Ysayo, qui est parti très tôt aller chercher la deuxième roulotte. Je voudrais lui dire de se taire, de me laisser à ma douleur. Qu'aucun bavardage ne remplacera la tendresse et les caresses de Louh. Que le vide qui s'est fait en moi ne pourra plus jamais être comblé. Mais s'il parle autant, c'est pour me distraire et pour m'aider, à sa manière, alors je me tais et je le laisse babiller.
Quelque part au fond de moi, je sais que je survivrai. Comme pour un deuil, on a d'abord l'impression qu'on ne s'en remettra jamais, que la vie est finie. Puis le temps passe et la douleur s'estompe un peu. L'absence ne s'atténue jamais, elle. Mais c'est la première fois que je reste si longtemps avec un homme qui me plaît, à qui je plais, avec qui je me sens si bien. C'est la première fois que j'ai l'impression de connaître mon amant. Et c'est la première fois que j'apprécie autant ce que j'ai découvert à son sujet.
Cahin-caha, notre roulotte s'avance à la suite des autres sur le chemin et j'ai une conscience aiguë de la distance qui augmente entre Louh et moi. Il est encore temps de sauter en marche, de revenir sur mes pas. Comme si Voel avait entendu ma prière muette, il fait arrêter le convoi. Peu à peu, les roulottes s'immobilisent et chacun met pied à terre pour savoir ce qu'il se passe. Voel et Ysayo remontent le convoi, se dirigeant vers les dernières roulottes. Je réalise que si notre menuisier est là, c'est qu'il a dû faire le chemin en sens inverse un peu plus tôt. Je n'avais rien remarqué.
Gabor met pied à terre, lui aussi mais je reste assis sur le banc. Sans doute s'agit-il d'une roue embourbée ou d'un lien cassé, rien qui ne nécessite ma présence. Je m'interroge sur cet arrêt et sur sa signification. Ne serait-ce pas un signe que je dois m'arrêter là et laisser les miens poursuivre leur route sans moi ? Ne devrais-je pas me saisir de l'occasion pour …
- Yoshka ? Viens.
La voix de Gabor me fait sursauter et je m'exécute sans réfléchir. Me prenant par le bras, Gabor m'entraîne à l'arrière du convoi, jusqu'à ce que la dernière roulotte soit en vue. Je me mets alors à courir comme un possédé en voyant la silhouette familière, toute de noir vêtue. Zigzaguant entre les curieux attroupés, je me précipite vers lui et je me jette dans ses bras. Il me réceptionne dans un « ouf » de surprise mais je ne lui laisse pas le temps de reprendre son souffle, je l'embrasse à pleine bouche. Je le serre contre moi, sa chaleur me réchauffe et me donne l'impression de revivre. Je me moque bien de ceux qui nous observent en ce moment même. Louh est là.
Il finit par s'écarter de moi, à bout de souffle, les yeux pétillants. Je me rends compte que Voel est juste à côté de nous et que j'ai interrompu une conversation. Mais à en croire son sourire radieux, ça ne le dérange pas. Je passe un bras autour de la taille de Louh, m'agrippant à sa chemise noire. Incapable de comprendre ou même de deviner la raison de sa présence ici, j'attends qu'il s'explique, ce qu'il fait sans tarder :
- Je me demandais si l'invitation tenait toujours.
Je suis tellement hébété que je ne trouve à balbutier qu'une seule réponse :
- L'invitation ? À dîner ?
Les éclats de rires fusent autour de nous mais ils ne m'atteignent pas. D'un geste tendre, Louh m'entraîne à l'arrière de la roulotte. Je vois bien les trois cochons curieusement harnachés mais il faut que je voie l'intérieur de la roulotte pour comprendre. La grande planche, qui sert de couchage pour un couple, est occupée par une literie que je connais bien et dont j'ai apprécié le confort. Les malles qui tapissent le fond de la roulotte ne me sont pas inconnues non plus. Quant aux multiples provisions qui occupent une grande partie de l'espace disponible, je les connais aussi pour les avoir souvent enviées. Mais j'ai besoin d'être sûr, de l'entendre prononcer les mots. Alors je lui demande, d'une voix rauque :
- Tu viens avec nous ?
- Si l'invitation tient toujours, oui.
- Mais oui ! Bien sûr qu'elle tient toujours !
Je me mets à rire, sans vraiment en comprendre la raison. Puis je jette un coup d'œil à Voel, qui nous a accompagné. J'ai donné mon accord, et j'avais même lancé cette invitation sans jamais en parler à notre meneur. Mais à voir sa mine ravie, je ne doute pas qu'il sera d'accord. De sa voix d'ogre, après avoir donné une claque dans le dos de Louh, il proclame :
- Sois le bienvenu parmi nous, Louh. Et je pense qu'il est inutile d'expliquer aux autres le lien qui vous unit.
Je sens mes joues s'empourprer et je remarque les mêmes rougeurs sur celles de Louh. Je me jette à son cou et l'embrasse sauvagement, le cœur dansant dans ma poitrine. Après tout, puisque tout le monde est au courant, pourquoi se priver ? Il faut l'intervention de Voel pour qu'on se s'écarte l'un de l'autre.
- Les enfants, on a encore beaucoup de route à faire. Vous fêterez vos retrouvailles plus tard.
Tout le monde s'éloigne, alors que l'ordre de se remettre en route remonte le long du convoi. Louh ferme la porte et nous allons nous installer sur le banc à l'avant de la roulotte. Et avant même que les roues se mettent à tourner, je lui demande :
- Comment ça se fait ? Je... je croyais que tu ne pouvais pas venir avec nous.
- Et c'était vrai. Un serment de loyauté sur l'honneur ne se rompt pas si facilement.
Je prends les rênes, machinalement, et d'un claquement de langue, je fais avancer le bœuf. Louh s'est serré contre moi et sa présence me réchauffe. D'une voix douce, qui couvre à peine de vacarme des roues, il m'explique :
- Ce n'était vraiment pas facile de te laisser là, alors que je devais m'éloigner. Mais je devais aller voir mon Sieur, je n'avais pas le choix. Il n'a pas apprécié mon arrivée tardive d'ailleurs et...
- Il t'a châtié ?
- Non, ne t'inquiète pas. Il m'a juste fait savoir qu'il désapprouvait. Je lui ai annoncé que tu étais bien parti, que je t'avais reconduit moi-même aux limites du fief. Puis je lui ai parlé d'Eulalie et du témoignage de Mélisende.
L'animal est placide et je libère une main pour saisir la sienne et la serrer fort. J'ai besoin de le toucher, de sentir sa peau contre la mienne pour m'assurer qu'il est bien là avec moi, que ce n'est pas une sinistre plaisanterie ou une cruelle invention de mon esprit. Sa voix s'est faite sinistre et je devine que le souci vient, en partie, de là.
- C'est à ce moment-là qu'il s'est énervé ? Il a refusé de payer les soins ?
- Non, il m'a demandé d'aller voir Eulalie pour savoir combien elle voulait pour les soins.
Il marque un temps d'arrêt et je ne le relance pas, bien conscient qu'il est inutile de le brusquer. Je refrène ma curiosité et je le laisse chercher ses mots, l'observant à la dérobée, peinant à réaliser qu'il est bien présent à côté de moi. Puis d'une voix vibrante de colère, il m'annonce :
- C'est à ce moment-là qu'il m'a annoncé qu'il avait relâché Clérieux.
- Pardon ?
- Tu as bien entendu. Il m'a attendu une partie de la journée et, voyant que je n'arrivais pas, il a missionné Gautier pour le ramener aux limites du fief. La liberté en échange de la promesse solennelle qu'il ne reviendrait jamais à Âprefond.
- Mais qu'est-ce qu'il lui est passé par la tête ?
- Il ne veut pas que le tribunal ecclésiastique vienne à Âprefond. Il ne veut pas que, pour l'Église, son fief soit associé à une affaire aussi embarrassante. En réalité, je pense qu'il redoute que l'Église l'accuse d'avoir perverti l'un de siens.
- Hum... C'est vrai que l'Église n'appréciera pas de savoir qu'un de ses curés a osé faire une telle chose, mais de là à accuser le fief...
- Quoiqu'il en soit, il ne voulait pas prévenir le tribunal. Et ne sachant que faire de Clérieux dans ses geôles, il a décidé de le relâcher.
- Au risque qu'il recommence plus tard.
- Bien sûr. Maintenant qu'il a goûté à ça, il aura du mal à s'en passer. Et libéré de l'emprise de l'Église, sans aucun vœu de chasteté à respecter, il aura encore moins de scrupules.
- Le Seigneur Honoré sait tout ça, n'est-ce pas ?
- Oui.
La voix de Louh s'est fait grondement sinistre et je frissonne malgré le soleil qui illumine la forêt. Il me serre la main à la briser quand il répond :
- C'est pour cette raison qu'il a fait promettre à Clérieux de ne plus remettre les pieds à Âprefond. Quoiqu'il se passe à l'avenir, ça ne sera pas sur ses terres, donc ça ne le concerne plus.
Je mords les lèvres pour ne pas exprimer mes pensées. Même si, visiblement, Louh prend du recul par rapport à son Seigneur, je ne suis pas sûr que l'insulter soit une bonne chose. La voix de Louh est vraiment impressionnante, toute en colère et en menaces, quand il poursuit :
- Et ensuite, il m'a ordonné d'aller convaincre Mélisende d'avouer qu'elle avait tout inventé.
- Quoi ?
- J'ai eu la même réaction que toi. Alors il m'a expliqué très calmement que les gens allaient attendre le procès de Clérieux, qu'ils allaient vouloir constater de leurs propres yeux que justice était faite. Et ça, ce n'était plus possible, puisque Clérieux est parti et que le tribunal ne viendra jamais. Alors je devais aller convaincre Mélisende de...
- Par convaincre, tu entends bien menacer ?
- Oui. Je devais lui faire comprendre qu'elle avait tout intérêt à reconnaître son mensonge. Je devais arranger l'histoire avec elle, prétendre qu'elle avait fugué et qu'elle avait accusé à tort Clérieux pour se dédouaner.
- Mais personne n'aurait gobé ça !
- Si on y réfléchit, il n'y a que quatre personnes qui connaissent la vérité : Clérieux, qui a disparu mais qui abonderait dans ce sens, toi, qui a quitté le fief, Mélisende, qui est aisément manipulable, et moi, qui suis tenu au secret. Les gens y auraient cru. C'est un raisonnement aussi abject que logique.
- Mais justement, la disparition de Clérieux est un aveu en soi, non ?
- Mon Sieur avait tout prévu. Être accusé de la sorte par une gueuse, l'homme de main du seigneur du fief qui proclame partout qu'il est coupable, les villageois qui veulent l'occire à grand renfort de fourches, tout ça est inadmissible et le père Clérieux refuse de consacrer une seule minute de plus à ce fief. La version que je devais donner, c'est que le père Clérieux est allé voir ailleurs si les gens sont plus respectueux de sa fonction.
- Mais bon sang, comment ose-t-il arranger la vérité de la sorte ?
Louh hausse les épaules, vaincu par cette manipulation de trop, et bougonne :
- Il refusait de voir le tribunal ecclésiastique dans son fief. Je crois qu'il en a peur. Il craint que ça se retourne contre lui. Et il ne veut pas d'histoires. Alors il étouffe l'affaire.
- Mais il a bien dû voir que tu n'étais pas d'accord avec cette manière de régler l'affaire.
- Oui. Il n'a pas apprécié. Il m'a rappelé mon serment. Et le fait que je ne suis qu'un larbin qui exécute les ordres sans contester ni poser de questions.
Je reste silencieux, ne voulant pas remuer le couteau dans la plaie. Honoré a toujours traité Louh de cette manière, même s'il le faisait de manière plus subtile, en lui faisant croire que son avis pouvait avoir de l'importance. Mais lui dire ça maintenant n'aurait aucun intérêt.
- Alors je me suis incliné et je lui ai dit que ce sera fait.
- Et tu es allé préparer tes affaires.
- Non. Si ce n'est pas moi qui me charge de convaincre Mélisende, ce sera quelqu'un d'autre. Mon Sieur a plus d'un atout dans sa manche et mon départ n'aurait rien réglé. Alors je suis allé au village, où j'ai réveillé et réuni une bonne partie des gens. Et je leur ai tout expliqué. Je leur ai raconté ce qu'on a découvert, les aveux de Clérieux, et les plans de mon Sieur.
Mon regard se perd sur les collines verdoyantes qui apparaissent après la forêt. J'imagine sans peine la révolte des villageois, leur colère bien justifiée et leur étonnement face à ce soudain revirement de Louh. Et je souris, le cœur gonflé de fierté.
- Ils savent qu'il serait trop dangereux d'attaquer directement le château. Mais ils vont réfléchir à un moyen de faire pression pour que la vérité demeure et que l'affaire ne soit pas étouffée. Je ne sais pas comment ils vont s'en sortir.
Impossible de manquer l'inquiétude dans sa voix et j'ignore comment le rassurer. Bien sûr que le seigneur Honoré fera en sorte d'arriver à ses fins et maintenant qu'il a relâché Clérieux, il est dos au mur. J'aimerais lui dire que ça ne le concerne plus, maintenant, que les villageois vont devoir se débrouiller tout seuls, mais je sens bien qu'il tient à ces gens qui ont été son quotidien toute sa vie. Ce n'est sans doute pas de l'affection mais ils ne sont pas de parfaits étrangers. Mon absence de réponse ne semble pas le contrarier et il poursuit :
- Alors je suis rentré chez moi et j'ai commencé à ranger mes affaires. Où est l'honneur de manipuler ainsi la victime, juste pour éviter d'attirer l'attention de l'Église ? Je me déshonore en rompant mon serment de manière aussi lâche, c'est vrai, mais j'aurais été tout autant déshonoré si j'avais exécuté ses ordres.
J'ai l'impression qu'il essaie plus de se convaincre lui-même que de me convaincre moi. Je me moque bien de son honneur soi-disant bafoué, il est installé tout contre moi, sur cette roulotte qui représente toute ma vie, et nous avançons ensemble vers un avenir qui s'annonce heureux. J'ai l'impression également qu'il a besoin de vider son sac, de parler, lui qui est rarement si bavard. Alors je me contente de caresser sa main de mon pouce, observant le paysage qui défile lentement sous nos yeux alors que nous traversons le fief voisin d'Âprefond. C'est à peine un murmure que j'entends soudain :
- Je ne pouvais plus servir cet homme manipulateur et menteur. Et puis, toi, tu partais au loin. Et ça faisait mal... Alors ma décision n'a pas été si difficile que ça à prendre. J'ai passé ce qu'il restait de la nuit à ranger mes affaires et à les transférer dans la roulotte. J'en ai sans doute pris beaucoup trop, je suppose que vous voyagez plus léger ça normalement. Mais comme je ne reviendrai pas...
- Tu serais venu les mains vides, j'aurais été tout autant heureux. Mais tu as bien fait de tout prendre, tu n'allais pas laisser perdre toutes tes provisions. Et crois-moi, elles vont faire des heureux.
Je marque un temps d'arrêt, réalisant qu'ayant toujours vécu seul, Louh ne doit pas avoir l'habitude de mettre en commun. Et qu'il n'appréciera peut-être pas de partager ses provisions si durement acquises. Comme un écureuil qui, patiemment, rempli son nid de noisettes et qui voit soudain une horde de bestioles arriver et regarder avec convoitise ses provisions. Je suis sur le point de rectifier mes paroles quand il me dit, comme s'il avait deviné mon trouble :
- C'est normal que tout le monde en profite. Vous m'accueillez avec vous, alors que je ne sais rien faire d'utile. Enfin, rien d'utile pour une troupe de tsiganes. Ce sera une manière de payer ma place parmi vous.
- Tu sais, quand l'un de nous fait venir son compagnon ou sa compagne, on l'accepte sans demander ce qu'il sait faire d'utile. Il ou elle rend l'un des nôtres heureux et ça nous suffit pour l'accueillir. Et ne t'inquiète pas, on te trouvera toujours quelque chose à faire. Et je pourrais t'apprendre à manier les marionnettes.
Je l'imagine parfaitement, ombre sinistre dernière le petit théâtre, à jouer la princesse éplorée et je ne peux m'empêcher d'éclater de rire. Un bref coup d'œil m'apprend que ça ne le fait pas rire, alors je reprends mon sérieux et passe une main douce sur sa nuque. Je retire cependant rapidement ma main, car nous sommes sur la route et nous ne passons pas inaperçus : des curieux pourraient parfaitement surprendre nos gestes de tendresse. Je reprends d'une voix douce :
- Tu sais t'occuper des animaux, tu sais dépecer une carcasse, tu sais maintenir l'ordre et faire peur aux gens. Tu nous seras utile, ne t'en fais pas.
Il opine doucement et je suis incapable de savoir si j'ai réussi à le convaincre. Mais je ne doute pas que Voel ait réfléchi à la question et qu'il saura le mettre à l'aise à ce sujet.
- Dis Louh...
- Humph.
Je sais bien qu'il n'aime pas quand je commence mes phrases comme ça, car elles annoncent un sujet qui fâche. Mais au moins, il est prévenu, non ?
- Tu lui disais quoi, hier au soir, à Voel ?
- Ah, ça.
Il tripote le tissu de ses chausses, tête baissée, et j'ignore s'il est soulagé que j'aborde ce sujet, peut-être moins délicat que celui de son Sieur. Il hausse les épaules et murmure :
- Je lui disais juste que tu es quelqu'un de précieux... Et qu'il devait prendre soin de toi.
Venant de Louh, c'est un sacré aveu. S'il m'arrivait parfois de douter de ses sentiments, parce qu'il n'est pas du genre démonstratif, je suis entièrement rassuré désormais : il fuit son Sieur pour être avec moi et il demande de telles choses à Voel... J'aimerais pouvoir lui dire, moi aussi, à quel point je tiens à lui, mais les mots refusent de sortir. À la place, je murmure :
- Ce sera ton rôle, désormais.
Je n'ai jamais ressenti le besoin que quelqu'un prenne soin de moi, j'ai toujours su me débrouiller seul. Et pourtant, à l'idée que Louh sera là pour veiller sur moi, mon cœur gonfle de joie.
- D'ailleurs, tu as mauvaise mine, aujourd'hui.
Je le regarde, surpris de le voir s'aventurer sur le terrain, et je me retrouve obligé de lui confesser :
- La séparation a été difficile. Pour tout te dire, je songeais même à abandonner les miens pour aller vivre avec toi.
Il hausse un sourcil, avant que ses joues ne se colorent d'un beau rouge. C'est à son tour de m'ébouriffer les cheveux, faisant cliqueter mes perles. Je n'en souffle pas un mot, mais moi aussi, je trouve qu'il a mauvaise mine, avec les traits tirés et des cernes noirs sous les yeux. Ces derniers jours n'ont pas été de tout repos et je me fais la promesse que moi aussi, je veillerai sur lui. Chaque histoire que je raconterai le soir lui sera dédiée et chaque chanson sera pour lui. Je pourrais même lui apprendre à chanter juste et en rythme. Et je ne m'inquiète pas, je sais que les miens l'accueilleront chaleureusement et que je pourrais vite dire « les nôtres ».
Le silence habituel, confortable et serein, retombe entre nous, uniquement troublé par le bruit des roues sur le sol cahoteux. Nous observons le paysage de ce nouveau fief qui défile lentement sous nos yeux, apaisés par la présence de l'autre.
Nous faisons halte, un peu plus tard, pour déjeuner tous ensemble. Tandis que Louh abreuve bœuf et cochons, je me dirige vers la roulotte de Gabor. Il m'attrape par le cou à peine arrivé et me serre contre lui. À moitié étouffé, je l'entends pourtant déclarer :
- Je suis content pour toi, petit frère.
Il n'est pas si démonstratif, d'habitude, et je devine tout ce qu'il ne dit pas. Qu'il s'est vraiment fait du souci, depuis hier au soir. Je comprends que lui, tombeur des dames, qui est si gêné d'aborder avec moi le sujet de préférences, était inquiet au point de me serrer dans ses bras pour la nuit. Parce qu'il me considère comme son petit frère. Et je réalise qu'il est heureux de savoir que j'ai retrouvé Louh, tout comme je serais heureux de le voir en couple, avec une femme qui l'aime pour ce qu'il est. Même si ça signifie, pour lui, que nous ne partagerons plus notre roulotte.
- Tu vas faire comment, pour dormir ?
- Ysayo avait hébergé Elisheva, Ordan et leur petit. Je leur laisserai cette roulotte et j'irai chez Ysayo. Ne t'inquiète pas pour moi, je trouverai toujours un lit. Et tu me connais, je préfère passer la nuit dans un grenier à foin en bonne compagnie. Profite donc de Louh, va.
Il sourit de toutes ses dents et je le serre fort dans mes bras. Puis je vais récupérer quelques affaires, ne voulant pas laisser Louh trop longtemps tout seul. Il est adossé à la roulotte, les yeux mi-clos, et j'ai du mal à réaliser qu'il est vraiment là avec moi, sur les routes. Il sourit en me voyant revenir, se détache de la paroi et m'accompagne alors que je rentre dans la roulotte.
Je suis impressionné par le rangement fait par Louh : chaque place est utilisée au mieux et, malgré la grande quantité de provisions, nous pouvons circuler sans difficulté. Tout est arrimé de manière à ce que rien ne bouge pendant que nous nous déplaçons. Alors que je suis en train de me demander comment il a pu faire tout ça, je l'entends m'expliquer :
- Ysayo m'a surpris alors que je rangeais mes affaires. Il a tout de suite compris que je venais avec vous et a offert de m'aider à agencer au mieux. Sans lui, je n'aurais sans doute pas pu fermer la porte.
J'éclate de rire en imaginant Louh, arc-bouté contre la porte, soufflant et jurant. J'ignore si Ysayo connaissait la relation entre Louh et moi, mais il l'a accepté et aidé spontanément et ça me fait chaud au cœur. Je range mes quelques affaires et nous rejoignons les autres autour d'un déjeuner frugal. Nous sommes affamés et nous dévorons pain, viande séchée et fruits. Puis tout le monde retourne à sa roulotte respective pour se remettre en route.
Nous foulons l'herbe haute, côte à côte, le ventre plein et l'esprit apaisé. Mais je vois bien que Louh titube de fatigue et je lui propose :
- Va faire la sieste pendant que je mène la roulotte. Repose-toi.
Il semble indécis, comme s'il redoutait que nous soyons à nouveau séparés, comme si je risquais de disparaître si je ne suis plus dans son champ de vision. Je lui souris encore et murmure :
- Tu verras, on s'habitue très vite au mouvement d'une roulotte en marche. Et tu dois reprendre des forces, parce que j'ai bien l'intention de fêter nos retrouvailles comme il se doit dès ce soir.
Il comprend de quoi je parle, évidemment, et finit par céder, non sans m'avoir embrassé brièvement d'abord. Il va s'allonger sur le lit tandis que je retourne sur le banc, situé à l'avant de la roulotte. Le paysage baigné de soleil se remet à défiler lentement, une brise tiède caresse mon visage et moi, je souris toujours.