Salut tout le monde !

Voici une petite histoire écrite pour le challenge d'Août du Collectif NONAME, dont je fais partie, et dans le but est d'encourager la communication entre auteurs et lecteurs. D'abord basé sur FF net, le collectif étend son concept sur FP ! Le lien est dans mes favoris, et sinon, on est aussi sur Facebook. Viendez nous rejoindre, on a des cookies et du thé !

Le challenge de ce mois-ci : "Votre personnage garde une cigarette sur lui depuis des années. Aujourd'hui, il l'allume."

Le petit questionnaire du Collectif !

- Ce que ça vous fait de lire des fics : ça me garde en viiiiie ! Non sérieusement, les fics, c'est la vie. C'est l'Amour. C'est l'eau de l'assoiffée qui a passé un an dans le désert. (Oui bon, je sais qu'un an sans eau, y'a des chances que j'y survive pas pour le raconter, mais on ne critique pas mes métaphores, ok?) Les fics, c'est tous ce que vos personnages ne feront jamais en vrai (sauf s'ils appartiennent à Hannibal, là... *yeux rêveurs*) devenu réalité sous vos yeux émerveillés !

- Ce que ça vous fait d'écrire des fics : ben, ça m'éclate, sinon je le ferais pas, heh ! C'est cet irrésistible besoin qui me prend de mettre tel perso dans une situation pourrie et de le regarder se démerder avec un petit sourire satisfait avant de l'attraper entre deux doigts pour le mettre dans une autre situation pourrie. C'est drôle, vous devriez essayer aussi !

- Ce que ça vous fait de recevoir des reviews : c'est GRAAAH. C'est comme un arbre de Noël avec des cadeaux sous le sapin, et j'aiiiime les cadeaux sous le sapiiiiin ! (Même si ça m'arrive de mettre longtemps avant de remercier le père Noël, mais je le fais toujours, donc si vous voulez laisser des cadeaux sous le sapin, vous êtes les bienvenus, mes chers pères Noël!) (Et on ne critique toujours pas mes métaphores okay?)

Voilà !

Ça faisait longtemps alors j'ai décidé d'écrire sur Gabriel et Joshua.

(Ça peut être pris comme une side-story UA du Transfuge, ou ça peut être lu indépendamment!)

Bonne lecture !


.oOo.

- Hey mec, t'as pas une cigarette ?

Joshua enfouit son menton sous son écharpe grise, et ne jeta même pas un regard à l'inconnu dans la rue.

- Je fume pas, désolé.

Ses paroles étaient à moitié étouffées par le tissu synthétique de l'écharpe, sur lequel il pouvait déjà sentir des perles de condensation se former, mais l'inconnu, qui devait avoir l'habitude qu'on lui dise non, lança :

- Ok, merci quand même! Et joyeux Noël!

Puis l'homme se détourna pour interpeller un autre passant sans attendre de réponse, et Joshua continua sa marche en se disant qu'il n'avait pas menti – mais qu'il n'avait pas été entièrement sincère non plus.

Il ne fumait pas, et ça c'était vrai. Il n'avait plus fumé depuis des années (régulièrement, du moins), et c'était probablement une bonne chose, ça voulait dire qu'il ne mourrait sans doute pas d'un cancer du poumon à cinquante ans à peine – du moins, si la nature était assez clémente pour lui pardonner ses années passées à fumer comme un pompier entre quatorze ans et vingt-six ans.

Et puis au fond, même si la nature ne le lui pardonnait pas, il n'était pas certain que ce soit grave. Le cancer lui importait peu.

Quoi qu'il en soit, il ne fumait pas, mais il avait quand même une cigarette sur lui, la dernière survivante d'un paquet caché dans la poche intérieure de sa veste.

Malgré l'écharpe grise enroulée autour de son cou, le froid mordait le bout de son nez et le haut de ses joues. Il avait l'impression que ses sourcils étaient paralysés, et commençait sincèrement à se demander si des petits cristaux de glace n'étaient pas en train d'y naître.

Putain, Lasheras. C'est Lille, pas le pôle Nord.

Même pour Lille, il faisait froid. Extrêmement froid. Le mercure tournait autour des -10°c depuis au moins sept jours consécutifs. Le quai du Wault avait gelé. La putain de Deûle avait gelé. La neige tombée trois jours plus tôt tenait sur les trottoirs là où personne ne prenait la peine de l'enlever – devant l'Opéra, les gosses, hystériques, se jetaient dans les gros amas de neige noircie qu'on avait déblayée de la route.

Joshua avait ressorti ses bottes à la doublure fourrée et aux semelles antidérapantes, ainsi que la veste de cuir, l'écharpe et les gants fourrés. Il était du genre à se balader en tee-shirt par cinq degrés dehors, mais par un tel froid, même lui, pour le coup, était obligé d'abdiquer.

Un coup de vent glacial fit voler une de ses mèches de cheveux noirs devant son nez, et d'un geste malhabile, engourdi par le froid, il la coinça derrière son oreille. Un bonnet, ça, il n'avait pas pensé, et ce n'était que quand il était sorti de chez lui que le froid l'avait saisi à la racine des cheveux. Tant pis. Le bonnet était probablement rangé au fond de ses placards, et il y avait tant de monstres dedans qu'il n'osait plus y jeter un coup d'œil. Le bonnet lui-même faisait partie des monstres.

Il eut un petit sourire en pensant à ce qu'aurait dit Gabriel s'il avait traité le bonnet de monstre devant lui. C'était le sien, à la base – une horreur en laine noire pleine de trous qu'il mettait beaucoup trop souvent pour le bien-être de son quotient fashion. Joshua n'avait jamais compris l'attachement qu'il portait au foutu bonnet – la laine était distendue, il était tellement troué qu'on voyait ses cheveux blonds au travers, et il ne protégeait absolument pas du froid. Quand il lui avait posé la question, Gabriel avait répondu que c'était un attachement sentimental et qu'il ne pouvait pas comprendre parce qu'il n'avait pas de cœur.

Il se trompait. Joshua avait un cœur. Aussi glacé dans sa poitrine que l'eau du quai du Wault, à présent, mais à l'époque où Gabriel avait dit ça, il était encore en parfait état de marche, et prêt à battre de toute sa fougue pour lui.

Le parvis de l'église Saint Maurice n'avait pas été déneigé, lui. L'église était fermée pour rénovations, les offices annulés, et personne ne s'en souciait. Joshua leva le nez vers le ciel gris et opaque de cette fin d'après-midi. La neige allait tomber à nouveau, il pouvait le sentir à l'odeur de l'atmosphère, mais ça ne le dérangeait pas. Il ne détestait pas la neige. Gabriel l'adorait, lui ; un extrémiste de la neige, c'était le titre qu'il s'était lui-même donné.

Il avait neigé, le soir où Gabriel avait accepté de sortir avec lui pour la première fois, pile à l'endroit où il se tenait actuellement. Dix ans auparavant. Jour pour jour.

Une main invisible, plus glaciale que l'air du dehors, lui compressa le cœur un bref instant, et Joshua se détourna. Avec le jour déclinant, les décorations de Noël s'étaient allumées dans la rue de Paris et la rue de Béthune, avec les lampadaires, et Joshua, après avoir observé pendant un instant les formes des guirlandes dorées, reprit sa route vers la Grand Place.

On était le 24 décembre, il était presque 16h30 ; les gens couraient encore dans les rues pour faire leurs derniers achats de Noël avant d'aller passer le réveillon en famille, et à côté de leur affairement, Joshua avait l'impression d'être aussi calme qu'un moine zen.

Ou plutôt, aussi calme qu'une statue dans un cimetière – là, ça reflétait mieux son état d'esprit.

D'un pas calme, évitant de se faire bousculer par des impatients, Joshua décida de rejoindre la Grand Place, avant de décréter instantanément que c'était une mauvaise idée – malgré le réveillon imminent, l'endroit était plein de monde ; ils voulaient tous se rendre au Furet acheter leurs derniers cadeaux avant la fermeture du magasin, et la grande roue et toutes les décorations qu'il y avait autour bloquaient suffisamment le passage pour que tout le monde se retrouve déporté sur le côté, essayant désespérément de passer. Joshua jugea l'épreuve au dessus de ses forces, surtout qu'il n'avait pas de motivation particulière à aller là-bas, et remonta vers l'Opéra, évitant les tas de neige noircie. Arrivé au bout de l'avenue Faidherbe, devant la gare Lille Flandres, il jeta un regard vers Euralille, puis l'esplanade qui menait à Lille Europe plus loin, et s'interrogea un long moment, pris dans le flot des visiteurs qui sortaient ou qui entraient dans le hall de la gare pour aller voir leur famille.

Après un long moment de délibération silencieuse, il passa devant le vendeur ambulant de croustillons hollandais et de churros, rejoignit le parc Matisse et continua sa route vers le cimetière de l'Est.

Il n'aimait pas ce cimetière, mais on était le 24 décembre. Oh, Gabriel s'en moquait probablement, certes – ce n'était pas là, entre les dalles glaciales et les mauvaises herbes enfouies sous la neige, que Joshua comptait le retrouver. Mais c'était symbolique.

Quelqu'un avait laissé des fleurs. Des lilas – il ne fallait pas être devin pour savoir de qui elles provenaient. La petite sœur était déjà passée par là, probablement plus tôt dans la journée. La culpabilité qui s'abattit sur les épaules de Joshua, pendant une brève, mais intense seconde, était presque physiquement douloureuse.

Un jour, je les recontacterai, pensa-t-il. Un jour. Ça faisait au moins déjà trois bonnes années qu'il pensait à reprendre contact avec Lilas et sa famille, mais jusque là, il n'avait jamais eu le courage, et il doutait de l'avoir dans les années à venir.

Dommage. Ils avaient fini par devenir sa famille aussi, à force.

À l'intérieur du cimetière, le silence était presque surnaturel, comme si les sons de la ville étaient étouffés par une barrière protectrice qui s'étendait autour de lui, comme un dôme invisible. Il commençait vraiment à faire sombre, si sombre que Joshua parvenait de moins en moins bien à discerner les contours de la dalle de pierre de la tombe à ses pieds. Il l'observa en silence, observa le nom gravé dessus pendant un long moment, et dégagea sa bouche de son écharpe.

- Espèce de connard.

Ses mots tombèrent à plat, comme mangés par l'humidité de l'air, mais ça aussi, c'était symbolique. Les insultes.

- Sale enfoiré.

Aujourd'hui, il était seul dans le cimetière. L'année précédente, un vieux papy qui passait à côté de lui l'avait entendu au moment où il avait lâché un "vieux sodomite mal embouché", et lui avait jeté un regard horrifié ; et Joshua avait éclaté de rire, ce qui avait fini de scandaliser le bonhomme. À croire qu'on ne riait pas dans un cimetière. Il fallait être triste comme les pierres tombales.

Joshua y arrivait déjà très bien tout seul sans l'aide du cimetière, alors il ne voyait pas pourquoi il se priverait de rire quand il en avait envie.

La nuit était entièrement tombée quand il sortit du cimetière, et les gens continuaient à courir de partout. Il avait l'impression d'être un roc dans le courant rapide d'une rivière, et si la sensation ne lui déplaisait pas, il faisait un peu trop froid pour rester dehors sans bouger.

Il remonta vers le cœur névralgique de la ville, s'arrêtant pour observer tous les endroits où il avait partagé des souvenirs avec Gabriel – et il y en avait un paquet – et lorsqu'il débarqua enfin dans la rue Solferino, il était passé 18h, et il sentit son cœur se serrer.

Le cimetière, il pouvait en rire.

Le Nightingale, c'était beaucoup plus dur.

Il leva les yeux vers le nom du bar, qui s'inscrivait en jolies lettres dorées, habituellement éclairées par des spots, mais pas ce soir – jamais le 24 décembre, depuis quatre ans. Les stores de tissu noir étaient tirés derrière les vitres du bar, et tout en apparence donnait l'impression qu'il était fermé, ce qui n'empêcha pas Joshua, après avoir pris une profonde inspiration, de tourner la poignée.

À l'intérieur, Jorge était déjà là.

- Oh, Joshua ! Je ne t'attendais pas avant dix-neuf heures. J'ai pas encore fini les préparatifs.

Chaque année, depuis quatre ans, Joshua se faisait la même réflexion ; c'était bizarre de le voir derrière le bar, mais sans son habituel tablier de barman et sa chemise blanche, le costume qu'il enfilait presque tous les autres soirs de la semaine. Là, il était habillé d'un pull noir et d'un jean noir d'une banalité absolue, et son sourire était un peu crispé.

Joshua ne put s'empêcher de lui faire remarquer avec une pointe d'humour :

- Tu sais, Jorge, je crois que Gabriel ne t'en voudra pas si tu mets de la couleur un jour.

Le barman haussa les épaules.

- C'était les seuls habits propres qu'il me restait.

- Je préfère ça.

- Et d'ailleurs, c'est l'hôpital qui se fout de la charité. T'as vu comment t'es habillé ?

- Désolé, mais ma chemise est pas noire, elle est grise.

- Noire à rayures grises !

- C'est déjà ça.

- Tu sais, Joshua, je crois que Gabriel ne t'en voudra pas si pour une fois tu mets une autre chemise que celle qu'il t'a offerte pour votre anniversaire.

Joshua sentit ses épaules se raidir, et Jorge se tut aussitôt, l'air paniqué d'une biche prise entre les phares d'une voiture. L'anniversaire en question était le dernier qu'ils avaient passé ensemble.

- Désolé, je voulais pas...

- Laisse, Jorge. Je crois qu'il serait temps que j'apprenne à faire des blagues là-dessus, depuis le temps. L'année prochaine, j'achèterai une nouvelle chemise.

- Ok, marmonna Jorge.

Il retourna à la préparation du repas qu'il était en train d'arranger sur des assiettes, et Joshua réprima un soupir. Les larmes avaient beau ne plus déborder sur ses joues comme avant, c'était toujours plus dur le 24 décembre que les autres jours.

- Nina et Lawrence ?

- Ils ne vont pas tarder à arriver, répondit Jorge.

Ils avaient mis ça en place quatre ans plus tôt. Jorge, Nina et Lawrence, les trois meilleurs amis de Gabriel, avaient certainement dû avoir peur que Joshua n'en vienne à se suicider le soir du premier réveillon qu'il passerait sans Gabriel ; puis c'était devenu une habitude. Ils annulaient leurs repas familiaux, Nina et Lawrence confiaient leur fille Charlie âgée de cinq ans aux parents de Nina, et ils se retrouvaient tous les quatre dans leur QG, le Nightingale.

L'église, le cimetière, et même son appartement, ça allait ; Joshua pouvait supporter. Mais c'était ici, au Nightingale, que l'absence de Gabriel était la plus terrible. C'était ici qu'ils s'étaient embrassés pour la première fois, un autre 24 décembre, dans une autre vie. Ils s'étaient disputés ici, réconciliés ici, affrontés, rendus mutuellement jaloux, ils avaient ri aux larmes, ils s'étaient bourrés la gueule à en oublier leur nom, ils avaient cassé des verres à Karmeliet, ils s'étaient blessés, ils avaient lu le journal en silence l'un en face de l'autre, ils avaient joué aux cartes, ils avaient été à deux doigts de faire l'amour dans un coin (avant que Jorge ne les en empêche, par égard pour les autres clients).

Le lieu était plein de Gabriel, et ça ne faisait que délimiter avec un peu plus de netteté les contours de son absence.

Nina et Lawrence arrivèrent à dix-neuf heures, des flocons de neige accrochés à leurs cheveux noirs et les joues rougies par le froid. Lorsque Nina serra Joshua dans ses bras dix secondes plus tard, ses yeux étaient déjà pleins de larmes, et Joshua lui tapota le dos maladroitement.

Jorge avait fini de préparer les assiettes. Il avait mis une table ronde bordée de quatre chaises au centre de la pièce, et ils s'installèrent autour avec les compliments habituels destinés au repas – c'était toujours Jorge qui s'occupait de la cuisine, parce qu'avec lui, c'était toujours parfait. Joshua s'était amélioré, en cinq ans, mais avant ça, c'était Gabriel qui s'occupait des repas – contre toute attente, il n'était pas si mauvais. À sa mort, Joshua s'était rendu compte qu'il ne savait même pas se faire cuire des pâtes sans les faire fondre, ou du riz sans le faire brûler.

Après un fabuleux dessert de profiteroles au chocolat et à la glace à la vanille, Jorge leur versa à tous un verre de Karmeliet – le champagne aurait eu plus de sens pour le réveillon, mais la Karmeliet, c'était la bière préférée de Gabriel – et ils trinquèrent avant de le descendre de moitié.

- À la tienne, Gabriel, marmonna Lawrence, les yeux fixés sur la pendule murale qui trônait au bout de la pièce.

- Et à l'année prochaine, ajouta Nina en levant son verre avant de le finir.

- Vous savez, les gars, dit Joshua avec hésitation, on n'est pas obligés de faire ça tous les ans. Je ne vais pas me suicider. D'ailleurs, c'est ce que je vous ai toujours dit depuis le début, mais bon...

- On le fait pour nous aussi, répondit Lawrence en haussant les épaules. Je trouve ça bien de réserver un jour pour lui. Et ça m'évite de me coltiner les parents de Nina.

Le coup de poing qu'il reçut dans le bras de la part de sa femme ne sembla pas le troubler outre-mesure – il se contenta de lui sourire.

- Et on peut passer du temps ensemble, ajouta Jorge avec le sourire paisible d'un homme qui a déjà un peu trop bu. On ne se voit pas souvent, en temps normal, entre nos boulots, nos gosses et nos loisirs, alors j'aimerais bien continuer, moi. Café ?

Sans attendre la réponse, il se leva, et Joshua prit le signal pour ce qu'il était – il fouilla dans la poche de sa veste pour en sortir le paquet de cigarettes.

- Il en reste encore ? demanda Lawrence, ébahi.

- Une seule, répondit Joshua.

À l'intérieur du paquet tout écrasé, la dernière cigarette, pas vraiment en meilleur état, lui offrait son filtre orangé. C'était le dernier paquet de Gabriel, celui que Joshua lui avait confisqué juste la veille de l'accident, en disant qu'il en avait marre de le voir fumer – ce à quoi Gabriel avait rétorqué qu'il ne fumait pas tant que ça. Mais OK, il arrêterait. Promis.

Il avait arrêté le lendemain. Il avait tout arrêté ce jour-là – fumer, respirer, vivre.

Nina lui tendit un zippo avec un chat noir dessus, et Joshua alluma la dernière cigarette. Il en restait quatre quand il avait confisqué le paquet à Gabriel. Il en avait fumé une chaque 24 décembre depuis.

Nina ne fumait pas, ni Jorge, mais Lawrence lui tira une bouffée de la cigarette de Gabriel, et Joshua fuma le reste jusqu'au filtre.

Le vide qui l'étreignit lorsqu'il écrasa la cigarette dans le cendrier que Jorge lui avait apporté lui sembla presque palpable, d'un coup – et voilà. Le dernier lien physique qui le retenait à Gabriel (si on omettait les monstres dans ses placards, mais ceux-là étaient bien cachés dans le noir) venait de s'évanouir.

Il avait l'impression qu'il pouvait enfin passer à autre chose, et l'idée, tout aussi libératrice qu'elle soit, avait quelque chose de terrifiant – comme un bébé qui ferait ses premiers pas sans aide extérieure.

Mais il ne pouvait pas passer sa vie à faire le deuil de Gabriel. Cinq ans, c'était suffisant – il fallait qu'il arrive à penser à lui sans que son souvenir ne débarque avec l'habituelle sensation de vague douleur mal définie qui l'accompagnait toujours. Il était temps qu'il accepte de se faire draguer par des inconnus, et qu'il arrête de suivre du regard les têtes blondes dans la foule.

Il était temps qu'il recommence à vivre.

Lorsqu'il quitta le bar, plus tard dans la soirée, il jeta lui-même le mégot à la poubelle.

Gabriel avait toujours fumé pour de mauvaises raisons, de toute façon.

.oOo.